Protection Judiciaire de la Jeunesse : la fabrique de la souffrance psychique
Fin de l’été 2025, Mme Simonot, contrôleure générale des lieux de privations de liberté, demande en urgence la fermeture de l’Établissement Public de Mineurs (EPM) de La Valentine à Marseille. Son rapport, glaçant, a révélé au grand jour une double crise : celle des éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), épuisés par des moyens dérisoires et un manque criant de reconnaissance, et celle des mineurs placés, dont les conditions de vie se dégradent au rythme des restrictions budgétaires. Dans des structures
parfois vétustes, sous-dotées en personnel et en projets éducatifs, les jeunes cumulent précarité affective, parcours scolaires interrompus et perspectives d’insertion toujours plus lointaines. Pendant ce temps, les éducateurs, en première ligne face à cette détresse, voient leur mission réduite à une gestion de l’urgence, au détriment de l’accompagnement individuel qui fait le cœur de leur métier. Entre l’abandon des mineurs et l’épuisement des professionnels, la PJJ est-elle encore en capacité d’assurer sa mission de protection et de
réinsertion ?
En France, la prise en charge des mineurs se distingue en deux administrations cousines: l’ASE, dont on parle régulièrement des conditions de vies des jeunes qui y sont accueillis, et bien trop souvent du phénomène massif de prostitution des jeunes filles, s’occupe du secteur de la “protection de l’enfance”, c’est à dire des mineurs pour lesquels l’Etat, en l’occurence les départements, doit pallier la défaillance éducative des parents. La PJJ, elle,
regroupe 4200 éducateurs, répartis en structures de milieu ouvert, d’hébergement, et de milieu fermé: centres éducatifs fermés ou prison. C’est dans l’un de ces établissements, géré à la fois par l’administration pénitentiaire et la PJJ, qu’ont été observés les faits révélés par le rapport de cet été: dans cet EPM accueillant des enfant incarcérés, il y n’y a plus de
distribution de produits d’hygiène, l’état des cellules est extrêmement dégradé, les activités éducatives sont aléatoirement accessibles, on y est enfermé 23 heures sur 24, et surtout, il existe une sanction exercée par les surveillants sur les enfants: la “mise en grille”, c’est à dire l’isolement d’un jeune dans une pièce non prévue pour cela, sans assise, sans WC,
sans point d’eau, “situés dans le bâtiment disciplinaire désert, où aucune surveillance continue n’est assurée”, parfois pendant 5 heures. L’établissement n’est toujours pas fermé. Jean-Louis Daumas, directeur de l’inspection générale de la justice, s’est vu confier une mission d’enquête sur le sujet. Le même Jean-Louis Daumas qui était aux manettes lors de la création du cahier des charges éducatif des fameux EPM. La boucle est bouclée.

Chaque année, environ 3000 mineurs sont incarcérés en France, selon l’OIP. L’enfermement des mineurs fragilise les liens familiaux, ancre les jeunes dans une identité de délinquant, ne remplit pas son rôle de réinsertion, et produit un taux de recondamnation de 70% dans les 5 ans, nettement supérieur à celui des adultes comme l’a démontré Annie Kensey, Cheffe du bureau des études et de la prospective (PMJ5), à la direction de l’administration pénitentiaire. Les chercheurs sur le sujet sont tous formels : “Toutes choses égales par ailleurs, le risque de récidive est d’autant plus élevé que les personnes sont jeunes au moment de leur entrée en prison, et augmente avec le nombre de condamnations antérieures. Les troubles psychologiques ou psychiatriques identifiés pendant la détention sont associés à un sur-risque de récidive.“ La prison ne fonctionne donc pas, et outre les dégâts qu’elle produit, n’a d’autre utilité que de servir d’affichage sécuritaire aux politiques pénales qui criminalisent la pauvreté : les mineurs incarcérés sont majoritairement issus de milieux précaires. Leur incarcération ne répond pas à une logique de réparation, mais à une logique de contrôle social, où la prison sert à « ranger » ceux que la société ne parvient pas à intégrer. Dormez tranquilles, les enfants délinquants sont enfermés.
Les professionnels qualifiés et titulaires fuient les CEF. Maxime, 35 ans, éducateur en foyer témoigne: « En CEF, on fait du comportementalisme, c’est à dire qu’on veut que le jeune il disent bonjour à la dame, qu’il soit à l’heure, qu’il range sa chambre, on ne cherche pas à savoir pourquoi il pête un cable tous les soirs avant de se coucher, on se contente de faire du gardiennage.”

Pour pallier les manques de personnels, l’administration recrute des contractuels parfois sans formation et la structure n’a alors plus aucune ambition éducative.”On considère que la mission est réussie quand ils décrochent le code mais la qualité éducative ça s’arrête là.” Faute de place disponible dans les lieux de placement adaptés aux primo-délinquants, à savoir des foyers ouverts, de nombreux jeunes sont envoyés en CEF dès les premiers faits de délinquance, ce qui est catastrophique pour la graduation de la réponse pénale et le parcours du jeune. À cela s’ajoute une rupture abrupte avec le milieu d’origine: “La plupart des CEF sont situés dans des zones géographiques difficile d’accès depuis les centres urbains, ça rend le travail avec les familles impossibles, tu vas pas faire 600 km pour voir ton gamin quand tu es une mère isolée et que tu n’as pas de voiture par exemple.” Le prix de journée d’un CEF est estimé à 700 euros par jeune. Et ça ne fonctionne pas, selon les mots mêmes de l’IGJ dans son rapport de mars 2025 : “Les activités de jour sont trop souvent occupationnelles, les heures d’enseignement scolaire insuffisantes et la prise en charge de la santé trop inégale. Ceci est dû en partie aux problèmes de gestion des ressources humaines qui se multiplient en raison de vacances de postes, d’absentéisme, d’un défaut d’attractivité, conduisant à recourir aux heures supplémentaires, aux contrats à durée déterminée et à l’intérim. L’équipe éducative est ainsi parfois insuffisamment formée et peut manquer d’expérience ce qui impacte la qualité de la prise en charge des jeunes”.
Le suivi des jeunes incarcérés ou en CEF est loin d’être l’essentiel du travail de la PJJ, dont l’histoire repose sur l’ordonnance de 1945, qui dit entre autres choses: “La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains.” et qui acte durablement la primauté de l’éducatif sur le répressif, principe régulièrement écorné depuis, jusqu’à son abrogation totale au profit du CJPM (Code de la Justice Pénale des mineurs) en 2021. Pour illustrer cela, il suffit d’observer le nombre des EPE(60), les établissements de placement ouverts, dans lesquels les jeunes sont scolarisés, ont des loisirs, continuent à habiter le monde, en comparaison aux établissements fermés: 58 CEF, 6 EPM, 45 quartiers mineurs. Ces EPE sont l’un des noeuds du problème, selon Marc Hernandez du SNPES-PJJ/FSU, car leur financement ne paye pas politiquement, ils sont sont donc sous-dotés, les bâtiments sont parfois en mauvais état, et les équipes à bout de souffle, notamment suite à la fin de contrat de 500 éducateurs contractuels pour des raisons économiques en 2024. “Les magistrats sont parfois contraints de choisir des centres fermés, dont on connaît la piètre qualité éducative, parce qu’il n’y a plus de place disponible en EPE”. Les syndicats se sont prononcés, lors des Etats Généraux du Placement, en faveur de foyers accueillant des groupes de jeunes moins importants. Maxime, éducateur en foyer depuis plusieurs années, constate: “À chaque fois qu’on a plus de 8 jeunes, et ça peut monter jusqu’à 12, on perd la qualité éducative et on se transforme en gardiens. On accueille des jeunes bien cabossés qui ont besoin de se sentir en confiance. À 12, c’est impossible”

«Tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies, tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter», Gabriel Attal, présentant son projet de loi sur la justice des mineurs en réaction aux émeutes faisant suite à la mort de Nahel Merzouk, été 2023.
“La loi Attal contenait initialement des mesures qui, grâce à notre travail auprès des parlementaires, ont été censurées par le conseil constitutionnel” se rappelle Josselin, délégué CGT PJJ. Le conseil des sages a effectivement retoqué des mesures de la loi comme la comparution immédiate à partir de 16 ans et la fin de la systématisation de l’atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs. Tout cela allait à l’encontre de la convention internationale des droits de l’enfant. “A l’époque des émeutes suite à la mort de Nahel, toute une partie des médias présentait la justice des mineurs comme laxiste, les jeunes étaient présentés comme de dangereux récidivistes en mal de repères, alors que dans les chiffres ce n’est absolument pas le cas, 80% d’entre eux étaient scolarisés, et que le taux de réponse pénale chez les mineurs avoisine les 93%” Josselin Valdenaire, délégué CGT PJJ. Attal et sa clique ont simplement surfé sur ce qu’ils imaginaient être une demande de l’électorat pour plus de sécurité. L’épisode intervenait après une annonce de restriction budgétaire qui allait impacter le renouvellement des 500 postes de contractuels. “C’était la panique dans tous les établissements, les collègues se sont mis à enchaîner plusieurs services d’affilée, à devoir suivre un nombre de jeunes toujours plus important.” Les éducateurs se sont alors mobilisés à l’appel du SNPES-PJJ/FSU en un mouvement social plutôt réussi: Certaines suppressions de postes ont été évitées dans les services, et un plan de titularisation est en cours de négociation avec le nouveau directeur de la PJJ, Thomas Lesueur, un proche de Gérald Darmanin, le Garde des Sceaux (bien entendu).

Le cadre général de l’intervention des éducateurs a beaucoup évolué depuis l’abrogation de l’ordonnance de 1945 et la création du CJPM. La principale conséquence? Désormais, pour les mineurs, il y a deux audiences devant le juge: la première pour déterminer la culpabilité, qui a lieu entre 8 et 15 jours après la commission des faits ou l’interpellation, et la deuxième, six mois plus tard environ, qui détermine la peine. Entre les deux, les jeunes sont suivis par les services de la PJJ. À chaque audience correspond un rapport de suivi éducatif. Le dédoublement des audiences a donc fatalement augmenté la charge de travail des éducateurs: “Depuis la multiplication des échéances (un jeune peut avoir 3 ou 4 affaires en cours) liée au dédoublement des audiences, on est constamment en train de rédiger des rapports, qui sont censés être la conclusion d’un travail éducatif de donc qu’on n’a jamais le temps de faire. On travaille rarement sur les faits, mais plutôt sur ce qui peut donner l’image la plus valorisante du service: l’insertion pro et le sport” déplore Laure, éducatrice en milieu ouvert. “On est souvent face à des substituts du procureur qui n’ont pas d’attrait spécifique pour les questions éducatives et n’ont jamais été formés pour cela, qui réclament systématiquement de la coercition, probablement pour bien se faire voir du parquet”.
Cet effet insidieux de l’accélération du temps judiciaire le SNM l’a également constaté : « L’accompagnement éducatif, essentiel à la justice des mineur·es, est relégué au second plan au profit d’une procédure plus rapide. Cette accélération prive les services éducatifs de toute possibilité de créer une relation éducative avec le·la mineur·e et de proposer un projet éducatif individualisé«
3000 mesures en attente : autant de jeunes en carence éducative livrés à eux-mêmes
A l’heure qu’il est, les services éducatifs de milieu ouvert prennent en charge 25 jeunes par éducateurs. Selon les syndicats, c’est beaucoup trop, surtout après la réforme récente qui impose un rythme soutenu dans la rédaction des rapports. “Il y a quelques années, un jeune suivi, je le voyais une fois par semaine, je connaissais ses parents, j’avais le temps de faire des visites à domicile pour comprendre les conditions de vie, mais depuis le CJPM, c’est
impossible, je les vois une fois par mois, c’est tout” Lâche Laure, dépitée. Trouver du sens à son travail devient alors difficile: « Quand tu commences à voir les enfants des premiers jeunes dont tu t’es occupé être suivis pour des faits de délinquance, le caractère systémique de la misère sociale te saute aux yeux, et parfois tu te prends à penser que si par chance ton travail paie et qu’un jeune suivi trouve sa place dans la société, c’est déjà pas mal ».
Interrogé sur le sujet, Antoine, juge des enfants en région PACA, témoigne: “Le biais social dans les traitement des dossiers est flagrant: un enfant de bourgeois tu va lui éviter le placement parce qu’il y a toujours des relais dans la famille, par exemple, alors que l’enfant qui vit dans une grande fratrie dans un logement social, il a peu de chance d’y échapper au deuxième passage à l’acte.” Quant aux mesures initialement prévues par la Loi Attal, finalement censurées par le Conseil Constitutionnel, il s’indigne: “Quand on voit la réalité
des situations des familles au quotidien, j’ai du mal à voir un levier dans l’idée de sanctionner les parents, qui est le plus souvent une mère solo. Qu’est-ce qu’on va aller lui mettre une amende parce que son fils a des mauvaises fréquentations pendant qu’elle part travailler pour rapporter un peu d’argent et qu’elle est débordée parce que son compagnon l’a laissée gérer les enfants seule?”.
Sanctionner les parents, enfermer les enfants, dépouiller les services éducatifs de leurs moyens et de leur temps, voilà donc la réponse politique apportée à l’effarant problème de la pauvreté des enfants en France, estimée par l’INSEE à 20,6% en 2021, contre 14,5% dans le reste de la population.
Bien organisés, les syndicats d’éducateurs (SNPES-PJJ/FSU et CGT) et de magistrats (SM) font des propositions concrètes et humaines, à la hauteur des défis sociaux et éducatifs auxquels ils font face au quotidien, à commencer par se doter de lieux de placement adaptés aux mineurs délinquants: diversifiés, en petits collectifs, encadrés par des équipes sociales bien formées et auxquelles on laisse le temps de travailler.
Marc Faysse
