L’édition comme lieu de lutte : SHED Publishing 

Depuis 2020, la maison d’édition indépendante SHED Publishing s’est taillé une place singulière dans le paysage éditorial francophone. Portée par une démarche antiraciste, décoloniale, queerféministe et farouchement indépendante, SHED conçoit l’édition non comme une simple production de livres, mais comme un outil d’émancipation, de diffusion d’idées critiques et de mise en commun des savoirs minorés. En 2025, elle s’apprête à franchir une nouvelle étape importante : l’ouverture d’un lieu physique à Marseille.

Un catalogue comme boîte à outils pour penser et lutter

SHED Publishing, c’est aujourd’hui deux collections. « Arpentages », d’abord, qui propose des livres-outils ancrés dans des lectures collectives et critiques de nos espaces urbains. On y trouve trois livres-guides pour comprendre l’impact du colonialisme sur la ville : à Paris avec Françoise Vergès et Seumboy, à Bruxelles avec Nicholas Lewis et des acteur·ices de la scène antiraciste belge, et à Alger avec le collectif Ateliers d’Alger et l’historienne Samia Henni. Mais aussi Entrer en pédagogie antiraciste, coécrit avec des militant·es du syndicat Sud Éducation 93, un manuel dense, nécessaire, qui s’est rapidement imposé comme un incontournable pour quiconque cherche à lutter contre le racisme systémique dans l’institution scolaire.

Le 25 avril 2025, SHED Publishing publiera Une brève histoire de la transmisogynie, traduction inédite en français de l’essai percutant de l’historienne Jules Gill-Peterson,. Dans ce texte accessible et rigoureusement documenté, l’autrice propose une lecture matérialiste des violences subies par les femmes trans, en les replaçant dans l’histoire longue de la modernité coloniale et du contrôle des genres. De New York à la Nouvelle-Orléans, de l’Inde coloniale au Brésil, elle retrace les parcours souvent invisibilisés des « queens publiques » et autres figures trans féminines, pionnières des luttes LGBTQIA+ mais systématiquement marginalisées, y compris par ces mouvements eux-mêmes. Introduisant le concept de « transféminisation », Gill-Peterson analyse comment certaines formes de féminité — souvent racialisées et issues des classes populaires — deviennent les cibles privilégiées des politiques réactionnaires transphobes à l’échelle mondiale. Refusant les injonctions à la perfection identitaire, elle convoque les pensées de militantes sud-américaines pour ouvrir une brèche vers ce qu’elle appelle « le suffisamment bon » : une manière de vivre et lutter ici et maintenant, à partir de nos existences concrètes. Traduite par Mihena Alsharif et Nesma Merhoum, avec une préface de Mihena Alsharif cette publication s’inscrit dans la collection Arpentages et prolonge les engagements politiques et éditoriaux de SHED. SHED, c’est aussi « Dents de scie », une collection jeunesse qui, là encore, vient combler un vide. Son premier livre met en scène un petit garçon nord-africain — une première en France. Le second interroge la représentation muséale à travers une visite scolaire douce et joyeusement subversive. Loin d’un simple catalogue jeunesse, c’est une tentative de transmission d’outils critiques aux plus jeunes, avec une attention rare portée aux imaginaires.

Enfin, SHED co-dirige La Pastèque, un journal publié pour une Palestine libre, dans le cadre de la mobilisation internationale des éditeur·ices de Publishers for Palestine.

Une maison militante, collective, vivante

Derrière SHED, ce sont d’abord des personnes. Lydia Amarouche, qui en a eu l’idée pendant le confinement, et qui depuis porte le projet de A à Z — gestion, communication, coordination, tout y passe. À ses côtés, Laura Boullic, poétesse et chanteuse autodidacte, Nesma Merhoum, éditrice passée par AssiégéEs et Actes Sud, et Mihena Alsharif, autrice, podcasteuse, et chercheuse en anthropologie ayant travaillé sur les spoliations coloniales et les restitutions d’œuvres pillées dans l’ancien royaume du Dahomey. Ensemble, elles ont inventé leurs pratiques, bâti une charte d’écriture multigenre, et accompagné chaque auteur·ice avec une attention qui relève de ce qu’elles appellent l’« amour révolutionnaire ».

Bientôt, un lieu à Marseille

Aujourd’hui, SHED veut aller plus loin : ouvrir un espace à Marseille. Un lieu physique pour continuer à éditer, mais aussi pour accueillir des expositions, des débats, des projections, des discussions, des lectures, des rencontres. Un espace de création, de transmission, de réflexion politique et artistique, à la croisée des luttes antiracistes, féministes, queer, décoloniales.

Le local est trouvé. Il est en plein cœur de Marseille, chaleureux, prometteur — mais encore à aménager. Pour rendre ce lieu praticable, SHED a lancé une campagne de financement participatif, avec un objectif de 20.000 €.

C’est une démarche cohérente avec l’ADN de la maison : créer un lieu communautaire, autonome, durable, pensé comme point d’ancrage pour celles et ceux qui pensent, créent, luttent — ici et ailleurs.

Un appel à soutien

Depuis le début, SHED fonctionne sans salarié·es, dans une logique de bénévolat et d’autofinancement, en cumulant les boulots à côté. Leur démarche exigeante, militante, précieuse, mérite d’être soutenue — parce que les idées qu’elles défendent le méritent, et parce que l’espace qu’elles ouvrent est celui dont beaucoup d’entre nous ont besoin. Dans un contexte politique de plus en plus étouffant, créer des lieux pour penser autrement, pour se retrouver, pour s’organiser, c’est résister. Et ce n’est pas qu’une belle formule : c’est une nécessité.
Shed publishing est « shadowban » (rendu invisible par les algorithmes) sur Instagram en raison de son engagement pour la Palestine : chaque relais, chaque partage, chaque don, est d’autant plus crucial pour faire vivre leur campagne.

👉 https://www.helloasso.com/associations/shed-publishing/collectes/gg