Briser le blocus à Gaza : la caravane Al Soumoud défie le silence

Depuis le 9 juin 2025, une caravane humanitaire baptisée Al Soumoud (« la ténacité » en arabe) a quitté Tunis avec un objectif aussi clair que symbolique : rejoindre la bande de Gaza par voie terrestre en traversant la Libye et l’Égypte. Cette initiative, inédite par son ampleur dans la région, entend manifester un soutien populaire fort au peuple palestinien, alors que le siège de Gaza dure depuis novembre 2023. Si le passage à Rafah reste incertain, les organisateurs misent autant sur le poids politique de leur mobilisation que sur sa capacité à fédérer la solidarité nord-africaine.
Al Soumoud est une caravane civile et militante composée d’environ 300 véhicules et plus d’un millier de participants issus de toute l’Afrique du Nord. Son objectif principal est de briser symboliquement le blocus imposé à Gaza par Israël et l’Égypte depuis plus de 15 ans, en forçant pacifiquement le passage à la frontière de Rafah. Depuis 2007, Gaza est soumise à un blocus imposé par Israël, avec la complicité de l’Égypte, qui restreint drastiquement la circulation des personnes et des biens. Ce siège empêche l’accès aux soins, à l’électricité, à la nourriture et à l’aide humanitaire, transformant l’enclave en prison à ciel ouvert. Les membres du convoi qualifient la situation actuelle dans l’enclave palestinienne de génocide, et affirment leur volonté d’agir concrètement face à l’inaction des institutions internationales. En plus de son contenu politique, la caravane transporte une aide médicale et alimentaire destinée à la population gazaouie, avec l’ambition de rappeler que la solidarité internationale ne doit pas s’arrêter aux communiqués.
Al Soumoud est une caravane civile et militante composée d’environ 300 véhicules et plus d’un millier de participants issus de toute l’Afrique du Nord.
La caravane Al Soumoud est coordonnée par un ensemble d’associations et de syndicats tunisiens, au premier rang desquels la Coordination d’action conjointe pour la Palestine, avec le soutien logistique et politique de l’UGTT, une puissante centrale syndicale tunisienne. De nombreuses organisations ont également exprimé leur soutien à la caravane Al Soumoud et y participent activement, parmi lesquelles le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), l’Ordre national des avocats de Tunisie, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), ainsi que des instances médicales comme l’Ordre des médecins de Tunisie et l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM). L’initiative rassemble aussi des militants venus d’Algérie, du Maroc, de Libye et de Mauritanie, formant une coalition transmaghrébine inédite. Parmi les figures de proue du mouvement, on retrouve des universitaires, médecins, artistes, journalistes et avocats, qui insistent sur l’indépendance de leur action vis-à-vis des États. Ils revendiquent une démarche citoyenne, horizontale et profondément anticoloniale, refusant de déléguer la solidarité à des gouvernements complices ou silencieux.
Quels sont les risques pour le convoi ?
Les obstacles auxquels fait face la caravane sont nombreux et bien réels. Le plus immédiat est d’ordre diplomatique : l’Égypte n’a pour l’instant donné aucune garantie de laisser entrer le convoi sur son sol, ni a fortiori d’ouvrir le point de passage de Rafah. Le précédent de la Freedom Flotilla, récemment interceptée en mer, rappelle que les initiatives civiles sont systématiquement bloquées ou criminalisées. Le second danger est sécuritaire : bien que les autorités locales libyennes aient facilité l’entrée du convoi à Ras Jedi (poste frontière entre le sud-est de la Tunisie et l’ouest de la Libye, principal point de passage vers Tripoli). Enfin la menace d’une répression brutale plane toujours, qu’elle vienne des forces égyptiennes, israéliennes ou même d’acteurs paraétatiques.
Comment s’organise le convoi ?
Le convoi est parti de Tunis le 9 juin à l’aube, après un point presse tenu par l’UGTT et les organisateurs sur l’avenue Mohamed-V. Il a ensuite traversé les grandes villes du sud tunisien – Gabès, Sfax, Ben Guerdane – où des accueils populaires ont été organisés à chaque étape. Après avoir franchi la frontière libyenne au poste de Ras Jedir, les participants ont reçu le soutien des autorités locales, qui leur ont assuré une escorte logistique. Le trajet prévu en Libye comprend les villes de Tripoli, Misrata, Syrte, Benghazi et Tobrouk, avant une arrivée espérée au poste frontalier de Salloum, à la frontière égyptienne. L’entrée en Égypte reste conditionnée à une autorisation politique qui n’est, à ce jour, toujours pas confirmée. En parallèle, des délégations de solidarité issus de plus de 40 pays sont attendues aux abords de Rafah, dans un élan coordonné de pression humanitaire.
Des solidarités qui persistent malgré les barrages
La caravane Al Soumoud s’inscrit dans la continuité de plusieurs initiatives citoyennes qui tentent, ces derniers mois, de forcer le blocus de Gaza à travers des actions directes. Début juin, la Freedom Flotilla, qui comptait parmi ses passagers des figures internationales comme Greta Thunberg ou la députée Rima Hassan, a été interceptée par la marine israélienne avant même de pouvoir approcher des côtes palestiniennes. Si ces actions ne parviennent pas toujours à destination, elles participent à un effort global de visibilisation, à contre-courant de l’inertie diplomatique, et ravivent l’idée d’une solidarité populaire transnationale qui refuse le silence complice.
Gaza est aujourd’hui l’un des pires lieux de vie sur Terre. Depuis octobre 2023, les bombardements israéliens ont tué plus de 54 000 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants. Les infrastructures vitales : hôpitaux, écoles, réseaux d’eau, ont été méthodiquement ciblées. Une famine massive est en cours, orchestrée par le blocus israélien, confirmée par l’ONU
Il faut rappeler l’évidence, même si elle est insupportable : Gaza est aujourd’hui l’un des pires lieux de vie sur Terre. Depuis octobre 2023, les bombardements israéliens ont tué plus de 54 000 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants. Les infrastructures vitales : hôpitaux, écoles, réseaux d’eau, ont été méthodiquement ciblées. Une famine massive est en cours, orchestrée par le blocus israélien, confirmée par l’ONU, mais toujours niée ou minimisée par les gouvernements occidentaux. Des enfants meurent de soif à quelques kilomètres des camions d’aide humanitaire bloqués. Dans ce contexte, l’existence même d’un convoi comme la caravane Al Soumoud est un acte de survie, de décence et de courage.
Mais ce n’est pas un gouvernement qui l’organise. Ce sont encore des citoyens ordinaires : des syndicalistes, des médecins, des avocats, des étudiantes qui montent dans des bus avec leurs propres moyens, qui franchissent des frontières dans l’incertitude, qui mettent leur corps au service d’une cause qu’ils jugent universelle : la fin du massacre à Gaza. Il y a quelques jours, en France, les rassemblements en soutien à la Freedom Flotilla ont été encadrés de près par la police ou ignorés par les médias. Cette solidarité populaire existe, elle est là, mais elle se heurte au mur du silence d’État.
Pendant que ces militants prennent des risques pour porter de l’aide, Emmanuel Macron continue d’enchaîner les prises de position molles, incohérentes, ou carrément mensongères. Il ose parler du blocus humanitaire israelien comme d’un “scandale” et appelle au cessez-le-feu , tout en autorisant la livraison de matériel militaire à Israël.
Car pendant que ces militants prennent des risques pour porter de l’aide, Emmanuel Macron continue d’enchaîner les prises de position molles, incohérentes, ou carrément mensongères. Il ose parler du blocus humanitaire israelien comme d’un “scandale” et appelle au cessez-le-feu , tout en autorisant la livraison de matériel militaire à Israël. Comment justifier cela, sinon par une complicité assumée ? Ce double langage ne sauvera personne. Aujourd’hui, des centaines de milliers de vies sont en danger à Gaza. Il ne reste que la solidarité directe, la désobéissance, la mobilisation collective pour briser ce blocus politique et moral. Attendre que les États fassent le bon choix, c’est déjà choisir la passivité.
Actuellement, le convoi Al Soumoud traverse la Libye. À chaque étape, il devient davantage une démonstration de force morale face à l’indifférence politique. Tous les regards sont désormais tournés vers la frontière égyptienne.
Farton Bink
Vidéaste et autrice
