Logo de Frustration

Pourquoi “taxer les riches” ne doit pas être notre réponse à tout

Cet argent on ne l’a pas” : voilà ce qu’a osé dire Emmanuel Macron sur un plateau télé, au sujet du financement des retraites. En face de lui, une gauche qui, malgré ses bonnes intentions, continue de répondre par des solutions fiscales timides — taxer les superprofits, taxer les ultra-riches, taxer les dividendes — en oubliant que le cœur du problème, ce n’est pas un manque d’idées, mais un abandon progressif de la rupture. Derrière les slogans sur les “riches qui doivent payer”, il n’y a plus de stratégie de conquête, mais une gestion du possible. A première vue, taxer davantage les riches semble être une idée essentielle, de bon sens ou même révolutionnaire, tant, ces dernières décennies, tout a été fait pour qu’ils payent le moins possible. Mais cela ne peut pas suffire, et un projet de transformation sociale ne peut pas se limiter à cela. Ce n’est pas une poignée de taxes sur les fortunes obscènes qui renversera l’ordre établi. 

Tout le monde l’a déjà oublié tant son audience était faible, mais Macron a participé à une grande émission réalisée sur mesure le mardi 13 mai. Plusieurs intervenants lui ont fait face, dont Sophie Binet, la numéro 1 de la CGT, qui lui a demandé s’il comptait soumettre sa dernière réforme des retraites à un référendum. Évidemment, il a répondu par la négative : l’allongement de la durée de cotisation est l’une des principales revendications de la classe capitaliste, Macron ne va pas la soumettre à un référendum qu’il est 100% sûr de perdre. Pour se justifier, il a argué que « cette réforme permettra de dégager environ 17 milliards d’euros » et qu’en cas d’abrogation il faudrait trouver chaque année une dizaine de milliards d’euros. « Si c’est la retraite à 60 ans, c’est 28 milliards« , a-t-il ajouté avant de conclure, tout fier de lui : « Cet argent, on ne l’a pas et on ne sait pas le trouver. » Sophie Binet lui a répondu qu’il était possible de taxer les patrimoines des grandes fortunes pour y parvenir. Macron a rétorqué, en bon élève de la rhétorique capitaliste qu’il est, que ces gens partiraient, et que donc seule une taxe mondiale (donc impossible à mettre en œuvre) aurait une chance de fonctionner, et le débat en est resté, comme d’habitude, là. 

L’argument « il faut taxer les riches » ou « il faut taxer les profits » est souvent utilisé par la gauche pour résoudre les questions de financement qui lui sont posées. Ces idées, séduisantes au premier abord, démontrent en réalité que les objectifs de rupture avec le système économique actuel sont peu à peu abandonnés par une partie de la gauche de transformation sociale. Par conséquent, les demi-mesures qu’elle propose témoignent d’un certain manque de vision, tant sur le plan de l’imagination que de la force argumentative.

Alexandria Ocasio-Cortez a bien la classe, et le slogan claque, on ne va pas se le cacher. Sa portée est en réalité très limitée et témoigne du recul des idées de transformation sociale.

Plus les partis qui visent la transformation sociale obtiennent un grand nombre d’élus et s’approchent du pouvoir, plus ils s’institutionnalisent et défendent un projet promouvant un aménagement du modèle économique actuel, en perdant de vue la rupture radicale qu’ils ambitionnaient initialement. La gauche unie au sein de la Nupes puis du NFP en a été un parfait exemple, en regroupant artificiellement des députés qui prétendent pour certains souhaiter sortir du capitalisme et d’autres qui ont accompagné et soutenu toutes les réformes de libéralisation économique du quinquennat de François Hollande. 

L’argument “il faut taxer les riches” ou “il faut taxer les profits” est souvent utilisé par la gauche pour résoudre les questions de financement qui lui sont posées. Ces idées, séduisantes au premier abord, démontrent en réalité que les objectifs de rupture avec le système économique actuel sont peu à peu abandonnés par une partie de la gauche de transformation sociale. Par conséquent, les demi-mesures qu’elle propose témoignent d’un certain manque de vision, tant sur le plan de l’imagination que de la force argumentative.

Malgré la montée des dissensions au sein du NFP, après les refus successifs, de la part du PS, de censurer le gouvernement putschiste de Bayrou, nous constatons que les positions du PS ont rapidement contaminé la France insoumise. Par exemple, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire il y a deux ans, la revendication d’une taxe sur les « superprofits » en pleine période d’inflation et d’explosion des dividendes était très insuffisante, alors que la totalité des profits réalisés en France devrait être bien davantage taxés. Rappelons que sous Macron, l’impôt sur les sociétés est passé de 33% à 25% et que de nombreux autres impôts, en particulier la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), ont beaucoup baissé. En soi, taxer plus fortement les superprofits n’est pas un problème si c’est une mesure parmi beaucoup d’autres, mais le choix politique de la Nupes, à l’époque, de focaliser sa stratégie de communication sur ce thème, plutôt que, par exemple, sur l’indexation des salaires sur les prix, témoigne d’un positionnement social-démocrate, c’est-à-dire de compromis entre le capital et le travail.

Taxer les dividendes ou les faire disparaître? 

Face à la réforme des retraites qu’a imposée de force le gouvernement, le problème est le même. Dans sa volonté de démontrer qu’il n’est pas nécessaire d’étendre l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, la France insoumise a mis par exemple en avant une contre-réforme qui prévoit de faire cotiser les dividendes, une mesure qui n’était pas présente dans le contre-projet que ce mouvement avait présenté en 2019. Intuitivement, cela peut paraître pertinent de faire contribuer les dividendes (ils supportent aujourd’hui des prélèvements sociaux, mais pas des cotisations en tant que telles), mais en réalité il est absurde d’asseoir le financement de long terme des retraites sur eux, dont on devrait souhaiter en même temps la diminution, voire la disparition progressive, car ils n’existent que par l’exploitation du travail. Pour financer les retraites dans le projet de la FI, il faudrait donc que les dividendes restent à un niveau élevé chaque année, alors que, précisément, tout l’enjeu aujourd’hui devrait plutôt être de diminuer les dividendes en augmentant, à leur détriment, la part des salaires dans la valeur ajoutée, par la hausse des salaires et l’augmentation des cotisations patronales, ce qui ferait baisser les dividendes et permettrait de financer la retraite à 60 ans. 

Cela peut paraître pertinent de faire contribuer les dividendes, mais en réalité il est absurde d’asseoir le financement de long terme des retraites sur eux, dont on devrait souhaiter en même temps la diminution, voire la disparition progressive, car ils n’existent que par l’exploitation du travail.

Depuis, une nouvelle proposition s’est imposée comme la réponse favorite de la gauche et de la CGT aux enjeux de financement : la taxe Zucman sur les gros patrimoines. Son adoption à l’Assemblée nationale en février dernier a donné lieu à l’un de ces moments d’enthousiasme un peu vain où les députés se félicitent bruyamment d’un vote sans lendemain, alors même que la mesure n’a aucune chance d’être adoptée le 12 juin par un Sénat dominé par la droite. C’est là toute la limite de ce type de réforme : elles sont souvent calibrées pour être suffisamment modérées afin de rester compatibles avec les normes du système politico-médiatique, au risque de perdre leur portée transformative, tout en étant de toute manière inapplicable en l’état actuel des institutions de la République bourgeoise. 

Concrètement, inspiré des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, le texte compte instaurer un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des « ultra-riches ». La mesure vise les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, soit potentiellement jusqu’à 4 000 contribuables, ce qui représente environ 0,01 % de la population. Elle pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros de recettes supplémentaires au budget de l’État. Seraient assujettis à cet impôt sur la fortune (IPF) les contribuables dont la contribution fiscale totale — incluant l’impôt sur le revenu, la CSG, la CRDS, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et l’IFI — reste inférieure à 2 % de la valeur de leur patrimoine. C’est donc une mesure de très faible portée. Rappelons que l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé par Macron en 2017 s’appliquait à partir de 1,3 million d’euros de patrimoine… La taxe Zucman n’est pas inintéressante, mais pour qu’elle rapporte sur un temps long et contribue à financer les retraites, il faudrait que les ultra-riches continuent d’être… ultra riches. 

La taxe Zucman sur les ultra-riches n’est pas inintéressante, mais pour qu’elle rapporte sur un temps long et contribue à financer les retraites, il faudrait que les ultra-riches continuent d’être… ultra riches. 

Chercher l’argent au bon endroit 

Si la gauche change chaque année de solution miracle quand elle veut montrer qu’elle peut trouver des ressources financières, c’est parce qu’elle ne cherche pas l’argent au bon endroit. Par exemple, dans son projet pour financer les retraites, la France insoumise ne s’attaque qu’à la marge aux exonérations de cotisations sociales en ne souhaitant récupérer que 10 milliards d’euros d’entre elles : « Les niches sociales, qui prennent notamment la forme d’exonérations de cotisations patronales, s’élèvent à 90 milliards d’euros par an. Nous pourrions supprimer les plus inutiles d’entre elles, comme l’allègement de cotisations sur les salaires supérieurs à 2,5 SMIC, dont le coût s’élève à 2 milliards d’euros par an. En tout, 10 milliards d’exonérations de cotisations inutiles pourraient être facilement supprimées. », écrivent les insoumis. Ils considèrent donc que 80 milliards d’exonérations de cotisations sociales chaque année doivent être maintenues, on se demande bien pourquoi, étant donné notamment leur peu d’effets sur les créations d’emplois. Et rien que le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi qui a été transformé en exonérations pérennes de cotisations sociales depuis 2019), c’est 22 milliards d’euros par an. Donc si la FI ne supprime que 10 milliards d’euros d’exonérations, c’est qu’ils ne comptent pas supprimer l’ex-CICE, contrairement à ce qu’ils prétendent par ailleurs dans d’autres communications. Ce n’est pas mieux du côté du PCF qui propose simplement une «modulation des cotisations patronales».  

La gauche serait bien inspirée de défendre le financement des retraites par les cotisations sociales, bien davantage qu’aujourd’hui où il est en partie fiscalisé, à cause notamment des exonérations de cotisations sociales compensées par le budget de l’État. L’un des grands intérêts des cotisations sociales, c’est qu’elles sont versées chaque mois par les entreprises, sans possibilité pour elles d’y échapper par des niches fiscales ou des manœuvres comptables, car elles sont calculées en proportion des salaires versés. Il n’est donc pas possible légalement de baisser fictivement l’assiette de calcul des cotisations, alors qu’il est très facile de le faire pour les profits sur lesquels l’impôt sur les sociétés est calculé. Les grands groupes multinationaux qui arrivent pour nombre d’entre eux à ne pas payer d’impôts sur les sociétés en France, payent en revanche toutes les cotisations qu’ils doivent verser, car il n’y a pas de moyen légal d’y échapper. C’est notamment pour cette raison que le patronat se bat avec succès depuis des années pour que la part des cotisations patronales dans le financement de la protection sociale chute : elle est passée de 72% en 1980 à 36,5% en 2021.

La gauche serait bien inspirée de défendre le financement des retraites par les cotisations sociales, bien davantage qu’aujourd’hui où il est en partie fiscalisé, à cause notamment des exonérations de cotisations sociales compensées par le budget de l’État. L’un des grands intérêts des cotisations sociales, c’est qu’elles sont versées chaque mois par les entreprises, sans possibilité pour elles d’y échapper par des niches fiscales ou des manœuvres comptables, car elles sont calculées en proportion des salaires versés.

L’idée reçue, agitée par la droite, selon laquelle la gauche ne sait rien faire d’autre que taxer, a une part de vérité : non seulement l’impôt est le seul outil auquel elle pense, mais en plus elle change de plan tous les deux ans, de telle sorte qu’elle ne parvient pas à avoir un message clair sur ce sujet. Bien évidemment, nos adversaires macronistes, de droite et de l’extrême-droite n’ont aucune leçon à donner puisque leurs actions et programmes ne visent qu’à réduire le financement de l’Etat et de la sécurité sociale pour ensuite venir couper dans les dépenses, et imposer toujours moins le patronat et les riches. Mais il n’empêche que la crédibilité de la gauche, sur ces questions, est essentielle pour emporter l’adhésion… et surtout pour être en mesure de transformer réellement la société. 

L’idée reçue, agitée par la droite, selon laquelle la gauche ne sait rien faire d’autre que taxer, a une part de vérité : non seulement l’impôt est le seul outil auquel elle pense, mais en plus elle change de plan tous les deux ans, de telle sorte qu’elle ne parvient pas à avoir un message clair sur ce sujet.

C’est pourquoi l’objectif de la gauche doit être la socialisation des entreprises. C’est à la fois plus clair, sur le plan argumentatif, et plus efficace à long terme sur le plan technique. Les principaux financements de son projet de société devraient venir de la hausse de l’emploi, des salaires et des cotisations patronales. Son but ne devrait pas être simplement de taxer les profits, mais de les diminuer. Son but ne devrait pas être uniquement de taxer les dividendes, mais de les faire progressivement disparaître. Son but ne devrait pas être de taxer les milliardaires, mais de rendre impossible leur existence.

Guillaume Etiévant 

https://frustrationmagazine.fr/dividendes-retraites
https://frustrationmagazine.fr/les-actionnaires-ne-prennent-pas-de-risques-et-ne-creent-pas-demplois-nous-les-payons-pour-rien
https://frustrationmagazine.fr/hausse-des-prix
Guillaume Étievant
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
Tous les articles
Bannière abonnements