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Jean Pormanove : pour Kick, la violence est un business

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Dans la nuit du 17 au 18 août 2025, Raphaël Graven, connu en ligne sous le pseudonyme Jean Pormanove, est mort alors qu’il était en direct sur la plateforme Kick. Le parquet de Nice a confirmé l’ouverture d’une enquête, le drame survient après des mois de « défis », humiliations et violences filmées par des partenaires de live. Dans un article datant de décembre 2024, Médiapart dénonçait des influenceurs responsables d’un véritable commerce de la maltraitance. Parmi eux, Safine et Naruto jouaient le rôle des agresseurs, tandis que Jean Pormanove (JP) et Coudoux, atteints d’un handicap, se retrouvaient dans la position des victimes. C’était le concept de la chaîne Lokal allant des moqueries à des scènes violentes (claques, strangulation). Au matin du 18 août, les adeptes de la chaîne assistent au drame : après dix jours consécutifs de stream, Jean Pormanove est retrouvé inerte par ses collègues sur un matelas alors qu’il dormait.

Au-delà de l’émotion, ce fait divers éclaire un système au sein de la plateforme Kick, un modèle sans garde-fous, où les incitations économiques et une idéologie libertaire d’extrême-droite attire les publics et producteurs de contenus les plus transgressifs, dont les plus violents.

Kick, l’envers du décor

Kick s’est imposée en deux ans comme la plateforme du tout permis. Derrière son vernis de liberté, elle est financée par Stake, un site de jeux d’argent en ligne accusé de blanchiment massif. La logique est simple: attirer les foules avec des promesses de revenus pour les streamers (95 % des abonnements reversés, contre 50 % sur Twitch), et fermer les yeux sur tout le reste. Harcèlement, publicité déguisée, mécanismes d’arnaques avec la crypto, propos racistes et sexistes : l’impunité est totale.

Banni de Twitch, le vidéaste d’extrême droite Adin Ross a trouvé refuge chez Kick (Crédit photo : LOU WOP, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons)

C’est précisément ce laisser-faire qui a transformé Kick en repaire privilégié de l’extrême-droite numérique. Le streamer Psyhodelikus, reçoit régulièrement sur sa chaine des propagandistes d’extrême-droite tels que Julien Rochedy, ancien directeur national du Front national de la jeunesse.

De son côté, Marvel Fitness a construit sa notoriété en attaquant de jeunes femmes influenceuses sur les réseaux sociaux et en relayant régulièrement des théories masculinistes sur Twitter. En 2021, Il a été définitivement reconnu coupable de harcèlement moral sur huit personnes. C’est donc naturellement qu’il à trouvé refuge sur Kick. Aux États-Unis, Kick est devenu la maison de figures bannies de Twitch, comme Adin Ross, banni pour avoir diffusé du contenu pornographique à ses millions d’abonnés. Ross, possédant désormais 30% des parts de Kick selon ses dires, a invité à plusieurs reprises le propagandiste et suprémaciste blanc, Nick Fuentes mais aussi le président des États-Unis, Donald Trump, pendant la derniere campagne présidentielle, appellant ses viewers à voter pour lui. Cette proximité avec l’extrême-droite est-elle, pour autant, une ligne éditoriale chez Kick ?

L’extrême-droite à compris le message : ce qu’ils ne pouvaient plus dire ou faire sur YouTube ou Twitch, ils sont invités à le vomir sur Kick, sous couvert de liberté d’expression. En réalité, c’est une zone de non-droit numérique où la haine se monétise.

Quand l’extrême-droite investit le streaming

L’extrême-droite ne choisit pas ses terrains par hasard. Les plateformes comme Kick sont idéales pour leur stratégie : elles permettent de recruter dans une jeunesse en errance, de banaliser leurs obsessions racistes, et d’organiser des raids massifs contre ceux qui s’opposent à eux. Le tout sans aucun risque de bannissement. Les créateurs de contenus d’extrême-droite ont toujours eu du mal avec les règles de modération sur des plateformes comme Youtube ou Twitter. À mesure que les plateformes traditionnelles tentaient de modérer un minimum, les contenus les plus violents se sont réfugiés ailleurs. Kick est devenue ce refuge, à la fois safe space de la haine et machine à cash. Le phénomène est comparable au rachat de Twitter par Elon Musk, qui s’est débarrassé des quelques règles de modération existantes, pour faire un réseau social propice à l’expansion de l’extrême-droite. Le signal était clair, avec le rétablissement du compte Twitter de Kanye West par exemple, qui fait désormais des morceaux à la gloire d’Adolf Hitler.

Twitch, usine capitaliste à streamers épuisés

Mais Kick n’est pas tombée du ciel. Si elle a pu séduire aussi vite, c’est parce que Twitch a préparé le terrain. Depuis des années, la plateforme détenue par Amazon transforme le streaming en travail à la chaîne. Les streamers produisent, animent, fidélisent des communautés parfois pendant dix heures par jour, mais les revenus filent ailleurs.

Twitch prend 50% des revenus des abonnements, souvent plus pour les petits. Les primes et les contrats ne concernent qu’une poignée de stars. Les autres survivent dans une précarité totale, dépendant des heures streamées et du bon vouloir des spectateurs. En octobre 2021, une fuite de données de Twitch est en tendance sur tous les réseaux sociaux. Elle révèle les revenus de l’ensemble des streamers de la plateforme, ce qui permet au créateur français Aypierre d’établir une statistique à partir du nombre de streamers recensés en France. Sur 214 884 streamers actifs sur la plateforme, seulement 5,000 gagnent plus que le SMIC.

C’est une division classique du travail : une aristocratie de gros streamers, et une masse de petites mains numériques condamnées à la galère. C’est sur ce ressentiment que Kick s’est engouffré. Sa promesse de « rendre l’argent aux créateurs » fonctionne comme un discours populiste, suivant la tendance du retour de la pensée libertarienne dans l’extrême droite, qui va du président argentin, Javier Milei au patron de X, Elon Musk. Mais, il faut le dire clairement : Kick n’est pas une coopérative ouvrière, c’est la vitrine d’un casino. Derrière cette promesse d’égalité financière, c’est toujours la même logique capitaliste, à savoir, capter du temps de vie, du travail précaire dans l’espoir d’un jour faire partie de l’aristocratie, et jeter les plus fragiles aux lions dans un marché dénué de toute règle.

On ne peut pas séparer l’histoire de Jean Pormanove de l’histoire d’un capitalisme numérique, de plus en plus investi par l’extrême-droite. Les plateformes numériques créent des usines sans murs, où les travailleurs sont isolés les uns des autres, et où la violence politique trouve un boulevard. Et comme toujours, ce sont les plus vulnérables qui paient la note.

Photo de couverture : Jean Pormanove au milieu, publiée sur X en février 2023

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Amine Snoussi
Amine Snoussi
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