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D’OS CANGACEIROS AUX LUTTES D’AUJOURD’HUI : ENTRETIEN AVEC ALÈSSI DELL’UMBRIA

Alèssi Dell’Umbria

Alèssi Dell’Umbria a fait partie d’Os Cangaceiros, un groupe de hors-la-loi révolutionnaires dans les années 1980 qui arnaquaient des banques, pratiquaient le sabotage et prêtaient mains-fortes aux luttes. Dans “Du Fric ou on vous tue” (2023), celui-ci revient sur son expérience, l’analyse, et livre dans le même temps une histoire critique des bouleversements de cette décennie très importante. Propos recueillis par Rob Grams. 

“Du Fric ou on vous tue”, c’est un titre très marquant. Pourquoi ce titre ?

Précisément parce qu’il est très marquant. C’était un tag anonyme, à Marseille, à la Belle-de-Mai, où j’habitais alors, en 1980. Je n’ai jamais su qui l’avait fait, mais ça me parlait vraiment, vu qu’avec ma compagne nous traversions une période de galère prolongée et que nous n’en voyions pas le bout. Et comme je le raconte dans le livre, quelques années après -alors que nous nous étions sortis de la galère- nous avions choisi d’en faire le titre d’une affiche, suite au geste désespéré d’un chômeur breton, en 1984. Nous ne connaissions donc ni l’auteur du tag ni celui du saccage des bureaux de l’Assedic, mais nous ressentions la même chose. Il nous revenait donc d’exprimer cette communauté inavouable des relégués. Et plusieurs décennies après, donc, j’ai trouvé que ce titre, qui fait très « roman noir », convenait pour le récit de nos aventures passées. On objectera qu’après tout, nous n’avons tué personne : c’est que, précisément, nous avons trouvé moyen de ramasser du fric sans avoir à aller jusqu’à cette extrémité. Qui sait ce que nous aurions été capables de faire, sinon ? En même temps, comme l’avait taggué sur un mur en 1978 notre amie et complice Andrea, « L’argent est ce qui manque, mais ce dont on manque n’est pas d’argent ». La contradiction était posée.

L’HISTOIRE D’OS CANGAGEIROS

Pourquoi avoir eu envie d’écrire ce livre, une trentaine d’années plus tard ?

Je n’avais pas spécialement envie de l’écrire, mais je croisais de plus en plus de gens bien plus jeunes qui me suggéraient de le faire. Je savais que Os Cangaceiros était une référence pour pas mal de jeunes révolté(e)s, mais je n’en parlais jamais, les autres membres du groupe non plus, d’ailleurs, mais ça se savait que j’en avais fait partie, signant alors d’un autre nom. En même temps, j’ai toujours été pénétré de l’importance de la mémoire historique, d’autant plus que nous faisions partie d’une génération presque orpheline en la matière, et cela ne nous avait pas aidés. Il aurait donc été d’autant plus regrettable de ne pas donner notre propre expérience en partage aux générations suivantes.

Dans les années 1980, avec votre groupe, vous avez participé à des “reprises”. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c’est et quelle était un petit peu la logique derrière ?


Dès les années 1970, la plupart d’entre nous pratiquaient déjà la reprise individuelle, sous diverses formes, vols dans les magasins, vols de voiture ou de moto, chèques volés, petits cambriolages. Et c’était déjà plus ou moins « théorisé » dans tout une mouvance informelle. Il y avait aussi des actes de reprise collective, je pense notamment au fameux pillage du Quartier latin en juin 1971, calomnié par tous les rackets politiques, et qui fut alors raconté de première main dans une brochure « Le pillage du Quartier latin le 29 juin 1971 et la lutte des classes ». Il y avait aussi l’article dans un numéro de l’I.S (ndlr : l’Internationale Situationniste) sur le pillage de Watts en 1965 (ndlr : une série d’émeutes violentes ayant éclaté dans le quartier noir de Watts à Los Angeles, en réaction à des violences policières et au racisme), qui circulait pas mal. Et puis il existait un précédent historique, celui des anarchistes illégalistes du début du XX° siècle (ndlr : des anarchistes qui prônaient et pratiquaient le vol, la fraude ou la contrebande comme moyens de révolte individuelle contre l’ordre capitaliste et étatique)

Donc vers 1983-1984, après avoir tous et toutes traversé des vicissitudes diverses, et acquis un certain savoir-faire, nous sommes passés à la vitesse supérieure, que ce soit au niveau des procédés comme au niveau de l’organisation. La logique derrière ça, c’était qu’au moment où des liens de complicité et d’amitié s’élargissaient et se renforçaient, nul ne soit plombé par la nécessité de l’argent. Dans cette décennie où gagner de l’argent s’imposait comme l’objectif éthique par excellence, individualisant et isolant toujours plus, nous renversions la perspective : le rapport à l’argent devait au contraire, sous cette forme, s’inscrire dans un mouvement de communisation entre nous. 

D’une manière générale pour votre groupe le banditisme avait clairement une dimension politique, ce qui n’est pas forcément le cas de toutes les formes d’actions hors-la-loi. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous politisiez tout cela ? Parce que vous dites aussi que y avait aussi la nécessité du “fric”. 

On ne le voyait pas comme ça, comme du banditisme politique. Ce terme qualifie des actes illégaux destinés à financer les caisses d’un parti -un certain Joseph Djougachvili par exemple avait fait ses débuts comme ça, en braquant la banque de Tbilissi… Nous le voyions plutôt comme une pratique sociale, visant à communiser sans plus attendre les biens et ressources disponibles dans un pays aussi riche que la France. Pour nous, ça procédait d’une révolte générale, au même titre que de participer à des émeutes. Certains de nos proches, avec qui nous avions pu faire équipe ça et là, finissaient par se contenter d’une sorte de confort matériel obtenu par effraction -confort relatif, ceci dit, puisque le risque de la prison était toujours là. Mais nous étions trop exigeants pour nous contenter de ça. Bien entendu, nous avions un principe : rançonner les institutions, banques, sociétés de crédit, hypermarchés, commerces de luxe… Il ne nous serait jamais venu à l’esprit d’aller arracher des sacs à mains ! Même si nous connaissions d’autres jeunes qui pouvaient le faire, en ce qui nous concerne nous suivions une règle éthique fondamentale, celle de se financer par expropriation du capital. Nous savions combien c’était dérisoire par rapport au niveau de concentration et de puissance du capital, mais l’idée était celle-ci. Contrairement à la vision léniniste qui prétendait instaurer le communisme par en haut -on a vu le résultat !- pour nous le communisme n’était pas un système à établir mais un mouvement d’expropriation à élargir, qui s’opérait par en bas, dans l’action directe. Si le mot communisme a encore un sens, il se trouve là. Ni programme ni système, mais une expérience sans cesse renouvelée. Nous rencontrions sans cesse d’autres gens révoltés mais condamnés à une relative impuissance, bien obligés d’aller au chagrin pour pouvoir survivre. Le débat portait là-dessus, sur l’essentiel. Pour nous, s’affranchir d’une telle servitude et aller porter le trouble partout où c’était jouable, c’était le même geste. 

Vous expliquez avoir renoncé avec vos amis à publier un manifeste en 1992, vous dites que “s’il s’agissait simplement de rajouter un texte sur les rayonnages des bibliothèques radicales, cela n’en valait pas la peine.”. Aujourd’hui il y a une production un peu industrielle d’essais critiques. Comment vous percevez cela ? Est-ce que tout ce qui va dans le bon sens est bon à prendre ? Ou bien est ce que vous pensez qu’il faut être plus exigeant et qu’une publication doit se justifier d’une manière ou d’une autre ?

Il y a beaucoup d’essais critiques, en effet, en tout cas en France -il n’en va pas de même dans les pays voisins, par exemple en Italie la situation de l’édition alternative et critique est assez désastreuse. Outre toute la littérature postmoderne et déconstruite qui a imposé son hégémonie dans les rayons des librairies alternatives, il y a une pléthore d’ouvrages de critique sociale et politique, bien plus que dans les années d’après-1968 par exemple (il est aussi possible de trouver pas mal de choses stimulantes sur divers sites et blogs qui ont une orientation radicale). Certains me tombent vite des mains, d’autres arrivent à me captiver, la question n’est pas là. La plupart de ces livres sont écrits précisément à partir d’un point de vue extérieur, celui du chercheur -pas nécessairement quelqu’un qui émarge à Paris 8 ou à l’EHESS, du reste, ce peut être des chercheurs free lance. Le compte-rendu de telles recherches peut être intéressant, mais il est également frustrant. C’est ce que l’I.S appelait « des recherches sans mode d’emploi ». Et dans cette avalanche d’ouvrages de critique sociale, ça jargonne quand même beaucoup, donnant trop souvent l’impression que les auteurs s’adressent à des gens qui ont suivi le même cursus d’études supérieures qu’eux. La preuve de la fausse universalité de l’université… Je n’ai pas à juger de la pertinence ou pas d’écrire et publier ces livres, certains peuvent sans aucun doute nourrir une position révolutionnaire, mais ils ne constituent pas eux-mêmes cette prise de position. Il faut que ceci soit bien clair. 

Concernant la France, on pourrait dire qu’on s’est trouvé dans une guerre de mouvement de 2016 à 2020. Du mouvement contre la loi Travail avec l’apparition du cortège de tête, à la mobilisation de Notre-Dame-des-Landes et jusqu’aux Gilets jaunes… L’opération covid-19 nous a ramené de fait à la seule possibilité d’une guerre de position. Donc la question actuellement, ce serait de construire une position. Ce que personne n’arrive à faire, sinon en revenant à des modèles historiquement périmés. Une prise de position révolutionnaire dans le monde ne saurait se ramener à l’affirmation d’un choix politique. Elle doit exprimer des formes de vie qui se cherchent et trouver ainsi son propre langage, sans se laisser aspirer par tout cet activisme militant fixé sur l’actualité. 

Pour en revenir à ce projet de manifeste que nous avions eu à la fin d’Os Cangaceiros, le hasard a fait que j’en ai récemment retrouvé les brouillons. J’ai été surpris d’abord par le style assez sec de ces textes -cela fait longtemps que ceux d’entre nous qui ont continué d’écrire n’écrivent plus comme ça !-, mais en même temps par la quantité d’intuitions que plusieurs d’entre nous devions développer par la suite chacun de notre côté. Par exemple, certaines thématiques que j’ai exposé dans Antimatrix étaient déjà abordées dans ce projet de manifeste, de façon beaucoup plus rudimentaire mais tout de même, ça avait donc continué de me hanter lors même que j’avais oublié ces lignes écrites en 1987 puis reécrites en 1992. Comme quoi, nous avons de la suite dans les idées…

Sur le recours aux armes, vous dites que votre groupe n’avait pas de position de principe. Mais là où on pourrait vous rapprocher un peu rapidement d’autres groupes armés des années 70-80 vous précisez quand même que ce que vous rejetiez “absolument, c’était l’avant-gardisme militant des organisations de lutte armée”. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?

On en revient à ce qu’on disait plus haut à propos du rôle que peut jouer ou non un petit groupe déterminé dans le déclenchement d’un affrontement. Il faut aussi garder bien présent à l’esprit que les groupes de lutte armée, à de rares exceptions, étaient de stricte obédience marxiste-léniniste, donc déjà formés par cette idée qu’une avant-garde devait avoir l’initiative tant politique que militaire. Et pour faire quoi ? « porter l’attaque au cœur de l’État ». Déjà, en assimilant l’appareil d’État à la seule classe politique, ils prenaient déjà le mauvais départ. Les Brigades rouges ont flingué ou blessé des dizaines de politiciens démocrates-chrétiens, et jusqu’à enlever et exécuter un président du Conseil, sans jamais atteindre l’État : même aussi affaibli qu’il pouvait l’être dans l’Italie des années 1970. 

Graffiti Brigades rouges à Milan dans les années 1970; domaine public 

Le problème n’est pas dans l’usage des armes -j’ai indiqué dans le livre des cas précis où les armes ont été utilisées à bon escient par des rebelles. Il est dans cette conception de la révolution qui ne fonctionne qu’en miroir de l’État. L’affrontement est isolé dans un champ séparé, où tout débat est court-circuité au nom de l’urgence militaire, et par rapport auquel les « masses » sont donc vouées à rester passives -massives- et, en dernière issue, à suivre docilement la direction imposée par l’avant-garde. Et tout cet avant-gardisme militaire, fondé sur une logique instrumentale, impliquait une dimension de sacrifice individuel que nous rejetions absolument. Nous n’avions certainement pas vocation à être les petits soldats d’une telle armée rouge. 

La révolution, c’est la dissolution des masses. Et donc le dépassement des avant-gardes. L’idée qu’on pourrait entrainer les masses dans un processus révolutionnaire en prenant l’initiative d’ouvrir le feu sur des gouvernants était assez naïve et caractéristique de l’idéologie de ces groupes avant-gardistes des années 1970, mais elle tirait sa crédibilité du fait qu’en face ça canardait : aussi, si l’on doit critiquer le militarisme des B.R, il ne faut pas non plus oublier que dans l’Italie des années 1970 tant les flics que les groupes fascistes n’hésitaient pas à tirer dans le tas et pas pour blesser. La question de la violence se posait donc, mais elle fut envisagée précisément de la pire des manières, celle d’un affrontement spectaculaire entre l’État et une avant-garde autoproclamée. C’est sur le reflux du printemps 1977 que les groupes de lutte armée ont prospéré -qui n’étaient pas intervenus dans le mouvement où ils n’avaient pas d’espace, malgré le niveau de confrontation élevé avec les flics. Ces groupes existaient auparavant, et menaient déjà des actions violentes, mais c’est vraiment après 1977 que la tendance à « porter l’attaque au cœur de l’État » l’a emporté au sein des B.R. avec les résultats qu’on a vus. À l’opposé d’une violence diffuse, incontrôlable par l’appareil d’État, ces organisations ont centralisé l’affrontement, à la fois dans le choix des cibles et dans le mode opérationnel, en rupture totale avec cette multiplicité d’expérience qu’on a pu appeler l’Aria dell’Autonomia. Le bilan en est désastreux : des centaines de militants emprisonnés pour de très longues peines, les années de plomb de la décennie 1980 et le réformisme non-violent des Tute Bianche qui prétendait tirer un trait définitif sur une question qui reste pourtant en suspens…

LES APPAREILS RÉPRESSIFS

Dans votre livre, vous revenez longuement sur les révoltes dans les prisons, les mutineries de l’été 1974, celles de Toul et Nancy… Vous revenez aussi sur la prise d’otages au palais de Justice de Nantes en 1985. Vous avez vous-même, avec vos camarades, participé à beaucoup d’actions, y compris de sabotage, en soutien aux mutins et vous dénonciez l’existence même de cette institution, celui du système pénitentiaire. Plusieurs questions : Pourquoi ce mode d’action : le sabotage ?  Pour vous quel est le rôle de la prison dans notre société ? Et est-ce qu’on peut imaginer une société sans prison ? 

Le sabotage, comme je l’ai dit, parce que c’était et c’est toujours le mode d’action premier des prolétaires, selon le principe de faire avec ce que l’on a sous la main. Et puis l’explosif, outre tout ce que l’on peut dire contre son usage spectaculaire, suppose une certaine maîtrise professionnelle : combien de gens se sont fait sauter en fabriquant une bombe ! Sans parler des dommages imprévisibles, genre le passant qui a le malheur de se trouver là à l’instant où ça explose !

La fonction première de la prison est celle d’exposer une menace, celle d’une élimination radicale en cas d’inconduite. Quand j’ai commencé à déserter, à 15-16 ans, tout le monde adulte allait me répétant « si tu continues, tu finiras en prison » (ce qui s’est d’ailleurs produit…). La prison, dans la bouche des profs, des éducateurs, des assistantes sociales et des parents, c’était la sanction ultime de l’inconduite et elle représentait l’indignité sociale : même dans les milieux ouvriers, c’était mal vu, très mal vu. Pour l’ouvrier fier de sa qualification, le taulard c’était vraiment le type de la personne indigne. Et évidemment, très peu de ces ouvriers prennaient en compte un fait non négligeable : la société a la main autrement plus lourde envers l’inconduite des pauvres, a fortiori s’ils sont immigrés, qu’envers celle des bourgeois. En prison, on croise majoritairement des prolétaires. C’était un fait connu et reconnu dans les milieux ouvriers d’avant 1914 -suffit de lire « Le Père Peinard » ! La gauche institutionnelle qui a pris la main après guerre a fait disparaître cette sensibilité. Je me souviens d’un fait marquant, parmi tous ceux qui ont jalonné les mutineries de l’été 1974. Le maire de Lille, André Mauroy, avait carrément organisé une journée « portes ouvertes » à la prison de Loos-les-Lille, qui avait été entièrement dévastée et incendiée par les mutins et avait donc été évacuée de ses occupants. Les Lillois étaient invités ce dimanche-là à venir constater sur place à quel point ces gens échappaient décidément à toute civilisation. Ces socialistes sont vraiment les plus pervers de tous les politicards ! La télévision avait abondamment relayé, interviewant les visiteurs -à l’époque, Lille-Roubaix-Tourcoing c’était une agglomération ouvrière et de gauche, n’est-ce-pas. Les réactions du « populo », en tout cas celles que les reportages télévisés retransmettaient, débordaient de haine et de fureur envers les sauvages qui avaient commis un tel saccage, appelant à une répression sans pitié (« Il faudrait les guillotiner, ces gens-là » hurlait un couple de vieux prolos devant la caméra). Et ce n’étaient pas des électeurs du FN (qui n’avait alors aucune force électorale), dans cette agglomération ça votait socialiste de père en fils. Il ne leur venait même pas à l’idée que la plupart de ces mutins venaient du même milieu social qu’eux : ou, sans doute, considéraient-ils que ceux-là s’en étaient irrévocablement exclus en commettant le délit qui les avaient conduits là-dedans. Aujourd’hui, l’emprisonnement se serait presque banalisé : combien de citoyens tout à fait intégrés ont fait de la prison pour ivresse au volant ou pour avoir revendu des ecstasys en discothèque ? jusqu’à des élus et chefs d’entreprise qui ont leur couloir réservé à la Santé ! Cette morale bourgeoise qui avait pénétré les milieux ouvriers -par le truchement, entre autres, des partis de gauche et des syndicats- est aujourd’hui remplacée par ce cynisme blasé qui a gagné toutes les classes sociales. Le regard sur la prison est devenu plus cynique que moraliste, même s’il comporte toujours cette dimension vindicative qu’on surprend dans des propos aussi imbéciles que récurrents (les fameuses « prisons trois étoiles »). 

Une société sans prison ? La société suppose la prison, au contraire de la communauté. J’ai lu une fois dans une revue anthropologique un article sur certaines communautés du nord du Cameroun, qui ont un dispositif qu’ils appellent « la prison », par emprunt au langage des colonisateurs. « La prison » en question n’est pas un édifice, ni murs ni barreaux, c’est un rapport aux autres : un individu qui s’est gravement manqué se retrouve condamné par la communauté à faire de la « prison ». Il est tout à fait libre d’aller et venir, de vaquer à ses occupations, il continue de résider dans sa maison mais plus personne ne lui parle. Il devient transparent aux yeux de la communauté. Il est de fait exclu dans la communauté, et publiquement. Je ne me souviens plus si cette peine est définitive ou relative, je suppose qu’elle est calculée en rapport aux faits commis, mais en tout cas elle est terrible, et certaines personnes qui en sont affligées peuvent aller jusqu’à sombrer dans la folie ou se suicider. Elle suppose évidemment de la communauté : dans la société, qui est le modèle occidental et désormais dominant, une telle peine n’aurait aucune effectivité, vu l’impersonnalité des relations sociales. 

C’est précisément le fait que la société, « la simple somme des intérêts privés », implique des dispositifs aussi monstrueux que l’incarcération pour maintenir son équilibre toujours instable, qui la condamne sans appel. Quand j’étais au Mexique, j’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois dans le sud du Guerrero, en 2011-2012, là où sont nées et se sont développées les fameuses « polices communautaires ». En parlant avec quelques-uns des fondateurs, à San Luis Acatlán, ils m’avaient expliqué qu’ils avaient rencontré dès le début un problème, quand ils appréhendaient des individus qui avaient commis un délit contre la communauté. Les délits en question c’était le plus souvent du vol de bétail, -qui peut être une véritable catastrophe pour ces paysans pauvres dont c’est souvent la seule ressource-, mais aussi des viols parfois suivis de meurtres. Leur problème c’était : que faire de ces personnes ? « Si on les livrait à la justice, ils allaient en prison dont ils revenaient encore plus mauvais, complètement perdus pour la communauté, et d’autre part nous ne les considérions pas comme des délinquants mais comme des camarades qui s’étaient manqués, donc il fallait instaurer notre propre justice » : les individus en question étaient donc condamnés par une assemblée à travailler pour la famille qu’ils avaient lésée, à charge pour celle-ci de les loger et de les nourrir. Cela pouvait aller de quelques semaines à plusieurs années, selon la gravité des faits commis bien sûr. Le plus beau, c’est que les personnes ainsi appréhendées et condamnées ne s’enfuyaient jamais, ce qu’elles auraient pu faire sans trop de difficultés : elles préféraient avoir avoir affaire à la police et justice communautaire plutôt qu’à celle de l’État… La première les traitait avec fermeté mais respect, la seconde les traitait comme des chiens. Bon, je ne prétends pas que la CRAC-PC soit un modèle idéal, mais pour avoir participé ici à la lutte contre le système pénitentiaire, je ne vais pas faire le bec fin devant cette tentative d’en sortir là-bas, surtout au vu des conditions qui sont celles du Guerrero, un des États les plus pauvres et les plus violents du Mexique…  

Vous dites que les stades de foot ont servi de laboratoire répressif. Aujourd’hui encore on voit que le foot est encore très utilisé par le pouvoir pour justifier des mesures répressives. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment ça s’est passé ? 

Toute concentration spectaculaire d’individus porte en elle une logique policière. Tant que la foule se tient sage, pas de problème. Mais le stade de foot, parce qu’il rassemble de la plèbe tout en convoquant un sentiment d’appartenance fort, est toujours un endroit à risque. Et il se fait l’écho des tensions agitant la société. 

Il y a une chose dont je n’ai pas parlé dans le livre, mais qui nous préoccupait déjà à l’époque, c’était la pénétration de l’extrême-droite dans les stades, plus spécialement dans les virages. En Angleterre c’était flagrant avec un club comme Chelsea, en France avec le PSG, en Italie avec la Lazio. À Marseille, un certain nombre d’amis disaient « les bras tendus dans les stades, ce n’est pas une fatalité, c’est en partie la faute à la gauche qui méprise les divertissements populaires et abandonne les virages au fafs ». Je parle de la fin des années 1980 et du début des années 1990. L’appartenance, c’est évidemment une dimension de l’existence qu’on a toujours ignoré à gauche -et jusqu’à l’ultra-gauche- au nom de cette universalisme abstrait dans lequel se trouvait projeté le prolétariat. Mais les prolétaires, eux, dans leur vie, éprouvent ce besoin d’appartenance qui est inhérent au genre humain et l’extrême-droite se fait fort d’apporter sa propre réponse à ce besoin. Le stade est donc un terrain de lutte -c’ est de toute façon un espace social, au même titre que l’usine, le métro, le centre commercial. Il y a donc cet aspect de la question, et quand nous avions fait l’affiche sur l’affaire du Heysel (ndlr : une bagarre généralisée et un mouvement de foule ayant entraîné la mort de 39 personnes à Bruxelles en 1985) il n’existait pas encore en France de clubs de supporters, juste des groupes plus ou moins remuants. Pour l’OM, les premiers clubs naissent en 1987, avec les Ultras puis les Fanatics, suivis par les South Winners ; MTP ne viendra qu’en 1994. Il y avait une certaine ambigüité parce certains Ultras avaient des sympathies pour le FN, mais il leur était interdit de les proclamer dans le stade vu que les Ultras se voulaient a-politiques, tandis que les autres clubs ici mentionnés disaient au contraire qu’il fallait interdire physiquement le stade à l’extrême-droite, pour l’empêcher de s’infiltrer en douceur, et c’est ce qui s’est fait. Et de fait l’apparition d’un drapeau bleu-blanc-rouge dans le virage sud provoquait une vigoureuse réaction, au point où il fut décidé entre tous les clubs de supporters marseillais de s’en abstenir. Aujourd’hui encore, quand il s’agit de monter au baston contre l’intrusion de groupes fafs (Identitaires, Action Française ou ultras d’extrême-droite de clubs comme Feyenoord ou Chelsea) dans les rues de Marseille, on voit en première ligne des Fanatics, des MTP… Ceci étant dit, l’antifascisme ne fait pas tout… avec le temps, il arrive que certains clubs de supporters se transforment en petites féodalités dirigées par des capos corrompus : ainsi le dirigeant historique des South Winners n’a pas craint de soutenir la campagne électorale de la droite marseillaise aux dernières municipales, et ce après le scandale de la rue d’Aubagne !
Quant à la question du flicage, il faut bien voir qu’il va de pair avec une gentrification des stades. C’est flagrant en Angleterre, mais ça se passe aussi en France. On a vu construire ou reconstruire des stades entiers, de Lille à Nice en passant par Marseille, transformés à grand frais en véritables centres commerciaux. Les prix des places n’ont cessé de grimper, les tribunes de s’embourgeoiser et si les virages eux restent populaires ils sont surveillés de tout côté, par vidéo, et plombés par une réglementation extrêmement punitive -un gars de mon quartier, à Marseille, a quand même fait de la prison juste pour avoir tenté d’introduire quelques fumigènes dans le virage Nord !- sans parler de la carte de supporter qui a été imposée en Italie, une carte à puce individualisée qu’il faut valider à chaque entrée dans le stade -j’ai des amis à Naples, qui constituaient un petit groupe au stade, et qui, sans se définir « antifas » n’hésitaient pas à faire le coup de poing contre les fafs, et qui ont carrément cessé d’aller aux matchs par refus de cette carte, par ailleurs acceptée bon gré mal gré. Donc, sous tous les rapports, le foot populaire des années d’après-guerre a laissé place à un foot beaucoup plus spectaculaire, fait de match retransmis -avec des droits de retransmission qui font par contrecoup monter le prix des billets !-, avec des équipes qui n’ont plus aucune base locale et tournent autour de superstars -qui a de gros investisseurs derrière est sûr de gagner, voyez l’équipe du Qatar, le PSG. 

UNE CRITIQUE DE LA SÉPARATION

À Frustration on partage avec vous une critique de la sphère universitaire, qui fait des savoirs une sphère séparée et légitime. Dans le livre vous faites une critique radicale de l’Université : “un lieu hors sol où les mots” ne coutent “pas grand chose”, un milieu qui ne “vous inspire aucune confiance”. Alors pourquoi selon vous “la plupart des auteurs en sciences humaines et sociales” qui vous ont “appris quelque chose” sont restés “en dehors de l’université et ont toujours eu des relations tendues avec cette institution” ? 

Pourquoi ? Tout simplement parce que c’étaient des hommes libres. Et des chercheurs courageux, qui exploraient le monde sans recourir à la cartographie livrée par les programmes universitaires. Ceci étant dit, tout universitaire n’est pas nécessairement quelqu’un d’aveuglément soumis à l’institution et obsédé par ses ambitions de carrière, même si globalement c’est le cas : et je préfère lire l’ouvrage d’un universitaire sérieux et compétent dans sa spécialité qui va au moins m’apprendre quelque chose plutôt que du prêchi-prêcha radical déjà entendu plein de fois. 

Ce n’est pas seulement la position sociale de l’universitaire, avec ses privilèges, qui est à critiquer, mais l’essence même de son rapport au monde. Un cas presque emblématique est celui de l’École de Francfort et de son évolution après-guerre, de retour en Allemagne, spécialement le tandem Horkheimer/Adorno qui a finit par désavouer la contestation étudiante en 1968 et se poser en défenseurs de la RFA face à la RDA -non que je songe un instant à regretter celle-ci, mais de la part de gens qui ont quand même passé leur vie à construire une pensée critique, on pourrait attendre mieux qu’une prise de position campiste… C’est l’occasion de dire que la majorité des penseurs révolutionnaires qui nous avaient inspiré, à l’époque d’Os Cangaceiros, n’étaient pas des universitaires : ni Marx ni Bakounine, ni Debord ni Voyer. Et même Benjamin que nous devions découvrir bien plus tard n’a jamais réussi à se faire accepter à l’université ! 

Vous dites “ce que nous refusions absolument, c’était la politique en tant qu’activité spécialisée et séparée, qui constituait précisément l’horizon des militants”. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que vous voulez dire ? Vous rejetiez également la séparation entre politique et culture. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ? 

Notre point de départ, au début des années 1970, c’était le refus de la vie à laquelle on nous préparait. Nous étions alors très jeunes, puis nous avons découvert la critique de la vie quotidienne ébauchée dans la décennie précédente par des révolutionnaires qui, en cela, avaient su se montrer à la hauteur de leur époque. A partir de là, il est clair que le militantisme ne pouvait nous satisfaire, qui fonctionnait sur un mode tout à fait instrumental (les militants parlaient d’ailleurs de leur activité comme d’un travail, « un boulot politique », « un tel mène un boulot de boîte », « tel autre un boulot de quartier »…). Ce refus de la vie quotidienne, la vie sans histoire, prenait évidemment des dimensions poétiques, notamment à travers la musique mais pas seulement, qui nous transportaient dans une autre dimension de la réalité. Nous voulions enchanter le monde. Ou plutôt nous ouvrir l’accès à un monde enchanté.

Les militants eux vivaient dans la politique, leurs partis ou groupuscules étaient des appareils -extrêmement hiérarchisés, qui reproduisaient en cela la forme même de l’appareil d’État- bref à tous points de vue ils reproduisaient les paradigmes étatiques. Et ces appareils fonctionnaient sur le sacrifice de toute individualité : le but final transcendait tout le vécu des militants. Franchement, ça ne donnait pas envie ! surtout quand le but final se concrétisait sous la forme du « socialisme chinois » par exemple… on en avait d’ailleurs un avant-goût puisqu’il suffisait d’émettre quelque réserve sur le modèle chinois pour se faire traiter invariablement de « fasciste »… on sentait bien que s’ils avaient eu le pouvoir ils nous auraient expédié direct dans un camp de rééducation -comme les Ouïgours aujourd’hui ! 

Votre question renvoie à deux aspects. 

Nous avions tous et toutes eu l’occasion de côtoyer dans les années 1970 des étudiants qui se prétendaient révolutionnaires, tout en préparant anxieusement leurs examens. Ils n’arrêtaient pas d’invoquer « les ouvriers » mais, si l’on excepte ceux qui quittaient la fac pour s’établir en usine et avaient au moins le mérite d’être conséquents, les autres se préparaient tout de même un avenir bien en place, à une époque où un diplôme universitaire conduisait encore à des postes autrement plus valorisés que serveur chez Mac Donald’s. Et de fait beaucoup de ces militants qui nous avaient tant saoulés avec leur verbiage ont fait carrière ensuite, dans la culture, la politique ou l’économie. Et là je parle des étudiants qui se voulaient révolutionnaires, lesquels ne constituaient qu’une minorité dans les facs : le gros des troupes estudiantines était même en-deçà de toute critique ! Il flottait dans ces facs une atmosphère particulièrement débilitante, à tous points de vue. Mes copains loubards, qui eux connaissaient déjà l’usine dans leurs lycées techniques (à l’époque ça s’appelait CET, Collège d’Enseignement Technique) avaient bien plus les pieds sur terre. 

Le second, c’est qu’en même temps, l’université -et son nom indique bien cette prétention à l’universel- s’arroge le monopole du savoir et de la recherche. Elle dispose pour cela de moyens, entre autres financiers, avec lesquels nul ne peut rivaliser. Et cette prétention s’exprime comme spécialisation du savoir, laquelle ne cesse de se subdiviser en autant de disciplines et sous-disciplines universitaires, disposant chacune de leur propre langage réservé. C’est donc un concept de l’universel qui est tout à fait particulier. 

RACKET, SYNDICATS, PARTIS POLITIQUES ET ÉCOLOGIE

Vous utilisez souvent la notion de “racket” pour parler des partis, des politiciens et des syndicats. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce dont il s’agit ?

Comme vous savez, il y a eu toute une génération de révolutionnaires allemands qui ont dû s’exiler aux USA dans les années 1930’… C’était précisément la période qui succédait à la liquidation quasiment militaire des IWW (ndlr : syndicat révolutionnaire fondé en 1905 qui prône l’union de tous les travailleurs pour renverser le capitalisme par l’action directe et instaurer une société autogérée) par les autorités, et la montée de deux gros appareils syndicaux bureaucratiques, le CIO et l’AFL. Et ces révolutionnaires, qui avaient déjà payé dans leur pays pour savoir la complicité de la social-démocratie et du capital, pouvaient observer le fonctionnement des ces appareils. Je crois bien que c’est Max Horkheimer (ndlr : philosophe et sociologue allemand, figure centrale de l’École de Francfort) qui a écrit sur ça le premier, mais sans doute aussi des gens comme Paul Mattick (ndlr : théoricien marxiste et militant conseilliste germano-américain, critique du capitalisme et du marxisme-léninisme) . Ils élargissaient la notion de racket : il ne s’agissait pas seulement du fait que la mafia ait la main sur certains syndicats, on pense évidemment aux dockers new-yorkais du temps d’Albert Anastasia ou plus tard au leadership de Jimmy Hoffa sur le syndicat des camionneurs. Mais c’est précisément le caractère vertical et bureaucratique du syndicat qui facilite cette emprise : la mafia n’aurait jamais pu prendre le contrôle d’un mouvement horizontal comme les IWW. La notion de racket forgée par ces Allemands exilés s’appliquait de façon plus générale à tous les appareils bureaucratiques qui canalisaient la classe ouvrière nord-américaine, dans cette période d’union sacrée que fut le New Deal (ndlr :  ensemble de réformes économiques et sociales lancé par le président américain Franklin D. Roosevelt dans les années 1930 pour répondre à la Grande Dépression, visant à relancer l’économie) puis la Seconde Guerre mondiale, agissant comme instance d’intégration. Fonctionnement qui a évidemment continué par la suite, même après que la décennie Reagan ait clôturé l’épisode keynésien. Mais les ouvriers nord-américains avaient beau se placer sous la protection des syndicats, face à un patronat qui n’hésitait pas à employer la manière forte pour casser toute forme d’insubordination, il ne leur échappait pas qu’entre la base et les cadres du syndicat, il y avait à peu près autant de différence qu’entre l’ouvrier et l’encadrement technique de l’entreprise. De fait, au tournant des années 1960-1970 de nombreuses luttes ouvrières, en particulier dans cette industrie stratégique qu’était l’automobile, se firent sans les syndicats et parfois contre eux. La logique du racket avait ses limites en période d’agitation. À l’opposé, à New-York, le syndicat du bâtiment n’avait pas hésité à envoyer ses affiliés agresser des manifestations contre la guerre du Vietnam… 

Manifestation des IWW en 1914 ;  Domaine public

Pour résumer, le principe du racket est de constituer une catégorie d’exploité(e)s ou de dominé(e)s en parti formel au sein de la société, où il se pose en représentants de cette catégorie. En France, après 1968, cette notion de racket a été reprise par Jacques Camatte pour qualifier la logique de ces petits groupes à prétention révolutionnaire qui fonctionnaient en concurrence permanente entre eux et sur le registre de l’adhésion inconditionnelle et de l’exclusion. Et c’était sans aucun doute pertinent, il suffit de lire les récits d’ancien(ne)s militant(e)s de groupes maoïstes dans les années 1970 par exemple. Camatte avait démissionné du Parti Communiste International, en 1966, lassé de l’activisme stérile de ce groupuscule bordiguiste. Mais pour la revue Invariance, toute forme d’organisation relève du racket, comme s’il ne pouvait en exister que des formes politiques ; c’est donc chez Camatte une sorte de commodité pour s’affranchir de la question organisationnelle et légitimer sa propre position de théoricien hors sol. 

La revue Négation, qui est parue de 1972 à 1974, reprenait cette notion de racket et c’est là où nous l’avions trouvée. A nous qui avions dû nous confronter aux agissements des staliniens comme des trotskystes lors des mouvements lycéens, ça nous parlait. En outre, il était notoire que les syndicats avaient activement travaillé à neutraliser le mouvement en mai-juin 1968. Le rôle joué alors par la CGT avait montré que le racket allait jusqu’à l’intimidation violente des récalcitrants : des cheminots que nous avions rencontrés lors de la grève de l’hiver 1986, qui avaient vécu mai-juin 1968, nous racontaient comment les gros bras cégétistes avaient imposé la reprise du boulot en juin n’hésitant pas à tabasser ceux qui contestaient la décision syndicale. C’était d’ailleurs ce souvenir qui les avait incités à s’organiser en coordination horizontale durant cette longue grève de l’hiver 1986. 

D’une manière générale vous critiquez vivement les syndicats, vous pointez par exemple leur responsabilité dans la défaite de la grève des mineurs en Angleterre en 1984-1985.  Vous aviez des liens avec certains grévistes, et des membres de votre groupe et vous même êtes allés sur place à plusieurs reprises. Alors comment se manifeste ce “racket syndical” ?

Il se manifestait de façon différente outre-Manche. Dans les villages miniers, le NUM (ndlr : National Union of Mineworkers, syndicat britannique des mineurs) semblait absent : en fait, il était tout à fait présent, mais d’une autre manière qu’un syndicat l’aurait été de l’autre côté de la Manche. La cohésion ouvrière était telle dans ces villages qu’elle constituait d’elle-même l’ossature de la lutte : le NUM intervenait en fait en tant qu’instance de coordination et d’organisation, sous la houlette de son leader, Arthur Scargill (adhérent du Parti Communiste Anglais). Autrement dit, la direction du NUM lançait les mots d’ordre, organisait les grandes manifestations, dictait en quelque sorte la marche à suivre : mais au fur et à mesure du mouvement les gestes d’insubordination se multiplièrent à la base. Nous avons connu un gars, aujourd’hui décédé, qui avec ses amis refusa la décision du NUM de mettre fin à la grève : à l’annonce de la reprise du travail ils sabotèrent les ascenseurs de leur puits, de sorte que le travail ne put reprendre qu’une semaine plus tard… des gestes comme ça, il y en eût, mais à la fin, quand beaucoup de grévistes réalisèrent qu’ils avaient été les pions d’une stratégie syndicale calamiteuse. Les mineurs du Yorkshire que nous connaissions créèrent, une fois la grève terminée, un mouvement « Rank and File », visant à coordonner les luttes de façon horizontale, mais c’était évidemment trop tard.

Sur les manifestations auxquelles vous avez participé, vous dites que vous étiez “préparés à toute éventualité”, mais aussi qu’il n’“appartient pas à un petit groupe extérieur” de provoquer l’affrontement, et que déjà, la CGT et la CFDT essayaient d’empêcher les “débordements”. Cette question du rapport de force en manifestation se pose toujours aujourd’hui à intervalles réguliers, vous pouvez nous expliquer votre position et celle de vos camarades de l’époque ?

On parle là d’une manifestation d’ouvriers, mobilisés sur un enjeu bien précis. Nous, nous arrivons là comme des éléments extérieurs, et, comme je l’ai évoqué dans le livre, le simple fait que nous allions discuter avec ces ouvriers déplaisait aux cadres syndicaux. Ce jour-là, si un groupe de sidérurgistes était parti à l’affrontement avec la police nous aurions aussitôt enquillé avec eux, et nous y étions préparés. Cela ne s’est pas produit, et l’on peut toujours imaginer rétrospectivement que, si nous avions pris l’initiative, des sidérurgistes auraient enquillé avec nous, on peut aussi imaginer que nous nous serions retrouvés isolés, coincés entre le s.o syndical et les CRS. Ce n’était clairement pas le 29 mars 1979, où dès le début la tension était à son maximum. Même ce groupe de sidérurgistes de Fos avec qui j’avais sympathisé et avec qui j’ai fait la manif, qui avaient les poches pleines de boulons, n’ont pas pris l’initiative. Ce n’était pas la « vibe »…  Je pense qu’un petit groupe organisé et résolu peut avoir un rôle décisif dans une situation pré-insurrectionnelle qui déborde d’emblée le cadre d’une manif syndicale, par exemple lors des Gilets jaunes. Mais là ce n’était vraiment pas le cas, et d’autre part l’affrontement avec la police n’est pas une finalité en soi, il n’est qu’un moment d’une lutte.  

Pour en revenir aux sidérurgistes, leur défaite fut totale. Toute cette région de Lorraine qui vivait au diapason de la sidérurgie et qui a connu le traumatisme des fermetures d’usines est à présent un réservoir électoral du RN. Nous fûmes contemporains de cette liquidation du monde ouvrier et donc des potentialités révolutionnaires qu’il contenait : car même si celles-ci avaient été neutralisées depuis longtemps, notamment par le racket stalinien, elles restaient latentes, prêtes à ressurgir comme on l’avait vu en 1968. Désormais elles allaient être récupérées par l’idéologie la plus réactionnaire. Mais celle-ci n’a pas forcément le dernier mot, on l’a vu avec les Gilets jaunes -condamnés par Marine le Pen, rappelons-le.  

Vous dites qu’on a assisté à cette époque à la “dislocation de la classe ouvrière”. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? et à travers ce prisme comment vous analysez le mouvement des Gilets jaunes puis celui, beaucoup plus encadré, contre la réforme des retraites ?

Alors le mouvement contre la réforme des retraites, c’est vraiment l’illustration la plus éclatante de l’impuissance organisée par les bureaucraties syndicales. Une participation énorme aux manifestations, comme on n’en avait plus vu depuis longtemps, même lors de la mobilisation contre la Loi Travail au printemps 2016, avec des sondages assurant le soutien des trois quarts de la population, bref les conditions subjectives étaient réunies. Et ça a débouché sur quoi ?….. ça m’a fait penser à cette manif des sidérurgistes à Paris au printemps 1984, évoquée plus haut. Les syndicats sont là pour mettre en scène la protestation, et une fois la représentation terminée, en fin de parcours, dispersion et tout le monde rentre chez soi. D’accord, il y a eu des départs en manif sauvage, mais quelques centaines de personnes à peine, quand c’étaient des centaines de milliers de personnes qui venaient de défiler, bien sages, de Nation à République ! On a vraiment vu le spectacle de la protestation responsable, et la dignité malheureuse des manifestants bafouée allègrement par un gouvernement qui avait très bien compris que ça n’irait pas au-delà. Comme je l’ai écrit en 2008 dans la postface à la réédition de « C’est de la racaille ? eh bien j’en suis ! », « tant de monde rassemblé pour faire si peu choses… ». Et puis on revient toujours à quelque chose que j’avais évoqué dans ce texte-là, à savoir que le parcours même de ces manifs est fait pour en neutraliser toute énergie : c’est toujours sur ces grands boulevards haussmanniens, conçus pour que la bourgeoisie s’y donne en représentation, et sur ces places, Nation, Bastille, République conçue pour que l’État s’y donne en représentation (rien que les noms, déjà….) que ça se passe. Alors que l’immense majorité des manifestants vit et travaille ailleurs, et notamment en banlieue, au-delà du périph’. Ce fut le génie des Gilets jaunes de laisser tomber ce modèle et d’innover -les ronds-points, les péages autoroutiers, les déboulés dans le 8° arrondissement de Paris, etc. Avec ces manifs syndicales contre la réforme des retraites, on a complètement régressé.

Vous parlez de l’essor du FN dans les années 1980. Cet essor n’a en fait jamais cessé. Comment vous l’analysez ? 

Assez simplement. Le FN a fondé son succès sur deux bases : une forte hostilité au système eurocratique, et de l’autre la persistance d’un racisme postcolonial. Mais surtout, il apparaît comme le plus apte à remettre en avant l’identité nationale, à laquelle tant de gens sont tentés de se raccrocher en ces temps de crise chronique. En outre le FN a évolué, tout comme son homologue italien, du groupuscule extrémiste et violent qu’il était dans les années 1970 vers un parti de « droite nationale » qui a résolument opté pour la voie électorale et le respect des institutions. Il existe bien sûr des groupes activistes capables de faire le coup de poing, mais ce sont juste des satellites, qui ont pour fonction d’attirer les jeunes extrémistes, les plus résolus montant par la suite dans l’appareil électoral -par exemple Pascal Vardon, qui fonda et dirigea le groupe des Identitaires à Nice, a ensuite intégré le FN dont il a porté les couleurs aux élections législatives. Par contre les groupes activistes peuvent intervenir comme supplétifs de la police contre des révoltes populaires, et il est notoire qu’ils sont armés et s’entraînent au combat. Il ne faut donc pas les sous-estimer. 

J’ai dit et écrit qu’en France l’extrême-droite n’avait pas vocation à exercer le pouvoir. Et de plus une victoire du RN aux prochaines présidentielles ne serait pas forcément une bonne affaire pour ses dirigeants, qui se retrouveraient dans l’obligation de prendre les mesures impopulaires dont ils préfèrent laisser la responsabilité aux actuels gouvernants. De toute façon, ce parti a conquis l’hégémonie politique ; il a du pouvoir, pourquoi se compliquer l’existence à exercer le pouvoir ? Je pense que le RN se trouve, toutes choses étant égales, dans la position qui était celle du PCF dans les années 1960 -en 1969, Jacques Duclos, le candidat du PCF aux présidentielles, ramassait quand même 23% des voix- celle de fonctionner comme le parti d’opposition, et de vivre de cette rente de situation. De même que le PCF n’a jamais vraiment voulu prendre le pouvoir en France, je pense que le FN-RN ne veut pas vraiment de cette charge qui pourrait très vite se retourner contre lui. Il lui suffit, tout comme le PCF d’antan, d’avoir des élus qui s’incrustent dans les collectivités locales, balisant le terrain à long terme. Je pense donc qu’on va voir le scénario habituel, un candidat de centre-droit élu « pour faire barrage » aussi bien au RN qu’à la LFI. 

Vous en parlez à plusieurs reprises dans le livre : quel est votre regard sur le mouvement écologique à l’époque et aujourd’hui ? 

Je ne crois pas qu’il existe quelque chose comme un mouvement écologique. Il existe d’une part des luttes sur le terrain, contre des projets écomonstrueux, et d’autre part le parti écologiste, deux choses bien différentes. Les partis écolos ne sont que des rackets, et par rapport aux luttes de terrain ils ne font que vrombir autour comme de véritables mouches à merde du mouvement réel. 

Pour revenir aux années 1980, l’époque de Os Cangaceiros donc, ces luttes se concentraient autour de la mobilisation antinucléaire ; en Loire-Atlantique, où nous étions présents alors, cette lutte aura été assez forte pour faire annuler successivement deux projets de centrale nucléaire, sur la rive sud de la Loire, au Pellerin, et plus tard sur la rive nord, au Carnet. Je connaissais certaines personnes très impliquées dans cette lutte, sur des bases clairement anticapitalistes et antiétatiques, et dont au moins l’une a par la suite participé à la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. L’engagement de ces camarades prouvait qu’il était possible de mener des luttes contre la dévastation industrielle dans une perspective radicale, hors de toute logique de racket politique.

Manifestation du mouvement No Tav à la gare de Suse en novembre 2005. Crédit : Par Ocelon1444 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Aujourd’hui, la lutte s’est élargie à tous les aspects de la dévastation. Il y a eu d’abord les actions contre les OGM qui ont été si importantes en France -au point que pour beaucoup de camarades indigènes au Mexique, mobilisés contre l’introduction du maïs OGM dans leur pays, cette lutte française a été une référence. Les mouvements se sont ensuite étendus à d’autres projets, il y a eu la lutte No-Tav dans la Val Susa, côté italien, puis évidemment Notre-Dame-des-Landes, qui a été une victoire inattendue. On voit maintenant se multiplier les conflits, contre les méga-bassines, contre des projets autoroutiers, et l’on ne peut que s’en féliciter. Toutes ces luttes sont de fait anticapitalistes, quelle que soit la conscience que chaque participant peut en avoir individuellement. 

Je ne me prononcerai pas ici sur les mouvements organisés, comme Extinction Rébellion ou Les Soulèvements de la terre, n’ayant pas eu l’occasion de participer à l’une de leurs actions (si j’excepte une manifestation contre un projet de mégabassine dans le Puy-de-Dôme, où je me trouvais ce jour-là). J’ai lu le manifeste des Soulèvements, « Premières secousses » qui va dans le bon sens malgré quelques concessions au gauchisme déconstruit -et de façon générale je constate qu’après la menace de dissolution ce mouvement semble avoir fait le choix de se fondre dans l’extrême-gauche pour s’y trouver des alliés. Je sais très bien, pour en avoir discuté brièvement avec l’un des animateurs, que l’idée est celle-ci : alors que longtemps les groupes radicaux ont été à la traîne de la gauche, à présent c’est la gauche qui est à la traîne derrière nous, en particulier depuis la victoire de Notre-Dame-des-Landes, et c’est nous qui avons l’initiative désormais donc nous ne devons pas craindre des alliances. Cet optimisme me laisse sceptique, mais nous verrons bien… Le problème de la composition, à mon sens, c’est qu’elle doit toujours rester organique : quand elle devient organisationnelle, ce sont toujours les rackets politiques qui finissent par y avoir le dernier mot. 

Soit dit en passant, je ne suis pas sûr que tous les groupes radicaux aient été à la traîne de la gauche : ce n’était clairement pas le cas d’Os Cangaceiros. C’était d’ailleurs une critique que plusieurs d’entre nous faisaient aux Autonomes, au tournant des années 1970/80, celui d’être dépendants des agendas politiques et syndicaux -même si l’Autonomie parisienne ne se limitait pas à essayer de radicaliser les manifs, elle avait aussi ouvert un espace inédit, depuis les auto-réductions jusqu’aux squats. 

Pour revenir à l’écologie, je trouve qu’il y a beaucoup de confusion autour de cette notion. Au départ, elle désigne simplement l’étude des milieux naturels, de leur évolution et des dommages qu’ils peuvent subir. Et finit par véhiculer, de façon plus ou moins explicite, l’idée d’une nature incontaminée, sans intervention humaine, qui s’incarne dans la gestion des Parcs nationaux et régionaux -on sait que le tout premier parc naturel, aux USA, a été inspiré par les écrits d’Aldo Leopold. 

Il y a actuellement dans les zones rurales une certaine haine des écolos, considérés comme des urbains ne connaissant rien à la campagne et voulant imposer une morale plutôt puritaine à travers diverses mesures contraignantes. Et de fait, beaucoup d’écolos considèrent les gens de la campagne comme de gros beaufs -l’un d’eux me l’a carrément dit un jour, à propos des gens qui s’opposent aux parcs éoliens. Il se dit qu’une partie du vote RN en zone rurale serait lié à cette haine des écolos ; en tout cas je connais des paysans qui votent LFI et partagent complètement ce ressentiment anti-écolo. En fait, les choses sont bien plus compliquées : par exemple, les responsables de certains parcs régionaux ont signé pour des projets éoliens, soi-disant écologiques. Aujourd’hui, n’importe quel margoulin qui veut monter une opération y appose le préfixe « éco ». J’ai vu disparaître l’un des derniers espaces verts dans le centre de Marseille sous le béton d’un « éco-quartier ». Il en va de même pour tout cet immonde business autour des parcs éoliens et, de plus en plus, solaires -on en est à déboiser pour installer des panneaux solaires ! La plupart des maires qui signent pour ces projets n’avancent d’ailleurs même pas l’argument écologique, mais l’argument financier en mode « ça augmente de 30% le budget de la commune », de sorte que le préfixe « éco » a plus à voir avec « économie » qu’avec « écologie », les deux se fondant dans le même racket. Les gens qui subissent ces dévastations, sous forme de parcs éoliens ou solaires sont tout à fait fondés à détester les chantres du capitalisme vert… 

Parlons alors d’écologisme, pour désigner tout le dispositif idéologique qui fonde une nouvelle séquence de l’accumulation capitaliste trouvant dans le constat de la dévastation matière à rebondir. Et déjà dans l’énoncé du constat il y a embrouille : le fameux « réchauffement climatique » qui est devenu en quelques années un lieu commun du langage spectaculaire. La globalité du fait, à l’échelle planétaire, pose d’emblée la question à un niveau de solution lui-même global, sur lequel seules évidemment des instances ayant voix au chapitre de la gouvernance mondiale seraient légitimes à s’exprimer -et cela donne les COP successives, autant d’insultes au pauvre monde ici-bas qui souffre dans sa chair de cette dévastation industrielle de la planète. 

Et c’est sans surprise que nous voyons cet écologisme engendrer un extractivisme débridé -il suffit de voir l’arnaque de la voiture électrique, et il n’y avait même pas besoin d’attendre les frasques d’Elon Musk chargé de mission par le président des USA pour avoir envie d’incendier ces foutues bagnoles !  J’ai déjà parlé de tout ça dans « Istmeno, le vent de la révolte », à propos des « énergies renouvelables »… Et ce dispositif s’accompagne d’une perpétuelle moralisation dont les écolos urbains se font volontiers les agents. On est exactement dans l’optique libérale de l’individu souverain, supposé entièrement libre de choisir, alors même que la grande masse des petites gens n’a d’autre choix que se nourrir de malbouffe industrielle, boire de l’eau contaminée, respirer de l’air empoisonné et vivre dans des non-lieux bétonnés et asphaltés d’où tous rêvent de s’échapper. 

Ceci étant dit, dans les luttes de terrain s’opèrent des rencontres inattendues, et des gens que le spectacle politico-médiatique cherche à opposer se retrouvent côte à côte dans le même refus de projets écomonstrueux. Et c’est quelque chose de très intéressant. Parce que le dépassement de ces oppositions bornées est l’acte politique en soi, non au sens où les divergences seraient suspendues mais dans le sens où elles se trouvent projetées dans une autre dimension de la réalité. Les rackets écolos ne peuvent avoir aucune prise sur de telles dynamiques, qui ne se soucient aucunement de représentation.

Vous êtes assez critique de “la transition démocratique” de Nelson Mandela après l’apartheid en Afrique du Sud, est-ce que vous pouvez nous expliquer ?

Là où les conditions étaient réunies pour une révolution sociale, il a fallu se contenter d’une réforme politique. Et inévitablement les conflits de classe ont fini par ressurgir dans l’Afrique du Sud réformée, et de la pire des manières, à travers les manifestations, souvent violentes, contre les immigrés venus des pays voisins qui entraient en concurrence avec la main d’œuvre noire sud-africaine. La transition aura sauvé l’Afrique du Sud, en tant qu’État-nation, elle n’aura pas sauvé les Africains. Et avec tout sa phraséologie marxiste-léniniste, l’ANC aura simplement eu une pratique nationaliste : un scénario déjà vu dans d’autres parties du monde, et qui devrait donner à réfléchir à certains qui en sont encore à fantasmer sur Bandung…

LA GUERRE

Vous dites qu’on a été gouvernés “par la guerre durant la première moitié du siecle (…) et désormais on nous gouvernait par la crise” à partir 1973. Est-ce que vous vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là ? Est-ce que selon vous nous sommes toujours gouvernés par la crise aujourd’hui mais aussi peut-être de nouveau par la guerre ? 

Les deux sont étroitement liés : la guerre est une solution à la crise, comme ce fut le cas dans l’Allemagne des années 1930 où la politique de réarmement massif menée par les nazis a assuré le plein emploi. Et même les destructions causées par la guerre à l’appareil industriel sont un élément dynamique pour le capital : on a bien vu comment l’industrie allemande a dû complètement se reconstruire après-guerre, avec des installations et des équipements dernier cri tandis que les régions industrielles de France et de Belgique sont restées avec leurs usines et leurs machines vétustes. Et de fait aujourd’hui l’Allemagne est le pays d’Europe qui dispose de l’appareil industriel le plus important, quand la France et la Belgique ont fermé leurs haut-fourneaux et leurs chantiers navals. 

Pour revenir à la crise ouverte par le choc pétrolier de 1973-1974, mais qui fut bien plus largement une crise du système fordiste… Contrairement aux années 1930 où la crise s’est traduite par une course générale au protectionnisme -laquelle devait fatalement aboutir au choc des États-nations industriels d’Europe-, là ça se passe sur un fond de construction eurocratique et de libre-échange à l’intérieur de l’U.E. Donc la crise a bon dos… et ça n’a rien à voir avec une prétendue baisse tendancielle du taux de profit, axiome répété à l’infini par les marxeux de tout poil mais avec une reconfiguration d’ensemble du capitalisme en Europe, sur d’autres bases que celles des États-nations protectionnistes (et coloniaux, parce que le protectionnisme était aussi lié, dans le cas de la France, à l’existence d’un vaste empire colonial qui constituait un débouché pour les produits français : inversement, l’Allemagne qui avait perdu ses quelques colonies en 1918 et ne disposait donc d’aucun espace commercial ouvert partit dans ce délire de « Lebensraum », développé par les nazis, lequel conduit fatalement à des annexions puis des invasions militaires). Donc, construction d’un marché unique européen, et paix à l’intérieur de cet espace : la guerre est repoussée au dehors, parfois très près comme en Yougoslavie dans les années 1990, mais enfin les Européens de l’Ouest, eux vivent en paix, le service militaire finit même par être supprimé (on ne s’en plaindra pas !) alors qu’inversement les forces du maintien de l’ordre intérieur ne cessent de se militariser. 

Quand on a une armée, on doit s’en servir, c’est aussi simple que ça. Une armée qui ne fait jamais la guerre se rouille, et finit par perdre sa capacité opérationnelle. D’où l’intérêt pour des pays comme la France d’envoyer de temps à autre des troupes d’élites intervenir, ça et là… À la fois pour se montrer dans le spectacle des grandes puissances, même si c’est pour y tenir les seconds rôles, et pour renforcer ses capacités grâce au retour sur expérience. La guerre est toujours quelque chose de potentiel, elle constitue l’horizon de l’État, et il faut que régulièrement cette potentialité se réalise -le plus loin possible du centre de commandement. En outre, le rôle de l’industrie de guerre dans l’équilibre de la balance commerciale est bien connu : le matériel militaire constitue l’un des grands secteurs d’exportation de la France, et ces interventions servent à la fois à éprouver le matériel et à en assurer la promotion. 

Au fond, ce qui est scandaleux, ce n’est pas que les États fassent la guerre, c’est l’essence même de l’État. Ce qui est scandaleux, c’est la légitimation de la guerre. Car la guerre n’est pas seulement un acte de rivalité impérialiste entre États-nations, c’est dans le même mouvement une opération de maintien de l’ordre à l’intérieur des frontières de ces États, qui vise précisément à les fonder comme nation. C’est par le prix du sang que le fait d’être Français est devenu quelque chose de sacré, avec les deux guerres mondiales. Ensuite, il faut renouveler ce pacte du sang périodiquement, sauf qu’à présent cela se fait à travers des opérations spéciales, menées par des soldats professionnels : on imagine mal une guerre massive recourant à la conscription dans la France d’aujourd’hui. Les Français ne connaissent plus de la guerre que son spectacle. 

La différence entre les USA et l’Europe, c’est que les premiers, après s’être imposés comme la puissance mondiale par excellence, ont continué à se refonder par la guerre, l’exportant au dehors. On se souvient comment la première guerre du Golfe avait eu pour fonction d’effacer le souvenir si traumatisant de l’échec vietnamien… Et puis il y eut le consensus quasi-général d’après le 11 septembre -toujours le prix du sang. Et Trump a beau être anti-interventionniste, il s’est bien gardé de démanteler les innombrables bases militaires dont disposent les USA dans le monde, et dont l’entretien doit méchamment grever le budget du gouvernement… 

LES INSPIRATIONS

Vous vous êtes beaucoup intéressé, et vous en parlez dans le livre, aux “révoltes millénaristes” qui ont été assez ignorées ou méprisées par les marxistes. Vous pouvez nous expliquer ce dont il s’agit et pourquoi cela a suscité votre intérêt ?

Tous les marxistes n’ont pas ignoré ou méprisé les révoltes millénaristes : le marxisme aussi a eu ses hérétiques, par exemple Ernst Bloch avec son beau livre sur Thomas Münzer. Disons, pour faire court, qu’il s’agit des courants révolutionnaires qui se sont développés à l’intérieur du monde chrétien. Monde dont on peut dater la fin au XVIII° siècle -en Europe, les dernières tendances millénaristes s’expriment dans la révolution anglaise, soit en fin du XVII° siècle. Après, celles-ci se développent que sur d’autres continents, au Brésil comme en Chine à la fin du XIX° siècle, puis en Mélanésie tout au long du XX° siècle, chaque fois en réaction à l’irruption de la logique marchande venue d’Europe. 

Quand je parle de monde chrétien à propos de l’Europe d’avant, je ne parle pas d’un monde où il y a entre autres des chrétiens, -aujourd’hui, même les chrétiens les plus pratiquants ne vivent plus dans un monde chrétien, tout au plus ont-ils des habitus culturels en commun-, mais d’un monde qui est entièrement construit par la religion chrétienne, où toute la vie sociale baigne dans la religiosité et où cela ne fait pas l’objet d’un choix personnel car c’est quelque chose que l’on reçoit en venant au monde comme l’air que l’on respire et que l’on emporte avec soi dans son dernier soupir. La religion chrétienne est alors le langage du monde. Nous avons du mal à l’imaginer dans toute sa profondeur et toute son étendue parce qu’en Europe la religion ne fonctionne plus que comme une morale, fort rébarbative du reste. Le monde dans lequel surgissent les révoltes millénaristes n’est pas encore configuré par l’argent et la marchandise, et banquiers et marchands y sont encore considérés comme des intrus, comme des étrangers, par la masse des petites gens. Et ces derniers trouvent dans la Bible, telle qu’interprétée et déclamée par des prédicateurs révolutionnaires, de quoi légitimer leur révolte mais, plus encore, un certain nombre de promesses qui constituent un horizon d’attente : Omnia Sunt Communia

Nous avions trouvé dans ces mouvements l’esprit même du communisme, que ce soit dans les formes de vie clandestines des Frères du Libre Esprit qui ont irrigué toute une partie de l’Europe, ou sous la forme d’une véritable guérilla comme celle menée par les partisans de Fra Dolcino dans le nord du Piémont ou d’une cité idéale comme celle des Taborites en Bohème. Les uns comme les autres étaient inspirés, ignorant la séparation propre à l’époque moderne qui oppose un matérialisme utilitariste et un spiritualisme abstrait. Redécouvrir cela après un siècle de domination du matérialisme le plus vulgaire, c’était déjà en soi une expérience émouvante. Pour nous, héritiers de mai-juin 1968, il était clair que Dieu était mort depuis longtemps, mais nous pouvions comprendre qu’en d’autres temps cette idée ait pu animer des hommes et des femmes en révolte, et surtout nous pouvions ressentir l’exigence radicale qui les portait, celle de la communauté humaine.

LE DROIT DE VIVRE ET DE MOURIR

 Vous remerciez dans le livre les auteurs de Suicide mode d’emploi, qui fut interdit en 1989. Le droit au suicide c’est un thème qui est revenu avec le débat sur l’euthanasie. Est-ce que vous avez un avis sur ça ? La plupart des gens y sont favorables et en même temps on a aussi vu une critique qui s’inquiète de ce droit dans un monde qui fait de tous les gens improductifs au sens du capital, un poids pour la société ou leurs proches, et notamment les personnes handicapées ou invalides. 

Il va sans dire que je condamne absolument toute forme d’eugénisme, par exemple les stérilisations forcées visant les personnes handicapées ou invalides, qui sont encore tout à fait légales dans pas moins de quatorze pays européens. Une telle monstruosité n’a rien à voir avec le libre choix du suicide. Quand à la question de l’euthanasie, elle est effectivement assez délicate… Car si le suicide est une chose, relevant d’une décision individuelle prise en pleine conscience, l’euthanasie en est une autre, appliquée à des personnes ayant perdu toute capacité de décision, suite à une maladie ou un accident… Nous y sommes tous confrontés avec des proches, un jour ou l’autre.
Ce qui me frappe actuellement, c’est la multiplication des suicides de jeunes. On a connu ça jadis, dans le reflux de mai-juin 1968, mais là ça prend des proportions inédites, surtout après l’épisode covidesque. Et tandis que tant de jeunes décident de mourir avant d’avoir pleinement vécu, il y a une sorte d’acharnement médical auprès de vieillards manifestement éteints et qui ont eu largement le temps de faire leur vie pour le meilleur comme pour le pire. Et je pense que maintenir artificiellement en vie pendant des années quelqu’un qui mène une existence végétative est une absurdité. Je ne parle pas ici de personnes invalides ou handicapées, qui ont une vie, je parle de personnes grabataires, qui ont souvent perdu jusqu’à l’usage de la parole et sont réduits à l’état végétatif. En Sardaigne, il existait dans les villages, jusqu’à une date pas si éloignée, la figure de l’acabadora, une femme âgée dont c’était la fonction, chargée par les familles de mettre fin aux jours d’une personne agonisante, afin de lui épargner des souffrances inutiles. Elle disposait pour ce faire d’une sorte de marteau de bois. Ce qui fonctionnait dans un univers pastoral, où la rareté des ressources ne permettait de toutes façons pas de maintenir en vie indéfiniment une personne agonisante, serait évidemment impensable dans la société ultra-médicalisée où nous vivons… Mais défendre la vie en soi, lorsqu’elle se réduit à une existence totalement végétative, c’est du même ordre d’idées que l’argument des intégristes religieux s’opposant au droit à l’avortement au nom du respect de la vie. Le droit à quitter ce bas monde dignement devrait être imprescriptible.

LA SUITE 

Vous dites que “depuis deux siècles qu’un projet révolutionnaire hante la société occidentale, la question de l’organisation a toujours oscillé entre deux formes distinctes et mêmes opposées, celle de la conjuration et celle de l’assemblée”. Quelles sont ces deux formes et est-ce qu’on est toujours dans cette configuration ?

La conjuration, c’est le groupe fermé et électif qui s’organise en secret pour mener un coup d’État. S’il y a un précédent clairement communiste avec la Conjuration des Égaux de Gracchus Babeuf, en 1795, en plein épisode thermidorien, c’est surtout dans les années 1830 que se développe tout un courant républicain et socialiste : on le voit en Italie avec les Carbonari, en France avec les sociétés secrètes blanquistes. Certains de nos camarades se réclament actuellement de Blanqui : et il faut lui reconnaître le mérite d’avoir posé la question militaire, ce que personne d’autre n’a fait à l’époque. Mais il l’a fait précisément selon le schéma de la conspiration, et le fait est que toutes les tentatives insurrectionnelles des blanquistes ont été de tragiques échecs. Puis arrive la Commune, qui est une véritable insurrection populaire -le 18 mars n’est pas un coup préparé, c’est une émeute spontanée qui aboutit à une situation insurrectionnelle, et aucun groupe organisé n’a vraiment de rôle décisif dans le déroulement de cette journée. C’est donc un démenti de la vision militaro de Blanqui -qui du reste se trouve alors aux arrêts, Thiers l’ayant prudemment fait séquestrer par sa flicaille quelque temps avant. Les blanquistes parisiens ont évidemment un rôle important dans la Commune, une fois celle-ci déclarée, et plusieurs vont d’ailleurs mourir au combat, tel Gustave Flourens. C’est dans la dernière phase de l’insurrection qu’ils prennent en quelque sorte le leadership, profitant de la panique générale, à travers le Comité de Salut Public dont la référence jacobine est transparente. Et on voit d’ailleurs des comportements typiquement jacobins se reproduire, comme quand Raoul Rigault, chef de la sécurité, fait arrêter des gens comme Eugène Varlin ! Le plus triste, c’est qu’ils seront tous les deux assassinés par les Versaillais quelques jours après… Bref, on a dans la Commune cette tension entre l’option militariste et centraliste, portée par les blanquistes, et l’option, disons plus mouvementiste, portée par les gens de l’AIT (ndlr : Association Internationale des Travailleurs, fondée en 1864, première organisation internationale ouvrière, rassemblant socialistes, communistes et anarchistes, avant d’éclater en 1872). Quoi qu’il en soit, il est clair que la question militaire a été mal posée, par les uns comme par les autres. 

Attaque du 14 août 1870 de la caserne des pompiers de la Villette par les Blanquistes. Crédit : Par Dumont, Louis-Paul-Pierre (Paris, en 1822 – après 1880), graveur — CC0

On sait que Lénine, inspiré par cet épisode, y apportera sa réponse : un groupe de révolutionnaires professionnels, entièrement dévoués à l’objectif final, celui de s’emparer du pouvoir d’État -pour le briser, dit-il dans « L’État et la révolution », écrit durant l’été 1917, reprenant en cela l’analyse de Marx sur la Commune en 1871 dans « La guerre civile en France ». Donc octobre 1917, le coup d’État réussit, l’appareil tombe aux mains des bolcheviks et que font ces conjurés ? Loin de briser cet appareil, ils en font une véritable machine politico-militaire qui va très vite instaurer une « dictature sur le prolétariat » (selon l’expression de Karl Korsch), et notamment sur le prolétariat paysan, et étouffer toute voix divergente au sein du mouvement révolutionnaire. Tout cela est bien connu, même si nous assistons à présent à un come-back du léninisme sous des formes écologistes ou décoloniales qui font manifestement l’impasse sur les leçons de l’histoire : mais c’est le propre de l’idéologie d’être dans le déni de réalité, n’est-ce pas… D’autre part, il y a les soviets, nés spontanément en 1905 et qui ressurgissent en février 1917 -le mot russe pour dire « assemblée ». Ils ont fait tomber le régime tsariste en février et s’en suit une situation de double pouvoir, avec un régime bourgeois sous la direction de Kérensky et d’autre part les soviets qui n’entendent rien lâcher. Un double pouvoir ne peut jamais durer, et ce fut le génie politique de Lénine de brusquer le cours des événements en organisant un véritable coup d’État. Octobre 1917, c’est une conjuration qui réussit grâce à la participation active des soviets. Mais la conjuration une fois victorieuse se retourne contre eux, l’épisode final étant la liquidation du soviet de Cronstadt en 1921 qui marque irrévocablement la victoire de la contre-révolution bureaucratique sur le mouvement réel. On a donc, dans la révolution russe, le cas paradigmatique de cette tension entre la conjuration et l’assemblée, entre deux formes qui, à un moment donné, convergent pour renverser l’ancien régime puis divergent radicalement : les soviets sont réduits à une courroie de transmission du parti, ou sont liquidés. Là encore, c’est l’état de guerre qui prétend justifier, comme pour les jacobins de 1793, la centralisation autoritaire des pouvoirs. Dans le parti, qui est la forme institutionnelle de la conjuration, il n’y a pas de place pour la discussion -c’est d’ailleurs quelque chose que j’ai entendu récemment par des militants de la LFI, ce qui n’a rien de surprenant- au contraire de l’assemblée, du soviet lequel a, de plus, une dimension locale alors que le parti est délibérément une structure hors sol. C’est l’état d’exception généralisé, et qui évidemment n’est pas une simple phase transitoire mais finit par composer l’ossature de la société russe. A la fin de sa vie, Lénine, qui ne manquait pas de lucidité, dira que « finalement, nous n’avons fait que repeindre en rouge l’édifice tsariste ». 

Pour autant la question reste entière, et c’est pourquoi je l’ai posée sous cette forme dans mon récit. Nous étions un petit groupe affinitaire, où il était facile d’assumer une totale horizontalité. Que se passe-t-il dès qu »il s’agit d’un mouvement élargi, dans lequel des centaines et des milliers de personnes sont engagées ? Je vois bien qu’il y a actuellement des polémiques à ce sujet autour des Soulèvements de la terre, le mode de fonctionnement et d’organisation fait manifestement débat, au-delà même des habituelles rancunes qui hantent le milieu radical. 

Vous expliquez que votre groupe s’est dissous parce qu’il “n’arrivait pas à dépasser cette pure négativité” dont vous pressentiez qu’elle “finirait par” vous “vider de l’intérieur”, que “l’exaltation du négatif ne se convertissait pas en affirmation” mais que cela était aussi propre à une période historique. Donc plusieurs questions : qu’est-ce que vous entendez par “négativité” ? Est-ce que vous avez pu trouver ailleurs plus tard cet “envers positif du monde” ? Et est-ce qu’aujourd’hui on peut avoir un autre objectif que “survivre à une sale époque ?” C’est des questions qu’on se pose beaucoup à Frustration. Nos numéros papiers annuels se sont successivement nommés “Ce qu’il nous faudrait c’est une bonne révolution”, “Et maintenant on fait quoi ?” puis le dernier “Comment tenir ?

Os Cangaceiros s’est terminé, voici plus de trente ans, quand nous avons échoué à construire une position à partir de notre expérience -et cela allait bien au-delà de la simple question de rédiger un manifeste. Nous avons eu au moins la lucidité de prendre acte de cet échec. Du reste, je voudrais dire, à beaucoup de gens qui s’intéressent à cette aventure, que le fait d’y avoir mis fin est aussi important que l’aventure elle-même. Tout ce que nous avons fait et écrit est marqué du sceau de l’inachèvement, et assumé comme tel : je voudrais vraiment que les gens comprennent cela. Ce fut une tentative de communisation, qui a eu le mérite d’exister, et nous sommes heureux d’y avoir participé, mais ce ne fut qu’une tentative -comment aurait-il pu en être autrement ? S’il y a quelque chose à en tirer, c’est les limites sur lesquelles elle a buté, à partir de quoi il est possible de reprendre l’offensive. Mais en aucun cas cela ne doit être un modèle à suivre, pas plus cette expérience-ci que les autres. On peut s’en nourrir, mais il faut ensuite digérer. 

Je suis évidemment bien d’accord avec vous pour dire qu’il nous faudrait une bonne révolution. Je pense que nous devrions revenir sur les insurrections qui, de Tunis à Istambul, ont constitué un événement sans précédent. Sur la Syrie, il y a quelques documents déjà disponibles, produits par des camarades syrien(ne)s. Une chose est sûre, c’est que la question militaire se pose bien différemment qu’au XIX° siècle, où il suffisait que la foule empoigne les fusils pour renverser le pouvoir en place. Du côté des États, nous voyons s’opérer à une vitesse hallucinante une concentration de moyens technologiques de destruction face à laquelle nous sommes non seulement désarmés, mais carrément sidérés. Pourtant, tout peut être détourné de son usage initial, et il est grand temps d’y penser.

Un entretien réalisé par Rob Grams


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Rob Grams
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