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Qui est Sébastien Lecornu, nouveau pantin fade de Macron ?

Lecornu

Terrifié par l’approche du 10 septembre, Bayrou a préféré se suicider politiquement. Sa longue et pitoyable carrière politique se termine donc, comme il en avait toujours rêvé, par une entrée dans l’Histoire : il est le premier Premier ministre de la Ve République à perdre son vote de confiance. Toutefois, au-delà des raisons des différents groupes politiques qui l’ont censuré, il est évident que pour les participants et participantes du 10 septembre, ce qui est reproché à François Bayrou n’était pas un problème de personne : celui-ci était tellement fade et insipide qu’il se rendait presque difficile à détester. Non, le problème, et tout le monde l’a bien compris, c’est sa politique d’austérité, c’est-à-dire d’appauvrissement généralisé et de massacre des services publics. Cette politique n’a rien de spécifique à Bayrou, c’est celle, bourgeoise, de Macron. Depuis sa défaite aux législatives 2024, le président de la République s’est radicalisé dans son mépris de la démocratie. Bien qu’ayant perdu ces élections, et sans majorité (ni absolue, ni relative), il passe son temps à placer des Premiers ministres macronistes, qui se font, en toute logique, dégager les uns après les autres (malgré quelques magouilles avec le RN et le PS qui leur permettent généralement un petit sursis). Comme les précédentes fois, les médias et la classe politique – en particulier le PS – ont fait croire qu’il y avait une once de suspens et qu’il n’allait pas forcément se passer exactement ce qui s’est passé : à savoir que Macron a nommé un clone de Bayrou, qui était déjà dans les short-lists précédentes. Ce clone, relativement inconnu du grand public, c’est cette fois Sébastien Lecornu. Pour arriver à un tel poste, il faut avoir donné des gages de mesquinerie, de prises de positions puantes, de politiques qui détruisent la vie des gens. Il n’y fait donc pas exception. Portrait. 

L’origin story de Sébastien Lecornu est classique et peu passionnante. Petit-fils d’un ancien vice-président d’une chambre de commerce, issu d’une famille de commerçants et d’agriculteurs, le petit Lecornu semble avoir hésité entre la vie monastique et l’armée. Adolescent et scolarisé dans un lycée privé catholique, il est déjà de droite et ringard : « J’aime l’ordre. Pour moi, la gauche représente le désordre. Et malgré mes origines populaires, je n’ai jamais cru à l’excuse sociale. Quand on travaille, on y arrive toujours » dit-il. Il poursuit ensuite par des études de droit, avant de devenir assistant parlementaire de Franck Gillard, puis de créer, en 2013, une entreprise de lobbying (on dit de “conseil en relations publiques et de communication dans la sphère publique”). 

Opposé aux droits égaux pour les homosexuels

En 2012, il s’oppose vivement à l’obtention de l’égalité des droits pour les homosexuels, à savoir le droit au mariage et à la PMA (avant de changer d’avis en 2019 sur pression des macronistes). Il déclarait ainsi que “le communautarisme gay m’exaspère autant que l’homophobie » et qu’ “une famille se construit entre un homme et une femme” 

Un collègue d’Alexandre Benalla et un professionnel de la politique

Sébastien Lecornu s’engage rapidement comme officier dans la réserve de la Gendarmerie (des volontaires qui sont appelés dans certains cas pour renforcer les effectifs). C’est dans ce cadre qu’il devient commandant de peloton d’Alexandre Benalla, un proche de Macron, s’étant rendu coupable de violences contre des manifestants en se déguisant en policier. Sébastien Lecornu déclare ainsi avoir eu le sinistre personnage sous sans commandement “une dizaine de fois” et loue ses qualités, disant qu’il “n’était pas un mauvais gendarme de réserve, au contraire”. 

En 2014, Lecornu devient maire de Vernon. Il démissionne au bout d’un an pour un autre mandat. Crédit : Hôtel de Ville de Vernon; Giverny888, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

En 2014, il commence véritablement sa vie de politicard et est élu maire de Vernon, ce qu’il reste jusqu’en 2015. Il est aussi vice-président de la communauté d’agglomération des Portes de l’Eure puis de Seine Normandie Agglomération de 2014 à 2020. 

Au département de l’Eure (2015-2017, 2021-2022) : la chasse aux pauvres et la précarisation des associations 

En 2015 puis en 2021, Lecornu a été élu Président de l’Eure, après avoir, selon Médiapart, bénéficié de son amitié avec Bruno Le Maire. Le journal y voit d’ailleurs “la figure la plus emblématique du “système Le Maire”” dans le département. 

Dans L’Eure, il est, selon Médiapart, « la figure la plus emblématique du système « Le Maire » ». Crédit : Par IAEA Imagebank — Bruno Le Maire Opening Remarks (wne5952), CC BY 2.0

Il a consacré son mandat à martyriser les allocataires du RSA, c’est-à-dire les gens les plus pauvres de son département, en les soupçonnant de fraude. “On préfère serrer la vis, diminuer les dépenses” dit-il. C’est également dans ce sens qu’il avait décidé de ne pas verser les 2% d’augmentation du RSA, une décision abjecte qui posait même des questions légales. 

Il est aussi connu pour avoir mis de la vidéosurveillance dans les collèges et pour avoir fermé deux collèges en éducation prioritaire, c’est-à-dire accueillant les élèves en difficulté ayant besoin d’un accompagnement spécifique. La secrétaire départementale du Snes, Céline Chandavoine, expliquait dans Médiapart, que sous la présidence de Lecornu, le conseil départemental avait fait “d’énormes coupes, parfois de moitié” dans les budgets des collèges, ajoutant qu’ils “ont supprimé le financement d’opérations comme “Collège au cinéma”. 
Les subventions locales pour les associations se sont, elles, écroulées. 

Dans l’Eure, Sébastien Lecornu a tapé très durement dans les budgets alloués aux collèges, il en a même fait fermer plusieurs. Mais quand il s’est agi de placer la vidéosurveillance dans ces mêmes collèges, alors là, du budget est redevenu disponible. Crédit : Photo de Alex Knight sur Unsplash

Celui que Ouest-France décrit comme un “adepte de la cash attitude”, est plutôt qualifié de “brutal” par son opposante PS Janick Léger. Timour Veyri, patron des socialistes de l’Eure, décrit lui : “des petits commissaires politiques” qui “­administrent le département en son absence et mettent la vie locale en coupe réglée.». Lecornu s’en vante d’ailleurs. Dans une interview pour Le Démocrate Vernonnais en 2015, il déclarait “Je suis autoritaire. Mais est-ce que c’est un défaut après tout ?” (oui). 

En mars 2019, le Parquet national financier ouvre une enquête pour prise illégale d’intérêts et “omission de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique”. Il est, en effet, accusé d’avoir approuvé, dans son poste au département, au moins quatre délibérations concernant la Société des autoroutes Paris-Normandie tout en étant rémunéré par cette dernière (à hauteur de 7 874 euros). L’enquête fut finalement classée “sans suite” en juin 2023. 

Lors de sa deuxième élection en 2021, où PCF et France Insoumise avaient appelé à voter pour lui au second tour pour “faire barrage” au RN, il parvient à convaincre Macron de rester cumulard, en gardant sa fonction de de président du conseil départemental en plus de son poste de ministre. 

La “bande Bellota-Belotta” 

En 2017, alors qu’il était directeur de campagne adjoint du candidat d’extrême droite LR François Fillon, il abandonne finalement son candidat englué dans son affaire de détournement de fonds (le “penelopegate”).

Collage féministe « Darmanin violeur » à Limoges en 2020. Crédit : Alacoolwiki, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons. 

Avec Thierry Solère, Edouard Philippe et Gérald Darmanin, il fait partie de la bande “Bellota-Bellota” du nom d’un restaurant du très bourgeois VIIe arrondissement de Paris où une partie de ces Républicains passés au macronisme, avaient leurs habitudes. Se retrouvant souvent le soir, ces hommes aiment, selon Le Monde, se moquer autour d’une bière, “des personnes handicapées, des féministes, des écolos”. Ils furent exclus à peu près en même temps de LR pour avoir rejoint Macron. 
Parmi eux, il est particulièrement ami avec Gérald Darmanin, qui fut accusé en 2017 d’avoir violé une femme en 2009 (la plainte aboutit à “un non-lieu”), Lecornu rappelant leur militantisme commun aux “Jeunes pop’” et qu’il fut “témoin de mariage” de celui-ci

Un pro-nucléaire et pro-chasse à la Transition écologique (2017-2018)

En juin 2017 il est nommé Secrétaire d’Etat auprès du ministre du Ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot (qui démissionne en septembre 2018, avant d’être accusé de nombreuses agressions sexuelles et de viol par plusieurs femmes, dans le cadre d’une enquête classée sans suite pour prescription) puis de François de Rugy (qui démissionnera lui suite à de nombreuses controverses sur son utilisation des fonds publics) . 

Centrale nucléaire de Flamanville. Crédit : Par JKremona — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Pro-nucléaire, c’est à lui que Nicolas Hulot confie l’ouverture de la centrale de Flamanville, qui n’advint qu’en 2024, suite à de nombreux retards. En juin 2019, après le départ de Lecornu du ministère, 36 infractions furent constatées à la centrale nucléaire de Flamanville, liées à « de très inquiétantes négligences dans la gestion de substances dangereuses” (source : rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire) entrainant une plainte d’associations comme France nature environnement, Stop EPR ni à Penly ni ailleurs, ou le Crilan. En 2021 et 2022, un groupe électrogène installé pour assurer le refroidissement des réacteurs en cas de défaillance des installations électriques, prend feu à trois reprises

C’est aussi à Lecornu qu’est confié le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. En février 2018, quelques heures avant son arrivée, les opposants au projet sont violemment évacués du bois Lejuc par 500 gendarmes. “Il n’y aura pas d’installation de Zad nouvelle dans ce pays” déclarait-il alors. Des interpellations d’opposants, des gardes à vue, et des perquisitions avaient suivies, puis des convocations au tribunal pour “outrages et/ou rébellion”, certains jugés en comparution immédiate. En toute logique, les opposants avaient refusé de rencontrer le ministre. Le même mois, Le Monde publiait un article sur la thèse d’un chercheur démontrant l’impossibilité de prouver la sûreté du projet. GreenPeace dénonçait, elle, des failles de sûreté (risques d’incendies, d’infiltration, de dispersion de la radioactivité), des failles géologiques, logistiques, d’irréversibilité, économiques et éthiques. 

Lecornu s’est mobilisé pour faire évacuer la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes. Crédit : Par Llann Wé — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

C’est lui qui s’occupa également de la violente évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en avril 2018 où une trentaine d’opposants furent blessés suite à l’envoi de 25 escadrons de gendarmes, soit 2 500 hommes pour environ 300 zadistes. “Le compte à rebours est lancé” avait-il déclaré en mars 2018, comme un mauvais méchant de film. Il avait multiplié les propos de ce genre lors d’une visite dans la ZAD, promettant “une réponse de la République très très vite”, et ajoutant, menaçant que “la main de l’Etat ne tremblera pas”. 

Il est par ailleurs qualifié par Paris Match de “Monsieur Chasse” “officieux” de Macron. Chassons.com, reconnaissant, rappelait que Lecornu avait “travaillé à rendre la chasse plus accessible en réduisant le coût du permis national”.  

En 2018, il est nommé ministre chargé des collectivités territoriales, où il ne laissera aucune trace notable. Il restera à ce poste jusqu’en juillet 2020.  

“Ministre des colonies” (2020-2022) : mépris pour la Guadeloupe, deux-poids deux-mesures pour le Covid

En juillet 2020, il est nommé ministre des Outre-mer. Il est le premier depuis 2009 à ne pas être lui même originaire des Outre-mer, ce qui suscita, légitimement, de nombreuses critiques. La présidente du conseil départemental de Guadeloupe, Josette Borel-Lincertin écrivit : “Je regrette que le ministère des Outre-mers ne soit plus confié à un originaire de ces territoires dans un gouvernement où, d’ailleurs, la diversité est absente.” tandis que le député de Guyane Gabriel Serville partageait sur X une affiche du ministère des colonies en 1935, commentant “Les Outre-mer sans les ultramarins, saison 7, épisode 125”. Le député européen Younous Omarjee allait dans le même sens en écrivant ironiquement “Vive le temps des colonies !”.  

En novembre 2021, en Guadeloupe, un mouvement radical s’est déclenché autour de l’obligation vaccinale des soignants et des pompiers. Comme en dictature, le préfet avait instauré un couvre feu “jusqu’au retour au calme” pour faire face aux blocages, aux piquets de grèves et aux émeutes. Evidemment, dans un pays où 34,5% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, avec 19% de chômage (dont 35% chez les jeunes), la contestation avait aussi d’autres dimensions que la seule question vaccinale.  
Lecornu préférait gérer le dossier…depuis Paris. Cette attitude avait un peu consterné la classe politique. C’est ce qui avait fait se demander à Xavier Bertrand : « S’il y avait les mêmes problèmes en métropole, vous ne croyez pas que le ministre y serait ?”, tandis que Jean-Luc Mélenchon disait qu’il n’était “pas un grand courageux” et qu’Aurélien Pradé (LR) l’accusait de se “planquer à Paris”. Le président du conseil régional de la Guadeloupe s’était aussi étonné que le ministre ne vienne pas, et qu’aucune délégation ne soit envoyée pour discuter avec les syndicats. Cet élu, pourtant macroniste, constatait que l’Etat ne traite pas la Guadeloupe “de la même manière qu’une région” de l’hexagone. Même le sénateur macroniste de Guadeloupe Dominique Théophile trouvait que celui-ci s’est “s’est montré un peu brutal, sans exprimer beaucoup d’empathie”. D’une manière générale, les critiques étaient présentes jusqu’au sein de la majorité présidentielle : les élus de la République en Marche trouvant que le ministre, symbole d’une “droitisation du quinquennat” selon Le Monde, était bien plus focalisé sur la campagne présidentielle de 2022 qu’à faire son travail de ministre. Il était en effet suspecté d’être resté à Paris pour s’occuper de la diffusion d’une tribune d’élus locaux en soutien à Macron dans Le Journal du Dimanche… 

Alors que les mesures autoritaires sous prétexte de lutter contre le COVID allaient parfois jusqu’au délire, le ministre Lecornu faisait lui preuve d’une grande légèreté quant aux gestes barrières, Médiapart ayant dévoilé sa participation à un apéro le 16 octobre 2021 en Nouvelle-Calédonie alors que celle-ci subissait un confinement délirant interdisant tout déplacement et rassemblement, puis, en novembre, une vidéo d’une “soirée rhum”, où on le voyait sans masque avec une dizaine de personnes dans un salon de son ministère. 

Au ministère des armées (depuis 2022), des centaines de milliards d’euros pour l’industrie d’armement et la guerre, des livraisons d’armes à Israël et un dîner avec l’extrême droite 

Nommé ministre des armées, celui qui défendait jusqu’ici l’austérité partout, au point de grappiller sur le RSA, les collèges etc, devint extrêmement dispendieux. Entre servir les pauvres et le complexe militaro-industriel, le choix est vite fait pour Lecornu. C’est ainsi qu’il promit de doter l’armée de 413 milliards d’euros entre 2023 et 2030, en faisant passer le budget annuel de 32 milliards en 2017 à 69 milliards en 2030, c’est à dire plus du double. 

Disclose a révélé à plusieurs reprises, en mars 2024 puis en juin 2025, des livraisons de mitrailleuses à Israël, nation qui commet un génocide à l’encontre des gazaouis. Il y a quelques jours Médiapart montrait que “les exportations à destination de l’État hébreu ont atteint un montant inégalé depuis huit ans” : “les prises de commandes d’Israël ont été de 27,1 millions d’euros en 2024”, “Au-delà des commandes, les livraisons à Israël représentent 16,1 millions d’euros,”. Sébastien Lecornu avait répondu qu’il ne s’agissait pas d’armes mais de “composants”, puisqu’une fois assemblées ces armes étaient “réexportées”, ou bien que qu’il s’agissait d’armes de “défense”… Mais dans les faits les dockers CGT de Marseille de ont bien bloqué l’envoi de pièces pour fusils-mitrailleurs à destination d’Haïfa en Israël en juin dernier. 

En avril 2025, Le Canard Enchaîné révélait que le ministre des Armées avait reçu les deux leaders de l’extrême droite française, Jordan Bardella et Marine Le Pen, à dîner, en anticipation (déjà) de sa nomination comme Premier Ministre. 

Sébastien Lecornu illustre parfaitement ce qu’est la macronie finissante : un mélange de brutalité policière, de refus de la démocratie et de fidélité sans faille aux intérêts du capital et des lobbys réactionnaires – qu’il s’agisse du nucléaire, de la chasse, des industriels de l’armement ou des notables locaux. À chaque étape de sa carrière, il a incarné cette logique : taper sur les plus fragiles et les plus pauvres, réprimer les contestations, flatter les lobbys, tout en accumulant les postes et les privilèges. Son arrivée à Matignon, après l’échec de Bayrou, constitue la suite logique d’un système qui recycle ad vitam eternam les mêmes profils interchangeables. Derrière la façade d’un « nouveau » Premier ministre, c’est toujours la même politique qui se poursuit : celle de Macron, autoritaire, antisociale et profondément réactionnaire.

Crédit photo : Par U.S. Secretary of Defense —Domaine public

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Rob Grams
Rob Grams
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