« S’ils touchent à l’un d’entre nous » : Filmer la lutte et armer les travailleurs

En mars 2024, Frustration s’entretenait avec Christian Porta, délégué CGT et figure locale des luttes sociales en Moselle. À l’époque, il faisait face à une accusation de « harcèlement moral » par la direction de son usine agroalimentaire, Neuhauser. Une tentative de répression syndicale qui a déclenché un mouvement de grève massif parmi ses collègues. C’est cette mobilisation victorieuse que la réalisatrice Carol Sibony a choisi de documenter dans S’ils touchent à l’un d’entre nous, un film projeté cette semaine en présence de l’équipe.
Un documentaire militant assumé
Carol Sibony s’interroge sur la place des travailleurs de la culture dans les luttes sociales. Sa réponse : mettre son savoir-faire au service d’un combat. Dès le début, la réalisatrice assume son point de vue. Contrairement aux documentaires pseudo-équilibrés qui s’obligent à donner la parole à des patrons pour ne rien dire de plus que ce qu’ils disent déjà partout ailleurs, S’ils touchent à l’un d’entre nous choisit son camp. Il est produit par des militants, suit des militants et s’adresse à celles et ceux qui veulent lutter. On y découvre comment une lutte locale peut se transformer en affaire nationale, comment la solidarité financière permet de tenir une grève, et comment l’outil juridique, bien que nécessaire, ne suffit jamais sans rapport de force.
L’erreur serait de croire que, parce que les méthodes du patronat sont illégales, la justice et les magistrats se rangeront automatiquement du côté des travailleurs.
L’avocate Elsa Marcel y joue un rôle clé en tant qu’ »avocate de lutte », mais le film souligne que sans mobilisation massive, Porta aurait été licencié malgré toutes les décisions judiciaires en sa faveur. Elle insiste sur un point central : l’erreur serait de croire que, parce que les méthodes du patronat sont illégales, la justice et les magistrats se rangeront automatiquement du côté des travailleurs. Ce serait ignorer que ces institutions sont considérées par le patronat comme acquises, qu’elles ne sont pas neutres et que, sans rapport de force, elles ne se mettront pas en travers du chemin des puissants. Si les employeurs se permettent des méthodes aussi agressives, c’est bien parce qu’ils n’ont pas peur d’être rappelés à l’ordre par la justice. Plus c’est gros, mieux ça passe ! Cette conception politique du syndicalisme – un syndicalisme qui ne se contente pas de négocier des miettes mais qui cherche à transformer la société – est au cœur du propos. Christian Porta lui-même rappelle cette évidence : ne pas faire de politique, c’est laisser les patrons et leurs gouvernements la faire à notre place.
Un exemple de lutte collective
Dès le départ, le film se veut un outil de transmission : il illustre comment nationaliser un combat local, l’importance des alliances (notamment avec les luttes écologistes – Christian Porta participe par exemple dans le film à un rassemblement anti-méga-bassines) et le rôle des « avocats de lutte ». Le cas de Christian Porta n’est pas isolé. La répression syndicale connaît une intensification à l’échelle nationale, mais les grèves de solidarité victorieuses restent rares. Or, chez Neuhauser, sur les 250 travailleurs (cadres inclus), 185 salariés en CDI se sont mis en grève, donnant une ampleur considérable au mouvement.
Porta et son équipe ont également cherché à fédérer d’autres travailleurs réprimés, allant jusqu’à populariser l’expression : « Si tu me vires, on va te faire une Porta ».
Porta et son équipe ont également cherché à fédérer d’autres travailleurs réprimés, allant jusqu’à populariser l’expression : « Si tu me vires, on va te faire une Porta ». L’objectif ? Transformer un combat local en levier pour une mobilisation plus large. Un engagement qui a coûté cher à la direction : entre 5 et 6 millions d’euros dépensés pour tenter de licencier Christian Porta… en vain.
La lutte contre l’extrême droite sur le terrain
S’ils touchent à l’un d’entre nous offre aussi une lecture bien plus pertinente de l’extrême droitisation d’une partie des classes populaires de Moselle que des productions comme Jouer avec le feu dont on vous parlait déjà très récemment. Christian Porta raconte comment certains collègues votant RN ont reconsidéré les lois anti-immigration en réalisant qu’elles allaient impacter leurs propres collègues. Lors de l’échange avec la salle, Christian Porta témoignait également de soutiens inattendus : des travailleurs au discours initialement marqué par l’extrême droite n’ont pas hésité à défendre « le gauchiste » face à l’injustice, allant même jusqu’à rejoindre un cortège de la Pride. Le syndicaliste insiste : seule la lutte collective permet de faire reculer l’extrême droite dans les milieux populaires.
Lors de l’échange avec la salle, Christian Porta témoignait également de soutiens inattendus : des travailleurs au discours initialement marqué par l’extrême droite n’ont pas hésité à défendre « le gauchiste » face à l’injustice, allant même jusqu’à rejoindre un cortège de la Pride.
Un syndicalisme politique assumé
« Quel syndicalisme veut-on défendre ? » interroge Christian Porta. Pour lui, la réponse est claire : « Un syndicalisme politique qui cherche à transformer la société. » Pour lui, le syndicalisme est inévitablement politique : « Contester la réforme des retraites, c’est politique ! Si tu t’occupes pas de politique, la politique va s’occuper de toi ! »
Parmi les figures du film, Elsa Marcel, l’avocate de Christian Porta, rappelle, paradoxalement, l’importance de ne pas se limiter à l’action juridique. L’inspection du travail avait déjà jugé le licenciement illégal, et la bataille prud’homale semblait gagnée d’avance. Pourtant, la direction comptait sur l’isolement de Porta pour probablement lui proposer un chèque en échange de son départ. C’est là qu’intervient la dimension politique du combat. La victoire syndicale n’a pas été uniquement juridique : la pression collective a été décisive. Christian Porta et Elsa Marcel ont remporté 15 contentieux, mais sans le rapport de force, la direction serait peut-être arrivée à ses fins.
La lutte continue
L’histoire ne s’arrête pas à la fin du film. Depuis, trois collègues de Porta ont été licenciés, déclenchant de nouvelles mobilisations. Résultat : la direction a dû réintégrer l’un d’eux et verser des indemnités allant de 60 000 à 100 000 euros aux autres. L’offensive patronale se poursuit également sur d’autres fronts, avec une tentative de suppression des CSE d’établissement. Bref, la lutte continue et continuera toujours !
Farton Bink et Rob Grams
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