“Il faudrait une plateforme anonyme pour dénoncer les mauvaises conditions de travail”, Amaury, métallier dans le BTP

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La semaine dernière, Anthony, 21 ans, a exposé la difficulté du secteur, où il travaille, le BTP (bâtiments et travaux publics). C’est celui où se produit le plus d’accidents du travail mortel. Rien qu’en 2023, 149 travailleurs du BTP sont morts à cause de leur travail. Les petites entreprises, les plus nombreuses dans le BTP, secteur où la sous-traitance est le modèle économique dominant, sont particulièrement concernées par les problèmes de sécurité qui mènent à ces accidents. Nous avons appelé à la fin de son texte à des réponses ou d’autres témoignages sur ce secteur et nous en avons reçu près d’une dizaine, d’ouvriers du BTP qui nous racontaient comment les choses se passaient pour eux. Nous avons reçu le récit d’Amaury, serrurier-métallier.
Ma mère étant artiste peintre, je ne viens pas d’un milieu populaire, mais je ne disposais pas non plus de grandes possibilités économiques. Je suis né avec du capital culturel et je ne connaissais pas le milieu du BTP avant de commencer un apprentissage.
Rien qu’en 2023, 149 travailleurs du BTP sont morts en France à cause de leur travail.
Mon parcours scolaire s’est arrêté avant la fin de la terminale. Pour des raisons de santé, je n’ai pas pu continuer : passer le bac était impossible. Je me suis arrêté là, à quelques pas du bac. Certains profs pensaient que je faisais semblant d’être malade pour éviter les cours.
J’ai commencé à sécher, puis j’ai quitté l’école.
Pendant un an, j’étais perdu. J’ai travaillé quelques semaines pour la mairie, et fait quelques chantiers « au black ». C’était sympa, mais instable, il me fallait une issue.
Sur le site internet des Compagnons du Devoir, j’ai découvert une possibilité : apprendre le métier de serrurier-métallier. J’ai commencé comme apprenti chez un maître-compagnon.
Pendant deux semaines, je n’ai fait que ranger le parc d’acier à la main. Mon corps n’était pas prêt, j’étais épuisé, petit à petit, il a changé. De frêle, je suis devenu trapu : je prenais la forme attendue pour supporter ce quotidien.
La dureté de l’apprentissage
La première année, j’ai assez mal vécu l’apprentissage car je n’apprenais pas grand chose, je servais surtout de sous-fifre pour livrer les chantiers, meuler les pièces derrière les “métalliers compétents”, je nettoyais les toilettes une fois par semaine, car j’étais le moins bien payé de l’entreprise.
« J’ai assez mal vécu l’apprentissage car je n’apprenais pas grand chose, je servais surtout de sous-fifre »
Les collègues n’étaient pas très agréables car je leur faisais perdre du temps. Parfois le matin je n’arrivais pas à me lever et je restais amorphe, constamment épuisé moralement et physiquement, en revenant au travail je n’étais pas compétent. J’ai changé d’entreprise l’année suivante et c’était plus intéressant bien que difficile, le niveau des ouvrages était conséquent, j’ai bien appris mais il ne fallait pas compter sur la formation en interne.
Le travail n’était pas assez sécurisé, il fallait quémander pour les EPI, donc on essayait d’économiser sur les gants, sur les chaussures et lunettes de sécurité. Je me souviens qu’on avait une paire de bouchons d’oreille pour la semaine, on pouvait en redemander, mais le tout était sous cadenas d’une armoire du chef d’atelier, ça faisait surtout “chier” le chef.
« Les collègues m’ont dit que j’allais passer sous la douche froide et qu’ensuite ils allaient m’enfermer dans la poubelle de l’entreprise pour la journée. C’était le rituel de tout apprenti. »
Je ne considère pas que j’ai été traité correctement, à mon départ de l’entreprise les collègues m’ont dit que j’allais passer sous la douche froide et qu’ensuite ils allaient m’enfermer dans la poubelle de l’entreprise pour la journée. C’était le rituel de tout apprenti.
Je leur ai rétorqué que s’ils faisaient ça, je porterais plainte contre eux. Ils n’ont pas osé.
J’étais déjà “âgé” pour un apprentissage, j’avais commencé à 19 ans quand la norme était de commencer à 15-16 ans, est-ce que l’attente était supérieure ?
Aussi je ne pense pas avoir été traité différemment que d’autres jeunes du métier,
Tout le laïus des compagnons et de l’apprentissage est de mettre en difficulté pour qu’on puisse se dépasser, ça passe par des formes d’harcèlement moral et de valorisation de la méritocratie. On se trouve alors face à son manque de compétence et le seul moyen de s’en sortir est de “charbonner” jusqu’à l’épuisement.
Un métier dur et passionnant, des normes de sécurité bafouées
Le monde du BTP était rude, viriliste. Aucune femme à l’horizon. Il fallait jouer un rôle : celui qu’attendaient les patrons et les collègues. Comme ce collègue qui me parlait du « bon vieux temps », où il allait tabasser des Arabes. Ou le fils du patron, qui m’a accueilli le premier jour en me disant qu’il n’était pas là pour être mon ami, mais pour me faire marcher droit.
« J’ai failli perdre un œil à cause d’une limaille rouillée »
Il ne fallait pas dire qu’on s’était blessé : on se censurait, par peur de la hiérarchie, par besoin d’être reconnu. J’ai failli perdre un œil à cause d’une limaille rouillée, parce que je n’avais pas osé aller à l’hôpital.
Mon métier de serrurier-métallier consistait à créer des ouvrages menuisiers métalliques (acier et inox principalement) : portails, portes blindées, garde-corps, escaliers etc. Il peut aussi s’agir d’ouvrages plus lourds comme la charpente, des plateformes, châssis et structures de soutien. Les ouvrages en question pouvaient être des commandes de particuliers, de cabinets d’architecture, de communauté de commune, de promoteurs immobiliers etc.
« Avec de la chance l’atelier est équipé d’un pont roulant, ou sinon il fallait se débrouiller avec la force des bras pour ramener les découpes à son poste. »
Ma journée type, c’était arriver 15 minutes avant le début de mes horaires pour prendre un café et me changer en bleu de travail, ces 15 minutes n’étaient pas comptées dans les heures payées. Ensuite je lisais le plan pour prendre connaissance de l’ouvrage, puis je regroupais les “barres” de 6 mètres de rond, carré, tubes, découpais les sections avec la scie à ruban. Avec de la chance l’atelier est équipé d’un pont roulant, ou sinon il fallait se débrouiller avec la force des bras pour ramener les découpes à son poste.
Venait ensuite la phase de montage, un peu comme des LEGO, ajustement avec la meuleuse et une fois que tout était monté, le soudage de l’ouvrage. Sans doute la phase la plus périlleuse, car il fallait beaucoup de dextérité pour bien souder la pièce, ne pas la plier avec les contraintes de déformation et si les EPI ne suivaient pas (cagoule de soudage, manchettes de protection, aspiration des fumées) ça devenait compliqué. Puis meulage des soudures et finitions.
« Ce métier, je l’ai trouvé à la fois dur et passionnant. Épuisant, mais gratifiant »
J’ai pu faire des chantiers, mais le métier et les conditions de travail de “poseur” ne me plaisaient pas. Si on finissait les horaires de travail à 16H30 il fallait revenir à l’atelier pour déposer le camion, donc compter environ une heure de travail non payé. Pour ensuite déposer les outils à l’entreprise afin de pouvoir rentrer chez soi. Parfois le temps de travail était mal calculé, sur une journée de travail estimée on devait finir le soir pour ne pas mettre en difficulté l’entreprise et le client.
Ce métier, je l’ai trouvé à la fois dur et passionnant. Épuisant, mais gratifiant parce qu’il permet de créer, de réfléchir, d’assembler de nos mains. J’ai exercé pendant environ huit ans, souvent en intérim ce boulot, comme il était recherché, je pouvais négocier mon taux horaire et partir si je n’étais pas respecté.
« Les ouvriers n’ont pas le droit d’entrer dans les bureaux en bleu de travail, pour ne pas “salir” »
Quelques réalités du terrain :
● Toilettes turques dégueulasses dans les ateliers, souvent sans papier, pour éviter que les ouvriers volent les rouleaux.
● Moins de 5°C en hiver, plus de 30°C en été, aucun isolement.
● Quand les tôles faisant office de toit n’étaient pas en amiante, on se sentait chanceux.
● Ventilation pour les fumées de soudage ? Rarement.
● Harnais de sécurité en hauteur ? « Fais pas chier, fais gaffe. »
Avec le Covid, j’ai trouvé du travail dans l’industrie, puis dans des bureaux, un monde plus calme.
Ici, les ouvriers n’ont pas le droit d’entrer dans les bureaux en bleu de travail, pour ne pas “salir”, ici les toilettes sont propres. Les cadres peuvent garer leurs belles voitures à l’intérieur ; les ouvriers doivent les laisser dehors, pour “l’image”. La question de la sécurité est assumée dans ce nouveau milieu de travail, mais les inégalités continuent de diviser les travailleurs d’une même entreprise.
Comment changer les choses ?
Par rapport à mon vécu, mon métier de métallier n’était associé à aucune norme, car on travaillait pour des particuliers ou des mairies, des constructeurs qui n’étaient pas regardants des conditions de travail. Les clients ne vérifiaient rien sauf s’il étaient obligés d’avoir un suivi de qualité à fournir.
« Je n’ai jamais vu de syndicats, les entreprises où j’ai travaillé étaient des PME de moins de 50 personnes, je n’ai jamais vu l’inspection du travail. »
Je n’ai jamais vu de syndicats, les entreprises où j’ai travaillé étaient des PME de moins de 50 personnes, je n’ai jamais vu l’inspection du travail. La médecine du travail était en revanche intéressante : on devait passer à la médecine du travail tous les 2 ans et au moment de l’embauche. C’était très bien et j’étais testé sur le souffle, les yeux, l’audition : ainsi le médecin avait détecté une perte d’audition à cause du travail, donc faire plus attention au bruit perpétuel du travail, et bien penser à se protéger. Puis on pouvait parler des difficultés morales du métier, ça apportait un soutien.
Mais c’était avant un changement avec le gouvernement de Macron qui a réduit la fréquence de la visite médicale à seulement tous les 5 ans. Depuis, j’ai passé des tests de médecine de travail au téléphone et en visio ça n’a plus aucun sens.
« Il n’y a pas de magie, s’il n’est rien imposé aux entreprises, elles ne fournissent aucune condition de travail valable »
Dans mon nouveau milieu (nucléaire) ça n’a rien à voir il y a des arrêts d’inspection et les sujets de sécurité sont vraiment assumés (l’argent n’est pas le premier sujet)
Il n’y a pas de magie, s’il n’est rien imposé aux entreprises, elles ne fournissent aucune condition de travail valable, ça peut passer par des amendes impactantes, une responsabilité directe du patron.
« Le pouvoir des syndicats est malheureusement éteint dans les PME, il faut trouver une solution pour s’allier entre ouvriers. »
Dans l’absolu, il reste le droit de retrait : Quand un salarié pense avoir un motif raisonnable de croire à un danger possible, il peut exercer valablement son droit de retrait. Une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité du salarié doit exister et la situation doit se caractériser par l’urgence à réagir. Le danger peut être individuel ou collectif (voir définition et conditions ici) Mais le droit de retrait reste individuel et ne règle aucun souci en amont, c’est aussi le meilleur moyen de se mettre les collègues à dos et d’être le prochain à sauter de l’entreprise.
Pour faire savoir les problèmes, il faudrait passer par une plateforme anonyme, où les travailleurs pourraient fournir des photos, des exemples de conditions de travail scandaleuses. Le pouvoir des syndicats est malheureusement éteint dans les PME, il faut trouver une solution pour s’allier entre ouvriers. L’idée serait d’apporter un soutien dans les droits de chacun, qui peut passer par une description des situations/photos et des personnes bénévoles et/ou expertes qui y répondent.
Ça se rapprocherait d’un forum facile d’accès, comme un syndicat connecté ?
avec des experts en droit, des inspecteurs de travail, pour mettre la pression sur les responsables. Il faudrait que ce soit anonyme pour ne pas mettre en difficulté les travailleurs. Il peut y avoir aussi des bénévoles pour essayer de régler certains problèmes qu’ils ont déjà connus.
J’avoue que ça reste flou, je n’ai pas trouvé une solution complète juste des pensées pour donner plus de pouvoir aux travailleurs.
Amaury
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