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Taxe Zucman : la fausse audace qui cache une vraie capitulation

Il fallait s’y attendre. Le 18 septembre, le cortège parisien était constellé de pancartes, brandies fièrement par toutes sortes de manifestants : militants chevronnés, jeunes participant à l’une de leurs premières manifestations, etc. « Génération Zucman », « Taxer les riches », ou même « Taxer les ultra-riches » (et pourquoi pas les ultra-méga-milliardaires, tant qu’on y est ?). La popularité de la taxe Zucman est, au fond, l’aveu d’une défaite politique. Dans le sillage des revendications inoffensives sur les « superprofits » (pourquoi ne pas plutôt taxer davantage l’ensemble des profits, tout simplement ?), la taxe Zucman s’est imposée dans le débat public. Sans doute plus fun qu’un rétablissement de l’ISF, car portée par l’attrait de la nouveauté, elle n’en demeure pas moins très inoffensive. Son promoteur le dit d’ailleurs lui-même : il ne s’agit pas de faire contribuer davantage les milliardaires, mais de les amener à contribuer autant que l’ensemble des Français, en proportion de leurs revenus. Que cette taxe soit devenue l’alpha et l’oméga de la prétendue radicalité politique consacre des décennies d’effondrement de la pensée socialiste, dont l’ambition historique était le renversement de l’ordre social et non la supplication de quelques miettes auprès de nos maîtres.

La gauche a peur de faire peur. Elle veut apparaître absolument crédible. Même la FI veut à tout prix montrer que son programme profite aux petits patrons, comme si ces derniers étaient portés par une vertu intrinsèque qui les distinguerait des dirigeants des grands groupes, alors que la moindre discussion avec un salarié d’une TPE démontre le contraire. La mode actuelle c’est « attention on ne s’attaque qu’un tout petit peu aux milliardaires, notre programme est vraiment indolore ». Cette stratégie politique vient sans doute d’une crainte de perdre une partie de l’électorat avec des mesures plus radicales, et également de l’espoir de gagner des miettes pour pouvoir s’en vanter ensuite. Cette manière de faire est vouée à l’échec. Car même les miettes nous seront toujours refusées. La pauvre taxe de Zucman de 2% déclenche une avalanche de réactions néfastes des médias et du patronat. Si elle se concrétise, elle sera vidée de toute manière de sa substance. Suite au barrage du patronat, il est question en ce moment de l’appliquer, mais pas sur le patrimoine professionnel. Ben voyons. Et le patronat de nous expliquer que ce patrimoine c’est « pas du vrai argent », car la valorisation d’une entreprise ne correspond pas à de l’argent sur un compte en banque. C’est évidemment vrai, mais elle constitue bien une richesse monétisable : c’est la valeur des titres à un instant T, que l’actionnaire peut convertir en argent en vendant ses actions.

Bernard Arnault, cet énorme radin qui pète un câble à l’idée de donner une miette de sa fortune, ne sait pas ce qu’est l’extrême-gauche si pour lui la taxe Zucman est l’enfer communiste. Il trouvera des pistes encore plus inquiétantes pour lui et les siens à la fin de cet article.

La taxe Zucman nous rend dépendant des riches

Votée à l’Assemblée le 20 février 2025 puis rejetée au Sénat en juin, la taxe Zucman, même si elle était appliquée telle quelle, serait en grande partie inoffensive. La mesure vise les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, soit potentiellement jusqu’à 1800 contribuables, ce qui représente environ 0,01 % des foyers fiscaux. Seraient assujettis à cet impôt sur la fortune (IPF) uniquement les contribuables dont la contribution fiscale totale (incluant l’impôt sur le revenu, la CSG, la CRDS, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et l’IFI) reste inférieure à 2 % de la valeur de leur patrimoine. C’est donc une mesure de très faible portée. Rappelons que l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé par Macron en 2017 s’appliquait à partir de 1,3 million d’euros de patrimoine… Défendre la taxe Zucman, c’est donc d’une certaine manière légitimer le recul considérable de la fiscalité des riches depuis 2017. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, pour que la taxe Zucman rapporte sur un temps long, il faudrait que les ultra-riches continuent d’être… ultra riches. C’est toute la limite de ce genre de mesurettes. Elles nous rendent dépendants de l’existence des riches. Elles sont les plus limitées possibles pour avoir une chance d’être adoptées, mais elles ne le sont quand même pas de toute manière. Pourquoi ne pas alors changer de perspective et mettre sur la table la question de la propriété des entreprises et du pouvoir qu’elle confère aux actionnaires ? Puisque toute proposition de gauche, même la plus inoffensive, est jugée trop radicale, autant l’être réellement, non ?

On peut subvertir la taxe Zucman 

Par exemple, on pourrait utiliser la popularité de la taxe Zucman pour la subvertir. Gabriel Zucman propose (mais cela n’a pas été repris dans le projet de loi) que les contribuables qui ne peuvent pas payer en argent, car leur patrimoine gigantesque provient principalement de la valeur de leur entreprise, s’acquittent de l’impôt en nature, en versant des actions dans un fonds souverain géré par la Banque publique d’investissement (Bpifrance). Vu la faiblesse du taux proposé, cela ne permettrait évidemment jamais à la BPI de détenir une part significative dans ces entreprises. Et, de toute façon, à quoi bon donner ces parts à la BPI, dirigée par Nicolas Dufourcq, qui s’oppose publiquement à la taxe Zucman (il dit que c’est « un délire communiste » et qu’on devrait plutôt « Dresser des statues à Pinault et Niel »…) et qui conçoit la banque publique comme un instrument au service des grands groupes, et non comme un levier de transformation sociale ?

Tout le monde est favorable à la taxe Zucman, ce minimum syndical de la justice fiscale… qui nous ferait tout de même sacrément reculer depuis la suppression de l’ISF

La gauche serait donc bien mieux inspirée d’exploiter cette brèche ouverte par l’idée même d’une appropriation partielle du capital pour aller beaucoup plus loin : mettre sur la table le projet d’une appropriation collective des entreprises par ceux qui y travaillent. Plutôt que de revenir à une banque publique verrouillée par une direction hostile, ces actions pourraient être versées dans un fonds contrôlé directement par les salariés de l’entreprise. Ces parts leur donneraient les mêmes droits politiques que les actions traditionnelles (participation aux assemblées générales, droit de vote, pouvoir de décision), mais ne donneraient lieu à aucun versement de dividendes, afin de rompre avec la logique capitaliste de rémunération du capital. Petit à petit, ces actions non lucratives remplaceraient les actions classiques, entraînant une socialisation progressive de la propriété sans expropriation brutale. Un tel mécanisme présenterait un double avantage : d’un côté, il permettrait de redistribuer le pouvoir dans l’entreprise en donnant aux travailleurs une place centrale dans les choix stratégiques, de l’autre, il contribuerait à conscientiser l’ensemble de la société sur une idée fondamentale : c’est le travail qui crée la richesse et qui doit être rémunéré et ouvrir droit à un pouvoir partagé collectivement, et non le simple fait de posséder un capital qui croît mécaniquement grâce au travail des autres.

Ce projet pourrait s’inspirer du plan Meidner-Hedborg, élaboré en Suède à la fin des années 1970 et soutenu à la fois par le parti social-démocrate au pouvoir  à l’époque et par la confédération syndicale LO. Celui-ci prévoyait que toutes les entreprises de plus de 50 salariés allouent automatiquement chaque année 20 % de leurs profits, sous la forme de nouvelles actions, à un fonds de salariés. L’objectif était clair : donner aux travailleurs un pouvoir croissant dans la gouvernance des entreprises en transférant progressivement une part substantielle du capital vers des fonds salariaux, afin de socialiser la propriété des moyens de production. Malheureusement, ce plan ne fut jamais appliqué : les socio-démocrates perdirent les élections qui suivirent son élaboration, et ils avaient déjà en réalité renoncé à le mettre en œuvre. Lorsqu’ils revinrent au pouvoir au début des années 1980, ils avaient, à l’instar de la gauche française, achevé leur conversion au néolibéralisme. Ils mirent certes en place des fonds salariaux, mais ceux-ci n’avaient plus pour objectif de socialiser l’économie. Aujourd’hui, en s’inspirant du plan Meidner-Hedborg, ce qui n’est conçu par Zucman que comme une modalité technique de paiement d’un impôt redistributif pourrait devenir l’instrument d’un véritable basculement du rapport de forces économique : transformer la fiscalité sur la fortune en levier de prise de pouvoir sur les entreprises. Non plus taxer les riches et dépendre de leur fortune mais mettre fin à la constitution de celle-ci sur notre dos.

https://frustrationmagazine.fr/entreprise-collective
https://frustrationmagazine.fr/pourquoi-taxer-les-riches-ne-doit-pas-etre-notre-reponse-a-tout
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Guillaume Étievant
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
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