Pourquoi il faut travailler moins

« On n’arrivera à rien si on se raconte des histoires » a déclaré mercredi sur RTL Édouard Philippe, ex-Premier ministre responsable de la plupart des réformes du macronisme, qui toutes ont reposé sur des histoires inventées de toute pièce (le ruissellement si l’on baisse l’imposition des riches, le plein emploi après destruction du code du travail… rien de tout ça n’était vrai). Le nouveau récit qu’il veut nous faire gober, c’est celui-ci : « Imaginer qu’on puisse conserver le même niveau de prospérité en travaillant plutôt moins que nos voisins proches, c’est se raconter des histoires. Ce n’est pas très agréable et ce n’est certainement pas très populaire de dire aux gens que si on veut rester prospère, il va falloir travailler plus longtemps mais il n’empêche que c’est vrai. » C’est pourquoi il veut faire “en sorte qu’on travaille plus longtemps dans la semaine, dans l’année et peut-être dans la vie”. Ce potentiel candidat à la présidentielle “ressuscite” donc, nous dit BFM-TV, le “travailler plus pour gagner plus”.
« Imaginer qu’on puisse conserver le même niveau de prospérité en travaillant plutôt moins que nos voisins proches, c’est se raconter des histoires. Ce n’est pas très agréable et ce n’est certainement pas très populaire de dire aux gens que si on veut rester prospère, il va falloir travailler plus longtemps mais il n’empêche que c’est vrai. » C’est pourquoi il veut faire “en sorte qu’on travaille plus longtemps dans la semaine, dans l’année et peut-être dans la vie”.
Edouard Philippe, ex-Premier ministre macroniste
Il s’agit bien de l’invocation d’un esprit, d’un mythe, ce slogan qui avait assuré la popularité de Nicolas Sarkozy en 2007 et qui depuis s’est révélé complètement mensonger : alors que le travail du dimanche, le travail de nuit et les heures supplémentaires ont été considérablement facilités et encouragés, le travail ne rapporte pas plus, au contraire. La répartition entre la rémunération du travail et celle du capital se fait de plus en plus au profit du second, c’est-à-dire des actionnaires, tandis que les salaires réels stagnent, du fait de l’inflation endémique. Dans la France de 2025, c’est l’héritage qui permet l’enrichissement, pas le travail. Les lois votées au prétexte du “travailler plus pour gagner plus” ont contribué à ce processus puisqu’elles ont réduit le prix du travail pour les possédants : moins de cotisations patronales, moins de contraintes et donc un travail moins cher pour eux, et moins rémunérateur pour nous. C’est le “faire travailler plus pour gagner plus” des patrons et des actionnaires.
Les lois votées au prétexte du “travailler plus pour gagner plus” ont contribué à une répartition entre le capital et le travail au profit du premier puisqu’elles ont réduit le prix du travail pour les possédants : moins de cotisations patronales, moins de contraintes et donc un travail moins cher pour eux, et moins rémunérateur pour nous. C’est le “faire travailler plus pour gagner plus” des patrons et des actionnaires.
Edouard Philippe veut aller plus loin en “multipliant les accords d’entreprise” qui portent sur l’augmentation du temps de travail. Les accords d’entreprise, c’est ce dispositif créé et développé sous Hollande, amélioré sous Macron, et qui permet à des entreprises, après du “dialogue social”, de faire choisir à leurs syndicats ou représentants du personnel des dispositions moins favorables à leur convention collective ou au code du travail. Pour y parvenir, certaines entreprises encouragent la création de sections syndicales avec des salariés qui leur sont favorables et vont passer en catimini des accords défavorables aux salariés…
Comme tous les politiques bourgeoisistes, Philippe justifie son désir de nous faire plus travailler par le fait que “nos proches voisins” travaillent, eux, davantage. Décryptage après décryptage, debunkage après désintox, ce cliché reste toujours aussi faux : en France, on travaille davantage qu’en Allemagne. D’abord parce que chez nous, la durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine, mais dans les faits, de nombreux salariés à temps plein effectuent des heures supplémentaires ou bénéficient de dispositifs d’aménagement du temps de travail qui les conduisent à travailler au-delà de ce seuil. Les personnes à temps plein travaillent donc davantage que les 35h théoriques mais en plus les personnes à temps partiel et les indépendants travaillent davantage. A l’année, on travaille en moyenne 1349 heures en Allemagne et 1490 en France, où l’on travaille davantage qu’en Suède, au Pays-bas, au Danemark… autant de pays qui sont systématiquement présentés comme des exemples de productivité. D’autres études prouvent la même chose, même si une façon tronquée de les présenter alimente le discours sur les Français paresseux : en ne prenant que les salariés à temps complet, et pas les indépendants et les temps partiels, la France “travaille moins” que l’Allemagne, par exemple.
Philippe justifie son désir de nous faire plus travailler par le fait que “nos proches voisins” travaillent, eux, davantage. Décryptage après décryptage, debunkage après désintox, ce cliché reste toujours aussi faux : en France, on travaille par exemple davantage qu’en Allemagne.
Philippe ment, comme d’habitude, mais pour autant il n’y a pas de quoi être fier : le fait de beaucoup travailler n’est pas un indicateur qui devrait nous satisfaire. Car l’ex-Premier ministre dit aussi, énième mensonge, que “si on veut rester prospère, il va falloir travailler plus longtemps”. De quelle prospérité parle-t-il exactement ? Si c’est celle des actionnaires, il est évident que l’augmentation du temps de travail leur profite, parce qu’elle baisse systématiquement sa rémunération, et évite des recrutements, de la formation de nouveaux salariés, etc.
Mais pour nous, la majorité de la population, quels sont les effets de l’augmentation du temps de travail ?
- Une dégradation de la santé. C’est une donnée avérée désormais : les augmentations de l’âge de départ à la retraite dégradent la santé des séniors. C’est le cas de la réforme de 2010, dont les effets ont été mesurés, avec une augmentation des arrêts maladie. C’est aussi le cas de l’augmentation du temps de travail hebdomadaire, qui réduit le temps de repos, et c’est de façon encore plus dramatique le cas de l’augmentation des horaires atypiques – le travail décalé, le travail de nuit ou de soirée – qui ont des effets avérés sur le développement de maladies du cœur et de troubles alimentaires.
- L’augmentation du temps de travail des salariés en place détruit des emplois : après la loi votée sous Nicolas Sarkozy, qui a défiscalisé les heures supplémentaires pour inciter leur développement, on estime à 30 000 le nombre d’emplois supprimés chaque année. C’est assez logique : pourquoi embaucher quelqu’un d’autre quand on peut donner un surcroît de travail à la même personne ?
L’augmentation du temps de travail des salariés en place détruit des emplois : après la loi votée sous Nicolas Sarkozy, qui a défiscalisé les heures supplémentaires pour inciter leur développement, on estime à 30 000 le nombre d’emplois supprimés chaque année.
Plus un politique dit “il ne faut pas raconter d’histoire”, “il faut tenir un discours de vérité”, plus il ment : il habille l’absence d’arguments macroéconomiques de son propos par des arguments d’autorité creux. Car rien ne tient dans le discours de Philippe, sauf un sous-bassement moral, voire moraliste, qui consiste à dire “il faut trimer davantage”. Aussi vieux que la bourgeoisie, cette “valeur travail” se fout des effets réels du travail sur notre économie, notre santé et donc notre “prospérité”. C’est un discours formaté pour des retraités aisés, cœur de cible électoral de Philippe comme de tous les autres, car électorat qui vote à coup sûr, et qui adore se plaindre des jeunes “qui ne veulent plus bosser” alors que ces retraités aisés – on ne parle pas des pauvres, qui sont nombreux – ont bénéficié du boom immobilier et de droits sociaux supérieurs aux nôtres. “Travailler plus” n’a que cet intérêt moral et idéologique.
Avec le développement de l’intelligence artificielle, énormément de postes vont disparaître. Avec la catastrophe climatique, d’autres vont devoir être supprimés de nos vies : publicitaires, construction automobile, agroalimentaire néfaste pour la santé, travailleuses et travailleurs des stations de ski… d’autres seront créés pour dépolluer, reconstruire, cultiver, etc. Mais les prochaines décennies vont devoir comporter une réduction du temps de travail.
Car la vérité, c’est qu’il ne faut pas se raconter d’histoire : avec le développement de l’intelligence artificielle, énormément de postes vont disparaître. Avec la catastrophe climatique, d’autres vont devoir être supprimés de nos vies : publicitaires, construction automobile, agroalimentaire néfaste pour la santé, travailleuses et travailleurs des stations de ski… d’autres seront créés pour dépolluer, reconstruire, cultiver, etc. Mais les prochaines décennies vont devoir comporter une réduction du temps de travail. Et ça tombe bien, car c’est aussi un progrès social, un progrès sanitaire, un grand bond en avant pour la véritable prospérité d’un pays. La retraite à 60 ans, et plus tôt pour certaines professions, n’est pas un doux rêve : c’est une nécessité économique et sanitaire. Tout comme les 32h hebdomadaires.
La réduction du temps de travail est une nécessité économique mais aussi un progrès social, un progrès sanitaire, c’est-à-dire un grand bond en avant pour la véritable prospérité d’un pays. La retraite à 60 ans, et plus tôt pour certaines professions, n’est pas un doux rêve : c’est une nécessité économique et sanitaire. Tout comme les 32h hebdomadaires.
Comment on finance tout ça ? En prenant en compte des données que les gens comme Philippe retirent systématiquement de l’équation quand ils parlent financement de notre système de retraite ou de nos services publics : tout l’argent improductif qui est passé du travail au capital. Cet argent, il ne faut pas le taxer – il ne faut simplement plus qu’il transite de la richesse produite par le travail vers les actionnaires. Il ne faut plus d’actionnaires : le financement de l’économie assuré par la société permettra d’économiser chaque année des milliards d’euros. Car soyons précis sur ce que nous coûte le capital : selon les calculs de l’économiste Tibor Sarcey, entre 2000 et 2018, les actionnaires des entreprises françaises ont apporté 418 milliards d’euros à notre économie sous forme d’achat d’actions nouvelles, tandis que dans le même laps de temps, les entreprises ont reversé à leurs actionnaires 173 milliards d’euros via des rachats d’actions et leur ont distribué 614 milliards d’euros de dividendes nets. Les actionnaires ont ainsi représenté un coût net direct pour l’économie réelle de 369 milliards d’euros sur la période 2000-2018.
Comment on finance tout ça ? En prenant en compte des données que les gens comme Philippe retirent systématiquement de l’équation quand ils parlent financement de notre système de retraite ou de nos services publics : tout l’argent improductif qui est passé du travail au capital.
C’est en mettant fin à ce vol, ce panier percé, que nous allons pouvoir réduire le temps de travail en France comme ailleurs, et ainsi garantir à toutes et tous une véritable prospérité : celle de l’autonomie au travail, du partage des richesses produites et du temps libre.

Nicolas Framont
Rédacteur en chef
