Après l’abordage du Madleen, le vent tourne-t-il contre Israël ?

Dans la nuit du 8 au 9 juin, le navire Madleen, affrété par la Freedom Flotilla Fleet, une coalition d’organisations visant à briser le blocus de Gaza par l’armée israélienne, a été intercepté illégalement par cette dernière : les grands médias français ne le disent pas mais le navire a été arrêté dans les eaux internationales sans motif légitime, ce qui est donc totalement illicite – on y reviendra. Ses 12 membres d’équipage, de nationalité française, allemande, brésilienne, turque, suédoise, espagnole et néerlandaise ont été arrêtés et détenus par l’Etat d’Israël. Parmi eux, la militante écologiste Greta Thunberg – qui est rapatriée aujourd’hui – et l’eurodéputée Rima Hassan, à cette heure toujours détenue. Depuis, de très nombreuses mobilisations ont eu lieu à travers le monde, avec de gros rassemblements et manifestations, à Londres, Paris et dans plusieurs villes de France (plusieurs dizaines de milliers de personnes pour des rassemblements improvisés), tandis qu’en Suisse des manifestants perturbaient la circulation des trains…
Dans la nuit du 8 au 9 juin, le navire Madleen, affrété par la Freedom Flotilla Fleet, une coalition d’organisations visant à briser le blocus de Gaza par l’armée israélienne, a été intercepté illégalement par cette dernière : les grands médias français ne le disent pas mais le navire a été arrêté dans les eaux internationales sans motif légitime, ce qui est donc totalement illicite.
Contrairement à ce qu’on lit parfois, les gens révoltés par le génocide des Palestiniens ne sont pas seulement des militants acharnés. En France, trois quarts des sondés fin mai étaient favorables à la prise de sanctions contre Israël – des sanctions qui peuvent être de différente nature, et que Rob Grams a décrites ici. Selon le quotidien belge Le Soir, près de sept Belges sur dix estiment que la Belgique et l’Europe doivent imposer des sanctions contre Israël “comme elles l’ont fait à l’encontre de la Russie”. Pendant ce temps, les syndicalistes ont pris des initiatives de désobéissance civile pour bloquer l’expédition de matériel militaire à destination d’Israël au port de Marseille : « Le port de Marseille-Fos ne doit pas servir à alimenter l’armée israélienne, explique la CGT des dockers dans communiqué. Les dockers et portuaires du Golfe de Fos ne participeront pas au génocide en cours orchestré par le gouvernement israélien. Nous sommes pour la paix entre les peuples. Nous déplorons tous ces conflits armés qui engendrent la mort, la misère, l’exode de populations. »
Ces dernières semaines, de nouvelles initiatives internationalistes ont été lancées après le départ du Madleen : le 9 juin, une caravane de 300 véhicules et 1000 participants est partie de Tunis pour rallier Gaza. Le 12 juin, une marche mondiale de plusieurs milliers de manifestants va partir d’Egypte pour rallier le poste-frontière de Gaza. Comme l’initiative portée par le Madleen, ces actions ont de forts points communs : une composition internationale et une volonté d’approcher Gaza pour instaurer un rapport de force populaire contre le gouvernement et l’armée israélienne.
En France, trois quarts des sondés fin mai étaient favorables à la prise de sanctions comme Israël, des sanctions qui peuvent être de différente nature, et que Rob Grams a décrites ici. Selon le quotidien belge Le Soir, près de sept Belges sur dix estiment que la Belgique et l’Europe doivent imposer des sanctions contre Israël “comme elles l’ont fait à l’encontre de la Russie”.
Ces actions à la fois radicales (parce qu’elles s’opposent au blocus et font face à l’une des armées les plus dangereuses et irrespectueuses de toute loi humanitaire), pacifistes et internationalistes produisent-elles des effets dans le rapport de force qui oppose Israël au reste du monde ? Ou bien s’agit-il d’un “spectacle” comme le dénonce l’armée israélienne et tous ses propagandistes bénévoles, qu’ils soient politiques ou médiatiques, en France comme ailleurs ?
Nous l’avions déjà montré dans cet article : nous vivons dans une bulle politique pro-israélienne et nous ne mesurons pas toujours à quel point, dans la plus grande partie du monde, les gouvernements se sont élevés contre le démarrage du génocide dès 2023. En Amérique latine, des Etats ont rompu leurs relations diplomatiques avec le gouvernement israélien dès ce moment-là. Dès la fin du mois d’octobre, face aux massacres commis par l’armée israélienne, le président colombien Gustavo Pedro déclarait par exemple « si les relations diplomatiques avec Israël doivent être suspendues, alors qu’on les suspende. Nous ne soutenons pas les génocides ». En Espagne, la ministre des droits sociaux Iona Belarra parlait dès novembre 2023 de “tentative de génocide mené par l’Etat d’Israël à Gaza”. Depuis, à mesure que les violences ont augmenté, que le blocage de l’aide humanitaire et la destruction de tous les hôpitaux est advenu, les réactions de condamnations se sont multipliées. Très récemment, le président Brésilien Lula allait encore plus loin en parlant, en visite en France, de “génocide prémédité”. Qu’en est-il chez nous ?
Ces dernières semaines, de nouvelles initiatives internationalistes ont été lancées après l’action du Madleen : le 9 juin, une caravane de 300 véhicules et 1000 participants est partie de Tunis pour rallier Gaza. Le 12 juin, une marche mondiale de plusieurs milliers de manifestants va partir d’Egypte pour rallier le poste-frontière de Gaza.
Emmanuel Macron a changé de ton depuis plusieurs semaines – par exemple il n’a jamais condamné publiquement l’action du Madleen – mais aucun acte n’a suivi : le Président et son gouvernement ne cessent de poser des conditions à la reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Tantôt ils disent qu’ils ne veulent pas le faire seul (tout va bien, l’Espagne comme de nombreux autres pays dans le monde l’ont déjà fait), tantôt ils annoncent des critères impossibles à obtenir à court terme, comme la démilitarisation des Gazaouis. La France n’a pour l’instant pris aucune sanction comme le gouvernement génocidaire d’Israël, alors que de très nombreuses solutions existent.
La réponse du gouvernement français face à l’arrestation de l’équipage du Madleen est sobre et molle – c’est le moins que l’on puisse dire. Le ministre des Affaires étrangères dit s’être coordonné avec les forces israéliennes lors de l’arrestation de l’équipage, et dit même avoir tenté de dissuader les ressortissants français de continuer leur action. Emmanuel Macron a dénoncé le “scandale” du blocus humanitaire mais ne s’est pas prononcé sur le fond de l’action du Madleen. En fait, les autorités françaises n’ont pas clairement condamné l’arrestation de l’équipage ni évoqué son caractère illégal.
Emmanuel Macron a dénoncé le “scandale” du blocus humanitaire mais ne s’est pas prononcé sur le fond de l’action du Madleen. En fait, les autorités françaises n’ont pas clairement condamné l’arrestation de l’équipage ni évoqué son caractère illégal. Ce n’est pas le cas du gouvernement turc : « L’intervention des forces israéliennes sur le navire Madleen (…) alors qu’il naviguait dans les eaux internationales est une violation flagrante du droit international » a réagi le ministère des Affaires étrangères turc. Le gouvernement britannique a estimé que cette action était “intolérable et épouvantable”. Le Premier ministre irlandais a salué le “symbole puissant” incarné par l’initiative de la Freedom Flotilla Fleet tandis que le gouvernement espagnol a convoqué l’ambassadeur israélien au moment de l’arrestation de l’équipage.
Ce n’est pas le cas du gouvernement turc : « L’intervention des forces israéliennes sur le navire Madleen (…) alors qu’il naviguait dans les eaux internationales est une violation flagrante du droit international » a réagi le ministère des Affaires étrangères, ajoutant qu’Israël agit comme un “Etat terroriste”. C’est un vrai haussement de ton pour la Turquie, dont l’un des ressortissants, Huseyin Suayb Ordu, fait partie de l’équipage du Madleen. Le gouvernement britannique a estimé que cette action était “intolérable et épouvantable”. Le Premier ministre irlandais a salué le “symbole puissant” incarné par l’initiative de la Freedom Flotilla Fleet tandis que le gouvernement espagnol a convoqué l’ambassadeur israélien au moment de l’arrestation de l’équipage.
En France, le traitement médiatique de l’événement est assez ahurissant : l’arrestation de l’équipage de tout un navire fait l’objet d’une belle opération d’euphémisation : RFI, France Info ou Le Monde parlent de “déroutage” ou “d’interception”. Le Figaro, Sud Ouest et Libération disent qu’il a été “arraisonné”. Arraisonner cela veut dire, selon le dictionnaire Larousse, “procéder à un contrôle pour vérifier la destination, la cargaison d’un navire, la nationalité, l’état sanitaire de son équipage et de ses passagers”… ça n’a donc absolument rien à voir. “Dérouter” veut dire “faire changer d’itinéraire” : on en est très loin, puisque tout l’équipage a été arrêté.
Qui dit vrai ? La Freedom Flotilla qui parle d’un acte illégal ou le gouvernement français et des médias au diapason qui décrivent une banale opération policière ? “Quand un navire se trouve en haute mer, il ne peut pas être arraisonné, explique Julia Grignon, professeure en droit international humanitaire à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, sur RFI, sauf s’il y a des soupçons que l’équipage ou le navire a servi à commettre des crimes graves de type piraterie ou esclavage. En l’occurrence, à ma connaissance, ce n’est pas ce qui s’est produit. Donc, il ne peut y avoir d’interception de ce navire dans les eaux internationales, si c’est bien là qu’a eu lieu l’opération.” Or, c’est bien là qu’a eu lieu l’arrestation : hors des eaux territoriales israéliennes. Aucun Etat n’a le droit d’arrêter de gens hors de son territoire, dans les eaux internationales, sauf exceptions précises comme l’explique Julia Grignon. C’est aussi ce qu’estime Vladyslav Lanovoy, professeur de droit international public à l’Université Laval, pour qui plusieurs éléments « mènent à croire » qu’il s’agit bel et bien d’une violation du droit international, puisque le navire cherchait à livrer de l’aide humanitaire et non pas à avantager une des forces belligérantes. Ce qui est assez délirant, c’est que cette question du caractère illégal de l’action d’Israël à l’encontre du Madleen n’est tout simplement pas posée par la majeure partie des médias français qui parlent d’un “arraisonnage” et le décrivent comme tout à fait attendu. Les autorités israéliennes ont de plus forcé l’équipage arrêté à visionner des vidéos sur les massacres du 7 octobre : comment peut-on oser décrire cela comme une simple opération de garde-côte ? La couverture médiatique française de l’interception du Madleen désinforme par omission, en ne citant pas le caractère illicite de l’opération.
En France, le traitement médiatique de l’événement est assez ahurissant : l’arrestation de l’équipage de tout un navire fait l’objet d’une belle opération d’euphémisation : RFI, France Info ou le Monde parlent de “déroutage” ou “d’interception”. Le Figaro, Sud Ouest et Libération disent qu’il a été “arraisonné”. Arraisonner cela veut dire, selon le dictionnaire Larousse, “procéder à un contrôle pour vérifier la destination, la cargaison d’un navire, la nationalité, l’état sanitaire de son équipage et de ses passagers”… ça n’a donc absolument rien à voir. “Dérouter” veut dire “faire changer d’itinéraire” : on en est très loin, puisque tout l’équipage a été arrêté. La couverture médiatique française de l’interception du Madleen désinforme par omission, en ne citant pas le caractère illicite de l’opération.
Mais qui est encore dupe de la propagande israélienne ? L’ensemble des partis politiques français à l’exception de la France Insoumise, les Ecologistes ou encore Révolution Permanente, qui ont appelé à des rassemblements partout dans le pays hier soir. Une grande partie des médias français, à l’exception de l’Humanité (Qui a titré “Flottille pour Gaza : Israël intercepte le Madleen et piétine le droit international”) et des médias indépendants comme Blast, dont un journaliste était présent sur le navire, ainsi que Le Média et la plupart des autres médias indépendants. En France, un parti comme le Rassemblement national est, on ne le dit pas assez, un fervent soutien du génocide des Palestiniens. En visite en Israël en mars, Jordan Bardella a déclaré à des journalistes : “Vous avez le même ennemi que nous.” Il faut mesurer à quel point cette déclaration est délirante et dangereuse, et en dit très long sur le projet génocidaire de l’extrême-droite : entre gens qui veulent tuer des Arabes, on se comprend, voulait dire Bardella. Combien de politiques français partagent, dans le fond, ce point de vue ?
“Quand un navire se trouve en haute mer, il ne peut pas être arraisonné, explique Julia Grignon, professeure en droit international humanitaire à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, sur RFI, sauf s’il y a des soupçons que l’équipage ou le navire a servi à commettre des crimes graves de type piraterie ou esclavage. En l’occurrence, à ma connaissance, ce n’est pas ce qui s’est produit. Donc, il ne peut y avoir d’interception de ce navire dans les eaux internationales, si c’est bien là qu’a eu lieu l’opération.” Or, c’est bien là qu’a eu lieu l’arrestation.
Les faits sont pourtant en train d’anéantir toute la crédibilité restante des défenseurs du génocide de Gaza : la commission internationale d’enquête de l’ONU dans les territoires occupés par Israël a rendu public un rapport accablant. On peut y lire que les actions de l’armée israélienne à Gaza s’inscrivent dans le cadre “d’une attaque généralisée et systématique menée contre la population civile de Gaza depuis le 7 octobre 2023 et que les forces de sécurité israéliennes ont commis le crime contre l’humanité d’extermination”. « Nous voyons de plus en plus d’indications qu’Israël mène une campagne concertée pour éliminer la vie des Palestiniens à Gaza », a conclu à la sortie de ce rapport Navi Pillay, présidente de la Commission d’enquête. Navi Pillay a été présidente du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de 1999 à 2002.
En visite en Israël en mars, Jordan Bardella a déclaré à des journalistes : “Vous avez le même ennemi que nous.” Il faut mesurer à quel point cette déclaration est délirante et dangereuse, et en dit très long sur le projet génocidaire de l’extrême-droite : entre gens qui veulent tuer des Arabes, on se comprend, voulait dire Bardella. Combien de politiques français partagent, dans le fond, ce point de vue ?
Quelle est la suite ? Que peut-on faire pour prolonger l’action du Madleen et soutenir celles des convois internationaux ? Du 17 au 20 juin prochain, une conférence de l’ONU sur la situation à Gaza et en Palestine va se tenir, coprésidée par la France et l’Arabie Saoudite. Le 17 juin, le rapport mentionné précédemment sera aussi présenté à l’ONU. Bref, cette échéance est essentielle pour la suite et le gouvernement français jouera un rôle particulièrement clef, en reconnaissant ou non l’Etat de Palestine et en annonçant ou non des sanctions, en concertation avec d’autres Etats. C’est pourquoi la population française a son rôle à jouer pour mettre la pression, comme l’ont fait avec succès d’autres peuples dans le monde. Si la France, soutien historique et décomplexé d’Israël depuis plus d’une décennie, change d’attitude, le gouvernement israélien pourrait se retrouver dans une situation intenable. Cela signifie qu’il faut continuer à manifester (des manifestations sont appelées dans tout le pays samedi prochain) , taguer, mettre des drapeaux palestiniens à ses fenêtres, marteler la demande de sanctions et de condamnations sur les réseaux sociaux… Et qu’au moins un cessez-le-feu et l’entrée massive d’aide humanitaire puissent être obtenus.
Si la France, soutien historique et décomplexé d’Israël depuis plus d’une décennie, change d’attitude, le gouvernement israélien pourrait se retrouver dans une situation intenable. Cela signifie qu’il faut continuer à manifester (des manifestations sont appelées dans tout le pays samedi prochain) , taguer, mettre des drapeaux palestiniens à ses fenêtres, marteler la demande de sanctions et de condamnations sur les réseaux sociaux etc.
Ensuite, il faudra aller plus loin : le fait que les classes dominantes françaises, allemandes, états-uniennes aient encouragé ou couvert un génocide en dit long, trop long, sur leur racisme, leur goût du sang et leur colonialisme invétéré. La complicité du gouvernement français avec Israël ainsi que le soutien médiatique dont ce gouvernement a bénéficié chez nous doit nous aider à prendre conscience de l’inhumanité totale et intrinsèque dont font preuve ceux qui nous dirigent et ceux qui monopolisent la parole médiatique. Il y aura un avant et après génocide : plus jamais nous ne pourrons les voir autrement que ce qu’ils sont, et cela vaut pour tous les partis politiques qui ont relativisé ou soutenu ouvertement le génocide, du PS au RN.
Nicolas Framont
Rédacteur en chef
