Situation politique et sociale : 7 faits à intégrer si l’on veut avancer

Crédit : Photothèque Rouge / Alexandre – 10 septembre 2025, les manifestantEs allument un fumigène sur l’autoroute
Chutes de ministres, recompositions politiques à répétition, sondages contradictoires, appels à “l’unité républicaine” ou à “l’union de la gauche”… Derrière cette confusion organisée, des lignes de fond se dessinent. Le macronisme s’enfonce dans l’autoritarisme, la gauche bourgeoise s’enferme dans un rôle d’appoint, les directions syndicales étouffent la conflictualité, et la menace d’une extrême droite au pouvoir sert d’alibi à toutes les renonciations et les compromissions. Comprendre ce moment suppose donc de se défaire de certaines illusions : celle d’un pouvoir encore solide, celle d’une alternance possible dans le cadre existant, celle enfin d’un simple “retour de la rue” comme solution miracle. Car la crise que nous vivons n’est pas seulement gouvernementale : elle touche à la représentation elle-même et au capitalisme qui perd, dans le monde entier, de sa légitimité. C’est pourquoi nous proposons ici six constats qu’il nous semble nécessaire de regarder en face si l’on veut réellement avancer : saisir pourquoi Macron tient encore malgré tout, pourquoi la gauche bourgeoise le maintient au pouvoir, pourquoi les mobilisations piétinent, et comment sortir de cette impasse autrement qu’en attendant l’inévitable victoire du Rassemblement national.
1- Macron n’est, hélas, pas foutu, mais affaibli
Avec la nomination du gouvernement Lecornu 2, la macronie, et plus précisément Macron lui-même, continuent de faire comme si tout ce que l’on vivait était d’abord “un problème de casting”. C’est un déni complet de la crise politique profonde. Après avoir fait comme si le problème c’était la personne Bayrou, Macron fait désormais comme si le problème c’était les ambitions de Bruno Retailleau qui ont fait chuter le premier gouvernement Lecornu. Ces petits problèmes de casting étant résolus par la nomination d’un gouvernement, les choses peuvent reprendre leur cours ordinaire, nous dit-on.
Le monde médiatique, après avoir agité, de façon surprenante, le spectre du départ de Macron, contribue lui aussi à ce retour à l’ordre autocratique actuel : le nouveau gouvernement Lecornu, qui est le 4e gouvernement imposé sans légitimité parlementaire ni encore moins démocratique, et tout détesté qu’il est, est traité comme une galerie de portraits relativement sympathiques, qui incarnerait une forme de “rupture” et de “consensus”. Le Parisien, propriété de Bernard Arnault, estime par exemple que le nouveau ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, jusqu’ici préfet de police de Paris serait un “fin technicien et personnage consensuel, respecté par l’ensemble des forces politiques”... alors qu’il est l’artisan de la répression des Gilets jaunes et un fervent défenseur des violences policières. Pendant ce temps, Libération s’enthousiasme de la nomination de l’ex-PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, et donne la parole à la CFDT qui trouve que sa nomination sera un “bon signal”. D’autres trouvent qu’un nouveau ministre de la Ruralité maire d’un village de 300 habitants est vraiment chouette. Bref, le monde médiatique dominant contribue largement à normaliser une situation totalement inacceptable.
Cette ambiance dit aussi quelque chose du climat autoritaire : persister, après autant d’échecs, à nommer des gouvernements qui sont identiques aux précédents gouvernements macronistes alors que ces derniers ont perdu les élections, ce qui ne peut aboutir qu’à de nouvelles censures, montre un rapport extrêmement hostile à la démocratie. Une citation plus ou moins apocryphe d’Einstein dit que “la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent”. La mégalomanie de Macron pose des questions de cet ordre, mais ce n’est pas l’angle le plus intéressant : en fait la structure même de la Ve République (et des régimes ultra-verticaux en général) favorise justement ce type de profils.
Toutefois, ce deuxième gouvernement Lecornu montre des dynamiques nouvelles :
– le bloc central a en partie éclaté. Gabriel Attal, qui dirige pourtant le camp macroniste, appelle à tourner la page du macronisme, Édouard Philippe s’en prend frontalement à Macron, LR veut de moins en moins servir de force d’appoint, l’UDI quitte le navire…
– Cela s’inscrit dans un contexte plus large où de grands pans de la bourgeoisie et des médias lâchent Macron : Le Point lui demande de « sortir la tête haute » et de démissionner, les chaînes d’infos en continu le mettent en scène marchant seul dans les rues – censé évoqué son isolement, le JDD de Bolloré convoque le duc d’Anjou comme une alternative à la Ve République finissante…
2 – La gauche bourgeoise le maintient au pouvoir
La gauche bourgeoise (PS, EELV, Place Publique) analyse les rapports de force sur un plan strictement parlementaire. Elle constate donc l’éclatement tripartite (a minima) de l’Assemblée. Elle considère qu’aucune majorité ne peut se dégager, si ce n’est une majorité d’extrême droite. Elle pense par conséquent que la seule politique antifasciste viable est l’alliance avec le bloc central (avec qui elle pense partager une base sociale et un électorat – ce qui n’est pas entièrement faux). C’est pourquoi elle considère qu’elle doit servir de force d’appoint au macronisme ou bien que le macronisme doit lui servir de force d’appoint.
Plutôt que le Front populaire, elle invoque désormais, via François Ruffin, le Conseil national de la Résistance (CNR) : le gouvernement issu de la Résistance après la Seconde Guerre mondiale qui avait porté un programme assez progressiste sur le plan social (« Les Jours heureux ») et qui rassemblait des communistes aux gaullistes. Cette gauche voit des points communs avec la période actuelle : pas de force politique hégémonique, la guerre en Europe, une possibilité de s’accorder sur un programme minimal de relance et d’indépendance nationale. Cette analogie nous semble grandement erronée : les rapports de force n’ont strictement rien à voir. Au moment du CNR, le PCF est extrêmement puissant, on trouve des communistes armés partout en France, les Soviétiques ont envahi la moitié de l’Europe, la bourgeoisie est totalement compromise par la collaboration, les taux de profit permettent une certaine répartition… Ce qui se passe au moment du CNR est donc un compromis entre les communistes (dans un moment où les communistes français ne se sentent pas prêt pour une révolution, à laquelle Staline ne croit pas et qu’il ne souhaite pas) et le capital. Ce compromis a donné une grande partie de l’État social – c’est pourquoi quelqu’un comme Bernard Friot parle de “déjà-là communiste” à propos de certains conquis sociaux de cette période.

La situation actuelle n’a aucun rapport. Elle rappelle davantage la République de Weimar en Allemagne (1918-1933) : les socialistes allemands ont passé leur temps à servir de force d’appoint au bloc central en pensant contenir la catastrophe. C’est au final ce bloc central qui a mis Hitler au pouvoir. L’historien du nazisme Johann Chapoutot le montre bien dans son dernier livre Les Irresponsables (2025, Gallimard). Ce que manque cette gauche bourgeoise, c’est la fusion progressive et rapide de la droite avec l’extrême droite mais aussi avec le bloc central droitisé, phénomène que l’on retrouve largement en Europe et sur lequel nous alertons depuis des années maintenant à Frustration. Elle passe à côté du fait que la bourgeoisie préfère aujourd’hui l’extrême droite a n’importe quelle gauche, fut-elle mollement sociale-libérale et prête à toutes les compromissions : tout simplement parce que l’extrême droite permet d’allier répression et un certain assentiment, ce que n’a plus aujourd’hui cette gauche bourgeoise très minoritaire.
À tout cela, il faut bien sûr ajouter que la gauche bourgeoise manque cruellement d’imagination, pas par bêtise mais parce qu’elle est structurellement une force d’appoint du capital. Dans des moments de choix comme celui-ci, entre réaction/fascisation ou rupture, elle a le cul entre deux chaises.
Mais dans la configuration actuelle, c’est bien le PS qui maintient, activement ou passivement, les gouvernements de Macron au pouvoir : à chaque chute, ils retournent négocier et tentent d’obtenir, pour la forme, des concessions purement symboliques pour ne pas perdre la face. La dernière fois, c’était le “conclave sur les retraites” (qui n’a produit aucun résultat), cette fois-ci c’est la “suspension” de la réforme, qui offre une porte de sortie salutaire aux macronistes dont certains membres éminents (comme Elisabeth Borne) se demandaient s’ils n’allaient pas devoir la lâcher entièrement. Le PS a fait gagner du temps au macronisme et fait croire à de possibles inflexions. En obtenant une suspension, ils ne lui arrachent rien de tangible et nous infligent donc un projet de budget à nouveau très agressif. Ce cinéma des faux “compromis” anti-censure a lieu constamment depuis 2022 et, pendant ce temps, les gouvernements macronistes continuent d’opprimer la population… Grâce au soutien du Parti socialiste, véritable assurance-vie de Macron.
3 – Manifester en masse ne suffira pas
Pour celles et ceux qui ne croient plus dans le jeu parlementaire, qui sont lassés de ce théâtre auquel nous sommes à peine conviés, c’est le concept un peu vague de “la rue” contre cette arnaque politique qui est souvent invoqué. L’intersyndicale a mollement choisi cette option en organisant, sans grande conviction, deux journées de mobilisation les 18 septembre et 2 octobre et en laissant tomber une troisième, un temps envisagée pour le 9 octobre.
On ne peut de toute façon pas dire que la population et les sphères militantes brûlaient d’envie de défiler en chantonnant des slogans. Car les manifestations peuvent jouer un rôle, mais non décisif. On a vu des manifestations absolument massives en 2023 : la macronie a réagi de façon « vu et s’en fout ».
La manifestation en tant que telle n’est qu’une forme symbolique d’expression. Si Macron ne part pas quand il perd les élections, ce n’est pas des manifestants très sages qui défilent qui vont l’inquiéter. En 2019, au moment des Gilets jaunes, la bourgeoisie a eu par contre peur car plus que des manifestations, c’est à des émeutes que l’on a assisté – on se souvient de l’épisode de Macron affrétant un hélicoptère pour s’enfuir le cas échéant.
Toutefois, ce qui permettrait vraiment que la macronie se termine par un départ anticipé, ce serait un blocage de l’économie : ce qui passe avant tout par des grèves reconduites et importantes. Nous ne sommes pas les seuls à être arrivés à cette conclusion : les Italiens fin septembre, les Belges le 14 octobre, ont utilisé le slogan “bloquons tout”, tandis qu’ailleurs dans le monde, ce sont des émeutes qui font trembler voire dégager des dirigeants, comme au Pérou, au Népal et à Madagascar.

Au milieu de cet automne brûlant partout dans le monde, les classes laborieuses françaises semblent avoir pris un faux départ : le mouvement du 10 septembre, ultra populaire, a abouti à des formes de blocages et d’action radicales répandues dans le pays, et auto-organisées, sans l’aide des organisations classiques. Mais après ce mouvement, qui a précipité la chute de François Bayrou et de son projet de budget calamiteux, le mouvement social a “calé”.
4 – L’intersyndicale a fait mourir le mouvement social, il va donc falloir penser la mobilisation collective sans l’aide des syndicats
Regroupés au sein de l’intersyndicale, les directions des grands syndicats, réunies très tardivement (fin août) pour faire face aux attaques délirantes prévues par Bayrou contre l’assurance-maladie (entre autres), ont programmé une journée de mobilisation le 18 septembre avec pour objectif – à peine dissimulé – de disperser les forces militantes loin du 10 septembre qu’elles désapprouvaient (y compris la direction de la CGT). Cela n’a pas produit le résultat escompté : non seulement le mouvement du 10 a été massif, pour un mouvement auto-organisé et radical (des centaines de milliers de personnes), mais la date du 18 a réuni plus d’un million de personnes alors que l’implication des directions syndicales était loin d’être forte. Mais après ce succès inespéré, les directions des syndicats ont réussi à affaiblir le mouvement avec des mots d’ordre absolument minimaux et donc démotivants, en refusant complètement d’investir le terrain politique – alors même que la haine de Macron est un ciment des luttes sociales depuis bientôt dix ans. D’abord, ces directions ont cassé le rythme du mouvement en imposant une pause afin d’attendre le résultat d’un hypothétique “ultimatum”. Ensuite, elles ont légitimé le gouvernement Lecornu comme un interlocuteur valable (alors que la CGT avait appelé à voter NFP). Tout en proposant comme seul moyen d’action ce qui n’avait pas marché en 2023, les grèves saute-moutons, une journée par-ci par là, largement anticipé par les entreprises et totalement démotivant pour la plupart des gens. Il se produit alors un cercle vicieux bien connu désormais : face à ces propositions de journées isolées et indolores à répétition, les gens se démobilisent, les effectifs baissent et les syndicats peuvent expliquer que c’est de la faute des autres.
Bien sûr, et c’est ce qu’expliquait par exemple Stathis Kouvélakis, philosophe et militant LFI, on ne peut pas rejeter toute notre faiblesse, notre impuissance et nos défaites sur la direction de l’intersyndicale. La difficulté à mobiliser dont témoignent de nombreux syndicalistes vient aussi de la précarisation, de l’éclatement des collectifs de travail, des “trahisons” répétées de la gauche politique, d’un perfectionnement et d’un renforcement des politiques et du logiciel néolibéral… Mais disons qu’il est certain que ça n’aide pas. Le mouvement du 10 septembre à lui seul n’est pas parvenu à mettre en place des cadres organisationnels susceptibles de permettre un mouvement social de longue durée, et ses militants n’ont pas coupé le cordon avec l’intersyndicale : le 18 septembre a été perçu comme un relais possible sur lequel s’appuyer. A tort, puisqu’il s’est agi d’un enterrement. Ensuite, on ne peut pas en vouloir aux “gens” qui ne se mobilisent pas et ne se mettent pas en grève, comme le font nombre de syndicalistes agacés par nos critiques, quand ce sont les syndicats qui conservent – c’est la loi – le monopole des préavis de grève.
Il y a quelques semaines nous avions interviewé Alessi Dell’Umbria, qui reprend la notion de « racket » pour parler des organisations politiques et syndicales : des bureaucrates qui prétendent avoir une légitimité sociale et qui au final forment une sphère à part, avec ses intérêts propres. Il considérait ainsi que, pour 2023, cette impuissance avait été organisée par les syndicats qui n’ont pas intérêt à trop conflictualiser : “Le mouvement contre la réforme des retraites, c’est vraiment l’illustration la plus éclatante de l’impuissance organisée par les bureaucraties syndicales. Une participation énorme aux manifestations, comme on n’en avait plus vu depuis longtemps, même lors de la mobilisation contre la Loi Travail au printemps 2016, avec des sondages assurant le soutien des trois quarts de la population, bref les conditions subjectives étaient réunies”. Nous sommes malheureusement dans cette situation. C’est pourquoi il nous faut développer des formes d’autonomie : ne pas attendre les directives des partis politiques et des syndicats, former des groupes affinitaires et/ou de citoyens pour agir de différentes façons, essayer de nous mettre en grève et de motiver nos collègues à le faire… Bien sûr cela peut et doit se faire avec des syndicalistes (lorsqu’ils sont présents), mais nous avons toutes et tous intérêt à ce que les bases syndicales – qui parviennent, elles, à des victoires dans leurs entreprises – débordent elles aussi leurs directions qui se sont objectivement révélées incapables d’obtenir des résultats depuis des décennies.
Peut-être bien qu’il va falloir cesser de compter sur les syndicats pour organiser notre résistance au capitalisme. Quand même la direction de Sud-Solidaires, syndicat pourtant très à gauche, imprégné d’idéaux autogestionnaires et libertaires, participe et se tient solidaire de l’intersyndicale, que peut-on encore attendre, au niveau national, des syndicats ? Si le problème ne se situait qu’à l’échelle nationale, on pourrait espérer un élan des “bases” : mais même depuis le niveau local, nous recevons de nombreux témoignages de syndicalistes “déter” qui se font plus ou moins gentiment tacler par leur hiérarchie et dont l’énergie est bouffée par les conflits internes qu’ils doivent endurer pour pouvoir mener des mobilisations plus radicales et ne pas s’en tenir à la routine déprimante qu’elles et ils sont nombreux à ne plus pouvoir supporter.
Les réseaux impulsés par le mouvement du 10 septembre comme toutes les personnes partisanes de la lutte des classes vont peut-être devoir ajouter une tâche sur leur “to-do list” déjà bien remplie : organiser des collectifs inter-entreprises, à l’échelle des villes et des villages, dans lesquels on parle de notre situation au travail et on pose les jalons d’une organisation susceptible de reprendre le flambeau de l’organisation des grèves et de la mobilisation collective au travail.
5 – La victoire du RN n’est pas une certitude
Pendant ce temps, et au grand désarroi des activistes et militants proches de la gauche, le RN progresse indéniablement et toutes choses égales par ailleurs, avec les tendances actuelles on peut penser qu’il finira bien par être élu.
Initialement, sa fonction était d’être un repoussoir qui fait voter la gauche pour les forces bourgeoises. On voit bien maintenant, a contrario, que, comme cela se passe dans tout le reste de l’Europe, il est désormais une option sur la table pour la classe dominante. Car contrairement au bloc central, totalement à bout de force, le RN a une assise populaire non négligeable.
Face à lui, il est peu probable que se reforme le Nouveau front populaire après toutes les polémiques d’une grande violence depuis 2022 (en particulier sur la question de Gaza). Ce n’est pas non plus complètement impossible : il ne faut jamais sous-estimer la très grande souplesse et les contorsions dont sont capables des notables médiocres et arrivistes quand il s’agit de conserver un poste de député et tous les avantages qui vont avec. Il ne faut pas non plus sous-estimer la détestation – majoritaire dans la population française – du RN, qui pousse à voter, sans autre envie que de l’empêcher de gagner, pour des alliances même bancales. On pourrait se retrouver de nouveau avec une situation similaire à l’ordinaire : un deuxième tour avec un libéral centriste face à l’extrême droite, et l’élection du premier par effet de barrage. Après tout, les médias mainstream avaient déjà largement prophétisé la victoire écrasante du RN en 2024 et ce n’est pas ce qui s’est produit.
La seule chose qui peut faire dérailler ce scénario (le choix un peu piteux entre extrême droite ou “barrage”) c’est précisément un mouvement social fort, car c’est justement dans ces situations où l’extrême droite a, elle, « le cul entre deux chaises » et est in fine, en tant que représentante de « l’ordre », contrainte de se positionner contre des mouvements pourtant très populaires dans l’opinion. En septembre, au plus fort du mouvement social, le RN n’avait rien à dire. Ses sujets n’étaient pas à l’ordre du jour, car le pays débattait de la taxation des riches.
6 – La démission de Macron est un bon objectif, mais ne suffit pas
Si Macron démissionne ce ne sera pas de gaieté de cœur car il n’en montre aucune intention. Il n’existe par ailleurs pas de majorité pour une destitution. De toute évidence, Macron préférerait une cohabitation avec le RN que la démission, mais la dernière fois son plan a échoué.
La seule chose qui pourrait faire partir Macron c’est un mouvement social avec un niveau très fort de conflictualité et de radicalité. C’est ce qui a poussé le Général De Gaulle, à qui on peut reconnaître une certaine robustesse, à la démission en 1969 suite aux référendums qu’il avait annoncés en mai 68. Ce scénario n’a rien d’impossible.
Toutefois, s’il est intéressant d’épouser ce mot d’ordre (“Macron démission”) – du simple fait qu’il est celui spontané des mouvements populaires des dernières années et qu’il a l’avantage d’être transpartisan – on ne peut pas s’en contenter : la démission de Macron seule règle des choses pour la classe dominante, moins pour nous. Elle marque un vrai coup contre la bourgeoisie européenne mais elle a un vrai intérêt seulement si l’objectif est bien de défaire non seulement Macron mais aussi les intérêts qu’il représente et les politiques qu’il promeut.
7 – Pour y arriver, il nous faut une action collective autonome, massive et radicale ainsi qu’un projet alternatif
La situation politique est potentiellement explosive car nos adversaires sont très affaiblis, mais nous nous heurtons une fois de plus à des représentations politiques ou syndicales qui ne sont pas fiables : nous ne pouvons plus nous reposer sur elle pour exploiter la situation et en tirer parti pour nous toutes et tous, la majorité de la population qui subit la violence du macronisme. Directions syndicales comme gauche modérée (PS, PCF, EELV) participent pleinement à cette opération de manipulation de masse – a fortiori très répétitive – qui participe à faire gagner du temps au macronisme en faisant croire à des inflexions, des compromis, des évolutions de fond qui n’existent que dans l’imagination de Sophie Binet, Olivier Faure ou Marine Tondelier, tandis que la France insoumise ne cherche des résolutions de crise que par la voie électorale. Nous ne pouvons donc plus compter sur eux – désormais tout le monde en est convaincu – mais nous ne disposons apparemment pas encore de l’élan, des collectifs et de la culture de l’action politique autonome, à la fois radicale et massive, qui nous permettrait d’avancer sans eux, et d’aller loin. Nos mots d’ordre ne sont sans doute pas encore au point, et nous manquons, comme le suggère Frédéric Lordon, d’un imaginaire de ce que nous voulons à la place des régimes politiques et économiques actuels.
Le bilan de la séquence est donc mitigé : nous avons arraché des concessions à la bourgeoisie, puisque son plan d’attaque sociale de l’été a échoué, mais nous n’avons pas réussi à profiter de sa confusion pour mettre à terre sa puissance politique. Macron n’est pas encore tombé, mais il est sérieusement fragilisé. “Lecornu II” n’est pas le nom d’un mauvais film mais le signe de la stratégie délirante de Macron : présenter la situation comme un simple « problème de casting », là où la crise est structurelle, sociale et politique. Cette stratégie se heurte à un nouveau contexte : des figures du macronisme et de la droite cherchent déjà à se démarquer et à « tourner la page » du macronisme, pendant que des médias influents suggèrent à Macron de partir « la tête haute ». Ces signes confirment que le bloc central ne tient plus comme auparavant. Mais la faiblesse présidentielle ne suffit pas à elle seule à provoquer son départ – et le simple souhait d’expulser Macron ne suffit pas à construire une alternative. C’est dans le rapport de force social (grèves durables, capacité à bloquer l’économie) que se joue la réelle possibilité d’un changement anticipé ; sans cela, c’est plutôt le pire qui est à attendre de la recomposition politique. Ce qui est encourageant c’est que nous avons collectivement appris beaucoup de choses, construit de nombreux collectifs, tiré de nombreuses leçons et démasqué beaucoup de faux alliés. Alors on continue.
Par Rob Grams et Nicolas Framont
Cet édito est en partie adapté de la discussion de Rob Grams avec le journaliste italien Stefano Minisgallo, disponible ici
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