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Tout comprendre à la guerre commerciale menée par Trump

Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump ne se contente pas de réactiver son vieux slogan “Make America Great Again”. Il le met en œuvre par des moyens d’une radicalité assumée : droits de douane massifs, dumping fiscal, surenchère industrielle, escalade commerciale avec la Chine, pressions sur l’Union européenne. Tout cela n’est pas le fruit d’une impulsivité de chef de clan. C’est une stratégie politique parfaitement cohérente. Ce que Trump met en œuvre, c’est un protectionnisme de classe, c’est-à-dire un usage des outils commerciaux et fiscaux non pas pour protéger les plus précaires ou les salariés, mais pour renforcer le pouvoir économique des grandes entreprises américaines, attirer les capitaux mondiaux et en faire payer le prix aux autres pays, et donc aux salariés qui y travaillent. Cette offensive va avoir des effets directs en France : menaces sur l’emploi, restructurations accélérées, pression sur les salaires. A nous de préparer la riposte. 

Les mesures adoptées en quelques semaines par l’administration Trump parlent d’elles-mêmes. Le 2 avril, appelé « Liberation Day », elle a imposé un droit de douane additionnel de 10 % sur toutes les importations, avec une surtaxe de 20 % pour les produits européens : vins, fromages, véhicules, composants industriels, etc. Le 8 avril, elle a déclenché une seconde salve : les produits chinois ont été taxés à hauteur de 104 %. La Chine a riposté immédiatement avec une surtaxe de 84 %. Le 9 avril, face à la panique des marchés et à la chute des placements des épargnants américains, la Maison-Blanche a suspendu pour 90 jours l’application des surtaxes supérieures à 10 %, à l’exception notable de la Chine.

Trump ne fait pas n’importe quoi. Il n’est pas un accident de l’histoire. Il applique un plan, pensé en amont, pour faire payer aux autres les contradictions du modèle américain. Ces mesures ne relèvent pas d’une improvisation politique, mais d’une stratégie délibérée : transférer le coût du maintien de l’économie américaine sur ses partenaires extérieurs, tout en consolidant la puissance géopolitique des États-Unis.

Ces chiffres ne doivent pas masquer leur signification politique. Il ne s’agit pas d’une simple guerre de tarifs. Il s’agit d’un redécoupage autoritaire de l’économie mondiale, où les États-Unis veulent imposer leur loi économique à travers la contrainte commerciale. L’objectif est d’attirer l’investissement étranger à coups de fiscalité ultra-basse (baisse annoncée à 15 % sur les sociétés), et de réindustrialiser en siphonnant la richesse du reste du monde par ces surtaxes. Le tout est porté par des aides publiques massives aux entreprises : plus de 370 milliards de dollars via l’Inflation Reduction Act initié par l’administration Biden et poursuivi par Trump, orientés vers les secteurs stratégiques (énergie, numérique, batteries, armement).

Une stratégie cohérente

Contrairement à l’image de clown impulsif qu’il peut parfois donner, Trump ne fait pas n’importe quoi. Il n’est pas un accident de l’histoire. Il applique un plan, pensé en amont, pour faire payer aux autres les contradictions du modèle américain. Ces mesures ne relèvent pas d’une improvisation politique, mais d’une stratégie délibérée : transférer le coût du maintien de l’économie américaine sur ses partenaires extérieurs, tout en consolidant la puissance géopolitique des États-Unis. Dans un système international largement structuré autour du dollar, qui reste la principale monnaie de réserve et de transaction dans le monde, Washington bénéficie d’un privilège exorbitant : celui de pouvoir s’endetter massivement sans subir les contraintes que connaîtrait n’importe quel autre pays à niveau équivalent de déficit.

Concrètement, cela signifie que les pays disposant d’excédents commerciaux (Allemagne, Chine, etc.), c’est-à-dire qu’ils exportent plus qu’ils n’importent, achètent régulièrement des titres de dette publique américaine, ce qui permet aux États-Unis de financer un double déficit : commercial (plus d’importations que d’exportations) et budgétaire (plus de dépenses publiques que de recettes). Pour l’année fiscale 2024, le déficit fédéral américain a atteint ainsi 1 800 milliards de dollars, soit 6,4 % du PIB. Et pourtant, les États-Unis continuent d’emprunter à des taux bas, car le dollar étant utilisé mondialement, ces titres de dettes apparaissent sécurisés pour les créanciers. Mais ce modèle atteint aujourd’hui ses limites. Les taux d’intérêt ont augmenté pour contenir l’inflation, les besoins de financement explosent, et la confiance dans les actifs libellés en dollars commence à s’éroder, car ces dernières années la capacité des États-Unis à maintenir l’ordre mondial est de plus en plus remise en question. Et les banques centrales diversifient de plus en plus leurs réserves au détriment du dollar et au profit de l’or notamment.

L’UE a annoncé des surtaxes, avant de reculer pour laisser une chance aux négociations avec Trump. Cela reflète les intérêts opposés des nations qui la composent. La France et l’Allemagne, pourtant au cœur du projet européen, illustrent particulièrement ces divergences. Si les deux gouvernements appellent officiellement à une réponse européenne, leurs intérêts économiques ne sont pas alignés, ce qui freine toute stratégie commune ambitieuse.

Pour répondre à cette situation, la stratégie de l’administration Trump — conçue par Stephen Miran, économiste américain, fondateur d’une société de gestion d’actifs  — consiste à augmenter les tarifs douaniers pour rendre les produits étrangers plus chers pour les Américains. Résultat : les gens achètent davantage de produits fabriqués aux États-Unis, ce qui favorise l’industrie locale et pousse les grandes entreprises internationales à produire davantage sur le sol américain. De plus, comme le dollar est actuellement fort (donc les importations sont moins chères), ces taxes permettent d’en corriger un peu les effets, sans avoir à dévaluer directement la monnaie. Les conséquences peuvent être rapidement considérables : avec un PIB de 28 000 milliards de dollars, les États-Unis représentent de loin le premier marché de consommation au monde. À titre de comparaison, l’ensemble de l’Union européenne atteint 17 000 milliards. Dans ce contexte, aucune entreprise d’envergure mondiale ne peut se permettre d’être exclue du marché américain. Les États-Unis espèrent ainsi améliorer leur balance commerciale, réduire leur déficit, et sécuriser la crédibilité du dollar.

Face au protectionnisme américain, l’austérité européenne

L’Union européenne a du mal à répondre à ce capitalisme de confrontation. Elle est une cible particulière pour Trump, qui considère que la TVA qui s’y applique est injuste, car elle taxe de fait les produits américains vendus en Europe, mais pas les produits européens vendus aux États-Unis, qui n’ont pas taxe fédérale comparable à la TVA, mais seulement une “sales tax” dans certains États, à des taux bien moindre que ce que pratique l’Europe. L’UE a annoncé des surtaxes, avant de reculer pour laisser une chance aux négociations avec Trump. Cela reflète les intérêts opposés des nations qui la composent. La France et l’Allemagne, pourtant au cœur du projet européen, illustrent particulièrement ces divergences. Si les deux gouvernements appellent officiellement à une réponse européenne, leurs intérêts économiques ne sont pas alignés, ce qui freine toute stratégie commune ambitieuse.

D’un côté, la France, dont la balance commerciale est structurellement déficitaire (elle importe plus qu’elle n’exporte) voit dans les politiques protectionnistes américaines une menace directe pour son économie et pourrait avoir intérêt à mener un bras de fer plus frontal avec les États-Unis, tout en n’ayant plus la légitimité diplomatique pour le mener, étant donné l’affaiblissement de sa position à l’international et, il faut le dire, la nullité abyssale de Macron en ce domaine.

De l’autre côté, l’Allemagne, dont l’économie repose largement sur ses exportations, notamment vers les États-Unis, affiche une balance commerciale excédentaire et les liens industriels étroits qu’elle entretient avec l’économie américaine expliquent une certaine réticence à engager un bras de fer frontal. 

Environ 28 000 entreprises françaises exportent vers les États-Unis chaque année, dont 40 % réalisent la moitié ou plus de leur chiffre d’affaires à l’exportation avec ce pays. La France, déjà déficitaire dans ses échanges avec les États-Unis (–6,6 milliards d’euros en 2023), est particulièrement vulnérable. Ses exportations — cosmétiques, vins, aéronautique — sont substituables et fortement taxables. Quant à ses importations — gaz naturel liquéfié, logiciels, services clouds, cybersécurité, pièces détachées pour avion, technologies satellites, systèmes de navigation — elles sont stratégiques et difficilement contournables.  La politique américaine a des répercussions immédiates en France, où les entreprises exportatrices sont confrontées à un dilemme : perdre certains débouchés, perdre en rentabilité, ou adapter leur production et leur prix. Certaines réagissent déjà. Fermob, par exemple, a massivement acheminé des stocks de mobilier d’extérieur vers les États-Unis avant la mise en place des surtaxes. D’autres prévoient de relocaliser des lignes de production sur le sol américain pour éviter les hausses tarifaires. Il y a aussi un véritable risque que la politique américaine pousse les industriels chinois à cibler en priorité l’Union européenne pour leur exportations. Par exemple, l’année dernière les Français ont dépensé 4,8 milliards d’euros chez Shein et Temu, et cela ne va faire que s’accélérer.

Et pendant que le pouvoir politique s’agite sans agir, le MEDEF en profite sans surprise pour s’engouffrer dans la brèche : “gagner en compétitivité”, exige Patrick Martin, son président, ce qui signifie concrètement baisser les cotisations sociales, flexibiliser encore davantage le travail, et rogner sur les normes environnementales. C’est ici que le protectionnisme de classe américain rencontre son équivalent européen : une austérité sociale déguisée en réponse stratégique.

Face à cela, Emmanuel Macron appelle à “suspendre les investissements aux États-Unis” tout en laissant les entreprises décider seules de leur stratégie. Aucun plan de soutien industriel, aucune politique de relocalisation structurée, aucun outil public de pilotage productif n’est pour le moment prévu. « Nous attendons que toutes les filières industrielles nous fassent remonter leurs analyses sur ce que doit être le bon niveau de réponse. Les mots d’ordre sont l’unité et le travail collectif dans le diagnostic », se contente de blablater Marc Ferracci, le ministre de l’industrie. Il vient d’ailleurs d’abandonner Vencorex, fleuron français de l’industrie chimique, à un groupe chinois, alors que les salariés et les collectivités locales avaient déposé un projet de reprise, qui était tout à fait soutenable, si l’Etat avait daigné y prendre des parts, ce qu’il s’est refusé à faire.

Et pendant que le pouvoir politique s’agite sans agir, le MEDEF en profite sans surprise pour s’engouffrer dans la brèche : “gagner en compétitivité”, exige Patrick Martin, son président, ce qui signifie concrètement baisser les cotisations sociales, flexibiliser encore davantage le travail, et rogner sur les normes environnementales.  C’est ici que le protectionnisme de classe américain rencontre son équivalent européen : une austérité sociale déguisée en réponse stratégique. On voit le scénario qui se dessine : Trump taxe, les entreprises françaises font du chantage à l’emploi, et les salariés paient une fois de plus l’addition. Le MEDEF souhaite notamment qu’une partie des cotisations patronales soient transférées vers une hausse de la TVA, l’impôt le plus injuste, car il touche même les plus pauvres. Ce serait d’ailleurs une absurdité, puisque le niveau de TVA est justement l’une des raisons justifiant la politique protectionniste de Trump, cela ne fera ainsi qu’aggraver les tensions avec les États-Unis.

Le problème n’est pas le protectionnisme, mais la classe sociale qui le met en œuvre

Contrairement à ce que prétend Trump, les salariés américains n’ont pas grand chose à gagner à ce protectionnisme. En régime néolibéral, l’amélioration de la compétitivité de certaines entreprises américaines grâce aux surtaxes ne conduira pas à une amélioration des conditions de travail des salariés américains, mais à une hausse de la rémunération des actionnaires. D’autant plus que le niveau de chômage aux États-Unis est, contrairement à la France, très bas, à 4,2% actuellement. Il y a peu de main d’œuvre disponible pour absorber une hausse de l’activité liée à une potentielle relocalisation de l’économie et c’est surtout une surcharge de travail supplémentaire pour les salariés actuels qui risquent d’arriver. De plus, ces surtaxes frappent tous azimuts des milliers de services et de biens sans distinction. Cela risque d’entraîner un transfert financier des pauvres vers les riches, car ces derniers achètent moins de biens importés en proportion de leurs revenus. 

Contrairement à ce que prétend Trump, les salariés américains n’ont pas grand chose à gagner à ce protectionnisme. En régime néolibéral, l’amélioration de la compétitivité de certaines entreprises américaines grâce aux surtaxes ne conduira pas à une amélioration des conditions de travail des salariés américains, mais à une hausse de la rémunération des actionnaires.

Mais le problème n’est pas le protectionnisme en soi. Le problème, c’est la classe sociale qui le met en œuvre, et les intérêts qu’il sert. Car un protectionnisme solidaire pourrait s’organiser, sur des bases alternatives, contraire à celles de Trump. On peut imaginer par exemple des barrières tarifaires sociales et écologiques, ciblant les produits issus du dumping social ou environnemental pour encourager la production locale de qualité. Elles pourraient être accompagnées d’un soutien massif et conditionné à l’investissement public, pour construire des filières publiques et coopératives dans les secteurs stratégiques : énergie, santé, alimentation, transports, avec de véritables pouvoirs de décision des salariés et des usagers. Ce protectionnisme-là ne fermerait pas les frontières : il les utiliserait comme outils démocratiques, au service d’un projet collectif. Pas pour enrichir les grandes boîtes françaises, mais pour ancrer la production localement, respecter les limites écologiques, garantir des droits sociaux solides, améliorer l’emploi et les salaires. Le protectionnisme aux frontières  de la France et, plus globalement, la nécessité de rompre avec les traités européens qui l’interdisent, est un sujet qui n’était plus mis en avant par les forces de gauche ces dernières années. La période actuelle a cette vertu de nous y faire revenir.

On peut imaginer par exemple des barrières tarifaires sociales et écologiques, ciblant les produits issus du dumping social ou environnemental pour encourager la production locale de qualité. Elles pourraient être accompagnées d’un soutien massif et conditionné à l’investissement public, pour construire des filières publiques et coopératives dans les secteurs stratégiques : énergie, santé, alimentation, transports, avec de véritables pouvoirs de décision des salariés et des usagers.

Mais ce n’est pas l’urgence du moment. Le pouvoir macroniste ne mettra évidemment pas en place ce genre de mesures. Il va par contre justifier encore des atteintes à nos droits sociaux en se servant de la crise économique qui risque de s’annoncer, les places boursières étant fortement volatiles en ce moment à travers le monde, au rythme des décisions et revirements de Trump. Les grands patrons vont quant à eux continuer à multiplier les plans de licenciements. La riposte se construira entreprise par entreprise, grève par grève, blocage par blocage. A nous de détourner le regard des gesticulations des politiciens et des échéances électorales qui vont arriver. Concentrons-nous sur l’essentiel : reprendre le pouvoir là où il se construit vraiment : sur nos lieux de travail, dans nos quartiers, dans nos luttes.

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Guillaume Étievant
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
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