Qui est Thierry Breton, le patron le plus incompétent de France ?

Thierry Breton est partout. Ce petit homme à la chevelure blanche occupe les plateaux TV, les studios de radio, les colonnes des journaux afin de nous prodiguer ses conseils pour que le pays aille mieux. En juillet, sur France Inter, il nous expliquait que le plan d’économie proposé par l’ex-premier ministre Bayrou était absolument “nécessaire”’. Il est revenu nous donner des cours d’économie, mais aussi de géopolitique sur BFM TV tandis que sur Radio Classique il affirmait qu’après la chute du gouvernement, il fallait maintenir le cap et surtout qu’”il est temps de laisser la place à la pédagogie.” La pédagogie, pour les bourgeois, ce n’est jamais eux qui apprennent de leurs erreurs et à qui l’on montre les centaines de milliards de cadeaux aux entreprises privées et l’échec de leur sacro-sainte “politique de l’offre” (je fais tout pour que les patrons soient contents et en théorie ils embaucheront et paieront mieux les gens). Non, la pédagogie est toujours un mouvement descendant, pour nous faire comprendre que nous avons tort de trouver que ceux qui nous font du mal… nous font du mal. Quel est donc le CV de monsieur Breton pour nous dire ce qu’il convient de faire ? Dans les médias, il est présenté comme ex-commissaire européen et ex-ministre de l’économie. Mais ça ne suffit pas à dire qui il est. Thierry Breton est aussi un ex-PDG, dont les décennies de mandat sont marquées par la répétition d’un même thème : l’échec.
Trois entreprises, trois échecs
Ingénieur de formation, ancien élève de l’École Alsacienne (là où grandissent tous les rejetons de la grande bourgeoisie parisienne), il dirige dès le début de sa carrière plusieurs grandes entreprises, dont Thomson à la fin des années 90. Avec le soutien financier de l’État, il tente de redresser le groupe d’électronique mais s’obstine à racheter des filiales tout en laissant tomber l’activité phare et montante de l’entreprise – la production de téléviseurs en France. Ce choix calamiteux, contraire aux progrès technologiques que faisait Thomson au même moment, amène l’entreprise au bord du gouffre au début des années 2000 et conduit à de nombreux licenciements…
Mais entre-temps, Thierry Breton est parti diriger France Télécom, où il obtient un salaire 2,3 fois supérieur à celui de son prédécesseur. Sans doute la récompense de ses performances légendaires à la tête de Thomson ! À la tête de France Télécom, il lance le plan de réduction de la masse salariale qui, repris par son successeur Didier Lombard, sera qualifié par la justice, 20 ans plus tard, de «harcèlement moral institutionalisé. Mais il n’en subira aucune conséquence puisqu’il est nommé, en 2005, ministre des finances. Sa principale contribution à l’histoire économique et sociale de notre pays est la privatisation des autoroutes. Sans doute la plus grosse arnaque jamais réalisée contre les contribuables et usagers français, cette opération a considérablement enrichi les actionnaires ayant bénéficié des concessions autoroutières. De ce point de vue-là, c’est une réussite. Du point de vue de l’intérêt de la majorité de ses administrés et du budget de l’Etat, dont il était « responsable », c’est une défaite absolue.
La pédagogie, pour les bourgeois, ce n’est jamais eux qui apprennent de leurs erreurs et à qui l’on montre les centaines de milliards de cadeaux aux entreprises privées et l’échec de leur sacro-sainte “politique de l’offre”. Non, la pédagogie est toujours un mouvement descendant, pour nous faire comprendre que nous avons tort de trouver que ceux qui nous font du mal… nous font du mal.
Mais qu’importe : en 2008 il devient PDG d’un grand groupe du secteur du numérique, Atos. Ses multiples acquisitions émeuvent la presse financière qui trouve que ce patron a décidément du génie, et il est élu « Stratège de l’année » par le journal Les Échos. En 2019, reconnaissance légitime de ses précieux services pour le capitalisme européen, il est nommé commissaire européen. Pourtant, depuis, Atos s’est cassé la gueule : « La chute n’en finit pas, nous racontait France Info en février 2024.. Le géant informatique français Atos est embourbé dans une crise financière qui a fait plonger son cours de Bourse à des niveaux historiquement bas et accéléré la valse de ses dirigeants. Le titre du groupe a lâché près de 25% à la Bourse de Paris ». Comment expliquer une telle chute ? Les regards se tournent vers Thierry Breton et sa gestion du groupe pendant près de 10 ans. Non seulement il a considérablement endetté l’entreprise avec sa politique d’acquisition compulsive (que toute la presse encensait à l’époque), mais il n’a pas fait prendre à l’entreprise les virages technologiques nécessaires à sa survie… comme pour Thomson. Désormais, Atos doit mener des plans de licenciement pour tenir.

Qui en paiera le prix ? Qui en « assume les conséquences » ? Certainement pas Thierry Breton, qui est devenu commissaire européen après cette mésaventure en toute quiétude. Il n’a pas été licencié à cause de ses échecs. Contrairement aux salariés des filiales de Thomson ou celles d’Atos. Aucun des échecs de Breton ne l’a empêché de gravir les échelons, rien ne semble pouvoir atteindre sa réputation. Comme Bernard Tapie en son temps, que toute la presse qualifiait d’entrepreneur de génie alors qu’il n’a fait qu’organiser des faillites (Celles de Wonder, Look et ManuFrance), Thierry Breton n’a rien assumé du tout. Au contraire : au moment de son départ, Breton a vendu ses titres Atos au prix fort, autour de 65 euros (elle en vaut 1,88 euro aujourd’hui). Il a empoché 40 millions d’euros brut puis a laissé l’entreprise sombrer dans de grandes difficultés du fait de sa gestion calamiteuse. En cela, il est, comme tous les grands patrons français, responsable de rien mais méritant de tout.
Un bilan qui n’a jamais entaché sa réputation
C’est un phénomène de plus en plus répandu dans le monde des entreprises françaises et internationales : leurs dirigeants n’occupent leurs postes que pendant un court laps de temps. Ils lancent des chantiers, parfois risqués et douloureux pour les salariés, et s’en vont. Ils n’ont ni attachement financier (ils seront encore mieux payés ailleurs) ni affectif. La scène est toujours la même, d’un plan de licenciement à un autre : les salariés en colère font le pied de grue devant le siège de la direction pour espérer mettre le PDG face aux conséquences de ses actes, mais celui-ci ne les rencontre, le plus souvent, jamais. Parfois même, des « managers de transition » sont nommés pour faire le sale boulot, au moment d’un plan de licenciement par exemple. Ils viennent, cassent tout, puis s’en vont.
Comme tous les grands patrons français, Thierry Breton est responsable de rien mais méritant de tout.
Qu’importe que Thierry Breton ait largement contribué à envoyer dans le mur plusieurs fleurons industriels français : c’est presque un signe d’appartenance au monde médiocre du patronat français. Cette caste qui se raconte qu’elle tire le pays vers le haut et qu’on lui devrait tout, alors que son bilan est surtout visible en termes de désindustrialisation et de stagnation du niveau de vie. Lorsqu’il intervient pour donner des leçons d’éco-gestion, personne ne semble disposé à évoquer son mauvais bilan. Certainement car plus personne ne semble en capacité de le faire : la presse financière appartient désormais intégralement à la grande bourgeoisie (Les Echos est le seul quotidien d’actualité économique du pays et il appartient à Bernard Arnault avec lequel Thierry Breton a des liens d’amitié, comme il le confie, dans Libération : «Avec Bernard, on se parle tout le temps. La vie nous a appris à avoir confiance l’un envers l’autre”), la presse et les médias généralistes également, et les syndicats, seuls à même de dénoncer l’irresponsabilité et le mauvais bilan des dirigeants d’entreprise, sont souvent affaiblis, complices ou muselés.
En attendant, quand on connaît son bilan, on sait désormais que Thierry Breton est la boussole qui indique le sud. Ses conseils de gestion ne devraient rien valoir à nos yeux de citoyens parce que son action de PDG a toujours consisté à faire passer les résultats financiers à court terme – et son bénéfice personnel – avant la pérennité et l’adaptation de son outil de travail. Il rêve de la même chose pour la France : un “choc d’austérité” susceptible d’affaiblir considérablement les services publics mais aussi de soulager le peu de contraintes sociales et fiscales qui pèsent encore sur la classe capitaliste en France qui, grâce aux bonnes recettes du docteur Breton, pourront se féliciter que le journalisme français fasse encore passer ses meilleurs lobbyistes pour de neutres experts.

Nicolas Framont
Rédacteur en chef
