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Les nazis d’hier avaient le « complot juif », ceux d’aujourd’hui le « complot musulman »

complot

La France, et l’Occident en général, sont dans une phase de fascisation avancée. Le nouveau délire autour d’un immense complot musulman à partir d’un rapport d’une enquête sur les Frères musulmans (environ 5 000 personnes en France), complot qui viserait à subvertir les institutions pour faire de la France une république islamique où la charia remplacerait le droit, en est une des dernières manifestations les plus inquiétantes, tendant au délire collectif et au racisme de masse. 

Avant le complot “islamo-gauchiste”, le complot «  judéo-maçonnique » et « judéo-bolchevique »

Lorsque l’on entend parler du complot “judéo-maçonnique” ou “judéo-bolchevique”, aujourd’hui on sourit parfois face à la débilité de ces concepts, ou bien on est saisi d’une sorte d’angoisse qu’autant de gens aient pu croire à de telles balivernes, puis on se rassure en se disant qu’il n’y a plus que quelques hurluberlus d’extrême droite pour y adhérer aujourd’hui. 

Pourtant, à l’époque, ces thèses, bien que portées par l’extrême droite, furent largement épousées et reprises par de larges parts du corps social. La droite et le centre y adhéraient aussi, ou du moins les toléraient largement. Elles n’étaient pas promues que par des obscurs inconnus excentriques mais par des personnes disposant de tous les apparats de la légitimité : scientifiques reconnus, universitaires sérieux, industriels, politiques de premier plan…

L’historien du nazisme Johann Chapoutot attribue l’invention du “complot judéo-maçonnique” à l’abbé Augustin Barruel dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1799) qui rend notamment les francs-maçons et les Juifs responsables de la Révolution française.

À partir de la Révolution russe, la bourgeoisie et l’extrême droite vont assimiler l’agitation révolutionnaire aux Juifs, c’est ainsi que naît le complot “judéo-bolchévique”.



Cette thèse fut reprise et développée par Edouard Drumont, antisémite virulent, dans La France juive (1886). Il y prétend que les Juifs sont inassimilables, essentiellement étrangers, et hostiles par nature au peuple français. Les Juifs y sont décrits comme des parasites, responsables de tous les maux sociaux et ayant la “mainmise” sur la France, accusés de chercher à détruire la France chrétienne. 

À partir de la Révolution russe, la bourgeoisie et l’extrême droite vont assimiler l’agitation révolutionnaire aux Juifs, c’est ainsi que naît le complot “judéo-bolchévique”. Dans cette thèse raciste et délirante, le communisme et le bolchévisme auraient été conçus, dirigés ou manipulés par les Juifs dans le but de détruire les nations chrétiennes, les élites traditionnelles et le capitalisme. Ce complot-ci servira à justifier tout un ensemble de mesures. Durant la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy justifie ses lois raciales et sa collaboration avec les nazis par cette peur du « judéo-bolchevisme ».

Dans la continuité des discours nazis, les nazis d’aujourd’hui, qui s’ignorent encore comme tels, ont inventé l’ “islamo-gauchisme”, exact pendant du “judéo-bolchévisme”. Comme pour le judéo-maçonnisme ou le judéo-bolchevisme, il s’agit d’un concept flou, absurde, indéfinissable.

Tristement aucune leçon de l’Histoire n’est retenue et l’on trouve aujourd’hui les mêmes discours, quasiment littéralement, appliqués à une nouvelle minorité religieuse : les Musulmans. 

Dans la continuité des discours nazis, les nazis d’aujourd’hui, qui s’ignorent encore comme tels, ont inventé l’ “islamo-gauchisme”, exact pendant du “judéo-bolchévisme”. Comme pour le judéo-maçonnisme ou le judéo-bolchevisme, il s’agit d’un concept flou, absurde, indéfinissable. Comme le rappelle l’historien Nicolas Offendstadt, lorsque l’on parle d’ “une théorie en -isme”, comme  “le libéralisme, le marxisme, le maoïsme, qui existent, on trouve des corpus de références, des gens qui l’ont portée, des gens qui ont réfléchi… L’islamo-gauchisme vous ne le trouvez nulle part. Il n’y a pas de théoricien de l’islamo-gauchisme. (…) Il n’y a pas de théorie, pas de clans, pas de réseau, pas de revue, il n’y a rien.”

L’ “islamo-gauchisme” permet d’opérer, en un seul mot, deux confusions : 

  • Amalgamer Musulmans et islamistes – tout en niant la réalité du racisme et de l’islamophobie.
  • Puis, amalgamer, sans avoir aucunement besoin de le démontrer (un mensonge répété inlassablement faisant ici office de vérité), les marxistes, les féministes et les antiracistes avec les islamistes – quand bien même aucun de ces trois courants ne fut jamais compatible avec l’extrémisme religieux.  L’utilisation du lexique du djihadisme (“radicalisés”, “prise d’otages”, “exactions”…) pour qualifier le mouvement social était déjà devenue la norme depuis la loi Travail mais atteint ici un stade inédit en associant réellement les deux. Toutes ces personnes – les Musulmans et l’opposition “de gauche”-  constitueraient ainsi “l’Anti-France” (terme du théoricien antisémite et collaborationnsite Charles Maurras, désormais largement repris par les macronistes et par l’extrême droite) contre laquelle tous les “républicains” devraient se retrouver et s’unir, y compris, s’il le faut, avec le RN, Zemmour, etc.

On trouve ici un exemple fort parlant d’une forme de « complotisme des dominants”, qui serait socialement acceptable. Les théories du complot loufoques que l’on trouve souvent sur les réseaux sociaux sont chez la bourgeoisie un sujet de moquerie infinie. Pourtant, on trouve chez celle-ci un complotisme raciste et rance, absolument délirant : l’idée que les Musulmans chercheraient à s’immiscer partout pour faire de la France un pays islamiste. 

Dans son ouvrage majeur La Fausse Conscience (1962), le psychiatre Joseph Gabel s’intéressait en profondeur à la psyché antisémite et en relevait toutes les contradictions. L’idéologie raciste « prétend expliquer l’histoire par le juif » « au lieu d’expliquer le juif par l’histoire ». Il soulignait ensuite l’incohérence totale et les contradictions de l’antisémitisme : « On reproche aux Juifs de se trouver derrière les agissements des pacifistes et aussi derrière toute l’activité des fauteurs de guerre, d’être des socialistes révolutionnaires et des capitalistes rétrogrades, de s’isoler de leur entourage et de vouloir s’y faufiler », de la même manière que pour les nazis, « les Juifs constitueraient une race inférieure possédant toutes les qualités qui, pour le racisme même, définissent les races supérieures : volonté de puissance, capacité d’imposer sa domination, souci de la pureté raciale ». Car le racisme, en tant que « pensée projective » ne se fonde ni sur la cohérence, ni sur le réel. Il ne sert donc pas à grand chose de s’épuiser à opposer au raciste des faits car il s’agit essentiellement d’une « attitude émotionnelle » qui se « rend mal compte de la nature réelle des frustrations dont elle est tributaire ».
Tout ce qu’il dit s’applique aujourd’hui très bien à l’islamophobie et au racisme anti-Arabes qui sont accusés de profiter des aides, de ne jamais travailler mais en même temps de voler le travail des blancs, accusés à la fois d’être des délinquants et des criminels asociaux en puissance et en même temps des cul-bénis rigoristes, accusés de vouloir faire du séparatisme (s’exclure des cercles de socialisation de la société) et en même temps de faire partout de l’entrisme (s’intégrer et s’infiltrer partout), les femmes musulmanes seraient à la fois soumises,  incapables de toute volonté propre et des militantes prosélytes… 

Le “complot musulman” ne vise pas l’islamisme radical mais tous les Musulmans, et par extension tous les Arabes

Il est assez normal de ne pas apprécier l’islamisme, et même disons-le, d’autant plus si l’on est de gauche. L’extrême droite, qui se prétend en guerre contre l’islamisme, en partage en réalité la plupart des obsessions : antisémitisme, crainte de la “féminisation de la société”, volonté d’une société régie par des préceptes religieux, obsession homophobe et transphobe, opinions anti-avortement, analyse du monde en civilisations religieuses incompatibles…

L’extrême droite, qui se prétend en guerre contre l’islamisme, en partage en réalité la plupart des obsessions : antisémitisme, crainte de la “féminisation de la société”, volonté d’une société régie par des préceptes religieux, obsession homophobe et transphobe, opinions anti-avortement, analyse du monde en civilisations religieuses incompatibles…

L’islamisme est toutefois extrêmement marginal en France. Il peut exister à de toutes petites échelles, comme existent diverses sectes et groupuscules extrémistes. Il n’existe toutefois aucune force organisée islamiste en France. Il n’existe d’ailleurs, sans parler cette fois de l’islamisme, même pas de réelles représentations politiques des Musulmans (partis politiques musulmans, lois musulmanes dans le droit commun…) qui pourraient justifier que l’on s’inquiète d’une pression politique religieuse de la part des Musulmans. 

C’est que ce discours qui prétend cibler l’islamisme vise en réalité toute présence musulmane en France, tous les Musulmans sans distinction (et la gauche qui serait islamisée) et plus largement tous les arabes, considérés comme musulmans par défaut – l’occasion de rappeler que l’islamophobie est aussi un racisme. 

Alexandre Brugère, préfet des Hauts-de-Seine, donc une haute autorité de l’Etat, se plaignait le mercredi 21 mai 2025 de la multiplication des boucheries halal, parlant d’une « stratégie qui vise à fractionner la société, le commerce constitue une cible dans le cadre de la stratégie des Frères musulmans ».

Les exemples qui viennent nous le confirmer sont légion. 

Alexandre Brugère, préfet des Hauts-de-Seine, donc une haute autorité de l’Etat, se plaignait le mercredi 21 mai 2025 de la multiplication des boucheries halal, parlant d’une « stratégie qui vise à fractionner la société, le commerce constitue une cible dans le cadre de la stratégie des Frères musulmans ». Le propos est vertigineux de racisme. Une boucherie halal n’est rien d’autre qu’une boucherie vendant de la viande de bœuf, veau, agneau, mouton, poulet, dinde, etc., abattue rituellement et sans porc ni produits dérivés du porc. Comme il existe également des boucheries casher pour les personnes de confession juive. On compte quelques milliers de boucheries halal en France pour environ 6 à 9 millions de personnes de confession musulmane.  L’obsession pour les commerces musulmans fait là aussi écho à l’obsession pour les commerces juifs sous la France de Pétain. Les commerces juifs furent d’abord placés sous « administration provisoire ». Cela se faisait au prétexte de « défendre la nation » contre « l’ennemi intérieur » et parce que ces commerces prendraient « trop de place ».

Cet axe sur l’économie, qui rappelle énormément l’antisémitisme fanatique des années 1930, est assez nouveau mais se développe rapidement. BFM accusait en mars dernier les Musulmans d’être responsables d’une pénurie d’œufs tandis qu’en avril le maire PS de Clermont voulait s’en prendre aux kebabs et aux barber shops. L’objectif politique est assez sidérant : alors qu’on nous vante sans cesse les vertus de l’entrepreneuriat, il s’agit maintenant de couper les moyens de subsistance des Arabes et des Musulmans en s’en prenant aux commerces auxquels on les associe.

BFM accusait en mars dernier les Musulmans d’être responsables d’une pénurie d’œufs tandis qu’en avril le maire PS de Clermont voulait s’en prendre aux kebabs et aux barber shops.

Une cadre macroniste, Deborah Abisror-De Liem, s’est elle attaquée à la célèbre influenceuse Léna Situation l’accusant, elle aussi, d’entrisme. Léna Situation, qui ne porte même pas le voile, qui ne parle quasiment jamais d’Islam, a eu le malheur d’un jour porter une robe que la macronie fanatisée trouve islamisante. 

L’ancien Premier ministre macroniste Gabriel Attal propose lui d’interdire le voile aux mineures de moins de 15 ans, au prétexte qu’aucun mineur ne serait en mesure de se voiler librement. Si l’on applique ce raisonnement, par exemple à la circoncision, qui à la différence d’un accoutrement est une mutilation irréversible, on mesure l’étendue de l’obscénité raciste de la proposition – en imaginant la polémique que susciterait, à raison, une proposition de loi sur ce thème.  

L’ancien Premier ministre macroniste Gabriel Attal propose lui d’interdire le voile aux mineures de moins de 15 ans.

Il y a quelques mois c’est l’humoriste Marwane Benlazar qui avait subi une campagne raciste cherchant à détruire sa carrière et sa moindre tentative de visibilité du seul fait de son apparence trop musulmane au goût de la droite et de la bourgeoisie.

On le voit, ce “complot musulman” vise toutes les personnes arabes et n’est pas porté que par l’extrême droite mais aussi et avant tout par la bonne société, la classe dominante, le centre et le PS – pour lequel on nous dit de voter pour faire barrage à l’extrême droite. 

Un racisme anti-arabes et une islamophobie, eux bien réels 

S’il n’y a pas de complot musulman, il y a par contre un véritable racisme anti-Musulman : des propos ignobles dans les médias toute la journée,  des fermetures de mosquées et des expulsions abusives d’imams, des assassinats islamophobes et des attentats, des interdictions de collectifs contre l’islamophobie… 

Non seulement les Musulmans ne font pas d’entrisme mais ils sont même exclus d’absolument partout. Aucune grande institution d’État française n’est actuellement présidée par un Musulman (même l’Institut du monde arabe est présidé par… Jack Lang). Parmi les principaux partis (PS, LR, Renaissance, LFI, RN, EELV…), aucun n’est actuellement présidé par une personne musulmane. Aucune des entreprises du CAC 40 n’est dirigée (PDG ou président du conseil d’administration) par une personne s’identifiant publiquement comme musulmane. Autrement dit, alors que les Musulmans représentent une part importante de la population française, ils sont totalement absents des sphères et leviers de pouvoir. 

Non seulement les Musulmans ne font pas d’entrisme mais ils sont même exclus d’absolument partout. Aucune grande institution d’État française n’est actuellement présidée par un Musulman (même l’Institut du monde arabe est présidé par… Jack Lang).

S’agissant du racisme anti-Arabe et islamophobe, il est important de noter qu’il ne vient pas seulement “remplacer” fonctionnellement l’antisémitisme du siècle dernier. Les deux peuvent très bien coexister. Derrière ce “complot musulman” se cache mal un autre concept complotiste de l’extrême droite, celui de “grand remplacement”. Pour ces racistes, c’est une élite “cosmopolite”, “mondialisée”, qui cherche à “détruire la nation” par l’immigration. On voit où ça va…
D’ailleurs si les médias Bolloré sont en ordre de bataille contre les musulmans, ils réactivent parfois le spectre et l’iconographie du complot judéo-maçonnique, comme le JDD l’a récemment démontré. 
Cette islamophobie radicale s’accompagne d’ailleurs d’une réhabilitation du pétainisme et du nazisme : Eric Zemmour faisait la tournée des médias pour dire que Pétain avait sauvé les Juifs, Ivan Rioufol, ancien journaliste du Figaro, déclarait sur CNews que le ghetto de Varsovie avait d’abord été “un lieu hygiéniste” “pour préserver du typhus”, tandis que l’avocat d’extrême-droite Gilles-William Goldnadel s’en prend régulièrement à “l’anti-nazisme” de l’extrême gauche. 

Avec le titre de cet article, nous assumons pleinement le risque de l’accusation en « point Godwin » (qui critique la comparaison trop récurrente au nazisme) car s’en prévenir par principe empêche de penser la gravité du moment. Dans son dernier ouvrage, Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? (2025) dans lequel on ne peut que mesurer les points de similitudes entre les années 1920-1930 et aujourd’hui, Johann Chapoutot balayait cet anathème creux : « Les contempteurs de la comparaison en histoire, toujours prompts à flétrir le « franchissement » (sic) du « point Godwin » (…) et à bêler en chœur que « c’est plus complexe que ça », que les temps ont changé ou que les nazis d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, se révèlent bien mauvais historiens, pour les raisons de méthode évoquées plus haut, mais aussi parce que les nazis d’hier ne sont pas ceux qu’ils croient. »
Ce que l’historien nous dit ici c’est que les nazis ne furent pas des aberrations irrationnelles, cruels par nature, des fous isolés sans lien avec la société ou encore l’incarnation d’un mal absolu, unique, inimitable, mais bien des hommes insérés dans la modernité de leur temps, des cadres, des technocrates, bref des gens pas si différents de ceux qui aujourd’hui voudraient débarrasser la France des Musulmans qu’ils rendent responsables d’absolument tout. La mémoire du nazisme ne doit pas être sanctuarisée au point que l’on ne puisse en tirer aucune leçon pour prévenir des processus semblables qui s’appliqueraient à de nouvelles cibles.

Ce discours autour du « complot musulman » ne repose sur aucune réalité tangible mais poursuit un retour terrifiant aux hantises complotistes qui ont déjà nourri les pires formes de racisme dans notre histoire. Sous des dehors contemporains, cette rhétorique reprend, mot pour mot, les mécanismes d’un imaginaire raciste et génocidaire qui attribue à une minorité entière, ici les Musulmans et plus largement les Arabes, une volonté malveillante d’infiltration et de subversion. Cette posture ne sert qu’à légitimer une islamophobie d’État, à justifier des mesures discriminatoires, et à désigner un bouc émissaire à un moment de pré-effondrement (risque de guerre mondiale, génocide à Gaza, destruction de l’environnement, possibilité d’une crise financière majeure à venir…). Il est urgent de reconnaître la nature politique et sociale de ces délires, de les combattre avec la plus grande fermeté, afin d’empêcher que l’histoire ne se répète sous une nouvelle forme dont on peine encore à imaginer l’ampleur criminelle. 


Photo de couverture : manifestation nazie à Paris en mai 2025


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Rob Grams
Rob Grams
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