Nicolas Sarkozy en prison : enfin la justice pour tous ? Pas tout à fait

Suite à son procès autour de la suspicion de financement par le régime dictatorial libyen de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a été jugé et condamné à 5 ans de prison ferme. Fait rarissime en France : un politicien pourrait donc dormir sous les barreaux en raison de ses méfaits. Pour une fois, la justice qui est bien intraitable avec les pauvres, les Arabes, les Noirs, les opposants politiques (manifestants, gilets jaunes etc.) pourrait aussi l’être avec un riche. Pour cette raison toute la clique bourgeoise, la classe politique et les médias crient à l’injustice, à la violation de l’Etat de droit, ou à une “disproportion” de la peine pour les plus mesurés. Qu’en est-il vraiment ? De quoi Sarkozy est-il accusé ? Va t’il réellement aller en prison ? Y a t-il dans ce jugement des éléments problématiques ? On décortique tout ça.
De quoi Nicolas Sarkozy a-t-il été jugé coupable ?
Ce pour quoi Nicolas Sarkozy a été jugé et condamné est d’une extrême gravité. Il a été reconnu coupable d’avoir utilisé Claude Guéant, son directeur de cabinet (condamné à 6 ans de prison), Brice Hortefeux (condamné à 2 ans de prison), et un intermédiaire, Ziad Takieddine (décédé cette semaine “dans des circonstances qui restent à préciser”) pour négocier avec le sanguinaire dictateur lybien Mouammar Kadhafi un financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007. Pour bien comprendre la gravité de la situation, il est important de rappeler plusieurs choses. À savoir que Mouammar Kadhafi était un des pires dictateurs de la planète, coupable d’arrestations arbitraires, de tortures, d’exécutions publiques d’opposants (dont des pendaisons d’étudiants), du massacre de la prison d’Abou Salim en 1996 (où plus de 1 200 prisonniers politiques furent tués en une journée), du contrôle de la presse, de l’interdiction de toute opposition politique… Mouammar Kadhafi soutenait également de nombreux groupes terroristes à travers le monde. Ce sont notamment des proches du régime qui firent exploser un avion reliant Brazzaville à Paris en 1989 coûtant la vie à 170 passagers dont de nombreux citoyens français. Il faut bien mesurer cette information : Sarkozy a tenté de chercher de l’argent auprès d’un régime responsable d’un des attentats les plus meurtriers jamais commis contre des civils français. Une fois au pouvoir Sarkozy a déroulé les honneurs au dictateur, lui permettant même de planter sa tente bédouine au milieu de la cour de l’Elysée. Tout cela avant de se retourner contre lui et d’entraîner la France dans une épouvantable guerre contre la Libye, au terme de laquelle Kadhafi fut tué de manière extra-judiciaire, empêchant un procès qui aurait pu nous apprendre beaucoup de choses.

Ce qui a donc été prouvé par le tribunal c’est l’intention de Nicolas Sarkozy d’obtenir des financements libyens et l’envoi de ses sbires pour le faire. Ce qui n’a en revanche pas pu être prouvé, c’est que cet argent ait bien été encaissé. C’est pourquoi Sarkozy a bien été relaxé des accusations de “corruption” et de “financement illégal”. Le tribunal précisant toutefois que “cela ne peut pas être complètement exclu”.
C’est ce qui fait par exemple dire à son ami Nicolas Bouzou (“l’économiste”qui fut payé 10 000 euros par Uber en 2014 pour réaliser une étude montrant qu’adapter la législation pour cette entreprise créerait des emplois) : “On peut donc aller en prison en France, non parce qu’on a commis un délit, mais parce qu’on en a eu supposément l’intention. Par delà mon amitié pour Nicolas Sarkozy, il me semble que les libéraux défenseurs de l’Etat de droit devraient s’interroger sur cette dérive juridique.” L’ironie est mordante lorsqu’on sait le nombre de manifestants et d’opposants qui ont été arrêtés ces dernières années précisément sur ce motif juridique, précisément pour avoir soi-disant “voulu” commettre des délits qu’ils n’ont jamais commis. On pourrait citer bien sûr l’affaire de Tarnac où Sarkozy avait voulu taper un grand coup en s’en prenant à la soi-disant “ultra gauche”. Des tas de gens avaient été arrêtés pour des intentions supposées, puis relaxés après 10 ans de procédure qui avait montré toutes les manipulations et les mensonges de la police. Dans tous les mouvements sociaux récents (gilets jaunes, contestations contre la réforme des retraites, mouvement écologiste…) des tas de gardes à vue et procédures ont été lancées avec la qualification de “groupement en vue de commettre des violences” (avec des accusations souvent farfelues, n’importe quel objet du quotidien devenant par exemple “une arme par destination” : avoir une boite à outil dans sa voiture, avoir un fauteuil roulant etc). Où étaient ces “libéraux défenseurs de l’État de droit” à ce moment-là ? Unanimement du côté de la répression. Alors nous ne pleurerons pas avec eux.
Nicolas Sarkozy va-t-il vraiment aller en prison ?
Quand des capitalistes ou des politiciens sont condamnés à de la prison ferme – ce qui est rarissime – on se dit souvent “dingue, ils vont VRAIMENT aller en prison”, en s’imaginant que “ferme” veuille dire “vraiment y aller” par rapport au “sursis” (qui voudrait dire “attention à ne pas refaire de la corruption sinon la prochaine fois vous pourriez y finir !”). Dans les faits les choses sont plus compliquées, ce qui fait que les riches et les politiciens ne vont pas en prison la plupart du temps, même quand ils sont condamnés à de la prison ferme. En effet, en-dessous de 2 ans de prison ferme, le juge d’application des peines peut aménager la peine (bracelet électronique, semi-liberté, travail d’intérêt général, sursis probatoire etc) : autant vous dire que pour les puissants c’est ce qui est fait quasiment systématiquement.

Dans le cas de Sarkozy qui, au vu de l’extrême gravité des faits, a été condamné à une lourde peine de 5 ans de prison ferme, le cas est moins évident, et il pourrait, effectivement, finir par dormir en prison, ce qui lui fait dire qu’il ira “la tête haute”. Toutefois deux choses à noter : le mandat de dépôt est “différé”, ce qui veut dire que pour le moment Sarkozy n’est pas en prison (alors qu’en France plein de gens pourrissent en prison en attente de leur procès, donc sans même avoir été jugés). Il sera convoqué plus tard pour déterminer la mise en place effective de la peine. Ensuite Nicolas Sarkozy a 70 ans et pourra donc demander une “libération conditionnelle” – ce qui veut littéralement dire finir sa peine hors de la prison. Précédemment Nicolas Sarkozy avait déjà été reconnu coupable de corruption et de trafic d’influence (il se renseignait illégalement sur ses affaires judiciaires auprès d’un magistrat en échange de la promesse d’un poste à Monaco). Dans ce cadre, il avait été condamné à un an de prison ferme mais sous bracelet électronique (il n’était donc pas “en prison”). Mais les gens avaient été surpris de le voir déambuler librement sans bracelet électronique après seulement 3 mois : c’est précisément parce que la liberté conditionnelle lui avait été accordée.
Il n’est toutefois pas certain que ces mesures lui bénéficient cette fois, auquel cas il se pourrait bien qu’il finisse réellement “sous les barreaux”. À ceux qui s’inquiéteraient de le savoir traité à égalité avec la populace, c’est-à-dire à huit dans une cellule, sous la menace de violences perpétuelles à la fois des codétenus et des matons, rassurez-vous, là encore les politiciens et les riches ont droit à des tas de privilège. Si la droite passe son temps à dire que la prison en France c’est l’hôtel, alors que les conditions de détention sont tout simplement épouvantables, c’est peut être finalement parce que les cellules des politiciens de droite, ressemblent, elles, réellement à des chambres d’hôtel Ibis : c’est-à-dire des cellules individuelles avec frigo, plaques chauffantes, télévision, douche dans la cellule, dans des quartiers spéciaux (surnommés “quartiers VIP”).
L’exécution provisoire, une mesure problématique plébiscitée par la droite
Sur le plan de la justice, le point le plus problématique de la condamnation de Nicolas Sarkozy c’est ce qu’on appelle “l’exécution provisoire”. C’était déjà le point qui posait question dans la condamnation de Marine Le Pen. L’exécution provisoire signifie que la décision de justice est appliquée immédiatement même si elle fait l’objet d’un appel (ce qui est le cas ici). Le problème est qu’un appel perd une grande partie de son utilité si la sanction est déjà appliquée. De même si la décision de première instance est erronée, les conséquences peuvent être impossibles à réparer.

L’exécution provisoire détruit des tas de vie et n’est pas défendable par les gens réellement soucieux de la justice. Toutefois ce sont bien la droite et l’extrême droite qui sont toujours favorables à ce genre de mesures censées “accélérer la justice”, “renforcer l’autorité des décisions”, que la justice “soit plus ferme” – on ne pleurera donc pas parce que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy subissent ce qu’ils ont réclamé à longueur de temps.
La condamnation de Nicolas Sarkozy est bien normale étant donnée la gravité des faits reprochés. Si, pour une fois, un homme politique riche risque de se retrouver derrière les barreaux, les élites continuent de bénéficier de nombreux privilèges face à la justice, et celle qui est appliquée aux puissants n’a rien à voir avec celle infligée aux citoyens ordinaires. L’exécution provisoire pose question, mais là encore comment s’indigner que les règles injustes que certains réclament pour les autres se retournent contre eux ? Sarkozy en prison donc, on verra, mais pour le moment les puissants ne devraient pas tant s’en faire, ils sont encore très protégés.
Photo d’illustration : Nicolas Sarkozy en 2006, Par European People’s Party — EPP Congress Rome 2006, CC BY 2.0.
Rob Grams
Rédacteur en chef adjoint
