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Créer un Réseau de Résistance Citoyenne: mode d’emploi

Tout début juillet 2024, un groupe d’ami.e.s et de camarades de Saintes, en charente-maritime, se réunissaient pour discuter d’un avenir sombre, annoncée (à tort) par tous les médias : la victoire au second tour des élections législatives anticipées du Rassemblement Nationale et la nomination de Jordan Bardella comme premier ministre. L’objectif était de créer un collectif, nommé “réseau de résistance citoyenne” pour organiser la vie sous un régime d’extrême-droite, l’entraide, le soutien aux personnes les plus menacées par le futur gouvernement… Tout en rénovant radicalement les formes d’engagement militant qui nous semblaient souvent rouillées et inadaptées à l’énergie nécessaire pour s’opposer à l’extrême-droite.

Notre collectif existe depuis maintenant une année et nous sommes suffisamment contentes et contents de ce que nous avons réussi à y faire pour exposer notre bilan et proposer quelques trucs et astuces

La prophétie médiatique ne s’est pas accomplie au second tour mais nous avons maintenu la date de notre première réunion publique. Depuis, le collectif se bat contre les idées d’extrême-droite au sens large, mais aussi contre tout ce qui contribue à la déshumanisation et au rabaissement des individus – dont le génocide à Gaza. Ce collectif existe depuis maintenant une année et nous sommes suffisamment contentes et contents de ce que nous avons réussi à y faire pour exposer notre bilan et proposer quelques trucs et astuces

Comment fonctionne ce réseau de résistance citoyenne ?

Notre toute première discussion, au moment de la fondation du collectif, a principalement porté sur ce qui rebutait dans l’action militante traditionnelle : l’ennui des réunions à rallonge, les conflits de personnes, les instrumentalisations bureaucratiques ou électorales, les guerres d’égos, mais aussi le ton surplombant, l’entre-soi. Sans oublier l’épuisement physique et mental que l’engagement dans des structures dysfonctionnelles provoque. L’engagement militant, qu’il se fasse dans le monde associatif, syndical ou politique, ne fait pas rêver, et, autour de la table, nous avions toutes et tous déjà expérimenté ses effets. Alors, comment faire autrement ? Voici quelques mesures mises en oeuvre dès la création du collectif qui nous ont permis d’éviter ces dérives : 

  • Un nombre important d’organisatrices et organisateurs : nous sommes 11 dans l’équipe d’animation (qui organise les réunions, les actions, communique et synthétise) ce qui nous a permis, tout au long de l’année, de tourner, en fonction de nos disponibilités. Ce système de rotation nous a permis d’éviter l’épuisement : il est possible de louper une réunion sans culpabiliser.
  • Des réunions à durée limitée et tournées vers l’action : loin des grandes assemblées qui durent des heures, nos réunions sont systématiquement limitées à 2h grand maximum, que cela soit nos réunions publiques ou nos réunions d’organisation. 

Comment éviter l’ennui des réunions à rallonge, les conflits de personnes, les instrumentalisations bureaucratiques ou électorales, les guerres d’égos, mais aussi le ton surplombant ou l’entre-soi ?

  • Un collectif accueillant : nous veillons à désigner plusieurs organisatrices et organisateurs pour venir saluer, accueillir et s’intéresser aux nouveaux arrivant·es. Nous annonçons à chaque début de réunion que chacun est libre de partir quand elle ou il le souhaite et qu’elle ou il sera toujours bienvenu.e par la suite.
  • Nous n’existons pas en tant que structure : pas de statuts déposés en préfecture, pas de compte en banque (un chapeau tourne pour nos dépenses de matériel) et pas de réelle identité en tant qu’organisation. Cela nous laisse toute liberté d’action, qu’elle soit publique ou clandestine, et cela nous évite de fétichiser notre structure. Nul drapeau, folklore et “besoin d’exister” à tout prix : ce qui nous importe, ce sont les effets de notre action. Cela vise à éviter la bureaucratisation : quand les intérêts d’une structure et ceux de ses membres passent avant la cause qu’elle vise à défendre.
  • Nous ne nous interdisons de ce fait aucun type d’action, aucun domaine d’interventions : ateliers, conférences, assemblées, collage d’affiches, actions clandestines, appel à des mobilisations etc. 
  • Pour autant, plusieurs de nos membres font partie de structures existantes et peuvent ainsi obtenir le prêt de salles :  Nous sommes conscient·es de l’intérêt évident des structures plus organisées. Nous estimons simplement que pour reprendre à zéro la lutte contre l’extrême droite, dans ses manifestations étatiques comme les plus individuelles et quotidiennes, nous avons besoin d’une organisation aussi peu structurée que la nôtre.

Nul drapeau, folklore et “besoin d’exister” à tout prix : ce qui nous importe, ce sont les effets de notre action. Cela vise à éviter la bureaucratisation : quand les intérêts d’une structure et ceux de ses membres passent avant la cause qu’elle vise à défendre.

  • Nous tentons de réduire à néant les comportements sexistes, racistes et dominateurs. Hausser le ton, couper la parole, rabaisser publiquement, dénigrer sont autant de choses suffisamment pénibles dans le monde du travail et la vie de tous les jours pour ne pas avoir à les subir quand on donne de son temps pour changer la société en mieux. De plus, on ne voit pas bien comment on pourrait inspirer confiance à notre entourage si nous reproduisions dans notre fonctionnement la violence que nous prétendons dénoncer par ailleurs. Cela n’a rien d’évident et il semble que la principale façon de se protéger de ce type de comportement soit de ne pas intégrer parmi les organisatrices et organisateurs des personnes connues pour leurs comportements dominateurs, leur manque d’écoute ou leur ambition personnelle démesurée. 

Ce que nous avons réussi à faire avec le réseau de résistance citoyenne  : 

À intervalle régulier, c’est-à-dire si possible une fois tous les deux mois, nous appelons à une réunion publique du Réseau, où sont conviées toutes les personnes de notre zone géographique (et même les gens de passage) qui ont pour point commun de vouloir lutter contre les idées d’extrême-droite dans nos vies. Lors de notre toute première réunion, qui a réuni environ 80 personnes, nous avons disposé des tables permettant à des groupes de travail de discuter d’une question ou d’une action. On trouvait par exemple les tables suivantes : 

  • Contrer le racisme 
  • Contrer le mépris social / le discours “anti-assistés”
  • Contrer l’homophobie et la transphobie
  • Contrer le sexisme
  • Combattre les idées d’extrême-droite au travail
  • Faire un média local

D’autres tables ont été proposées lors des réunions suivantes, comme une table “pacifisme” ou une autre portant sur la situation à Gaza. 

Au fur et à mesure de nos discussions, nous sommes sortis d’une conception étroite de l’extrême-droite perçu comme un courant politique circonscrit au sein d’un même parti – le RN – qu’il faudrait combattre principalement sur le plan électoral. Dans la France de 2025, l’extrême-droite est au pouvoir : le gouvernement macroniste se maintient au pouvoir grâce au soutien passif du RN et son ministre de l’intérieur multiplie les sorties racistes. Les idées d’extrême-droite ont une grande place dans les médias de milliardaires et contaminent insidieusement les médias publics.

Au fur et à mesure de nos discussions, nous sommes sortis d’une conception étroite de l’extrême-droite perçue comme courant politique circonscrit au sein d’un même parti – le RN – qu’il faudrait combattre principalement sur le plan électoral.

Le génocide à Gaza et la couverture complice dont il dispose dans les médias et la classe politique française est une opération raciste, qui déshumanise toute une population. La grande bourgeoisie française apprécie et renforce les idées d’extrême-droite : elle lui permet de maintenir la mainmise sur la société et de renforcer son exploitation. Fort de ce constat, nous avons élargi notre champ d’intervention.

En un an, qu’avons-nous fait ?

  • Un média local, la Guillotine saintaise, avec qui nous publions cet article, a été créé. Il s’agissait pour nous de disputer le monopole de l’actualité locale à un groupe de presse comme le Sud Ouest, détenu à 80% par la famille Lemoîne, qui privilégie un traitement “fait divers” et dépolitisés des problèmes du quotidien.
  • Un groupe facebook de la ville et des environs a également été ouvert, pour concurrencer le principal groupe existant où sévit toujours un racisme souvent décomplexé, sans modération. 
  • Une page instagram “Les aigrettes du 17” vient d’être lancé, pour relayer désintox, analyses et infos locales.
  • Un atelier de jeux de rôle “comment réagir à des propos d’extrême-droite” a été organisé, avec déjà 4 sessions le samedi après-midi. Cet atelier nous a été très précieux : en simulant des situations de racisme, d’homophobie, d’anti-écologisme primaire, nous avons pu discuter de la façon de réagir. Une conclusion s’impose de plus en plus à nous : face à ces actes ou ces propos, nous devons réagir et ne jamais laisser des propos sans réponse. Dans une ville où le RN a fortement progressé électoralement, il faut que nous puissions continuer à exprimer, dans l’espace public, notre dégoût du racisme, du sexisme, de la transphobie, pour que personne ne se sente jamais à l’aise de les prôner. C’est un effort quotidien qui nécessite des techniques que nous avons tenté d’expérimenter, avec plus ou moins de succès (“péter un cable”, noyer l’autre de paroles, fuir, prendre les autres à témoins, faire part de son ressenti…)
  • Des actions de collage très régulières ont été menées, contre l’extrême-droite, le gouvernement et le génocide à Gaza, ainsi que de retrait des affiches et autocollants de l’extrême-droite.
  • Des moments de convivialité ont été organisés : se retrouver sans forcément parler politique, mais apprendre à se connaître, s’entraider, s’amuser.

Des projets restent à concrétiser : nous souhaitons mettre en place une ligne d’écoute, d’entraide et d’intervention pour toutes les personnes victimes de racisme, sexisme, transphobie ou homophobie. Que personne ne soit seul face à la violence. Pour cela, nous voulons nous former et nous organiser. Nous aimerions créer un réseau de lieux refuges et alliés pour visibiliser le rejet de l’extrême-droite dans l’espace public. Nous songeons également à proposer des cours d’auto-défense.

Il nous reste encore beaucoup de travail pour contrer l’expansion des idées d’extrême-droite dans notre ville et notre département. Mais il nous semble que les formes que notre collectif a pris, et nos façons de fonctionner, nous ont permis d’agir, de nous retrouver et de briser la solitude qui s’était emparée de beaucoup après les législatives de juillet 2024 : quoi qu’il arrive, nous pouvons désormais intervenir.

Vers le 10 septembre et au delà 

Lorsque la date du 10 septembre a été annoncée sur les réseaux sociaux, nous nous sommes réunis aussitôt pour discuter de l’intervention du RRC dans cette mobilisation. Il nous a semblé que nous étions, à l’échelle de la ville et des alentours, la structure idéale pour pouvoir appeler, localement, à un rendez-vous et à des actions (de blocage, par exemple). Nous avons pris la décision rapidement : dans une ville comme Saintes, où la sphère conspirationniste est particulièrement dynamique, il nous semblait important d’être les premiers à le faire, pour pouvoir poser nos propres bases revendicatives à cette journée et aux suivantes. Une bonne lutte antifasciste, c’est aussi une lutte qui ne laisse jamais le monopole de la colère sociale aux fachos.

Une bonne lutte antifasciste, c’est aussi une lutte qui ne laisse jamais le monopole de la colère sociale aux fachos.

Nous avons pu le faire car contrairement à une organisation traditionnelle, nous n’avons rien à perdre : nous n’existons pas légalement, notre structure ne rémunère personne, nous n’aspirons qu’à changer la société, et nous souhaitons le faire de la façon la plus accessible et inclusive possible. Le 10 septembre, en nous battant contre le gouvernement de Bayrou qui nous prend tous à la gorge, et en mettant en échec le régime autoritaire de Macron, nous souhaitons contribuer, à l’échelle de notre ville, à faire reculer le désespoir.

RCC Saintes
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