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« All the Good Girls Go to Hell » : Billie Eilish, icône pop d’un éco-branding à bout de souffle

Dans All the Good Girls Go to Hell, Billie Eilish transforme l’imaginaire religieux en fable éco-apocalyptique. Sous ses airs de pop rampante et désenchantée se cache une critique cinglante : celle de l’inaction climatique, de l’hypocrisie politique, du monde qui brûle pendant que tout le monde scroll. La chanson est à l’image de Billie Eilish elle-même : une figure ambivalente, à la fois sincère et stylisée, entre conscience politique et machine à fric éco-brandée.

Le clip, presque biblique, la montre couverte d’ailes d’ange, tombant du ciel pour s’engluer dans une marée noire. L’esthétique est léchée, le message est noir : c’est une pop superbe qui annonce la fin. Elle s’avance, mid-tempo, trainante. La production est dépouillée, clinique. Elle accompagne la voix éthérée si touchante de Eilish. Derrière ce cauchemar lent et élégant, c’est un phénomène complexe qui se déploie : celui d’une star mondiale qui incarne la mélancolie d’une génération — tout en industrialisant ses engagements. Derrière les ailes brûlées et les basses lourdes, il y a un discours. Les paroles sont truffées de piques ironiques et de métaphores religieuses au service d’un message éco-politique désabusé.

 « Hills burn in California / My turn to ignore ya / Don’t say I didn’t warn ya »

(Les collines brûlent en Californie / C’est à mon tour de t’ignorer / Ne dis pas que je ne t’avais pas prévenu)

Tout est dit : les collines californiennes en feu, l’indifférence, le désastre comme bruit de fond. C’est chanté sans effet dramatique, juste avec lassitude. C’est un style, mais c’est aussi un aveu.

« Le sens profond de la chanson est le réchauffement climatique, la grève pour le climat et ce qui est vraiment important. Cette chanson parle du monde et des efforts pour le sauver, et des gens qui ne croient pas qu’il doit être sauvé. »

Billie Eilish

« Man is such a fool, why are we saving him?  / Poisoning themselves now /
Begging for our help, wow »

(L’homme est tellement con, pourquoi on le sauve ? / Ils s’empoisonnent / Pour nous supplier de les aider ensuite, wow)

L’homme détruit tout, s’empoisonne, puis vient supplier qu’on le sauve. Une intoxication globale : idéologique, culturelle, économique. L’autodestruction est devenue mode de vie. Et Billie Eilish incarne la fatigue d’une génération à qui on demande de réparer un monde qu’elle n’a pas détruit.  Mais il faut quand même se battre pour le faire, selon elle. « Le sens profond de la chanson est le réchauffement climatique, la grève pour le climat et ce qui est vraiment important. Cette chanson parle du monde et des efforts pour le sauver, et des gens qui ne croient pas qu’il doit être sauvé. », a-t-elle expliqué. 

Un blasphème féministe

«  All the good girls go to Hell / Cause even God herself has enemies »

(Toutes les bonnes filles vont en enfer / Parce que Dieu elle-même a des ennemis)

Dans sa chanson, Eilish détourne les figures religieuses : Lucifer, Dieu, Saint Pierre, les anges, les “bonnes filles”. Ici, le sacré est corrompu, inversé. « Toutes les bonnes filles vont en enfer » : non pas parce qu’elles ont fauté, mais parce que les codes sont inversés, les vertus punies, et les figures d’autorité – Dieu y compris – corrompues ou impuissantes. « Parce que Dieu elle-même a des ennemis » : la formule claque comme un blasphème féministe. Dieu n’est plus un père barbu planqué dans les nuages, c’est une « elle », une puissance qui saigne, isolée, assiégée. Ici, la divinité ne sauve plus personne. Une fois que les eaux montent, le paradis devient inaccessible. Billie Eilish n’imagine pas l’apocalypse : elle l’assume comme un quotidien. Et dans cette vision crépusculaire, même les « bonnes filles » — celles qui respectent les règles — sont damnées d’avance. Ce n’est plus la morale qui sauve, mais l’adaptation à un monde pourri.

Billie Eilish chante la fin du monde comme un quotidien, mais elle le fait depuis le sommet de l’industrie qui en est en grande partie responsable. Sa tournée “eco-friendly” génère des millions. Ses vinyles recyclés se vendent en édition limitée ultra-collector. Son image — oversize, morose, “authentique” — est un branding calibré, labellisé Gucci x Vogue. Elle s’en sert pour écouler une ligne H&M “éco-responsable” (avec du polyester, dérivé du pétrole), pour collaborer avec Nike, Google, et d’autres géants du capitalisme pas exactement réputés pour leur sobriété carbone.

Une apocalypse en coton bio

Billie Eilish chante la fin du monde comme un quotidien, mais elle le fait depuis le sommet de l’industrie qui en est en grande partie responsable. Sa tournée “eco-friendly” génère des millions. Ses vinyles recyclés se vendent en édition limitée ultra-collector. Son image — oversize, morose, “authentique” — est un branding calibré, labellisé Gucci x Vogue. Elle s’en sert pour écouler une ligne H&M “éco-responsable” (avec du polyester, dérivé du pétrole), pour collaborer avec Nike, Google, et d’autres géants du capitalisme pas exactement réputés pour leur sobriété carbone. Rien de tout cela n’invalide sa sincérité. Mais ça l’encadre. Elle est la pop star idéale pour une époque dépressive : elle ne fait pas rêver, elle rassure par son mal-être. Le greenwashing pop est un art qu’elle maîtrise — peut-être malgré elle, peut-être très consciemment.

Aujourd’hui, on ne vend plus juste une chanson ou un t-shirt : on vend une conscience. Une posture éthique empaquetée dans du merch. Des bouteilles réutilisables “No Music on a Dead Planet”, des vinyles “écologiques” en six coloris collectors, une tournée verte où le plastique est banni — mais où les semi-remorques roulent au kérosène.

Aujourd’hui, on ne vend plus juste une chanson ou un t-shirt : on vend une conscience. Une posture éthique empaquetée dans du merch. Des bouteilles réutilisables “No Music on a Dead Planet”, des vinyles “écologiques” en six coloris collectors, une tournée verte où le plastique est banni — mais où les semi-remorques roulent au kérosène. L’éco-branding, dans la pop, c’est poser un geste symbolique, marketé à la virgule près, pour compenser une machine fondamentalement inchangée. Elle est loin d’être la seule. Mais chez elle, c’est encore plus frappant, parce que le discours est désespéré. On vend la fin du monde sous blister responsable.

Ce n’est pas que c’est faux. C’est que c’est intégré. L’industrie a appris à recycler même l’angoisse. Et Billie Eilish, parce qu’elle y croit, en est l’icône parfaite. C’est ça, la force perverse du capitalisme contemporain : il sait récupérer même les cris les plus honnêtes. Résultat : on repart avec un vinyle “low impact” et une bonne conscience. Pendant que les glaciers fondent hors-champ.

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Guillaume Étievant
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
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