La démission de Macron, c’est la base, la suite dépend de nous

Hier soir, le Premier ministre Sébastien Lecornu, très proche de Macron, très conservateur et très partisan d’un rapprochement avec l’extrême droite, a nommé un gouvernement qui – ça alors – était très à droite. Pourtant, les partis de gauche, hors LFI, ainsi que les syndicats nous ont bassiné pendant trois semaines pour nous dire que ce monsieur était peut-être ouvert à la discussion et que des “ouvertures” étaient possibles. La micro-taxe Zucman sur les ultra-riches, un accord avec le PS… Fabien Roussel, le chef du Parti communiste, déclarait pas plus tard que vendredi que ce serait “raide” de censurer un Premier ministre qui annonçait vouloir renoncer à l’usage du 49-3. Alors que ce qui était vraiment “raide”, Fabien, c’est que ce même Premier ministre annonçait la même semaine vouloir continuer à réduire les impôts des entreprises et donc de leurs actionnaires ! Durant cette pseudo-phase de discussion, non seulement Lecornu n’a rien lâché du tout mais en plus il s’est contenté de maintenir l’essentiel du précédent gouvernement, faisant de la “chute” de début septembre un lointain souvenir. Pire, il a fait revenir un multi-accusé de corruption et camarade de l’ex-président tout juste condamné pour association de malfaiteurs avec un dictateur libyen, notoirement terroriste, Eric Woerth. Ainsi que Bruno Le Maire, artisan de la suppression de l’ISF, de la gabegie d’aides aux entreprises (en réalité aux actionnaires) et grand responsable du déficit record de la France.
Ces quelques semaines de mascarade coïncidaient avec la tentative menée par plusieurs centaines de milliers de personnes dans tout le pays, depuis le 10 septembre, de lancer un mouvement social populaire et réellement transformateur. En simulant la discussion et l’ouverture, directions syndicales comme partis de gauche ont tenté de retarder la prise de conscience de l’unique conclusion que l’on doit tirer de tout ça : il n’existe aucun recours parlementaire, aucun “dialogue” possible avec un gouvernement bourgeois corrompu et prêt à tout pour continuer à piller le peuple pour engraisser les riches. On peut s’étonner que ces mêmes personnes aient participé à cette même comédie trois fois de suite (une fois après la chute du gouvernement Attal, puis après celle du gouvernement Barnier, et maintenant après celle du gouvernement Bayrou) mais l’essentiel c’est que les gens ordinaires – ceux qui n’ont pas le syndrome du personnage principal et ne croient pas que la politique soit un épisode claqué de House of Cards – n’avaient aucune espèce d’attente dans cette mascarade. Pour autant, puisque la majeure partie des organisations en place – partis et syndicats – y croyaient, il nous a été difficile d’agir selon notre propre agenda – nous y reviendrons plus loin.
Mais ce faux nouveau gouvernement n’a duré que 12 petites heures. Ce matin, l’éphémère Premier ministre Lecornu a présenté sa démission, ainsi que celle de son gouvernement. Mais ce n’est pas parce que son gouvernement était trop à droite : au contraire, c’est parce qu’il ne l’était pas assez. Bruno Retailleau, ce sombre ministre proche de l’extrême droite et membre d’un parti perdant aux dernières élections (6,97% des suffrages exprimés, soit environ 5% du corps électoral) a protesté, dès l’annonce de sa composition, contre le gouvernement, et donc vraisemblablement entraîné sa chute. Dans son discours de ce matin, l’éphémère Premier ministre Lecornu a expliqué manquer de soutien dans sa propre coalition, donc du côté de ce tout petit parti de droite, qui se rêve encore comme parti hégémonique dans le pays, comme il l’a été pendant cinquante ans.
Si le gouvernement est tombé, ce n’est même pas pour de bonnes raisons vaguement démocratiques : c’est au contraire parce que la caste dirigeante qui se croit maîtresse du pays en demande toujours plus. Aussi, si l’on peut se réjouir de les voir s’entre-déchirer, car ils sont affaiblis, cette démission n’est pas une victoire populaire. Mais elle peut y mener. Que peut-on espérer pour la suite ? Que doit-on revendiquer ? A Frustration, nous avons quelques pistes en tête, que nous souhaitons partager avec vous.
Aujourd’hui circulent sur les groupes issus du mouvement du 10 septembre des appels à se rassembler ce soir, avec casseroles, banderoles et slogans, pour appeler à la démission de Macron. Ce sera aussi l’occasion de discuter de la suite. La démission de Macron, ou son départ forcé, est évidemment une revendication forte, simple, lisible et qui réunit des gens de multiples sensibilités politiques, ainsi que de tous milieux sociaux, à commencer par les ouvriers et les employés qui, eux, l’ont toujours détesté – contrairement aux sous-bourgeois, petits bourgeois, cadres et parfois artistes qui, en 2017, nous chantaient ses louanges. Mais le départ de Macron est à double tranchant, comme le disait Rob Grams dans un article écrit au lendemain de la journée du 18 septembre, où plus d’un million de personnes est descendu dans la rue : « Si le départ de Macron n’est qu’une résolution institutionnelle d’une crise pourtant structurelle, qui n’aboutit qu’à l’élection d’un nouveau macroniste pour “faire barrage” ou bien d’un lepéniste, cela n’aura aucun effet positif pour notre camp social. Si toutefois cela signifiait la fin de la Ve République, cela serait très intéressant. Si des mesures d’austérité entraînent le départ d’un gouvernement puis d’un président, et même la fin d’un régime, cela laissera une trace forte, un traumatisme pour les capitalistes en France et en Europe. Et les politiciens hésiteront avant de s’y lancer trop frontalement. »
La tenue d’une élection présidentielle anticipée, ce serait le retour à la routine rassurante de pseudo-démocratie bourgeoise, à la solitude de l’isoloir pour la masse de citoyennes et de citoyens qui, depuis cet été, sont révoltés contre le système dans son ensemble. Élire de nouveaux représentants, un nouveau chef, ce n’est pas un projet de société désirable : c’est une nouvelle démission, mais du peuple, cette fois-ci. Ne démissionnons pas à nouveau, comme à chaque fois. Aussi, les appels à s’inscrire sur les listes électorales, à se préparer à voter, à reconstituer une nouvelle Nupes, un nouveau NFP, ou tout autre acronyme qui prétend résoudre par des alliances de petits partis déconnectés le désir de liberté et d’égalité de la population sont des leurres. On doit imaginer mieux que ce réflexe électoral totalement démissionnaire. D’autant plus que c’est le scénario auquel la bourgeoisie est le mieux préparé : voici des mois que son matraquage médiatique a permis de déplacer le stigmate politique ultime – celui du parti à qui faire barrage – du RN – que le patronat adore désormais – à la FI. Sa reprise en main autoritaire de l’audiovisuel public, sa mainmise totale sur les médias privées sont des outils obtenus en vue de garantir un scénario électoral qui lui soit favorable, et ce scénario passe par la victoire d’un RN “dédiabolisé”, qui se chargera de nous mener la guerre des classes sur le modèle, raciste et fasciste, de Donald Trump.
Pour contourner ce piège, nous devons reprendre le pouvoir sur nos vies. Et pour cela, il faut que la chute de Macron s’accompagne d’une refonte totale de nos institutions. Les Gilets jaunes ont montré la voie avec leur revendication principale : le RIC, pour référendum d’initiative citoyenne, est une intervention directe du peuple dans les affaires qui le concernent, sans passer par des représentants.
Nous voyons comment le mouvement social avorté de septembre a été contaminé par des décennies de passivité politique. Même lorsque nous nous mobilisons, nous attendons de nos représentants – ici, les syndicats – qu’ils nous disent quoi faire et quand. Et puisque ces représentants n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes idéaux que nous, comme en témoigne leur participation systématique et naïve aux mascarades post-chute de gouvernement, nous sommes à chaque fois déçus. Il faut vraiment sortir de ce jour sans fin de notre minorité politique. Si nous voulons nous débarrasser d’un système politique conçu exclusivement pour le bien-être des riches et des puissants, il faut que nous sortions de nos attentes déçues, de nos réflexes rassurants. Attendre de nouvelles élections, perdre. Attendre le prochain jour de grève isolé, perdre. Aucune organisation établie – c’est-à-dire institutionnalisée et officielle – ne peut porter autre chose que ces logiques passives et perdantes. Le mouvement du 10 septembre a montré la voie : il a montré à des milliers de gens à travers tout le monde, de milieux sociaux divers, et de la plus grande ville à la plus petite, que nous pouvions agir par nous-mêmes, sans attendre les consignes. C’est un travail de longue haleine, ça ne se fera pas en un jour, mais une chose est sûre : le contexte nous est favorable.
Nombreuses sont nos lectrices et lecteurs qui sont tétanisés par la perspective de l’arrivée au pouvoir du RN. C’est vrai : lorsque la classe bourgeoise connaît une crise de gouvernance de forte intensité, le recours au fascisme est sa voie privilégiée, comme nous le disait le sociologue Ugo Palheta dans cet entretien. Mais ce n’est pas la seule chose que l’Histoire nous enseigne. Elle nous apprend que les crises politiques bourgeoises, c’est-à-dire lorsque la classe dominante est face à trop de contradictions programmatiques – par exemple réduire le déficit public mais continuer d’exonérer d’impôts les patrons et les actionnaires – et que ses factions principales n’arrivent pas à s’entendre, alors les révoltes, voire les révolutions, peuvent survenir. Le pire n’est pas notre seul avenir. Mais il le sera si toutes celles et ceux qui lisent cet article – pour commencer – ne constituent ou ne rejoignent pas un groupe de citoyennes et citoyens déterminés, imaginatifs et accueillants qui lancent dans leur quartier, leur village ou leur ville une série d’actions visant à prendre en main le cours des choses. Des idées, on n’en manque pas :
- Des rassemblements festifs, bruyants et évidemment non déclarés. Des pancartes, des casseroles, des bonnes chaussures et c’est parti.
- Mettre en place une logistique qui permet de proposer des services gratuits aux gens et mettre en scène la société chaleureuse et solidaire que nous appelons de nos vœux : opération petits déjeuners gratuits devant les France travail ou les CAF, cafés offerts aux ronds-points, collecte d’invendus chez les commerçants sympathisants du mouvement (il y en a partout !)
- On peut même penser à des initiatives de santé communautaire, anonyme et gratuite, pour contrer les attaques contre la sécurité sociale et lutter à notre échelle contre les déserts médicaux. Comme les Young Lords l’ont fait aux États-Unis, dans les années 1970, dans les quartiers pauvres, déployer des médecins de gauche, étudiants en médecine, infirmières désireuses d’offrir un accès au soin et du conseil à des gens exclus du système.
Et surtout, préparer nous-mêmes une véritable grève reconductible, par exemple pour la fin du mois, en prenant le temps, d’ici là, de venir directement informer les salariés et fonctionnaires de leurs droits, à la sortie de leurs établissements, car selon de nombreux témoignages reçus dans nos messageries, les grands syndicats ne l’ont peu ou pas fait. Car la grève reconductible, ça marche. A chaque fois dans notre histoire c’est ce qui a permis de réelles avancées (en 1936, en 1968, en 1995… pour ne prendre que les exemples les plus connus). Nous connaissons donc l’arme suprême, il nous reste à travailler à l’activer, en étant bien conscient que les directions des syndicats n’ont aucune intention, une fois de plus, de la préparer. Faisons-le nous-mêmes, avec les nombreux syndicalistes “de base” qui n’en peuvent plus d’être aussi mal représentés.
Pour rejoindre un tel groupe, soit il faut le créer tout simplement (se réunir à 5-6 dans un café suffit amplement, pas besoin de plus de formalités), soit on cherche sur les réseaux sociaux – le plus facile c’est Facebook – la page correspondant au groupe de sa ville (souvent les pages sont nommées “Bloquons tout Rouen” “Blocage Total Saintes” etc.) pour être au courant des prochaines actions et rencontrer des gens. Il existe aussi un index de tous les groupes par ville et département sur Telegram (application de messagerie instantanée réputée plus fiable et confidentielle que Whatsapp mais fonctionnant de la même façon) sur ce site : https://indignonsnous.fr/.
Pour celles et ceux qui sont déjà partie prenante du mouvement du 10 septembre depuis l’été et qui fatiguent un peu : restons attentifs aux nouveaux membres qui vont certainement arriver dans les jours qui viennent. Être accueillant n’est pas toujours un réflexe dans le monde militant où l’on se méfie trop souvent. Or, il suffit parfois d’un café offert, de quelques questions sur son métier, ses études, ses enfants et un échange de prénom pour que le lien se crée et que de nouvelles personnes rejoignent notre combat (et, pour les plus fatigués d’entre nous, prennent un peu le relais).
Le contexte mondial plaide en faveur de mouvements massifs et radicaux. Que ce soit en Italie contre le génocide gazaoui, au Népal contre le gouvernement, au Maroc contre la corruption et la vie chère, aux États-Unis contre les rafles de l’ICE, partout les peuples se révoltent sans attendre les recours légaux boîteux qui leur sont proposés. En Belgique, le 14 octobre est annoncé un soulèvement de type « 10 septembre » qui pourrait lui aussi s’ancrer dans la durée. Pour une fois, l’Histoire est de notre côté : ne laissons pas cette occasion nous échapper en restant de bons élèves, obéissant aux consignes données par un système qui veut notre échec.
Si nous voulons que les choses changent vraiment, il faut agir sans espérer que nos prétendus représentants le fassent à notre place, ni attendre que d’hypothétiques élections nous permettent, une fois encore, de confier notre souveraineté à d’autres.

Nicolas Framont
Rédacteur en chef
