Vers un « bloquons tout » belge le 14 octobre ?

« Bloquons tout » est le mot d’ordre utilisé le 10 septembre en France, pour un mouvement d’une journée, réussi bien que très réprimé, puis quelques semaines plus tard, de façon encore plus spectaculaire, en Italie. Demain le 14 octobre, la Belgique s’apprête à vivre un mouvement social répondant au même mot d’ordre. Jules Adam Mendras nous raconte, depuis Bruxelles, à quoi l’on peut s’attendre.
Porté par la dynamique du 10 septembre et par les mobilisations italiennes en soutien avec la Palestine, le mouvement Bloquons Tout s’étend demain en Belgique. L’objectif est de faire front commun contre les attaques du gouvernement Arizona et de son Premier ministre nationaliste contre notre protection sociale. Comme en France, l’intention est de dépasser le cadre institutionnalisé des manifestations syndicales afin d’imposer une grève généralisée en bloquant des centres stratégiques pour construire une riposte collective à la hauteur de l’offensive historique menée contre les droits et la dignité des travailleur·euses.
Fédérer les résistances
Initié par un front commun comprenant quelques grands syndicats de travailleur·euses du pays (la FGTB, la CSC et la CGSLB), le mouvement a rapidement été rejoint par des activistes et des collectifs militants comme les Gilets jaunes wallons, l’assemblée de travailleur·euses Commune Colère, le Collecti.e.f 8 maars, ainsi que des groupes de soutien à la Palestine. Une journée de mobilisation bruxelloise mais à la portée nationale puisque les blocs seront également rejoints par des collectifs venus de Wallonie et de Flandre. L’objectif formulé lors des différentes assemblées générales est clair : se faire entendre et imposer un rapport de forces face à l’une des pires régressions sociales du pays en mobilisant tous les moyens nécessaires, à l’image du mouvement du 10 septembre en France. Assez des doléances et des trajets symboliques Gare du Nord–Gare du Midi, il est temps d’être entendu·es et de passer à l’action.

« Bruxelles n’est pas en Arizona »
Tout comme en France, les dérives fascisantes gagnent du terrain en Belgique, particulièrement depuis la fracture politique de février dernier et l’arrivée au pouvoir de la coalition dite « Arizona », qui tire son nom du drapeau de l’État américain comportant les couleurs symboliques liées aux partis politiques impliqués dans cette coalition. Une coalition qui penche très à droite, présidée par Bart De Wever, ancien dirigeant de la N-VA, parti nationaliste flamand à l’idéologie ultralibérale et xénophobe dont la nomination a été notamment saluée par Marion Maréchal Le Pen.
Les mesures de ce nouveau gouvernement sont fidèles à l’idéologie prônée par De Wever depuis une vingtaine d’années. Petit florilège :
- Une politique migratoire toujours plus répressive et raciste : durcissement des conditions de regroupement familial, réforme du système d’allocations octroyées aux personnes qui bénéficient d’un statut de réfugié, intensification des dispositifs visant à dissuader les demandes d’asile.
- Des attaques contre la protection sociale et la santé : baisse des allocations, exclusion des aides sociales, affaiblissement des conventions collectives, réduction des congés maladie et des droits des malades de longue durée, allongement de l’âge de départ à la retraite.
- Des atteintes au droit du travail en faveur du patronat : suppression de l’interdiction du travail le dimanche, augmentation du travail de nuit et précarisation accrue des conditions de vie.
- Mais aussi la coupe des subsides du Plan Grand Froid (ouverture de centaines de places d’hébergement d’urgence pour accueillir les personnes sans domicile pendant les périodes les plus critiques) et criminalisation des mouvements sociaux.

Convergence avec la lutte pro-palestienne
Face à l’inaction du pouvoir exécutif belge face au génocide à Gaza, la société civile a un rôle essentiel à tenir dans le mouvement du 14 alors que quatre citoyen·nes belges ayant embarqué sur la Global Sumud Flotilla et que huit autres appartenant à la Thousand Madleens – dont le rappeur Youssef Swatt’s – sont rentré·es à Bruxelles la semaine dernière tandis que deux sont toujours détenu·es illégalement par l’armée israélienne.
Plus que jamais, la lutte pour la Palestine est aujourd’hui au cœur des soulèvements à travers le monde et incarne la résistance contre le racisme, l’impérialisme, l’exploitation et l’ultralibéralisme mis en œuvre par le gouvernement Arizona.
Redéfinir les modes de mobilisation
Initialement prévue comme une manifestation syndicale, le mouvement tend à s’émanciper aussi des bannières classiques pour proposer une action plus directe, spontanée et inattendue.
Cette volonté de rompre avec le cadre classique se traduit d’abord par une organisation locale qui s’appuie sur le relais de plusieurs réseaux activistes (Comme une Colère, Réseau ADES) et des médias indépendants (Stuut.Info, Bruxelles Dévie).
L’objectif affiché est de dépasser le simple rendez-vous du 14 octobre et de construire un plan d’action progressif pouvant mener à une grève reconductible.
Certains centres névralgiques du pays se retrouvent déjà touchés par le mouvement comme l’aéroport de Bruxelles qui a déjà fait savoir qu’aucun vol ne décollera de Zaventem le 14 octobre en raison de l’impact majeur de la mobilisation des salarié·es sur l’activité aéroportuaire.
La dynamique s’étend également au secteur scolaire, où plusieurs établissements secondaires envisagent des blocages, comme cela avait été fait la semaine dernière pour exiger la protection des ressortissant·es belges sur la flottille humanitaire.
Ni Macron, ni Arizona
Si la tradition contestataire n’est pas aussi enracinée en Belgique qu’en France dans le pays de la « concertation sociale », la perspective d’une internationalisation du mouvement Bloquons Tout représente une lueur d’espoir pour contrer la fascisation ambiante des gouvernements européens et mondiaux. Déjà en 2018 et 2019, le mouvement des Gilets Jaunes s’était étendu en Wallonie, avec des actions de blocage contre la hausse du carburant et le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite.
Une solidarité des travailleur·euses s’était alors mise en place, avec des opérations conjointes dans les zones frontalières des Ardennes entre Gilets Jaunes français et belges.
Il y a dix jours, le générateur de visuels français « On ne veut plus » annonçait qu’il était désormais possible de créer des visuels avec la date de la mobilisation belge du 14 octobre, signe d’une solidarité transfrontalière entre travailleur·euses confronté·es à des politiques gouvernementales de plus en plus alignées.

En italie, le mouvement Blocchiamo Tutto contre le génocide à Gaza, mais aussi, ailleurs dans le monde, les soulèvements de la jeunesse contre les injustices traduisent chez une nouvelle génération de militant·es et de collectifs une volonté de dépasser les cadres institutionnels et d’imaginer des formes de mobilisations plus directes. Leur force réside dans la capacité à relier des petits groupes, des collectifs dispersés et moins identifiables.
Ces mobilisations ne doivent plus rester ponctuelles et limitées dans le temps. Il est temps de sortir des schémas habituels et de transformer cet élan en tremplin pour la suite.
Jules Adam Mendras
