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Pourquoi la France veut reconnaître une Palestine démilitarisée ?

démilitarisation

Le 24 juillet 2025, Emmanuel Macron a annoncé la reconnaissance de la Palestine par la France en septembre prochain. Une décision symbolique lourde, qui a entraîné un lever de boucliers immédiat de la diplomatie israélienne, Benjamin Netanyahou y voyant un « soutien au terrorisme ». Mais que signifie réellement cette décision d’Emmanuel Macron, dont les modalités n’augurent rien de durable pour la Palestine ?

S’agissant de la Palestine, la diplomatie française cherche toujours un point d’équilibre entre la position étasunienne et celles des pays arabes. Mais cela ne signifie pas que la France cherche la « paix » au Moyen-Orient, comme le prétend Emmanuel Macron dans son communiqué, bien au contraire.

L’annonce d’Emmanuel Macron s’agissant de la reconnaissance de la Palestine

Depuis 1947, la position française sur la question palestinienne oscille entre déclarations de principe et realpolitik impérialiste. Si Paris a voté pour la partition de la Palestine à l’ONU, elle n’a jamais condamné la Nakba ni les expulsions massives de Palestiniens en 1948. Pire : lors de la crise de Suez en 1956, la France s’allie militairement à Israël contre l’Égypte de Nasser, figure majeure des luttes anticoloniales arabes. Le tournant gaullien de 1967, souvent cité comme preuve d’un rééquilibrage, reste largement symbolique : la France critique la guerre préventive israélienne, mais continue d’entretenir des liens stratégiques avec Tel-Aviv. Dans les décennies suivantes, Paris adopte une ligne ambivalente : reconnaissance de l’OLP, discours en faveur d’un État palestinien.. tout en refusant concrètement de le reconnaître et en condamnant rarement l’occupation. Pendant les années 1990, la France s’inscrit pleinement dans le processus d’Oslo, cautionnant une paix asymétrique qui entérine la fragmentation du territoire palestinien. Au fil des Intifadas et des guerres contre Gaza, elle invoque la « violence des deux camps », mettant dos-à-dos colons et colonisés, tout en s’abstenant de toute mesure concrète contre l’occupation israélienne.

Solidarité coloniale

Ces dernières années, l’alignement de la France s’est affirmé de manière plus nette : sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, elle criminalise les campagnes de boycott (BDS), interdit des manifestations pro-palestiniennes et s’aligne de plus en plus sur les positions israélo-américaines. En 2024, elle va jusqu’à refuser de soutenir la Cour pénale internationale lorsqu’elle émet des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a survolé la France les 2 et 9 février ainsi que les 6 et 8 avril dans le cadre de déplacements vers Washington.

La France n’a pas respecté le mandat d’arrêt de la CPI contre Benjamin Netanyahu en acceptant le survol de son territoire par ce dernier

Cette attitude traduit une constante : la France, une ex-puissance coloniale dont la diplomatie s’est construite autour de cette matrice, continue de soutenir, par calcul stratégique, le projet colonial israélien.

Derrière les discours diplomatiques, le soutien à l’occupation se maintient, au détriment du droit international et des peuples, allant jusqu’à des livraisons d’armes au gouvernement de Netanyahou en plein génocide des Palestiniens. En mars 2024, Disclose et Marsactu ont révélé que la France avait autorisé l’exportation de liens de munitions destinés à Israël, utilisés notamment pour assembler des cartouches pour mitrailleuses, via la société Eurolinks à Marseille. En 2025, trois expéditions ont été bloquées par des grévistes portuaires CGT du port de Marseille‑Fos. Ces cargaisons comprenaient des composants d’armes pour mitrailleuses Negev 5, fabriqués par Eurolinks, destinés à Israël via Haïfa. Les grévistes ont refusé de les charger, dénonçant la complicité française dans les violences à Gaza.

Le piège de la démilitarisation

Parler de « démilitarisation » dans un contexte où l’oppresseur est une puissance nucléaire ultra-armée et l’oppressé un peuple occupé revient à neutraliser le seul levier de dissuasion ou de résistance que ce peuple peut encore déployer. Cette exigence ne s’appliquerait qu’à la Palestine, jamais à Israël, perpétuant ainsi une asymétrie coloniale : l’un a une armée, des drones, des avions de chasse ; l’autre ne devrait avoir ni armes ni autodéfense.

Tank israélien Merkava Mark 4 en 2022 (Crédit : Nehemia Gershuni-Aylho www.ngphoto.biz, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons) – L’armée coloniale israélienne est surarmée.

En réalité, ce que la France appelle un « État palestinien démilitarisé », c’est un bantoustan : ces territoires pseudo-indépendants créés par le régime d’apartheid sud-africain pour y cantonner la population noire tout en lui refusant la citoyenneté. Une Palestine démilitarisée impliquerait une tutelle israélienne, sans souveraineté sur ses frontières, son ciel ni sa sécurité. Historiquement, les accords comme Oslo ont déjà tenté d’imposer une police palestinienne désarmée chargée de contenir son propre peuple, tandis qu’Israël poursuivait la colonisation. Or, la résistance palestinienne, y compris armée, est protégée par la résolution 37/43 (1982) de l’ONU, qui reconnaît aux peuples colonisés le droit de lutter pour leur libération.

Utilisant le Hamas comme épouvantail, la France cherche à élargir à l’ensemble des territoires palestiniens le régime d’apartheid déjà subi par les populations arabes vivant sous domination israélienne. Ce coup diplomatique, bien que symbolique, entraînerait la généralisation d’un ordre inégal et la légitimation des incursions coloniales. Quelques jours après le vote de la Knesset demandant l’annexion de l’ensemble de la Cisjordanie, la voie du désarmement ressemble à celle du renoncement.

Une reconnaissance sous des conditions illégales

En annonçant la reconnaissance de l’État de Palestine, Emmanuel Macron prétend s’inscrire dans une tradition française de « paix juste ». Mais sa déclaration révèle surtout une vision néocoloniale de la souveraineté palestinienne. Le président conditionne cette reconnaissance à la démilitarisation du Hamas et à la pleine reconnaissance d’Israël, tout en appelant à « bâtir » un État palestinien. Or, selon le droit international, la souveraineté est un droit inaliénable des peuples colonisés (résolutions 1514 et 2625 de l’ONU), et non un privilège octroyé sous conditions.

Miradors et mur de séparation israélien autour du village palestinien de Kalandia en Cisjordanie. Crédit : L-BBE, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

La référence constante à la sécurité d’Israël, sans mention de l’occupation militaire, des colonies illégales (résolution 2334) ou du droit au retour des réfugiés (résolution 194), vide cette reconnaissance de sa substance politique. En omettant les termes de colonialisme, apartheid (qualifié tel quel par Amnesty International et Human Rights Watch), blocus illégal ou même génocide, Macron adopte une rhétorique d’« équilibre » qui nie les rapports de force. Il place oppresseur et opprimé sur le même plan, effaçant le cadre colonial du conflit. Enfin, son insistance sur les « engagements du président de l’Autorité palestinienne » trahit l’ambition de voir émerger un État fantoche, qui subira les foudres des puissances occidentales en cas de contestation trop virulente du colonialisme israélien.

Macron ne reconnaît pas la Palestine comme un sujet politique libre, mais comme une entité subalterne, à désarmer et à normaliser. Ce n’est pas une avancée vers la justice, c’est une opération diplomatique de stabilisation coloniale, maquillée en paix. Dans un contexte où chaque jour nous parviennent des images de Gazaouies dont la mort oscille entre la famine et les bombes, et de nouvelles incursions violentes en Cisjordanie, cette reconnaissance peut servir au mieux de levier temporaire, mais elle n’entraînera aucun changement concret pour les Palestiniens, qui continueront à subir les horreurs du colonialisme. Car les massacres en cours n’ont pas commencé le 7 octobre 2023 : ils s’inscrivent dans une continuité politique de plus de 75 ans.


Amine Snoussi – Auteur et journaliste de formation – Droits humains et démocratie – MENA

Photo d’illustration : Le F-35l Adir, chasseur-bombardier utilisé par Israël pour les bombardements de la bande de Gaza. Crédit : Domaine public

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