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On a eu chaud. 15 jours de canicule plus ou moins constante, une pause et ça va revenir. Des ouvriers sur les chantiers n’en sont pas ressortis vivants et des centaines de personnes âgées ont eu leur fin de vie écourtée. Le reste d’entre nous a surnagé, dans des maisons ou des apparts mal isolés du chaud. Le moment idéal pour le RN de saisir la fenêtre très grande ouverte dans les médias réactionnaires pour annoncer un plan de climatisation, notamment des hôpitaux, écoles, transports publics et lieux de travail. Et on n’a parlé que de ça. Les Ecologistes ont rapidement moqué la proposition. Illico, l’extrême-droite et la droite ont embrayé sur le refrain habituel des “zécolos sectaires et anti-progrès”. Mais les réactions ont également fusé du côté des militants de gauche, essorés de voir une fois de plus une certaine écologie bourgeoise lancer des énièmes injonctions à des bons gestes individuels. Si l’objectif à long terme est bien d’abattre la cocotte-minute du capitalisme carbo-fasciste, que disent ces machines de l’époque quand on les regarde froidement ?

Parler de l’air conditionné, de la climatisation, c’est déjà regrouper plusieurs équipements au fonctionnement similaire mais qui n’ont rien à voir en termes de coût. L’air chaud (et l’humidité) est aspiré, mis en contact d’un tuyau où circule un gaz à l’état liquide, le « fluide frigorigène », qui relâche la chaleur à l’extérieur avant de ramener dans la pièce de l’air frais. La plus simple c’est la climatisation mobile, avec une gaine de sortie à travers un trou dans le mur ou une fenêtre entrebâillée. Ces climatiseurs sont bruyants, fortement consommateurs d’électricité mais s’achètent entre 300 et 1000 €. Viennent ensuite les climatiseurs fixes, avec une partie à l’intérieur de l’espace climatisé, et un second module à l’extérieur, qui ont été généralisés aux Etats-Unis depuis un demi-siècle. Enfin, des « climatiseurs réversibles », en plus de refroidir en été peuvent servir de chauffage en hiver mais leur coût peut dépasser 10 000 euros.

Le privilège bourge-froid

Leur point commun , c’est que ce sont d’abord des équipements de riches et/ou de propriétaires. En France, 37% des CSP+ en disposent contre 24% des familles d’ouvriers et 19% des sans-emplois (Enquête Coda Stratégie 2021, citée par l’ADEME).  Aux inégalités sociales s’ajoutent les autres discriminations. Dans un article de 2024, sur les Etats-Unis, des chercheurs ont constaté que « les ménages de personnes d’origine asiatique, noire ou hispanique sont plus susceptibles que les ménages blancs de déclarer ne pas disposer de climatisation ». Un écart lié au genre se retrouve enfin dans les usages de la clim’ : les hommes prennent plus souvent le contrôle de la température au travail ou à domicile et sur-rafraîchissent, à un niveau bien trop bas par rapport aux besoins des femmes et des recommandations d’usage (27°C minimum).

En France, ces inégalités d’accès à la climatisation du logement sont d’abord vécues dans les quartiers denses, notamment les banlieues populaires soumises à une pleine chaleur sans volets, dans des zones bétonnées qui stockent la chaleur de jour comme de nuit, (on parle d’îlot de chaleur urbain, voir ici une carte interactive). Plus vulnérables encore, les personnes sans domicile et la communauté des gens du voyage, dont les aires d’accueil, en plus d’être souvent situées dans des terrains bitumés et pollués, se trouvent en plein soleil, sans ombrage, dans des caravanes souvent très mal isolées. Dans le même temps, le très mal nommé site public https://www.vivre-avec-la-chaleur.fr/ osait expliquer que : « si vos moyens financiers le permettent, louez pendant quelques jours un logement mieux isolé de la chaleur quelques jours. » La phrase a depuis été retirée, mais l’idée est là : « faites comme vous pouvez avec vos moyens parce que la puissance publique ne s’en occupera pas. » La clim’ est ainsi d’abord une solution de confort individuel pour les classes dominantes, celles-là même dont le mode de vie est le plus destructeur pour la planète. Et tant qu’eux sont au(x) frais(es), pourquoi sentiraient-ils quelconque urgence à transformer radicalement la société ?

Clim’aticide ?

Forcément, quand on entend en boucle des appels à surtout ne pas acheter de climatiseur mobile “pour des raisons écologiques”, alors que 60% des ménages déclarent en 2022 avoir eu trop chaud l’été, il y a de quoi bouillir. Même si oui, les impacts de la clim’ sont à prendre au sérieux. D’abord pour une question de consommation d’électricité. Si en Inde par exemple, elle reste fortement polluante et dépendante du charbon, en France, c’est principalement le nucléaire puis l’hydroélectricité qui la fournissent. Deux productions peu carbonées mais qui souffrent des canicules et des sécheresses. En soi, la production solaire, déjà excédentaire en Europe en milieu de journée l’été, pourrait absorber efficacement cette surcharge, mais le camp réactionnaire s’est justement prononcé fin juin pour un moratoire général sur toutes les énergies renouvelables. La question sera surtout le surcoût de la clim’ sur la facture, autour de 15% de plus par mois, voire bien plus si l’on pousse une clim’ mobile au max.

Quand on entend en boucle des appels à surtout ne pas acheter de climatiseur mobile “pour des raisons écologiques”, alors que 60% des ménages déclarent en 2022 avoir eu trop chaud l’été, il y a de quoi bouillir.

Concernant la contribution au réchauffement global,  l’ADEME évaluait l’impact de la climatisation à 5% des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment (qui représente 1/6e des émissions nationales). Cette part est amenée à tripler d’ici 2050 vu la vitesse avec laquelle la clim’ se généralise. Cela est dû essentiellement aux gaz frigorigènes (notamment le HFC), un gaz au pouvoir réchauffant très important quand il s’échappe dans l’atmosphère, lors des maintenances ou de la fin de vie. Là, pas d’autre solution que de contrôler ces fuites ou limiter l’usage. Mais la « pollution » la plus perceptible de la clim’, c’est en fait la chaleur qu’elle dégage. Dans les métropoles, sa généralisation entraîne un effet réchauffant additionnel jusqu’à 1 à 2°C de plus à l’extérieur des bâtiments climatisés.  Premiers touchés  : les personnes qui travaillent dehors et qui n’ont pas de clim’. En cela, l’extrême droite demandant à “protéger” une partie de la population avec des clim’ reste cohérente avec sa ligne profondément inégalitaire. Peu importe que la situation empire pour tous, tant que sa situation reste moins pire (sous entendu : que celle des plus pauvres et des personnes racisées). 

Les mains dans le lambris

Alors on fait quoi ? Déjà, sortir d’un rapport moral au sujet comme un choix individuel et le traiter comme une question de santé environnementale. On n’échappera pas à la nécessité, faute de mieux, de climatiser certains espaces pour limiter la surmortalité des populations à risque. Parce qu’il est hors de question de reproduire les erreurs de la période Covid et l’abandon des populations les plus fragiles et vulnérables. Mais c’est bien plus qu’il faut faire. Dans l’urgence, là tout de suite, si l’on est vraiment dans la dèche, ce qui peut nous sauver c’est de confiner l’espace habité en journée, aérer à la pointe de rosée en fin de nuit. Pour l’équipement d’urgence, calfeutrer le maximum de surfaces vitrées par l’extérieur avec des couvertures de survie (5 euros), récupérer des ventilateurs sur pied (30€) potentiellement dirigés vers un humidificateur d’air (40€), voire si l’on a la possibilité un ventilateur de plafond brasseur d’air (150€). Et une petite clim’ (sans HFC) à 27°C seulement quand on occupe la pièce en tout dernier recours. Mais ça, c’est de la survie, du court terme.

Pour s’en sortir collectivement, on a besoin de taper là où ça fait souvent mal au capital : dans la structure. Les éternelles toitures en zinc parisiennes classées par les Architectes des Bâtiments de France sont ainsi particulièrement inadaptées aux chaleurs estivales car elles absorbent beaucoup de chaleur. Les plus chanceux auront pu avoir un propriétaire qui a isolé les murs et les combles. Seul hic : l’isolant le plus souvent utilisé, le moins cher, c’est la laine de verre. Or, à l’instar d’un macroniste au second tour des législatives, l’isolant minéral cesse de faire barrage très rapidement. En quatre heures, la laine de verre cesse de contenir la chaleur et la relargue vers l’intérieur. Ce « déphasage thermique », comme disent les pro du BTP, est l’une des clés du « confort d’été ». D’autres isolants plus performants existent (ouate de cellulose, laine de bois, liège) mais coûtent plus cher et surtout sont rarement proposés par les artisans eux-mêmes.

Au-delà d’une vraie politique de rénovation globale, il sera aussi nécessaire d’envisager la question de la construction d’un futur vivable autrement qu’en étant restreints à des espaces climatisés et clos. Une nouvelle forme de confinement à deux vitesses entre les climatisés et les autres qui subiront la chaleur extrême au travail, dans les villes ou chez eux.

Faire le nécessaire dans le parc de logements implique évidemment des milliards. L’isolation comme l’installation de volets roulants occultants faisaient partie des travaux éligibles aux aides publiques à la rénovation énergétique, mais depuis début juillet, la tronçonneuse budgétaire est passée par là et MaPrimeRénov’ a été gelée pour trois mois. Au-delà d’une vraie politique de rénovation globale, il sera aussi nécessaire d’envisager la question de la construction d’un futur vivable autrement qu’en étant restreints à des espaces climatisés et clos. Une nouvelle forme de confinement à deux vitesses entre les climatisés et les autres qui subiront la chaleur extrême au travail, dans les villes ou chez eux. Avec une vie comme aux Etats-Unis sous dépendance des producteurs d’électricité et des réparateurs, espérant que tout ça « tienne », jusqu’à ce que la clim’ ne suffise de toute façon plus face à des épisodes de chaleur encore plus extrêmes et fréquents. Pas vraiment un futur enviable et vecteur de transformation sociale.

Les organisations écolos et de gauche commencent à proposer une esquisse de service public de la protection contre la surchauffe, incluant des accès gratuits aux lieux frais, aux piscines, des rénovations d’ampleur, avec une révégétalisation des façades, des espaces extérieurs et d’une dé-bétonisation. On peut citer une proposition de loi déposée récemment pour l’interdiction des logements bouilloires, qui va dans le bon sens. Enfin, pour le mouvement social, une bataille offensive pourrait viser à enfin établir un seuil de température maximum avant de stopper le travail : « on ne fera pas nos 35 heures tant qu’il fera plus de 35°C » ? La grève du chaud, voilà peut-être une idée rafraîchissante.


Photo de Prasopchok sur Unsplash

Elsa Souchay
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