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Merwane Benlazar : encore un Arabe lynché par l’extrême droite et lâché par la bourgeoisie

Selim Derkaoui
Selim Derkaoui | 13/02/2025

Quelques jours seulement après avoir été pour la première fois chroniqueur chez « C à vous », sur la chaîne France 5, Merwane Benlazar s’est fait renvoyer pour une barbe manifestement trop longue et des boutades sarcastiques postées sur X il y a quelques années. Il n’a même pas eu l’occasion de finir son assiette de saumon fumé aux côtés de Patrick Cohen et d’Élisabeth Lemoine qu’il a déjà plié bagage. Il faut dire qu’il était convié pour son talent de stand-upper, mais également pour se conformer à minima aux exigences éditoriales d’une émission macroniste et conformiste. Notre audiovisuel public, en somme, que j’ai analysé par le passé dans un article ici même, et dans lequel j’utilisais plutôt le qualificatif de « média d’Etat » – l’intervention de la ministre de la Culture Rachida Dati en témoigne. 

La bourgeoisie faussement « progressiste » des médias d’État lâche Merwane Benlazar comme elle le fait pour d’autres Arabes dont elle se sert uniquement comme caution diversitaire à intervalle régulier. Car pour être véritablement défendu, être un musulman bienveillant qui fait des blagues n’est évidement pas suffisant à leurs yeux : notre autodérision est forcément suspecte par essence. Les racistes ne sont pas « idiots » simplement parce qu’ils ne comprennent pas l’autodérision : ils sont racistes, point, et l’extrême droite impose en toute impunité son tempo médiatico-politique, ce qui arrange parfaitement bien nos classes dominantes.

Je ne voulais pas forcément réagir à chaud à l’islamophobie que subit Merwane Benlazare : un énième acte raciste, ce qui suppose d’écrire des éditoriaux à peu près tous les jours. Tenez, par exemple, le jour de l’affaire Merwane, je me suis fait encore contrôler sans raison par le vigile d’un Monoprix qui m’a empêché de sortir du magasin : j’avais pourtant pris les devants en payant devant le vigile, en articulant tous mes gestes pour lui montrer que je ne dissimulais rien, mais ma tête ne lui revenait pas – my bad, je retourne chez Aldi. Mais malgré tout, avec un peu de recul, il m’a semblé opportun de me saisir de cet acharnement subi par Merwane Benlazar pour réaliser cette mise au point et une montée en généralités indispensable.

Le problème, c’est quand le droit au blasphème à l’encontre des musulmans devient le parangon de la liberté d’expression, et que les Arabes de France ont très peu de droits de réponse dans les médias généralistes


« Hier c’était moi, aujourd’hui @MerwaneB, demain ce sera vous », tweet très justement le rappeur Médine, victime du même harcèlement médiatico-politique raciste l’été 2023, et dont un concert prévu en septembre de la même année a été annulé par la mairie de Toulouse. En novembre 2024, la décision de Sciences Po Paris d’interdire dans ses locaux une conférence de l’eurodéputée de la France insoumise (LFI) Rima Hassan, pour cause de risque de troubles à l’ordre public, avait été validée par le Conseil d’État. Un Conseil d’Etat qui avait également validé la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France  (CCIF) en septembre 2021. Le pouvoir politique qui criminalise et censure des Arabes pour ce qu’ils disent et ce qu’ils font n’est malheureusement pas nouveau, laboratoire de futures répression d’Etat pour l’ensemble des classes laborieuses et les militants contestataires du pays. Par conséquent, il faut impérativement inscrire ce déferlement de haine contre Merwane Benlazar dans ce continuum de racisme d’Etat pour sortir de la simple indignation ponctuelle et inoffensive : ce n’est pas simplement le droit à l’humour, de chanter ou de s’exprimer politiquement que l’on nous refuse, mais d’exister tout simplement en tant qu’Arabe ou musulman. Comme dans un magasin Monoprix, nous intimider et nous faire comprendre que quoiqu’on dise ou qu’on fasse, nous ne serons jamais à notre place.

Bon Arabe / Mauvais Arabe

Des Arabes comme Merwane à qui on sollicite une cellule investigation à la recherche du moindre tweet maladroit ou ironique posté le 4 novembre 2002 à 19h32 est un grand classique, à l’instar de la chanteuse Mennel du talk show « The Voice », qui avait le culot de porter le foulard. Dernièrement, l’historien Nedjib Sidi Moussa a quant à lui été violemment pris à partie pour avoir critiqué les prises de positions racistes et réactionnaires de l’écrivain Boualem Sansal, sans pour autant remettre en question la gravité de son emprisonnement en Algérie. Un Arabe est défendu s’il est certifié bio et coche toutes leurs cases orientalistes et valide leurs fantasmes islamophobes, sinon : walou. Dans les deux cas, ils n’ont jamais le droit à l’erreur – à part s’ils décrochent un Goncourt et chient sur les nôtres.

Depuis l’injonction à « être Charlie », la bourgeoisie a décrété à longueur d’éditoriaux que le summum de la liberté d’expression était de pouvoir se moquer des Arabes et des personnes de confession musulmane. Et d’ailleurs petit rappel : on peut être Arabe sans être forcément musulman, ou inversement. Le problème n’est évidemment pas le droit au blasphème, bien au contraire. Le problème, c’est quand ce droit au blasphème à l’encontre des musulmans devient le parangon de la liberté d’expression, et que les Arabes de France ont très peu de droits de réponse dans les médias généralistes, ce qui relève d’une flagrante inégalité d’expression. Et s’ils ont le malheur de croire qu’ils peuvent s’exprimer sur le génocide à Gaza, ça chauffe pour eux : j’en ai fait les frais sur BFM TV. Ainsi, on crée nos espaces autogérés et autonomes, comme le fait l’humoriste Mustapha El Atrassi, ou comme nous le faisons ici dans des médias indépendants.

« Pourquoi c’est injuste tout ça ? Moi j’ai le droit de me défendre. Mais tous les jours, il y a des centaines d’Arabes qui sont renvoyés parce qu’ils n’ont pas mis le bon pull, et eux ne se défendront jamais (…) Et ce qu’il se passe là, on changera pas tout, mais il faut que ça change un peu quelque chose pour ces gens-là », analyse Merwane sur scène à l’Européen quelques jours après son renvoi. En attendant, le licencié a rejoint les parias médiatiques plus vite que prévu : on peut l’en féliciter et le soutenir de manière indéfectible. Dans l’univers mental des classes dominantes de gauche comme de droite, il ne faut jamais oublier que l’Arabe est soit le bon, soit la brute, soit le truand – ou il peut être les trois à la fois, qui sait.

Selim Derkaoui
Selim Derkaoui
Chroniqueur régulier
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