Que penser des “révélations” sur LFI ?

Depuis quelques mois, il y a rarement une semaine sans qu’une nouvelle polémique contre LFI (La France Insoumise) et son dirigeant, Jean-Luc Mélenchon, ne fasse le tour des médias. Ce parti serait “antisémite”, il chercherait à séduire un “électorat des banlieues”, il mettrait le chaos à l’Assemblée Nationale et empêcherait la sacro-sainte “union de la gauche”. A tel point qu’il était difficile pour nous d’être surpris quand a été annoncée la sortie d’une “enquête” peuplée de “révélations” sur LFI. Et pourtant : tous les grands médias se sont jetés sur ce livre “choc” et on fait des violences (verbales) à la FI le grand sujet de la semaine. “C ce soir” y a consacré une émission entière, la matinale de France Inter a immédiatement invité les deux auteurs, CNews et BFM TV ont tourné en boucle, Libération et le Monde se sont lancés à corps perdus dans la mission de révéler l’ampleur de la méchanceté de Mélenchon, toute la presse de droite évidemment mais aussi, plus étonnant et un poil consternant, des médias indépendants comme Mediapart, Regards ou Off Investigation. Bref, toute une meute médiatique s’est lancée à l’assaut de la France Insoumise, souvent pour paraphraser le livre et exprimer tour à tour son indignation. Pourtant, cette même semaine, le gouvernement israélien annonçait sa volonté d’en finir avec la population palestinienne de Gaza, en France on apprenait qu’un enfant apprenti de 15 ans, Lorenzo, décédait d’un accident de travail ou encore le lien entre la hausse terrifiante des cancers du pancréas et l’usage de pesticides en agriculture. Mais ces sujets n’ont pas autant tourné en boucle dans les journaux, TV et radios que les témoignages de petites phrases perfides de Jean-Luc Mélenchon et de certains cadres de la FI. Pourquoi une telle attention ? Est-ce que cette violence interne à LFI ne mérite tout de même pas notre indignation ?
Tous les grands médias se sont jetés sur ce livre “choc” et on fait des violences (verbales) à la FI le grand sujet de la semaine. “C ce soir” y a consacré une émission entière, la matinale de France Inter a immédiatement invité les deux auteurs, CNews et BFM TV ont tourné en boucle, Libération et le Monde se sont lancés à corps perdus dans la mission de révéler l’ampleur de la méchanceté de Mélenchon, toute la presse de droite évidemment mais aussi, plus étonnant et un poil consternant, des médias indépendants comme Mediapart, Regards ou Off Investigation.
Le livre dont est issu l’emballement médiatique autour de la France Insoumise a été écrit par deux journalistes et rassemble des dizaines de témoignages de personnes qui sont passées ou sont toujours présentes dans ce mouvement. On y apprend des choses qu’on savait souvent déjà, quand on connaît ou qu’on s’intéresse un peu à la politique politicienne : les gens ont des comportements brutaux les uns avec les autres, à base de menaces, d’exclusions et d’insultes. Dans l’orbite de Jean-Luc Mélenchon s’est organisée une société de cour dans laquelle on peut tomber en disgrâce, en fonction de son attitude et de ses propos. Autour de lui gravitent des dizaines de personnes qui dédient leur vie à la politique et nourrissent des espoirs, notamment pour lui succéder ou occuper des fonctions importantes. Les personnes sont d’autant plus fragiles, dans cet environnement, qu’elles souhaitent y parvenir. Lorsque leurs espoirs sont déçues, elles en souffrent.
Il ne faut pas nier la souffrance psychologique qui règne certainement dans ce mouvement politique. Jean-Luc Mélenchon ne semble pas vouloir passer le flambeau et cela a généré de profondes frustrations dans son cercle historique, constitué de personnes de plus de 50 ans, qui se sentent dépossédées de leurs rôles d’héritier au profit d’une plus jeune génération de trentenaires et quarantenaires. Le livre dresse des portraits de “lieutenants” froids et cyniques, d’opposants internes exclus de façon plus ou moins brutale, de conflits inter-personnels qui ne semblent en rien liés à des motifs politiques… Et ces anecdotes sont relayés par des ex-cadres de la FI comme Raquel Garrido ou Alexis Corbière qui, en leur temps, étaient des militants sectaires, volontiers autoritaires et en aucun cas critique d’un fonctionnement dont ils ont largement bénéficié.
Cette même semaine, le gouvernement israélien annonçait sa volonté d’en finir avec la population palestinienne de Gaza, en France on apprenait qu’un enfant apprenti de 15 ans, Lorenzo, décédait d’un accident de travail ou encore le lien entre la hausse terrifiante des cancers du pancréas et l’usage de pesticides en agriculture. Mais ces sujets n’ont pas autant tourné en boucle dans les journaux, TV et radios que les témoignages de petites phrases perfides de Jean-Luc Mélenchon et de certains cadres de la FI.
Maintenant qu’on a relevé tout ça, une question se pose : cette violence interne est-elle le propre de la France Insoumise ? Cette formation politique se tiendrait-elle en tête de la gauche et avec une influence idéologique certaine sur le pays grâce à une violence particulièrement exacerbée ? Ou bien est-ce le lot de tous les partis politiques ?
Ce serait particulièrement malhonnête de nier cette dernière assertion. La politique est un monde violent, car il rassemble des gens ambitieux, qui aspirent à la prétention de représenter leurs semblables et doivent s’affronter pour un nombre de place extrêmement limitées : quelques centaines de postes de députés et, en cas de victoire électorale, deux dizaines de postes de ministre et un seul poste de président de la République. La politique à gauche est un monde violent car il met dans un même lieu des gens qui ont des idées plus ou moins affirmées de ce qu’il conviendrait de faire, face à une adversité de plus en plus importante, et sont en désaccords pour cela. Plus le contexte politique et social est difficile pour la gauche, plus la violence qui y règne augmente. Si l’on ne choisit pas de réguler la violence ou de la prendre à bras le corps, ça ne peut que mal se passer.
Dans l’orbite de Jean-Luc Mélenchon s’est organisée une société de cour dans laquelle on peut tomber en disgrâce, en fonction de son attitude et de ses propos. Autour de lui gravitent des dizaines de personnes qui dédient leur vie à la politique et nourrissent des espoirs, notamment pour lui succéder ou occuper des fonctions importantes.
Et ça se passe mal… partout ailleurs. En 2016, Emmanuel Macron a fondé un mouvement politique qui porte ses initiales, entièrement tourné autour de sa personnalité et dont les militants étaient réduits au rôle de “helpers”, chargés d’applaudir durant ses meetings particulièrement ennuyeux. Ensuite, il a distribué les postes de députés selon le fait du prince, sans la moindre consultation locale, en propulsant de parfaits inconnus sur la scène politique, selon son bon vouloir. Depuis, le parti présidentiel ne s’intéresse plus à ce que pensent ses militants et, plus grave, il passe systématiquement outre l’avis des français : d’abord en s’asseyant sur les consultations organisés après le mouvement des gilets jaunes, ensuite en faisant passer de force une réforme des retraites contre l’avis de 90% des salariés de ce pays, puis, cerise sur le gateau, en contournant le résultat des élections législatives qu’il avait lui-même déclenché, en nommant un premier ministre de droite alors que la gauche était en tête et depuis, en continuant de gouverner, dans l’indifférence médiatique quasi-générale.
La politique est un monde violent car il rassemble des gens ambitieux, qui aspirent à la prétention de représenter leurs semblables et doivent s’affronter pour un nombre de place extrêmement limitées. La politique à gauche est un monde violent car il met dans un même lieu des gens qui ont des idées plus ou moins affirmées de ce qu’il conviendrait de faire, face à une adversité de plus en plus importante, et sont en désaccords pour cela. Si l’on ne choisit pas de réguler la violence ou de la prendre à bras le corps, ça ne peut que mal se passer.
A la droite et à l’extrême-droite, les partis fonctionnent comme des clans, une famille dans le cas des Le Pen, sans que ça n’émeuve grand-monde. On pourrait dire que ce n’est pas surprenant venant de la droite et du fascisme, alors que c’est contradictoire quand on se dit de gauche. Certes.
Alors comment ça se passe en dehors de la FI ? Raphaël Glucksmann, le candidat de gauche libérale chouchou des médias, règne d’une main de fer sur son parti, Place Publique, que sa cofondatrice Claire Nouvian, qui est parti rapidement après sa création, décrit comme un lieu tenu par « de petits arrivistes médiocres et infréquentables ». « Il n’y a pas de consultations en interne : la position de Place publique, c’est celle de Glucksmann » résume une ex-militante interrogée par Blast, qui a publié une enquête sur les purges et les atteintes à la démocratie interne, pourtant mise en avant par le parti.
Raphaël Glucksmann, le candidat de gauche libérale chouchou des médias, règne d’une main de fer sur son parti, Place Publique. « Il n’y a pas de consultations en interne : la position de Place publique, c’est celle de Glucksmann » résume une ex-militante interrogée par Blast
Moins à droite, François Ruffin bénéficie de la bienveillance médiatique depuis qu’il a pris ses distances avec la France Insoumise. Plus modéré qu’elle, très évasif sur la question palestinienne, celui qui n’hésitait pas à s’afficher à l’Assemblée nationale, en 2017, avec un maillot de foot, s’est assagi, notamment sur les conseils d’un multimillionnaire qui a réuni à plusieurs reprises la gauche non-mélenchoniste. Ruffin est-il un homme plus doux et démocrate que Mélenchon ? Pas si l’on en croit un autre livre, qui n’a pas fait le tour des médias, qui est écrit par son ex-compagne et bras droit Johanna Silva, où elle raconte la toxicité de Ruffin ou encore sa façon de tenir son journal, Fakir, comme un “boy’s club” où il était le seul à pouvoir réellement écrire, les autres étant réduits, de façon assumée, à des “petites mains” lui permettant de mener sa noble mission. Une fois député, il s’est illustré en sous-payant ses assistants parlementaires (assumer les rémunérer 1 336 € net par l’Assemblée nationale et 345 € par son journal Fakir, soit un total bien inférieur aux rémunérations ordinaires au Parlement, dans un métier où l’on ne compte pas ses heures).
Ruffin est-il un homme plus doux et démocrate que Mélenchon ? Pas si l’on en croit un autre livre, qui n’a pas fait le tour des médias, qui est écrit par son ex-compagne et bras droit Johanna Silva, où elle raconte la toxicité de Ruffin ou encore sa façon de tenir son journal, Fakir, comme un “boy’s club” où il était le seul à pouvoir réellement écrire, les autres étant réduits, de façon assumée, à des “petites mains” lui permettant de mener sa noble mission.
Si les pratiques discutables voire autoritaires de Glucksmann, de Ruffin et de tous les autres ne défraient pas la chronique, c’est pour une raison assez simple et compréhensive : rien de nouveau sous le soleil. Notre système politique tout entier repose sur une survalorisation des hommes puissants, qui exercent leur mandat sans le moindre réel contre-pouvoir citoyen. A système égotique, candidats à gros égo. Ça tombe sous le sens et ça ne surprend personne. Alors pourquoi tant d’émotions quand il s’agit de LFI et de Mélenchon ?
Car le programme des grands médias, privés détenus par des milliardaires comme Arnault, Bolloré ou Saadé et publics gérés par des proches de Macron, est très clair : il s’agit de remettre la gauche entre les mains des sociaux-libéraux, ces gens qui, depuis les années 80, mènent une politique de droite sur les questions économiques et proposent de micro-évolutions sur les questions dites de société. LFI est une anomalie, car contre toute attente, ses dirigeants ne se droitisent pas avec le temps, comme c’est d’usage dans l’oligarchie de gauche bourgeoise. Le parti a développé une analyse de l’islamophobie et du colonialisme qui est bien trop menaçante pour une classe politique qui souhaite pouvoir s’aligner, en toute quiétude, sur la rapide dérive vers l’extrême-droite que connaissent d’autres pays d’Europe.
A système égotique, candidats à gros égo. Ça tombe sous le sens et ça ne surprend personne. Alors pourquoi tant d’émotions quand il s’agit de LFI et de Mélenchon ?
Alors même que LFI ne propose qu’un programme très modéré sur les questions de production et de partage des richesses, c’est déjà trop dans un pays dirigé par ex-banquier d’affaires et dont plusieurs grands patrons rêvent d’être président. Tout irait mieux pour la classe capitaliste si le leadership de la gauche française revenait au PS, qui l’a tant servi par le passé. Par ailleurs, ce parti et ses satellites pourraient constituer une belle continuité du macronisme, dans un “front républicain” anti-RN et totalement macroniste, mais que LFI a pour le moment empêché en continuant d’attirer les politiciens de gauche vers elle (pas par convictions, mais parce que ces parasites en ont eu besoin, en 2022 et 2024, pour survivre aux élections législatives). Mais c’est aussi une tentative de dédiaboliser le RN en diabolisant la FI. C’est clairement ce que l’on observe sur la question de l’antisémitisme : alors que le RN porte historiquement la haine des juifs, qu’il continue d’accueillir en son sein des militants néonazis et antisémites assumés, c’est Jean-Luc Mélenchon qui a été comparé, jeudi 8 mai, à Joseph Goebbels, chef de la propagande d’Hitler, en plein direct BFM TV, sans que personne en plateau ne bronche.
Tout irait mieux pour la classe capitaliste si le leadership de la gauche française revenait au PS, qui l’a tant servi par le passé. Par ailleurs, ce parti et ses satellites pourraient constituer une belle continuité du macronisme, dans un “front républicain” anti-RN et totalement macroniste, mais que LFI a pour le moment empêché en continuant d’attirer les politiciens de gauche vers elle
De notre côté, nous estimons que la violence interne à un parti comme LFI dit beaucoup des impasses de la politique institutionnelle actuelle. Car plus le temps passe, plus la brutalité de la classe capitaliste – envers nous, envers notre écosystème, envers des peuples comme les Palestiniens – nous fait dire que la conquête du pouvoir par les urnes est bien illusoire et insuffisante pour la neutraliser et retrouver notre liberté d’agir collectivement. Il nous semble que seul un changement rapide, global et donc révolutionnaire, pourra nous sauver des périls dont ce qu’il se passe aux Etats-Unis actuellement est une manifestation terrifiante. Nous n’avons plus le temps pour les combines de la gauche, les coups de poignard et les programmes politiques prudents et complaisants avec l’ordre capitaliste. Et il nous semble que les partis politiques ne sont pas un endroit où il est possible de discuter sérieusement de ces questions stratégiques car ils génèrent l’obsession des élections, sans recul possible.
Dans le spectre politique actuel, il n’y a que les cadres et les militant.e.s LFI qui osent tenir tête à la débauche de haine islamophobe et à la passivité ou la complaisance avec le génocide de Gaza. Et ce sont aussi eux qui ont exposé les violences envers les enfants à Bétharram et qui continuent d’en parler sans rien lâcher. Rien que pour cela, ils méritent estime et soutien.
Cependant, nous sommes pragmatiques : dans le spectre politique actuel, il n’y a que les cadres et les militant.e.s LFI qui osent tenir tête à la débauche de haine islamophobe et à la passivité ou la complaisance avec le génocide de Gaza. Et ce sont aussi eux qui ont exposé les violences envers les enfants à Bétharram et qui continuent d’en parler sans rien lâcher. Rien que pour cela, ils méritent estime et soutien. La violence qui existe dans leur mouvement – comme dans tous les autres partis – nous la déplorons d’abord pour eux : aucun militant d’une noble cause ne devrait subir ou accepter de subir des atteintes à sa dignité. L’engagement politique ne devrait jamais être prétexte à la brutalité et aux rapports déshumanisants. Mais ça, nous sommes convaincus que tous les journalistes qui hurlent avec la meute anti-LFI s’en foutent, puisqu’ils s’en foutent quand cela se produit ailleurs.
Nous savons de quoi cette campagne est le nom, quels intérêts elle sert. Ceux qui piétinent la démocratie, ont mené des politiques qui ont conduit à l’augmentation de la mortalité infantile, à celle de la mortalité au travail ou de la corruption, mais aussi couvrent des violeurs d’enfants et cautionnent un génocide sont à l’Elysée : c’est bien eux que l’on cherche à nous faire oublier.
Nous, nous savons de quoi cette campagne est le nom, quels intérêts elle sert, et nous recommandons de ne pas être dupe de cette manœuvre. Ceux qui piétinent la démocratie, ont mené des politiques qui ont conduit à l’augmentation de la mortalité infantile, à celle de la mortalité au travail ou de la corruption, mais aussi couvrent des violeurs d’enfants et cautionnent un génocide sont à l’Elysée : c’est bien eux que l’on cherche à nous faire oublier.
