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Dans les coulisses de la lutte contre l’habitat indigne

insalubrité

Vos Frustrations est une rubrique permettant aux lectrices et lecteurs de partager leurs « frustrations », colères, témoignages ou analyses. Aujourd’hui Pablo, inspecteur de salubrité, nous parle de son travail.

Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je répond le plus souvent « inspecteur de salubrité ». En général, la personne en face de moi ne sait pas du tout ce que c’est. Pour la faire vite et car je n’aime pas parler de mon travail, je dis simplement que si quelqu-un.e a un problème dans son logement comme de la moisissure ou qu’iel vit dans une cave, iel peut m’appeler et je vais essayer de l’aider. Je conclus en disant que je fais ça pour une mairie du 93. Une fois n’est pas coutume, j’aimerais faire le témoignage de ce que c’est que ce taf.

Photo de michael schaffler sur Unsplash

Je souhaite prévenir maon lecteurice, je ne connais pas la situation dans les campagnes. Mon analyse porte surtout sur l’Île de France mais peut être adaptée à d’autres agglomérations françaises. Je sais que la réalité dans les territoires français d’outre-mer est autrement urgente et répond à des enjeux propres et particuliers que je n’aborde pas dans cette article.

Un métier à peu près utile

C’est un métier à la mode dans le petit monde de la fonction publique territoriale. Beaucoup de mairies se dotent d’un service Habitat et d’agent.e.s de lutte contre l’habitat indigne. La Seine-Saint-Denis est le département métropolitain le plus touché. L’habitat indigne peut être résumé à un logement qui ne respecte pas le code de la construction et de l’habitation, le règlement sanitaire départementale ou encore l’arrêté préfectoral en vigueur (un logement au norme peut présenter des désordres et un logement sain peut ne pas être aux normes). Mon rôle c’est de faire respecter la loi aux propriétaires et rappeler ses devoirs aux locataires.

La Seine-Saint-Denis est le département le plus touché par le logement insalubre dans l’Hexagone. Photo : les tours de la rue de la Capsulerie à Bagnolet. Crédit : Grook Da Oger, CC BY-SA 3.0

Dans ma tâche je suis aidé par un certain nombre d’acteurs comme la DRIHL, l’ARS, la préfecture, la DDPP,… L’inspecteur.trice de salubrité parle en acronyme.

Enfin, je gère aussi les périls, c’est à dire, prévenir les effondrements d’immeubles. Le drame de la rue d’Aubagne à Marseille est d’ailleurs l’une des raisons de la mise en avant de ce métier auprès des maires de France, qui veulent éviter de voir leur ville faire ainsi la une des journaux.

Respect pour le travail des collègues

C’est un métier gratifiant. En plus de faire pas mal de chose, d’être bien payé et d’être relativement respecté dans la mairie et dans les dîners mondains, ce métier donne un sentiment d’utilité. Au moins au début et surtout dans le regard des autres.

J’ai constaté que les agent.e.s qui restent le plus longtemps sont des personnes qui souhaitent améliorer les choses, aider leur prochain, lutter contre les marchands de sommeil.

Alors ce n’est pas évident du tout. Si le.a propriétaire n’est pas de bonne volonté et que la situation est urgente, il faut compter quelque chose comme six mois pour sortir un ménage d’un logement insalubre ou impropre à l’habitation. Les personnes les plus précaires, les sans-papiers, refusent toujours notre aide de peur d’être expulsé.e.s de France. Une loi est sortie, si une personne sans papier habite dans un logement reconnu insalubre par un arrêté préfectoral et qu’elle a portée plainte, alors elle a droit à un autorisation de rester sur le territoire français le temps du procès. Ça veut dire faire confiance à la police, à la pref et à des tas de gens payés pour les chasser et les expulser.

Cette solution est à l’image de toutes les procédures, longues et complexes et qui ont plus de chances d’aboutir pour une personne privilégiée que pour les autres. Mais quand même, un service habitat efficace met fin à un certain nombre de situation vraiment graves et dangereuses. Il y a des travaux, des relogements, des amendes et des procès. Je pense que sur l’aspect indécence, insalubrité, le travail effectué est pas mal. Par contre, les cas de péril avec évacuation des habitant.e.s pose un vrai problème car c’est la ville qui doit palier à l’urgence. Il faut donc compter sur la bonne volonté des élu.e.s et des services de l’État qui cherchent en général à éviter d’avoir à avancer des frais qui ne seront que rarement recouvrés. Je tiens quand même à reconnaître que les bon.ne.s inspecteur.trice.s de salubrité font un travail dur mais iels trouvent des solutions et améliore la vie des gens. Iels s’interposent dans le rapport de domination entre le.a bailleur.e et le.a locataire qui lui est dépendant.e.

Photo de Oleksandr Akulenko sur Unsplash

Une fois, je visite un pavillon pourri loué à une famille. Je demande à visiter un abris de jardin qui est habité mais les locataires m’en empêche. C’est la mère du proprio qui y habite. J’ai vu des trafiquants de drogues qui tiennent des dortoirs et des agences avec pignons sur rue louer des caves. Des personnes issu.e.s de l’immigration qui font leur sous sur leur diaspora. Des menaces, des pièces aveugles, des rats, des cafards et des punaises de lit, des ruines, des Algécos…

Les ancien.ne.s connaissent les lois et les combines sur le bout des doigts après des années de pratique. Bien mieux que les agent.e.s immobilier qui n’y connaissent rien et n’hésites as à mettre en location des biens pourris pour toucher leurs honoraires (coucou la FNAIM). Ou que les propriétaires qui chialent parce qu’iels peuvent pas louer leur cave, leur 6m2 ou leur passoire DPEG et qui croient avoir tout les droits car ils sont propriétaires.

Ça reste une réponse individuelle et légaliste

Malheureusement, la manière dont je lutte professionnellement contre l’habitat indigne est individuelle. J’ai un nombre de dossier ouverts que je referme une fois solutionnés. J’ai, dans la commune, un stock de logements insalubres. Or ce moyen légaliste ne permet pas de répondre à la crise du logement et à l’état d’insalubrité qui touche les logements dans les périphéries des grandes villes. D’autant plus que les services ne collaborent pas beaucoup d’une ville à l’autre malgré le fait que, sous l’égide de la préfecture, des stratégies et des bonnes pratiques sont mise en commun, sous forme de plans pluriannuels auxquelles les mairies peuvent choisir de s’associer.

À mon échelle, ça pose un vrai problème. Qu’est-ce que je fais si le.a marchand.e de sommeil que j’ai repéré est un.e ami.e du ou de la maire ? Pire, si c’est un.e élu.e ? Qu’est-ce que je fais si ma hiérarchie ou mon élu.e ne veut pas faire de travaux d’office, héberger ou reloger les habitant.e.s ou respecter ses obligations envers ses administré.e.s ? Qu’est-ce que je fais si on me demande de faire un arrêté de péril bidon pour faire expulser un squat ?

À grande échelle, ça pose aussi de gros problèmes à l’inspecteur.trice de salubrité. Le logement doit être compris comme un flux, le flux des ménages riches et des ménages pauvres et des logements qu’iels occupent, louent, achètent et mettent en location. Si on ne comprends ni ne maîtrise ce flux alors on est globalement impuissant.e.s. Face à ces flux, les responsables politiques essayent d’adapter leurs territoires. Iels, soutenus par toutes les strates de l’État, mettent en place des programmes d’incitation aux travaux, à la rénovation et des dispositifs avec tout un lot de nouveaux acronymes : OPAH, DILIH, DITHAP, ANRU…

L’incitatif, c’est faire payer à tout le monde les travaux de quelques uns

L’incitatif, c’est le côté gentil du boulot. On demande gentiment aux propriétaires de rénover les trucs pourris qu’iels mettent en location. Dans le cadre de programme d’ampleurs, concernant des copropriétés ciblé ou par quartier, et en coopération avec les services municipaux, un organisme comme la Soreqa ou Citémetrie va proposer aux propriétaires de les accompagner dans leurs travaux de rénovations, principalement en trouvant comment optimiser les aides à la rénovation proposées par l’État. C’est encore plus long que la réponse coercitive. En général, les propriétaires ne veulent pas mettre la main au porte monnaie et les aides prennent un temps fou à se concrétiser.

Photo de Stefan Lehner sur Unsplash

L’incitatif, ça me pose un sérieux problème. Les aides de l’État sont financées par mes impôts, or pourquoi est-ce que je payerais pour rénover l’appartement de quelqu’un ? Un appartement qui va peut-être me coûter un rein en loyer tout les mois ? Et puis tout les loyers que le proprio a engrangé en louant un taudis, dans un immeuble plombé et amianté, il les rembourse en payant les frais d’hospitalisation de son locataire ? Donc, c’est double peine pour le locataire, qui paye le loyer et les travaux ; et triple cadeau pour le bailleur, qui touchait les loyers, voit son appartement prendre de la valeur et peut même augmenter le loyer.

Les chercheur.euse.s qui bossent sur la gentrification dénoncent ces dispositifs. Et iels ont raison. Au lieu de gérer le flux, la ville s’assure que pas trop de pauvres vont venir ou rester dans la ville.

Les universitaires et le logement social de fait

Les inspecteurs et inspectrices de salubrité en ont fermés des logements insalubres. C’est là que je souhaite faire un détour par la notion de « logement social de fait ».

Photo de Norbert Levajsics sur Unsplash

Déjà, le parc de logement de l’habitat social de loi n’est pas forcément dans un état bien meilleur. Quasiment tout les gros bailleurs de Seine-Saint-Denis louent des biens insalubres (coucou Seine-Saint-Denis Habitat), ratent leurs rénovations, ne font pas les travaux et construisent des immeubles pourris. Ils se comportent de plus en plus comme des bailleurs privés, expulsent, refusent des locataires, augmentent les loyers et les charges. Pourquoi s’attendre à ce qu’un État de plus en plus d’extrême droite et radicalement libérale soutienne un logement social qui ne soit ni l’un ni l’autre ? Par contre, on ne peut presque rien contre eux car ni les élus locaux ni les préfectures ne veulent faire quoi que ce soit.

L’habitat social de fait est, selon les défenseur.euse.s de cette notion, le parc de logements pas chers dans les quartiers en gentrification. Ils sont accessibles aux ménages les plus pauvres car les propriétaires (des marchand.e.s de sommeil pour partie) sont peu regardants sur à qui iels louent. Ce parc de logements abordables, selon les universitaires, sont supprimés par les politiques de la ville. Ils sont rénovés et remis dans le marché en bon état pour plus cher, parfois (souvent) dans le cadre de politiques de lutte contre l’habitat indigne.

Crédit : Par Prof.lumacorno — Travail personnel, CC BY-SA 4.0,

Dans les communes pauvres, les logements insalubres que j’ai visité ont un loyer plus élevé que le prix du marché. C’est important de noter qu’un logement insalubre coûte cher. Un.e locataire qui visite un logement insalubre signe car soit iel se fait avoir, soit car iel sait qu’iel ne pourra jamais louer ailleurs car les bailleur.e.s ne voudront jamais lui louer un bien du fait de son profil. La valeur d’un logement insalubre ne réside pas dans sa qualité mais dans le fait qu’il peut être loué à tout le monde. Le loyer peut rester à peu près le même au fur et à mesure que le quartier se gentrifie. Il peut donc se retrouver à être pas cher pour le quartier, en comparaison. La raison pour laquelle un logement insalubre n’est pas cher n’est pas résultante de son insalubrité mais est résultante du fait que le loyer n’a pas augmenté. Un logement insalubre à Oberkampf trouvera preneur.euse, cher ou pas cher. À Stains aussi.

Un autre problème réside dans le fait que le logement social européen a été mis en place pour répondre aux crises du logement. Il répond à un projet politique collectif et, de base, refuse de laisser au marché le soin de gérer le logement. C’est tout le sens du mot « social » dans « logement social ». Le concept de « logement social de fait » considère que rendre le logement accessible peut relever des propriétaires privés et plus particulièrement des marchands de sommeil. Aux riches, des logements privés de qualité, aux classes moyennes des logements sociaux, aux pauvres les taudis, dortoirs et autres cages à lapins. Mais aussi aux pauvres les expulsions légales ou sauvages, les menaces, la vulnérabilité presque complète face aux bailleurs.

On ne propose qu’une solution : que les bailleur.e.s privés régulent le marché du logement

Donc en fait, c’est les bailleur.e.s, les dominant.e.s dans le système locatif, qui décident. Et on devrait leur confier la responsabilité de la qualité ou de l’accessibilité des logements dans un lieux donné. Et c’est l’État qui paye la montée en gamme et pallie aux urgences, selon la stratégie à laquelle adhère la force politique qui occupe le pouvoir.

Le marché de l’immobilier fonctionne en flux et fonctionne comme une relation de domination. Dans le domaine du logement, comme dans celui du travail, le Capital et l’État travaillent main dans la main pour exploiter les travailleur.euse.s. La gauche social-démocrate propose des choses comme l’encadrement des loyers (que personne ne respecte), l’obligation de construire des logements sociaux ou encore le Permis de louer. Ce sont des pansements sur une jambe de bois. D’abord car la France est un système raciste, patriarcal et capitaliste qui exclue les prolétaires, les femmes, les
personnes racisées, les pauvres, etc et les personnes qui sont tout ça en même temps. Ces gens vont devoir trouver des logements et les conditions d’accession à la location sont toujours plus draconiennes dans le privé comme dans le social.

Qu’iel soit encadré par les lois d’un gouvernement de gauche, le.a bailleur.e me domine car iel me vend un besoin vital. Iel me rend dépendant de lui. Et cela vaut pour les gens de gauche qui mettent en location des logements. Si vous faîtes ça moralement, disons pas trop cher, dans des bonnes conditions, bien sûr vous valez mieux que des marchand.e.s de sommeil. Mais vous faites tout autant parti du problème.

Crédit photo : By GrindtXX – Own work, CC0

En fait, c’est là que mon métier ne fait plus vraiment sens. Je n’empêche pas la gentrification des autres communes qui paupérise celle ou je travail. Ensuite, je n’empêche pas non plus la gentrification de la commune ou je travail non plus, j’y participe même. Je n’empêche pas l’État d’être raciste, patriarcale et capitaliste, et en tant que fonctionnaire, j’y participe aussi. Enfin, je n’empêche pas les bailleur.e.s de l’être aussi ou de surfer les lois de cette État.

Locataires de tout les pays, unissez-vous !

Je pense qu’entrer dans la question du logement par le bas, par les habitant.e.s les plus dominé.e.s est un bon point de départ. A ce moment, la question qui se pose est aussi celle de comment faire en sorte que, collectivement, plus personne ne soit ni à la rue, ni dans un taudis ? Situation qui touche bien plus fortement les sans-papiers, les pauvres, les jeunes, les femmes, les mères célibataires, etc. En fait, la lutte contre la gentrification et la lutte contre l’habitat indigne sont deux faces d’une même lutte des classes.

Photo de Ev sur Unsplash

Un point de départ peut être l’interdiction de la multipropriété et la mise en place de la propriété d’usage selon les besoins. Déjà, car personne n’a besoin de deux maisons. Ensuite, car le nombre de logements disponibles reste limité, notamment les grands logements adaptés aux familles nombreuses.

Ensuite, il peut s’agir de décentraliser la France. C’est aussi car beaucoup de monde est dépendant d’un travail ou d’une fonction disponible seulement à Paris que l’habitat indigne est si important en Île-de-France. Ce modèle n’est ni viable, ni sain. À l’échelle locale aussi, l’urbanité, la ville et les relations entre les centres-villes, les périphéries et les campagnes doivent être réadaptées, selon les besoins, les enjeux locaux et la nécessité écologique.

Mon savoir-faire d’inspecteur de salubrité pourrait servir pour accompagner des travaux qui servent à loger les habitants du quartier, de la ville ou de la région. En accord avec des politiques vraiment démocratiques.

Enfin, il me semble que dans le capitalisme, le logement ne sera jamais reconnu comme un besoin vitale et un bien commun. Le logement doit être gratuit et distribué en fonction des besoins et pour y parvenir, une seule solution.

Photo d’illustration : Grand ensemble Bellevue à Nantes, crédit : par Guillaume70 — Travail personnel, CC BY 4.0

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Pablo Belgrado
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