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Témoignage « Harcèlement moral au travail : Le pouvoir de nuire donné aux pervers narcissiques »

Rédaction
Rédaction | 12/02/2025
harcelement

Aujourd’hui dans Vos Frustrations, une rubrique permettant aux lectrices et lecteurs de partager leurs « frustrations », colères, témoignages ou analyses, Valérie* nous parle aujourd’hui du harcèlement moral qu’elle a subi et des conclusions qu’elle en a tirées.

À la veille de partir en retraite, je ne comprends toujours pas pourquoi, en France, les entreprises favorisent davantage les carrières personnelles de leurs dirigeants plutôt que leurs propres intérêts, et parfois à leur détriment.

Mais en France, on préfère la séduction aux compétences démontrées. C’est ainsi que certains individus au profil douteux réussissent à se voir confier des responsabilités qu’ils sont incapables d’assumer. Ils reçoivent alors le pouvoir de détruire leurs subordonnés … et de nuire à leur propre entreprise, un comble !

« Je ne vais pas vous décrire le combat que j’ai dû mener, tout au long de mes années d’expérience, pour être rémunérée autant que mes collègues masculins, pour accéder aux mêmes postes qu’eux, pour résister aux avances sexuelles et aux chantages… »



Ma carrière professionnelle a véritablement commencé fin 1981. Je ne vais pas vous décrire le combat que j’ai dû mener, tout au long de mes années d’expérience, pour être rémunérée autant que mes collègues masculins, pour accéder aux mêmes postes qu’eux, pour résister aux avances sexuelles et aux chantages… Ce sont des classiques dont vous avez déjà entendu parler de trop nombreuses fois.

Ce que je vais décrire, c’est la prison mentale dans laquelle m’a enfermée un supérieur hiérarchique pervers narcissique. Je n’ai pas été embauchée par lui, il est devenu mon N+2 à l’occasion d’une réorganisation de mon entreprise. Mon ancien service a été éclaté en trois, et je me suis retrouvée sous ses ordres, avec une vingtaine d’autres collègues.

Dans les premiers temps, je n’ai constaté aucun changement dans ma vie professionnelle. Ce nouveau N+2 se montrait plutôt bienveillant et je l’aimais bien.

Il dirigeait plusieurs départements, dont le mien, chaque département ayant un responsable qui travaillait en direct avec lui. Chaque responsable de département manageait ses agents selon les consignes données par le N+2.

« On m’interdisait d’assister aux réunions où étaient présentés mes dossiers, en s’attribuant mon travail et en me dépossédant de mon mérite. »

Petit à petit, sans que je m’en rende compte, mon N+1 et son adjoint (des collègues de longue date avec lesquels je m’entendais très bien à l’origine) ont augmenté mes contraintes jusqu’à faire de ma vie professionnelle un enfer. On me donnait des dossiers à étudier sans détailler les attendus, sans m’apporter les éléments nécessaires, et on m’interdisait d’aller les chercher ailleurs dans l’entreprise. En parallèle, on attribuait les mêmes dossiers à des prestataires, qui avaient toute latitude pour les traiter. On m’interdisait d’assister aux réunions où étaient présentés mes dossiers, en s’attribuant mon travail et en me dépossédant de mon mérite.

Mon N+1 et son adjoint (ex-collègues sympathiques, je le répète) ont multiplié les tracasseries à mon égard : on m’accusait de nombreux maux, on me harcelait de courriels auxquels je devais répondre par des justifications chronophages et déprimantes, je devais supplier de nombreuses
fois pour qu’on valide mes congés ou mes notes de frais suite à mes déplacements professionnels, on me donnait des délais impossibles à tenir et je devais multiplier les sécurités sur mon ordinateur professionnel pour protéger mes fichiers…

« Je devais supplier de nombreuses fois pour qu’on valide mes congés ou mes notes de frais suite à mes déplacements professionnels »

On m’a déménagée et j’ai alors partagé le bureau d’une autre collègue ostracisée. Nous étions les pestiférées du département, on incitait les autres collègues à nous éviter. Cette situation nous a rapprochées et nous avons réalisé que nous n’étions pas les seules victimes dans ce département. Par recoupement, nous avons compris que les agents persécutés n’étaient que des femmes : soit avec une certaine ancienneté, elles étaient alors poussées à la faute professionnelle pour qu’on ait une bonne raison de les licencier ou poussées au désespoir pour les inciter à démissionner, soit des jeunes embauchées pleines de confiance dont on sapait le moral à la fin de leur période d’essai en ne la validant pas au motif qu’on avait fait avec elles
« une erreur de casting ».

Bizarrement, la direction des ressources humaines ne s’est jamais étonnée du nombre élevé « d’erreurs de casting » de ce département, et réouvrait les mêmes postes au même endroit, sans sanctionner ces responsables incapables d’embaucher les bons profils !

« Par recoupement, nous avons compris que les agents persécutés n’étaient que des femmes »

Ma « co-bagnarde » et moi avons dressé une liste chronologique de toutes les victimes de ce département, avec leur date d’arrivée, leur date de sortie, le motif de leur départ, leur âge … À la lecture de ce tableau, il devenait évident que les femmes avaient un sérieux problème avec ces managers, pendant que les hommes récoltaient toutes les médailles !

Nous avons dénoncé ce fonctionnement anormal au DG, par un courrier confié à un syndicat.
Le DG n’est pas intervenu directement dans notre département, mais a fait modifier les règles de recrutement pour empêcher dorénavant dans toute l’entreprise un tel gâchis de ressources humaines.

Puis ma collègue de bureau a réussi à se faire muter dans une autre direction où elle s’est épanouie, et on m’a changée de département … dans le même service.

Après des débuts sympathiques, on m’a fait progressivement subir le même harcèlement moral que précédemment, et j’ai observé qu’à peu près tous les managers ayant pour supérieur hiérarchique ce N+2 utilisaient les mêmes méthodes avec leurs subordonnés.

« Mon ancien et mon actuel N+1 ne faisaient qu’obéir aux ordres du N+2, aussi immondes soient-ils ! »

La lumière s’est alors faite dans mon esprit : mon ancien et mon actuel N+1 ne faisaient qu’obéir aux ordres du N+2, aussi immondes soient-ils ! Comment le N+2 les manipulait-il ? Par les récompenses professionnelles qu’il avait le pouvoir d’attribuer… ou pas.

Pourquoi ce N+2 prenait il autant de plaisir à persécuter les femmes ? Pour exercer son pouvoir sur elles. Voici plusieurs années, il avait été au centre d’un scandale sexuel, et on l’avait envoyé se refaire une virginité à 500 kilomètres de là, sans le licencier.

« Pourquoi ce N+2 prenait il autant de plaisir à persécuter les femmes ? Pour exercer son pouvoir sur elles. »

Après s’être fait oublier, il est revenu à son point de départ, pire qu’avant, et j’ai hérité de ce boulet. Il avait appris de ces erreurs : il ne commettait plus ses crimes lui-même, il se cachait derrière ses N-1, les managers de département.

Comprendre la genèse de mes souffrances m’a allégée d’un certain poids, et m’a permis d’en trouver la parade.

Mais cela n’a pas résolu mes problèmes pour autant. Ce pervers narcissique a compris que j’avais compris et que je lui résistais. Je prenais plaisir à le défier, tout en restant dans un cadre professionnel irréprochable.

J’ai « innocemment » dévoilé au plus grand nombre que lui et moi avions le même âge. Il a enragé, car il en paraissait 20 de plus !

Quand il passait dans les bureaux le matin pour serrer les mains, plutôt que de le laisser m’humilier à ne pas répondre à mon salut, je le regardais droit dans les yeux en lui tendant la main sans sourire, et j’attendais son bonjour avant de lui répondre. Il n’avait pas le choix : pour conserver les apparences, il devait accepter ma main tendue et me saluer. C’était désormais moi
qui menais le jeu, il en était furieux !

« J’ai dû faire appel à un syndicat pour protéger mon emploi. »

Il a cherché à me faire renvoyer en me tendant des pièges que j’ai su éviter. La direction des ressources humaines a commencé par lui accorder sa confiance, et j’ai dû faire appel à un syndicat pour protéger mon emploi. Puis ma bonne foi et mon sérieux professionnel ont fini par
être reconnus … et c’est lui qui a été mis dehors sans tambours ni trompettes. Une terrible humiliation pour ce prétentieux qui aimait étaler son pouvoir en s’affichant avec des relations haut placées !

Ni les supplices qu’il m’a fait subir, ni ceux qu’il a fait subir à d’autres ne sont à l’origine de son renvoi : il se sentait tellement calife à la place du calife, et était tellement certain de son impunité, qu’il s’autorisait toutes les transgressions. L’une d’elles a dû le conduire trop loin, mais on ne saura jamais laquelle. Sa N+1 était une femme. Ceci explique peut-être cela.

Mon calvaire a duré 7 ans. On m’a ensuite changée de direction, où j’ai pu me reconstruire, mais j’ai dû faire mes preuves avec prudence et patience, car, pour m’empêcher de me libérer par le biais d’une mutation interne, ce détraqué avait pris soin de saboter ma réputation dans toute l’entreprise et plus personne ne me faisait confiance.


Valérie

* Le nom a été modifié

Crédit photo : Photo de Andrea Piacquadio


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