Comment démonter les mensonges du pouvoir sur la dette

Tous les salariés en ont l’habitude : les patrons de leurs entreprises agitent systématiquement des propos angoissants, dès qu’il s’agit d’argumenter pour refuser des augmentations de salaires ou de justifier des licenciements. L’entreprise serait en difficulté, les profits pas assez élevés, sa compétitivité menacée. C’est le plus souvent faux, ces arguments n’étant là que pour justifier une politique visant à augmenter la rémunération des actionnaires. À la tête de l’État, depuis des décennies, cette rhétorique patronale a également fait ses preuves. Faire peur pour justifier des coupes massives dans les services publics, la restriction des minima sociaux, la chasse aux chômeurs, etc. Bayrou, que nous venons de dégager, a été à la pointe de cette propagande. Nul doute que son successeur Lecornu va nous resservir rapidement la même soupe pour essayer en vain de briser la dynamique monumentale du mouvement social commencé le 10 septembre. Alors, reprenons un à un les arguments sur la dette publique pour s’aider mutuellement à les combattre, et à ridiculiser ceux qui les assènent.
Le récit est toujours identique : ceux qui détruisent nos droits seraient les adultes responsables sauvant le pays du chaos. Et pour jouer sur les sentiments, ils prétendent même le faire « pour les enfants ». « C’est en pensant à eux que nous devons prendre nos décisions, en adultes responsables et affectueux, qui savent que protéger les enfants, c’est le plus important pour construire l’avenir. » a osé asséner Bayrou dans son discours du 25 août. On mesure une fois de plus toute l’ignominie du personnage, ayant laissé les enfants se faire violer et tabasser à Bétharram sous sa connaissance complice et prétendant désormais les défendre en les rendant encore plus pauvres qu’aujourd’hui au nom de la sacro-sainte peur de la dette publique. Mais la peur peut fonctionner, elle peut restreindre nos capacités d’actions. Beaucoup de gens se disent, et c’est compréhensible, que si quelque chose est asséné par le pouvoir et par les médias, c’est qu’elle contient forcément un fond de vérité. Il n’en est rien.
1- Non, on ne lègue pas la dette aux enfants puisque la dette actuelle sera remboursée par la dette future et non pas par les générations futures.
Soit Bayrou, en cinquante ans de vie politique, n’a jamais ouvert un manuel d’économie, soit il ment effrontément – sans doute les deux. En prétendant que nos enfants paieront la dette publique, il oublie sciemment que l’État roule sa dette : il rembourse le capital arrivé à échéance en contractant de nouveaux emprunts, en moyenne au bout de 8 ans. Ce n’est pas un problème, tous les autres pays le font et en France c’est le cas depuis cinquante ans. La France, contrairement à un ménage, trouve toujours des prêteurs, car une obligation d’Etat fait partie des placements les plus sécurisés. Et contrairement à un ménage qui rembourse son prêt immobilier mois après mois, l’État ne rembourse pas progressivement le capital, celui-ci est remboursé par un nouvel emprunt et l’Etat ne paie sur son budget que les intérêts. Si vous êtes propriétaire de votre logement, c’est comme si vous pouviez dire à votre banquier : je ne rembourse pas chaque mois mon emprunt immobilier, je le je paye juste les intérêts, et je rembourserai à échéance dans vingt ans, en contractant un nouvel emprunt pour le faire. Ce qui pèse sur les contribuables, ce ne sont ainsi pas les 3 345,8 milliards d’euros de dette brandi par Bayrou, soit 114 % du PIB, qui sont remboursés par une nouvelle dette, mais uniquement les intérêts annuels, environ 62 milliards d’euros en 2025, soit 2,1% du PIB.
Par exemple, s’il emprunte 500 millions sur dix ans à 2,5 %, il paiera 12,5 millions d’intérêts par an, puis à la fin, empruntera à nouveau 500 millions pour rembourser le capital. Et ainsi de suite, indéfiniment. Ce dont les générations futures héritent réellement, ce n’est donc pas la dette en tant que telle, mais les choix politiques réalisés aujourd’hui et qui pèsent sur notre avenir collectif : les investissements d’avenir qui ne sont pas faits, les services publics qui sont détruits, pour éviter notamment que les riches et les entreprises contribuent aux paiements des intérêts de la dette via leurs impôts.
2- Les intérêts payés par la France ne sont pas si élevés que cela et il n’y a aucun risque de faillite
L’État a donc besoin de se réendetter régulièrement pour rembourser les titres arrivés à échéance. Trouver des prêteurs n’a jamais posé de problème : la dette française est considérée comme un placement sûr et attire toujours les investisseurs. Le véritable risque tient seulement au niveau des taux d’intérêt. Si ceux-ci s’envolaient, la charge de la dette pourrait devenir trop lourde. Mais ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui : malgré les hausses récentes, les intérêts restent historiquement modérés. Ils représentent 2,1% du PIB, c’est bien en-dessous du record historique de 1996 (3,6 %) et même en dessous de la moyenne des trente dernières années (2,5 %).
Certes, on nous bassine avec le fait que les intérêts de la dette publique, c’est le deuxième budget derrière l’éducation nationale. Mais on peut faire un autre calcul : les 211 milliards d’euros d’aides publiques annuelles aux entreprises représentent environ 3,4 fois le montant des intérêts de la dette publique. En réduisant un peu ces aides on pourrait donc payer 100% des intérêts de la dette chaque année. Et, en proportion du PIB, la dette payée par la France est inférieure à tous les grands pays d’Europe à part l’Allemagne. « Si on rapporte cette charge des intérêts aux dépenses publiques, on s’aperçoit qu’elle s’allège sur la longue durée. Elle représentait plus de 20 % jusqu’aux années 1930, contre moins de 5 % aujourd’hui. Bref, pas de quoi dramatiser. », nous précisent des économistes dans une tribune au Monde. Le risque de « faillite » de l’État brandi par le pouvoir depuis des lustres est une aberration, d’autant plus que l’État, contrairement à un ménage ou une entreprise, décide lui-même du niveau de ses recettes par le niveau de prélèvements de l’impôt,
Le risque est seulement en effet que les taux d’intérêt de la dette continuent à augmenter, car celle-ci est aux mains des marchés financiers, c’est-à-dire en particulier des compagnies d’assurance et des banques privées. Si le risque de « faillite » était réel, les gouvernements successifs auraient alors dû sortir la dette de l’emprise de la finance en permettant à la banque de France de prêter à des taux d’intérêt faibles voir nulles à l’État comme cela s’est fait pendant des décennies, ce qui est certes contraire aux traités européens qu’ils ont signés sciemment et dont il faudra de toute manière bien sortir un jour, car au-delà de la dette ils empêchent de mener la moindre politique de transformation sociale.
Mais même dans le cadre actuel, la Banque centrale européenne a montré qu’elle pouvait s’écarter de son dogme de stricte discipline budgétaire lorsqu’il s’agit d’éviter une crise systémique. Certes, les traités européens interdisent formellement à la BCE et aux banques centrales nationales de financer directement les États (article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’UE). Mais pour contourner cette contrainte, la BCE a mis en place à partir de 2015 des programmes massifs de rachats de titres publics sur le marché secondaire. Concrètement, elle a racheté aux banques, compagnies d’assurance et autres investisseurs privés des centaines de milliards d’euros d’obligations d’État, ce qui a maintenu les taux d’intérêt à des niveaux très bas et assuré la stabilité financière. Nul doute qu’en cas de nouvelle catastrophe économique – dont nous sommes très loin aujourd’hui – la BCE recourrait de nouveau à ce type de programme.
3- La dette n’est donc en soi pas un problème ; elle est au contraire un outil très efficace de relance de l’investissement et de l’emploi.
Il est tout à fait normal de financer des investissements de long terme (dans les infrastructures publiques ou la transition énergétique, par exemple) par de la dette qui se remboursera sur des années, plutôt que par des impôts prélevés sur une seule année. Qui peut se permettre d’acheter une maison avec ses revenus d’un an ? L’alarmisme au sujet de la dette ne vise le plus souvent qu’à servir de prétexte à la destruction constante de nos acquis sociaux, non pas pour réduire la dette, mais pour remplacer des dépenses publiques utiles à tous par des dépenses ne servant que les bourgeois. Au-delà de leur propagande servie quotidiennement, cette pression s’exerce par tout un appareil idéologique international, allant de l’Union européenne aux agences de notations mondiales. Le vrai problème aujourd’hui ce n’est pas le montant de la dette en tant que tel, mais le fait que ce soit en partie une mauvaise dette, gonflée par les cadeaux fiscaux et sociaux aux entreprises, les allègements d’impôts pour les plus riches et des intérêts versés aux banques et aux compagnies d’assurances étrangères. La hausse de cette dette ne contribue plus au bien-être de la population. Ce n’est pas une fatalité. Une autre dette est possible, contractée auprès de la Banque de France, si nous sortions de l’euro, et servant exclusivement à financer les investissements publics. Elle cesserait alors d’être un instrument bourgeois d’oppression du peuple, pour devenir un outil d’émancipation collective.
Photo de couverture : Photo de Maryna Yazbeck sur Unsplash

Guillaume Étievant
Responsable éditorial
