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Edouard Philippe

Sous ses airs de gendre idéal de la bourgeoisie républicaine, Édouard Philippe incarne la version la plus dure du pouvoir. Froidement autoritaire et libéral sans scrupules, il a mutilé les Gilets Jaunes, enterré le droit du travail et confiné un pays entier à coups d’attestations absurdes et de contrôle de police. Et maintenant, il prépare 2027, avec le soutien des éditorialistes et des patrons. Si on ne veut pas replonger, il va falloir se réveiller.

Quel politicien le patronat va-t-il choisir pour être notre futur président de la République ? C’est bien en ces termes que se pose ce sujet. Les précédents sont limpides. En 2012, Sarkozy devenait embarrassant pour une partie du patronat. Avec toutes ses casseroles judiciaires et sa brutalisation du débat public, il n’arrivait plus à pousser aucune réforme. Alors, le capital s’était cherché un gestionnaire à sang froid. Strauss-Kahn était le bon cheval, jusqu’à ce que ses accusations de viols ruinent la stratégie. Hollande a pris la relève. Vide, malléable, reconnaissant. Il a remboursé sa dette avec zèle, laminant le droit du travail et goinfrant les actionnaires sous les applaudissements des éditorialistes de la presse aux ordres. Depuis 2017, c’est Macron. Une créature de laboratoire, lancée et vendue comme un nouveau paquet de lessive. Il ne pensait rien, il ne voulait rien, sauf « réformer ». C’est-à-dire casser et démanteler chaque institution, chaque reste de solidarité, chaque trace de lutte. Il l’a fait efficacement, avec le sourire glacial d’un DRH sous stéroïdes. 

Quel politicien le patronat va-t-il choisir pour être notre futur président de la République ?

Et le scénario va recommencer. Une nouvelle bulle va gonfler. On appellera cela « le centre », « le bon sens », « la modernité », ou « la République », peu importe. Derrière, toujours les mêmes intérêts et le même stratagème : faire émerger une figure à l’apparence raisonnable, technocratique, qui servira de barrage au Rassemblement national — lequel aura été lui-même habilement soutenu médiatiquement et monté dans les sondages pour être certain qu’il accède au deuxième tour, et qu’ainsi le successeur de Macron puisse gagner l’élection auréolé du prestige du protecteur de la démocratie libérale. Plusieurs candidats sont sur la piste. Raphaël Glucksmann par exemple. Une sorte d’enfant de chœur libéral, élevé au cours de morale européenne. Il parle de démocratie avec le regard vide de celui qui sait que tout ça est faux. Un autre nom revient, inlassablement. Édouard Philippe. « Dans le dernier sondage Elabe pour BFM et La Tribune Dimanche – face aux scores mirobolants de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella (30 à 35 %), Édouard Philippe tient le choc (23 %), en mesure sans doute de renverser la tendance au second tour », s’enflamme déjà Challenge.

Le pacte d’Edouard Philippe avec le grand patronat

Edouard Philippe a ce calme effrayant des hommes convaincus que leur salut personnel passe par le malheur des autres. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Il veut notre peau. « Si on veut réduire la dette et la dépense publique, il va falloir regarder la réalité en face, c’est-à-dire contenir l’évolution de la dépense sociale, trancher dans des politiques publiques qui coûtent cher et qui ne fonctionnent pas bien et il y en a un certain nombre qui concerne le monde de la production et la politique du logement. L’Etat a besoin de se dégager de toute une partie de son action », a-t-il affirmé lors de son grand oral face au Medef, proposant de retirer 1 milliard d’euros à la politique du logement. « Je vous propose un pacte : essayer de baisser les impôts pour rendre le pays plus prospère mais qu’on mette systématiquement en face un programme de baisse réel de la dépense publique » ajoute-t-il. Le patronat est bien sûr prêt à signer. Il leur parle si bien, Edouard Philippe. Vous vous rappelez cette vidéo qui a beaucoup circulé, où il explique que pour éviter la colère sociale « il faut la ruse du vice », qui lui a permis de faire passer les ordonnances Macron, la réforme de l’accès à l’université, la réforme de la SNCF, etc. Edouard Philippe n’a aucun complexe, il assume parfaitement son bilan et ses objectifs.

« L’Etat a besoin de se dégager de toute une partie de son action. »

Edouard Philippe lors de son grand oral face au Medef

C’est l’un de ces hommes que la République fabrique à la chaîne : surdiplômés, lisses, inoffensifs en apparence, mais impitoyables dans l’exercice du pouvoir. Revenons un peu sur l’itinéraire de ce personnage, que nous ne connaissions pas vraiment avant sa nomination surprise au poste de premier ministre en 2017, alors qu’il avait pourtant défoncé Macron pendant la campagne électorale. Issu de Sciences Po Paris, puis de l’ENA, il entre en 1997 au Conseil d’État, haut lieu du droit administratif et de la reproduction sociale, tremplin pour une carrière politique et lucrative.  Il commence à graviter autour d’Alain Juppé au début des années 2000, après avoir été membre du Parti socialiste. Il participe en 2002 à la fondation de l’UMP, puis, lorsque Juppé est condamné à une peine d’inéligibilité en 2004, Philippe s’éclipse de la scène politique nationale.

Ancien conseiller d’État, Philippe profite alors de la possibilité qui lui est offerte de devenir avocat sans avoir besoin de passer l’examen. Il y a, dans cette dispense de diplôme accordée également aux anciens conseillers de la Cour des Comptes, et aux membres de l’Inspection générale des finances, quelque chose de foncièrement obscène : certains hommes n’ont donc pas besoin de prouver ce que les autres doivent mériter. Édouard Philippe en a ainsi profité, comme beaucoup d’autres. Il rejoint le cabinet Debevoise & Plimpton, spécialisé dans les affaires transnationales et le droit des affaires. Il ne plaide pas : il valorise son carnet d’adresses, son réseau, ses accès. Durant cette période, il omet d’ailleurs de déclarer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ses rémunérations perçues ainsi que les appartements dont il est propriétaire. Interrogé, il répond avec une ironie typiquement oligarchique : « J’ai essayé de concilier le respect de la loi et une forme de mauvaise humeur. » Il avait d’ailleurs voté contre contre la loi sur la transparence de la vie publique.

Il vote contre la loi sur la transition énergétique en 2015 et contre la loi biodiversité en 2016.

En 2007, il rejoint brièvement le ministère de l’Écologie. Puis, très vite, il est nommé directeur de la communication et des affaires publiques d’Areva, fleuron du nucléaire français connu pour de nombreux scandales financiers, politiques et industriels. En 2010, il devient maire du Havre, ville qu’il transforme en base arrière pour ses ambitions, puis député en 2012. Il affiche alors clairement son hostilité franche à toute politique écologique ambitieuse. Il vote contre la loi sur la transition énergétique en 2015 et contre la loi biodiversité en 2016. Il défend bec et ongles le maintien d’une centrale à charbon au Havre, au nom d’un pragmatisme local qui dissimule mal son conservatisme énergétique. Il est alors soupçonné de favoritisme dans un appel d’offres sur le chauffage urbain.

En 2017, Macron le nomme Premier ministre. C’est un choix tactique : Edouard Philippe est à droite, loyal, apparemment inoffensif dans son ambition. Très vite, il veut inscrire l’état d’urgence dans le droit commun, c’est-à-dire normaliser le contrôle, l’exception et l’arbitraire. Puis viennent les ordonnances de destruction du Code du travail, imposées sans vote parlementaire. Le tout dans un calme clinique, sans une once de conscience sociale.

La peur comme outil de gouvernement

Fin 2018, le mouvement des Gilets jaunes surgit. Philippe ne dialogue pas, il réprime. Le sang coule, les LBD arrachent des yeux, des mains. Il couvre tout. Plus de 11 000 gardes à vue, des milliers de blessés, au nom de l’ordre républicain. En 2019, il engage la réforme des retraites, mesure impopulaire qu’il impose par le 49.3, avant qu’elle ne soit reportée par l’arrivée du Covid. Quand cette terrible pandémie frappe la France, l’État est nu. Il manque de masques, de lits d’hôpital, de personnels soignants, de tests. Plutôt que d’admettre cette faillite, Philippe choisit le mensonge stratégique : les masques sont d’abord « inutiles », « dangereux s’ils sont mal utilisés ». Le peuple est traité comme un enfant qu’il faut protéger de la vérité.

Fin 2018, le mouvement des Gilets jaunes surgit. Philippe ne dialogue pas, il réprime. Le sang coule, les LBD arrachent des yeux, des mains.

Puis, en quelques jours, le discours change : les masques deviennent obligatoires, les déplacements restreints, les attestations obligatoires, les plages, parcs, forêts et marchés interdits. La liberté est suspendue par décret, sans débat, sans vote. Le Conseil d’État — institution d’origine de Philippe, rappelons-le — valide tout. L’état d’exception devient la norme comportementale. Plus de 1,1 million de contraventions sont dressées pour non-respect du premier confinement. Les forces de l’ordre contrôlent 21 millions de personnes en deux mois. Des drones survolent les villes, des couvre-feux interdisent aux citoyens de sortir le soir. La France découvre l’autoritarisme sanitaire. Philippe ne se remet jamais en cause. Il gère, il explique, avec calme, la suspension du droit, la disparition de la liberté, comme on expliquerait un changement de planning, une simple modification d’agenda. Il transforme la peur en outil de gouvernement, et la surveillance en vertu civique.

Il finira par quitter le pouvoir en juillet 2020, au sommet de sa popularité malgré cet enfer. Il se remet alors à pantoufler tranquillement, cette fois-ci chez Atos, un an après que Matignon, quand il y était encore, a fait nommer Thierry Breton, ancien patron catastrophique d’Atos, Commissaire européen. CQFD. Aujourd’hui, même si les médias font tout pour nous le vendre comme le futur président idéal, et qu’il garde de manière assez incroyable une bonne image auprès des Français – selon les sondages -, nul ne peut sérieusement douter que le retour d’Edouard Philippe au pouvoir serait la poursuite de ce que le macronisme a produit de pire. Certains se mettent même à rêver d’un duo avec Bruno Retailleau. L’un à l’Elysée, l’autre à Matignon

Arrêter de tourner en rond

Face à ce danger, la « gauche » est aujourd’hui plus pathétique que jamais. Les uns et les autres dévoilent en ce moment leur volonté présidentielle, tout en prétendant vouloir l’union de la gauche (en fait l’union derrière eux), à coup de sondages qui n’ont absolument aucun sens si loin de l’élection. La gauche française, c’est vraiment devenue « un jour sans fin ». Un éternel recommencement du pire. D’abord, deux ans avant l’échéance présidentielle, d’infinies injonctions à l’unité entre partis contestataires et formations bourgeoises (pour ne pas disperser les voix en leur faveur), au nom d’un scrutin érigé en unique remède aux maux de la population. On organise des primaires, des réunions, des tribunes, des meetings. Puis l’obligation de faire « barrage » entre les deux tours des présidentielles pour, la main sur le cœur, à l’unisson, voter pour le candidat bourgeois le mieux placé pour faire barrage au RN. On presse alors les classes laborieuses à croire qu’il faut encore voter pour le « moins pire ». Ensuite, c’est l’écrasement par un pouvoir dont l’illégitimité démocratique le pousse, à peine élu, à encore plus de brutalité et d’autoritarisme. Et cinq ans plus tard, on recommence la même mascarade. C’est une pathologie politique. Une foi absurde dans les institutions que nous prétendons pourtant combattre. On promet le changement, mais on implore le statu quo. La gauche n’espère plus rien elle-même, mais elle exige l’espoir des autres.

Peut-être qu’un jour, on en aura assez de tourner en rond.

Peut-être qu’un jour, on en aura assez de tourner en rond. Peut-être que cette fatigue deviendra force. Que l’on comprendra qu’il ne faut pas réparer la machine, mais en sortir. Ne plus supplier l’ordre de nous tolérer, mais bâtir hors de lui. Dans les entreprises, dans les quartiers, dans les campagnes, dans nos familles, dans les lieux où la vie réelle se déroule. Dans les liens directs, la débrouille, les coopérations concrètes. Plutôt que de quémander la permission d’exister à ceux qui nous dominent, si nous renaissions hors de leur regard ?


Photo : Par Baidax — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

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Guillaume Étievant
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
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