Agression israélo-américaine de l’Iran : que dit le droit international ?

Israël justifie sa guerre par le danger existentiel que constituerait l’acquisition d’une bombe nucléaire par l’Iran. Nous avons déjà expliqué pourquoi cet argument est peu crédible et avancé de manière continue par Israël depuis plus de trente ans. Mais en très peu de temps, les buts de guerre semblent déjà avoir changés. Alors qu’il s’agissait initialement de se limiter à détruire les capacités nucléaires iraniennes, c’est désormais du renversement du régime dont il est de plus en plus question. C’est ainsi que le successeur qui semble déjà désigné par l’Occident a commencé à faire son apparition : Reza Pahlavi, issu de la famille royale qui fut renversée en 1979, bien plus favorable aux intérêts occidentaux. C’est précisément un renversement par une action militaire étrangère qui serait rendue plus compliquée en cas d’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran. Pour légitimer cette idée, qui s’est systématiquement révélée catastrophique, ce sont les droits des femmes iraniennes qui sont de nouveau instrumentalisés : bombarder les Iraniens et les Iraniennes aurait pour but de les libérer. Et tant pis si les féministes iraniennes exilées disent toutes être horrifiées par les frappes israélo-américaines, de même que d’autres opposants pourchassés par le régime des Mollahs. Dans tous les cas : aucune de ces motivations ne justifie une agression israélo-américaine contre l’Iran au regard du droit international.
L’ “attaque préventive” pour motif de “menace existentielle” future n’existe pas en droit international
Le journaliste Quentin Müller, spécialiste du Golfe persique essayait de remettre les choses à l’endroit : “Il faut remettre en perspective, c’est Israël qui a attaqué en premier lieu l’Iran. Ce sont des frappes qui sont illégales au regard du droit international.” Thierry Coville, spécialiste de l’Iran et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) allait dans le même sens, rappelant que “l’attaque préventive” n’existe pas dans la Charte des Nations unies. Il expliquait également que l’argument de la “menace existentielle” n’est pas recevable, donnant des exemples : “Saddam Hussein, en 1980, estime qu’il y a une menace existentielle du fait de la Révolution iranienne. Il attaque l’Iran : 500 000 morts, huit ans de guerre. Vladimir Poutine estime qu’il y a une menace existentielle du fait de l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’Otan. Il attaque l’Ukraine et ce n’est pas bien, etc. Donc si vous voulez, qui décide qu’il y a menace existentielle ? Le pays en question décide que c’est une menace existentielle et il attaque ?”
“Saddam Hussein, en 1980, estime qu’il y a une menace existentielle du fait de la Révolution iranienne. Il attaque l’Iran : 500 000 morts, huit ans de guerre. Vladimir Poutine estime qu’il y a une menace existentielle du fait de l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’Otan. Il attaque l’Ukraine et ce n’est pas bien, etc. Donc si vous voulez, qui décide qu’il y a menace existentielle ? »
Thierry Coville, spécialiste de l’Iran et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
À l’international, l’évaluation est similaire. La Commission internationale de juristes a dénoncé une “violation grave de la Charte des Nations unies et du droit international”, rappelant qu’en vertu de cette même charte, “tous les États membres de l’ONU s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État.” Sergey Vasiliev, professeur de droit international à l’Open Universiteit des Pays-Bas a réagi en confirmant que “cette opération constitue un recours illégal à la force. L’Iran ne représentait pour Israël aucune menace imminente justifiant une telle attaque. Il s’agit d’un acte d’agression”.
Ce qui existe en conformité avec le droit international, c’est la “légitime défense”. Le seul cas où celle-ci peut être en partie “préventive” c’est dans le cas d’une “menace d’attaque imminente”. Marko Milanović, professeur de droit international public à la faculté de droit de l’université de Reading, a expliqué dans un article pour le blog du Journal européen de droit international que cela ne s’appliquait pas ici et “qu’il y a un accord unanime entre les juristes internationaux” pour dire que la position qui consiste à tenter de justifier légalement des attaques préventives au motif de futures “menaces existentielles” est intenable. “Elle est associée, par exemple, à certains arguments avec lesquels les juristes de l’administration Bush ont justifiés de recourir à la force contre l’Irak – à savoir qu’elle pourrait donner des armes de destruction massive à des acteurs terroristes qui pourraient les utiliser contre les États-Unis et que la menace est si grave que les États-Unis se défendraient contre l’Irak. Elle est également similaire aux arguments que la Russie a utilisés pour justifier son invasion de l’Ukraine – que l’Ukraine pourrait attaquer la Russie à un moment ultérieur. (…) Le problème de cette approche est qu’elle est si illimitée qu’elle annule complètement l’interdiction du recours à la force – un État pourrait agir chaque fois qu’il perçoit une menace existentielle.” Par ailleurs, l’argument comme quoi cette menace iranienne aurait été “imminente” tient encore moins la route sur le plan légal : “Il n’y a tout simplement pas de moyen plausible d’argumenter que l’Iran était sur le point d’attaquer l’État hébreu avec une arme nucléaire, ce qu’il n’a même pas.” “Pour conclure, même si l’interprétation la plus large possible (juridiquement plausible) de la légitime défense anticipative était considérée comme correcte, le recours de la force à l’encontre de l’Iran serait illégal. En effet, il y a peu de preuves que l’Iran se soit irrévocablement engagé à attaquer le pays avec une arme nucléaire, une fois qu’il aura mis au point cette capacité. Et même si une telle intention était supposée – encore une fois, il faudrait que l’État hébreu fournisse d’autres preuves d’une telle intention – je ne vois pas comment on pourrait raisonnablement faire valoir que l’utilisation de la force aujourd’hui était la seule option disponible.”
La Commission internationale de juristes a dénoncé une “violation grave de la Charte des Nations unies et du droit international.”
Ben Saul, professeur de droit international à l’Université de Sydney (Australie) avançait des arguments proches dans The Guardian : l’Iran n’était pas “sur le point d’attaquer le Gouvernement israélien, étant donné qu’il n’a pas construit une seule arme nucléaire”.
Si la question de “l’imminence” est aussi importante, c’est parce que “lorsqu’il n’y a pas d’attaque réelle ou imminente, il reste du temps pour rechercher des moyens non violents de faire face à la menace, y compris l’action du Conseil de sécurité et de l’Agence internationale de l’énergie atomique, les sanctions et la diplomatie.” Il insistait notamment sur le fait que “le risque d’abus de légitime défense “anticipative” est tout simplement trop grand, et trop dangereux, pour que le monde le tolère”. Tous ces points ont aussi été relevés par les experts de l’ONU, notamment Morris Tidball-Binz, Javaid Rehman, Livingstone Sewanyana et Cecilia M. Bailliet.
Les propagandistes pro-israéliens assimilent toute critique de l’illégalité des frappes israéliennes et américaines à du mélenchonisme obtu. Il n’en est rien. Le Président Emmanuel Macron a lui même reconnu qu’ “il n’y avait pas de cadre de légalité” dans les frappes américaines.
Tuer des scientifiques et bombarder des prisons, comme le fait Israël, est illégal
Une partie des frappes israéliennes ont eu pour but d’assassiner des scientifiques nucléaires iraniens. Mais un scientifique, même travaillant dans le nucléaire, a, dans le droit international, un statut de civil. La Commission internationale de juristes rappelait donc que “le droit humanitaire international (ndlr : le droit qui s’applique une fois que l’attaque a commencé) interdit le ciblage intentionnel de civils, comme, selon toute vraisemblance, les scientifiques nucléaires tués à la suite de l’attaque israélienne”. Ce point était également confirmé par Marko Milanovic : “Les scientifiques qui sont des civils – et ils le sont très probablement – ne peuvent pas (en tant que personnes) faire légalement l’objet d’une attaque. Travailler simplement sur un programme d’armement en tant que chercheur n’implique pas une participation directe aux hostilités qui pourrait éliminer l’immunité des civils d’une attaque”. Ben Saul confirmait : “les nombreux scientifiques nucléaires iraniens qu’Israël a pris pour cible ne prenaient pas directement part aux hostilités et étaient donc des civils protégés à l’abri de l’attaque”.
“Les nombreux scientifiques nucléaires iraniens qu’Israël a pris pour cible ne prenaient pas directement part aux hostilités et étaient donc des civils protégés. »
Ben Saul, professeur de droit international à l’Université de Sydney (Australie)
De la même façon, frapper une prison, comme l’a fait Israël avec la prison d’Evin, constitue un “crime de guerre” comme le rappelait l’avocate Chirinne Ardakani. Prétendre libérer les femmes et l’Iran de la dictature en bombardant une prison célèbre pour détenir des prisonniers politiques ne manque par ailleurs pas de culot…
À mesure que le droit international s’effondre un discours se répand : nous serions entrés dans un « nouveau monde » où la force primerait désormais sur le droit. C’est ce qu’affirmait récemment Thierry Breton, ancien commissaire européen, en appelant à « s’adapter » à cette nouvelle donne. Mais ce « nouveau monde » n’a rien de neuf : c’est le retour à l’ancien, celui qui a mené aux pires catastrophes du XXe siècle. Accepter que des États puissants puissent attaquer d’autres pays au prétexte de menaces supposées, c’est renoncer à l’idéal d’un ordre international fondé sur le droit au profit d’un ordre brutal fondé uniquement sur la domination. Résister à cette logique n’est pas faire preuve d’angélisme, mais rappeler que le droit international a été bâti pour empêcher précisément ce type d’engrenage.
Photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash

Rob Grams
Rédacteur en chef adjoint
