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La gifle de Bayrou et le mythe tenace des violences « éducatives » 

En avril 2002, François Bayrou est en pleine campagne présidentielle. En visite dans un quartier de Strasbourg et entouré de jeunes gens et d’enfants, il s’interrompt soudain et gifle un enfant de 11 ans en lui disant “tu me fais pas les poches”, un demi-sourire aux lèvres. Le geste est illégal, le contexte invérifiable mais pourtant cet acte violent lui a valu une remontée dans les sondages. Cette séquence suscite à nouveau de l’attention dans le cadre de l’implication de l’actuel Premier ministre dans l’affaire Bétharram : dans les années 1990, il a été au courant des violences systémiques qui régnaient dans l’établissement et n’a rien fait. Pour sa défense, il a menti ces derniers mois pas moins de 14 fois, selon Mediapart. Auditionné lors de la commission d’enquête parlementaire, son geste lui a été rappelé par le rapporteur Paul Vannier. Le Premier ministre s’est défendu en inventant une exagération médiatique (les médias auraient, à l’époque, bruité la vidéo) qui aurait transformé une claque en simple “tape”. 

En avril 2002, François Bayrou est en pleine campagne présidentielle. En visite dans un quartier de Strasbourg et entouré de jeunes gens et d’enfants, il s’interrompt soudain et gifle un enfant de 11 ans en lui disant “tu me fais pas les poches”, un demi-sourire aux lèvres. Le geste est illégal, le contexte invérifiable mais pourtant cet acte violent lui a valu une remontée dans les sondages.

« Ce n’était pas du tout une claque violente, c’était une tape, en effet, de père de famille. s’est-il expliqué. Et si quelqu’un ici pense que jamais il n’a donné une tape à un enfant, je crois que beaucoup, s’ils sont honnêtes, pourront admettre qu’ils l’ont fait. » « Pour moi, ce n’est pas de la violence », mais « un geste éducatif », a insisté François Bayrou.

Le retour de cette séquence sur la scène médiatique montre que la banalisation et la légitimation des violences envers les enfants se portent bien parmi les journalistes et les politiques. Nathalie Saint-Cricq, directrice des rédactions nationales de France Télévision, a reproché quelques jours plus tard à Paul Vannier, lors d’une émission télévisée, d’avoir mentionné cette célèbre gifle, trouvant qu’il n’y avait aucun rapport avec l’affaire Bétharram. En faisant cela, elle participe à la séquence médiatique écœurante qui consiste à détourner l’attention qui pèse sur le Premier ministre, accusé, je le répète puisque tout est fait pour qu’on l’oublie, d’avoir ignoré des violences systématiques, y compris sexuelles, envers des enfants, pendant plusieurs décennies. Il s’agit, pour les grands médias, d’accuser LFI et le rapporteur Paul Vannier d’aller “trop loin”. Face à ses explications, la façon même dont Nathalie Saint-Cricq a parlé, lors de cet échange, de la fameuse gifle est très révélatrice : “Vous parlez de culture de la violence mais on était en train de lui faire les poches, quand même.”

Depuis 2002, personne ne semble s’être demandé si l’enfant de 11 ans que Bayrou a giflé lui faisait réellement les poches. Parce que c’est un politique et parce que c’est un enfant de quartier populaire, alors le premier a forcément raison. Tout le monde aurait-il cru Bayrou s’il avait giflé un enfant blanc à la sortie d’une école de quartier pavillonnaire ?

Cette phrase me rend dingue. Depuis 2002, personne ne semble s’être demandé si l’enfant de 11 ans que Bayrou a giflé lui faisait réellement les poches. Parce que c’est un politique et parce que c’est un enfant de quartier populaire, alors le premier a forcément raison. Tout le monde aurait-il cru Bayrou s’il avait giflé un enfant blanc à la sortie d’une école de quartier pavillonnaire ? Certainement pas. On aurait au moins cherché à en savoir plus. Mais non : même plus de vingt ans plus tard, la tentative de vol n’est jamais mise en doute. La présomption d’innocence n’existe décidément dans ce pays que pour les acteurs qui violent. Mais un enfant arabe qui vole, personne ne va chercher à en savoir plus, et ce, alors même que l’enfant a aussitôt nié l’accusation. Mais qui croirait un enfant, et qui croirait un enfant arabe ?

Et plus de vingt ans plus tard, on en est toujours au même point : dans son article du 14 mai dernier, Le Monde écrit au sujet du contexte de la gifle : “Pendant un déplacement à Strasbourg, dans le cadre de sa première campagne présidentielle, M. Bayrou avait donné une gifle à un jeune garçon qui essayait de lui faire les poches.” Mais qu’est-ce qu’on en sait ? Le cadrage de la vidéo ne permet pas de voir les mains du garçon, l’info est invérifiable, et pourtant, aucun média n’a remis en cause la version du Premier ministre, aussitôt et toujours en vigueur. Étonnement, il n’y a quasiment que Le Figaro pour mettre entre guillemets l’accusation du candidat. Les autres ont repris l’accusation telle qu’elle, comme un fait incontestable, et le font toujours plus de vingt ans après. 

Le geste de “père de famille” comme l’a dit Bayrou lors de son audition, n’a pas lieu d’être et il est en outre illégal depuis 2019, même de la part des parents, puisque la loi interdit les “violences éducatives ordinaires”. Le fait que Nathalie Saint-Cricq justifie à nouveau le geste de François Bayrou est assez aberrant puisqu’elle accepte donc un acte illicite de la part d’un candidat à la présidentielle et désormais Premier ministre.

Quoi qu’il en soit, rien ne justifie de gifler un enfant, qu’il ait ou non tenté de glisser sa main dans une poche et qu’on le connaisse ou pas. Le geste de “père de famille”, comme l’a décrit Bayrou lors de son audition, n’a pas lieu d’être et il est en outre illégal depuis 2019, même de la part des parents, puisque la loi interdit les “violences éducatives ordinaires”. Le fait que Nathalie Saint-Cricq justifie à nouveau le geste de François Bayrou est assez aberrant puisqu’elle accepte donc un acte illicite de la part d’un candidat à la présidentielle et désormais Premier ministre.

Il y a quelques années, la presse s’est intéressée à ce qu’est devenu l’enfant, nommé Yacine : “Qu’est-il devenu ? s’interroge le journal suisse Le Matin. Visiblement, la baffe ne lui a pas servi de leçon, car celui que ses potes du quartier avaient depuis surnommé « Bayrou » est aujourd’hui en prison, incarcéré pour trafic d’héroïne et de cocaïne. Celui qui avait 11 ans à l’époque de la gifle a rapidement mal tourné. Dix ans plus tard, en 2012, il comptait six condamnations.” Ça alors, la gifle de Bayrou, ce “geste éducatif” n’aurait pas empêché un jeune garçon de banlieue de sombrer dans le trafic de drogue ? Évidemment que non. C’est devenu impossible de le dire dans notre société en voie de fascisation mais la délinquance est encouragée par des situations sociales dégradées et l’exposition au recrutement de réseaux. On ne voit pas en quoi le fait de subir un acte violent de la part d’un politique aurait pu permettre quoi que ce soit de vertueux pour un enfant. 

N’en déplaise aux conservateurs comme Bayrou, les violences n’éduquent pas. Au contraire, elles affaiblissent les capacités d’apprentissage relationnelles et émotionnelles des enfants. Gabrielle, pédopsychiatre en hôpital public m’explique que “la violence physique, psychique ou les négligences ont un impact sur le développement de l’axe régulier du stress chez l’enfant. Il faut savoir que quand l’enfant né, le cortex préfrontal (siège des fonctions cognitives) n’est pas formé. Il commence à se développer à partir de la cinquième et sixième année et il est mature seulement entre 20 et 25 ans. Par conséquent, les enfants de moins de 6 ans n’ont pas de capacité cognitive de régulation des émotions et du stress, donc c’est à l’adulte d’assurer cette fonction et c’est dans cette relation que l’enfant va développer les sphères cérébrales qui permettent de réguler les émotions.« 

Car n’en déplaise aux conservateurs comme Bayrou, les violences n’éduquent pas. Au contraire, elles affaiblissent les capacités d’apprentissage relationnelles et émotionnelles des enfants. Gabrielle, pédopsychiatre en hôpital public, que j’avais déjà interrogée au sujet du rapport de la Civise sur les violences incestuelles en France, m’explique que “la violence physique, psychique ou les négligences ont un impact sur le développement de l’axe régulier du stress chez l’enfant. Il faut savoir que quand l’enfant né, le cortex préfrontal (siège des fonctions cognitives) n’est pas formé. Il commence à se développer à partir de la cinquième et sixième année et il est mature seulement entre 20 et 25 ans. Par conséquent, les enfants de moins de 6 ans n’ont pas de capacité cognitive de régulation des émotions et du stress, donc c’est à l’adulte d’assurer cette fonction et c’est dans cette relation que l’enfant va développer les sphères cérébrales qui permettent de réguler les émotions. Or, dans les situations de maltraitance, il va y avoir une stimulation forte du stress et un impact sur le développement des sphères cérébrales qui permettent cette régulation. Le système de réponse au stress est altéré.” Gabrielle insiste sur la question de la répétition : une gifle à elle seule ne produit pas tous ces effets en cascade. Mais elle n’a pas été isolée, dans le cas de Yacine : le journal Causeur se réjouit de rappeler qu’il en avait reçu deux autres en rentrant à la maison, au dire de ses parents… Jean-Paul Brighelli, auteur de cet article dégueulasse, refuse de voir l’inefficacité éducative du procédé, et préfère se demander, au sujet du parcours de délinquant de la victime de Bayrou : “Que pouvons-nous en déduire, sinon que Bayrou n’a pas frappé assez fort, à l’époque ?”

Plutôt que se demander pourquoi la violence ne marche pas, nombreux sont ceux qui appellent à plus de violence envers les enfants des quartiers populaires, qui sont d’ailleurs ciblés par les violences policières et pour qui la droite et l’extrême-droite souhaitent un abaissement de la majorité pénale. Des personnes plus modérées, dans les conversations ordinaires, n’hésitent pas à prôner la gifle “exceptionnelle”, celle qui “remet les idées en place”, qui créerait une sorte de précédent dont on se souviendra toute sa vie. Et répondent, quand on leur rappelle le caractère illégal et destructeur de ce geste, qu’il “faut bien poser des limites”. Généralement, la discussion dérive alors sur le fameux “enfant-roi” à qui on passerait “tous ces caprices” et sur les excès de l’éducation dite “positive”, où des parents bobos et gagas verraient dans la moindre bêtise une nouvelle preuve de la créativité de leur enfant chéri. 

Des personnes plus modérées, dans les conversations ordinaires, n’hésitent pas à prôner la gifle “exceptionnelle”, celle qui “remet les idées en place”, qui créerait une sorte de précédent dont on se souviendra toute sa vie. Et répondent, quand on leur rappelle le caractère illégal et destructeur de ce geste, qu’il “faut bien poser des limites”. Généralement, la discussion dérive alors sur le fameux “enfant-roi” à qui on passerait “tous ces caprices” et sur les excès de l’éducation dite “positive”, où des parents bobos et gagas verraient dans la moindre bêtise une nouvelle preuve de la créativité de leur enfant chéri. 

La gifle n’éduque pas mais cela ne veut pas dire qu’on ne doit poser aucune limite à un enfant. “Comment poser des limites en dehors des violences physiques et verbales ? Les limites c’est l’idée de poser un cadre relationnel qui est prévisible – l’enfant va pouvoir l’anticiper et c’est ça qui fait sécurité, par exemple “non on n’a pas le droit de monter sur la table” : ce cadre est prévisible parce qu’à chaque fois qu’il va monter sur la table tu vas dire à ton enfant “non on a pas le droit” (…). On peut poser un cadre bienveillant, prévisible et sécurisant. On parle d’éducation sécurisante plutôt que d’éducation positive car elle prend en compte le niveau de développement de l’enfant (on ne demande pas la même chose à un enfant selon son âge) et ses besoins en terme de sécurité affective : c’est le besoin ultime qui rend possible le développement de l’enfant et qui est la base de tous les autres besoins. Le cadre est à répéter, c’est ça qui peut être évidemment épuisant pour les parents.”

« Les gens n’ont pas toutes les explications sur pourquoi il ne faut pas commettre de violences éducatives, quelles conséquences pour l’enfant et comment on peut faire autrement. Ce qui est extrêmement difficile c’est qu’il y a toute la pression liée à la précarité financière ou professionnelle – avec des gens qui sont eux-mêmes victimes de maltraitance au travail – et tous ces facteurs vont entraîner des difficultés de régulation chez l’adulte, et un adulte qui n’est pas régulé sur le plan émotionnel n’arrive pas à réguler son enfant.

Gabrielle, médecin pédopsychiatre

La légitimation, par François Bayrou, de sa gifle de 2002, n’est pas une bonne nouvelle pour le développement de cette éducation non-violente qui permet le développement émotionnel des enfants. Gabrielle observe que les violences éducatives ordinaires continuent, “souvent par méconnaissance”, précise-t-elle. “Les gens n’ont pas toutes les explications sur pourquoi il ne faut pas le faire, quelles conséquences pour l’enfant et comment on peut faire autrement. Ce qui est extrêmement difficile c’est qu’il y a toute la pression liée à la précarité financière ou professionnelle – avec des gens qui sont eux-mêmes victimes de maltraitance au travail – et tous ces facteurs vont entraîner des difficultés de régulation chez l’adulte, et un adulte qui n’est pas régulé sur le plan émotionnel n’arrive pas à réguler son enfant. (…) Mais quand on leur explique pourquoi ça ne va pas, qu’on les sécurise financièrement et qu’on ramène de la sécurité et de la bienveillance dans la relation, alors c’est des choses qui peuvent changer. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier, et tout le monde peut le vivre, que lorsqu’on est épuisé après sa journée de travail et que l’enfant fait une crise, il y a des fois où on n’a pas la patience de gérer la crise, et pourtant il faut le faire parce que l’enfant est vulnérable, et ce n’est pas lui qui est responsable de ta sale journée ! Mais c’est très difficile, et je ne te parle même pas pour des gens qui ont des maladies psychiatriques comme la dépression…”

Quelqu’un comme François Bayrou, qui dégrade la vie des gens depuis qu’il est en politique, prônant les contrats précaires, faisant voter des budgets détruisant les services publics et la protection sociale, n’aide évidemment pas à rendre les parents plus sereins et donc plus mieux à même de réguler calmement les émotions de leurs enfants. Ce qu’il prône encore, en 2025, avec la complaisance des grands médias, est de ne pas le faire et de laisser exploser sa propre colère en étant violent. 

Il y a bel et bien un lien entre la gifle donnée par Bayrou à un enfant en 2002 et son silence, ainsi que le silence de la plupart des adultes, face à ce qui se produisait à Bétharram. Les violences envers les enfants seraient légitimes : c’est ainsi qu’il faut les “éduquer”, par la peur et la menace. En répondant de la sorte à Paul Vannier, le Premier ministre couvre et justifie tout ce continuum de violence.

Il y a bel et bien un lien entre la gifle donnée par Bayrou à un enfant en 2002 et son silence, ainsi que le silence de la plupart des adultes, face à ce qui se produisait à Bétharram. Les violences envers les enfants seraient légitimes : c’est ainsi qu’il faut les “éduquer”, par la peur et la menace. En répondant de la sorte à Paul Vannier, le Premier ministre couvre et justifie tout ce continuum de violence, et Nathalie Saint-Cricq et le service public audiovisuel qu’elle représente lui ont emboîté le pas. Bayrou n’est pas le Premier ministre du président qui a enterré le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants pour rien : ce gouvernement vise à renforcer et perpétuer toutes les formes de domination. Celle des adultes sur les enfants en fait partie. 

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Nicolas Framont
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