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Pape François (1936-2025) : un pape progressiste dans une Église conservatrice

pape françois

Le Pape François est décédé le 21 avril 2025, lundi de Pâques. Avec lui, une partie du mouvement social, écologiste, pro-palestinien et du soutien aux réfugiés, perd un allié inattendu et de poids, qui a tenu des positions très éloignées de celles de la bourgeoisie catholique d’extrême droite française. Un pape restant un pape et l’Eglise catholique restant l’Eglise catholique – cela n’a bien sûr pas empêché des positions aussi conservatrices sur d’autres sujets.

Un pape argentin et jésuite

Le Pape François, dont le nom vient de Saint François d’Assise, aura marqué la période la plus progressiste de l’Eglise depuis Vatican II (1962-1965), un concile qui s’était ouvert sous Jean XXIII et qui s’était terminé sous Paul VI et qui avait réformé l’Eglise catholique afin de l’ouvrir au monde moderne, aux questions sociales et à favoriser le dialogue avec les autres religions et les non-croyants. 

Le Pape François a incarné un changement majeur dans la géographie catholique : le passage du pôle de gravité du christianisme de la vieille Europe vers le Sud global.

Le Pape François a incarné un changement majeur dans la géographie catholique : le passage du pôle de gravité du christianisme de la vieille Europe vers le Sud global. Pape François fut le premier pape non-européen de l’époque moderne et le premier pape originaire d’Amérique latine. Ce n’est pas un hasard : le catholicisme s’est beaucoup développé en Amérique latine et en Afrique tandis qu’il décline en Europe. C’est une des explications de ce retour vers l’intérêt envers les pauvres. 

L’Amérique latine a notablement été marquée par la théologie de la libération, courant des années 1960 qui lisait l’Evangile à partir des luttes des pauvres et des opprimés et appelant à leur émancipation sur Terre. 

Sans être de ce courant, Pape François fut toutefois le premier pape jésuite de l’Histoire, c’est-à-dire issu de la Compagnie de Jésus, un ordre religieux fondé par Ignace de Loyola au XVIe siècle qui se distingue par une approche pastorale tournée vers les démunis (justice sociale, accompagnement des marginalisés, engagement auprès des pauvres). Les jésuites sont également formés à vivre avec sobriété : le Pape François aura ainsi refusé les signes extérieurs de pouvoir comme les chaussures rouges ou l’appartement papal luxueux. 

Le refus des kermesses des dominants

Ce retour aux pauvres, Pape François aura essayé de l’incarner en refusant les grandes kermesses des dominants. 

Le dernier exemple le plus remarquable aura été son refus de venir à la réouverture de Notre Dame de Paris aux côtés de Trump, Macron, et Bernard Arnault pour préférer aller à Ajaccio pour une messe populaire. 

“Entre Paris et la Corse, il n’y a pas photo. La Corse coche toutes les cases. (…) C’est une périphérie. Il met le centre aux périphéries et les périphéries au centre. »

Constance Colonna-Cesari, journaliste spécialiste du Vatican, pour France Inter

Constance Colonna-Cesari, journaliste spécialiste du Vatican précisait à ce moment-là : “Entre Paris et la Corse, il n’y a pas photo. La Corse coche toutes les cases. (…) C’est une périphérie. Il met le centre aux périphéries et les périphéries au centre. C’est une île et il les a quasiment toutes faites, Lesbos, Lampedusa, etc. Ce ne sont pas des îles touristiques. Il ne va pas aux Baléares. Il va là où l’église peut se déployer, comme un hôpital de campagne, dans les périphéries géographiques existentielles, là où les gens souffrent

L’écologie : un problème de modèle économique et social

Le Pape François avait montré une compréhension assez fine de la catastrophe environnementale et placé l’écologie au cœur de son pontificat. Dans son encyclique (une lettre officielle écrite par le pape, adressée aux évêques et souvent à tous les fidèles, pour donner un enseignement sur une question importante de foi, de morale ou de société) Laudato si’ publiée en 2015, il appelait à une “écologie intégrale”, refusant d’isoler ce sujet des autres et rappelant que “tout est lié” : crise environnementale, sociale, économique. Il y dénonçait “la logique de l’exploitation et l’égoïsme” et invitait à une “conversion écologique” des systèmes économiques et du rapport à la nature. 

Critique du capitalisme 

Sans être, évidemment, anticapitaliste, le Pape François aura toutefois formulé des critiques très vives du capitalisme. 

« Personne n’est scandalisé si je bénis un entrepreneur qui exploite potentiellement des gens, et cela est un péché très grave. Alors que si je bénis un homosexuel, des gens sont choqués… C’est de l’hypocrisie ! »

Pape François en février 2024

Il avait ainsi dénoncé une finance qui “piétine les gens”, et encourage la guerre, un système économique profondément inégalitaire qui traite les pauvres comme des “déchets”. Il défendait un accès plus équitable aux richesses, s’en était pris aux multinationales pratiquant les délocalisations pour exploiter des travailleurs moins chers. Pape François appellait également à l’annulation des dettes qui enrichissent les pays riches au détriment des pays pauvres. 

En février 2024, il dénonçait l’hypocrisie de ceux qui acceptent qu’il bénisse des “entrepreneurs véreux” mais pas des homosexuels : « Personne n’est scandalisé si je bénis un entrepreneur qui exploite potentiellement des gens, et cela est un péché très grave. Alors que si je bénis un homosexuel, des gens sont choqués… C’est de l’hypocrisie ! »

Favorable à l’accueil des réfugiés

Alors que les catholiques français se sont massivement tournés vers l’extrême droite (RN et Zemmour), extrêmement hostile à l’immigration et aux réfugiés, le Pape François n’aura eu de cesse de défendre leur accueil, leur protection et leur intégration. 

«  La Méditerranée et la mer Égée sont devenues un cimetière insatiable, une image de notre conscience insensible et endormie”

Pape François en 2016

En juillet 2013, pour son premier voyage hors du Vatican, il s’était rendu à Lampedusa, refusant de voir la Méditerranée devenir un “cimetière” («  La Méditerranée et la mer Égée sont devenues un cimetière insatiable, une image de notre conscience insensible et endormie” déclarait-il en 2016), critiquant “la mondialisation de l’indifférence”. Dans les années qui avaient suivies, il avait fait de l’accueil des migrants un “devoir chrétien” et des politiques de rejet “un péché grave”. Pour lui il ne s’agissait pas que de déclarations de vertu abstraites : en 2015 il avait demandé « que chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d’Europe accueille une famille » de réfugiés. 

“Un ami fidèle du peuple palestinien”

Pendant que le camp occidental s’est largement vautré dans le soutien à Israël et au massacre des Palestiniens, Pape François n’a eu de cesse de dénoncer les horreurs à Gaza.

Il avait condamné la “cruauté” des frappes israéliennes, puis parlé de “terrorisme” les concernant, refusant les condamnations à géométrie variable que l’on a vu fleurir depuis presque deux ans. 

Le Pape François au Vatican, le 7 décembre 2024 (photo par Reuters/Remo Casilli)

Dans son livre L’espérance ne déçoit jamais. Pèlerins vers un monde meilleur, publié en novembre 2024, il écrivait que « selon certains experts, ce qui se passe à Gaza présente les caractéristiques d’un génocide », déclenchant des réactions extrêmement hostiles du gouvernement israélien. Il avait enfoncé le clou un mois plus tard, en décembre 2024, en inaugurant une crèche au Vatican avec l’enfant Jésus sur un keffieh, le foulard traditionnel des Palestiniens. Cette crèche était l’œuvre du Comité présidentiel supérieur pour les affaires de l’Église en Palestine, organe de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et de l’ambassade palestinienne au Vatican. L’OLP en avait profité pour redire sa « profonde gratitude au pape pour son soutien indéfectible à la cause palestinienne et ses efforts inlassables pour mettre fin à la guerre contre Gaza”. 

Presque déjà mourant, en février, alors qu’il était hospitalisé, c’est pour Gaza qu’il adressait ses rares paroles et ses prières. À peine sorti de son hospitalisation, il appelait à la fin “immédiate” des frappes israéliennes. 

« Selon certains experts, ce qui se passe à Gaza présente les caractéristiques d’un génocide »

Pape François dans L’espérance ne déçoit jamais. Pèlerins vers un monde meilleur (novembre 2024)

En réaction à son décès, Mahmoud Abbas a salué “un ami fidèle du peuple palestinien”. 

Le scandale des crimes sexuels dans l’Eglise

Depuis vingt ans, des révélations de crimes sexuels massifs, souvent pédocriminels, parfois organisés et souvent couverts par la hiérarchie ecclésiale, se sont succédées. 

En 2019, le Pape François avait levé le secret pontifical dans les cas de violences sexuelles et d’abus sur mineurs commis par des membres du clergé.

Après avoir demandé pardon au nom de l’Eglise, ce qui marquait une reconnaissance importante, Pape François a mené sur ce sujet un certain nombre d’actions. En 2019, le Pape François avait levé le secret pontifical dans les cas de violences sexuelles et d’abus sur mineurs commis par des membres du clergé. Il avait changé le droit canonique afin de rendre obligatoire le signalement de tout soupçon d’agression sexuelle. Les diocèses sont désormais obligés de mettre en place des lieux spécifiques pour recevoir les plaintes. 
Enfin, il avait créé des instances de réparation comme la Commission Reconnaissance et Réparation.

Toutefois de nombreuses victimes ont également dénoncé un manque de transparence, une absence de compréhension des causes systémiques, des méthodes inadaptées et des formes de mise en scène non suivies des faits. Sur ce thème, Pape François n’aura pas été aussi radical que sur d’autres combats et sûrement pas à la hauteur du mal commis. 

Des avancées sur les LGBTQ+ mais peu de progrès sur la place des femmes et la laïcité 

Alors que le catholicisme est un des vecteurs majeurs de l’homophobie dans le monde, que ce soit en Europe – La Manif pour Tous, mouvement de masse homophobe était largement catholique, encouragé, organisé et subventionné par l’Eglise – en Afrique ou en Amérique latine, Pape François aura tenté de mettre à distance cette obsession homophobe d’une grande part de la population catholique en appelant à un meilleur accueil des “fidèles LGBT”. 

Pape François aura tenté de mettre à distance cette obsession homophobe d’une grande part de la population catholique

En 2024, il avait autorisé la bénédiction des couples homosexuels, créant une large fronde au sein même de l’Eglise catholique. 

Par ailleurs, le pape aura accueilli régulièrement des groupes de personnes transgenres dans des audiences générales au Vatican, pour notamment entendre leurs témoignages et discuter de leur accueil dans l’Eglise et déclarant que “dans l’Église, il y a de la place pour tous”. En novembre 2023, il avait fait préciser par le Vatican qu’elles pouvaient recevoir le baptême et être parrains ou marraines. 

Le pape aura accueilli régulièrement des groupes de personnes transgenres dans des audiences générales au Vatican

Malgré ces avancées, le chemin reste long puisque l’homosexualité est toujours considéré comme un “péché” par l’Eglise et Pape François sera resté opposé au mariage homosexuel. Il avait lui-même proféré des insultes homophobes.  

Sur d’autres sujets, le Pape François sera resté conservateur ou réactionnaire. Il n’y aura pas eu, pendant son pontificat, de changements majeurs sur la conception patriarcale de l’Eglise, sur l’avortement ou la contraception. Lors des attentats contre Charlie Hebdo, celui-ci avait tenu des propos très ambigües semblant en faveur de l’interdiction du blasphème, déclarant que celui qui insultait sa mère pouvait “s’attendre à un coup de poing”. 

Il n’y aura pas eu, pendant son pontificat, de changements majeurs sur la conception patriarcale de l’Eglise, sur l’avortement ou la contraception

La mort du Pape François marque la fin d’un pontificat à bien des égards exceptionnel. Pris dans les contradictions inhérentes à l’institution qu’il dirigeait, il aura pourtant ouvert des brèches inattendues dans l’édifice rigide de l’Église catholique. En assumant une parole critique sur le capitalisme, en défendant les réfugiés, les opprimés et les exclus, en tendant la main aux personnes LGBTQ+ et en dénonçant les massacres commis par Israël à Gaza, il s’est placé là où peu l’attendaient, surtout en France où la bourgeoisie catholique se range massivement dans le camp de la fascisation. Sans être une révolution, le Pape François aura pris des positions rares et courageuses, assez pour que sa disparition laisse un vide. Esperons que ce souffle venu du Sud survivra à celui qui l’incarnait.


Photo de couverture : Pape François en juillet 2015 aux côtés d’Evo Morales (Reuters)

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Rob Grams
Rob Grams
Rédacteur en chef adjoint
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