« La peur au ventre » : enquête sur la croisade anti-avortement

Léa Clermont-Dion est la réalisatrice de La peur au ventre un documentaire portant sur la montée des groupes anti-avortement qui sort en France, aujourd’hui, le 30 avril 2025. Frustration publie sa lettre ouverte.
Je suis une Québécoise. Je suis réalisatrice. J’ai fait un film, La peur au ventre. Je n’ai pas voulu embellir la laideur du monde. Le monde est ce qu’il est. Il effraie et dérange. J’ai posé ma caméra sur des groupes anti-avortement américains, canadiens et québécois, ceux qui veulent nous jeter au visage l’argument dangereux et fallacieux selon lequel l’interruption volontaire de grossesse (IVG) serait un meurtre d’un enfant à naître. Ceux qui veulent faire reculer les droits des femmes. Cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, le film tombe à point et sera présenté en salle en France le 30 avril. Car l’Hexagone n’est pas à l’abri de cette fomentation idéologique inéluctable.
L’hexagone n’est pas à l’abri de cette fomentation idéologique inéluctable.
Ces discours existent, percolent, et culminent trois ans après l’invalidation de Roe v. Wade aux États-Unis — un recul de cinquante ans. J’ai voulu comprendre comment ces discours voyagent et s’enracinent chez nous, au Canada, au Québec. Comment influencent-ils — ou non — ce courant idéologique dans mon pays, qualifié d’« étalon d’or » pour l’avortement ? La réponse fut catégorique : les acteurs anti-avortement sont galvanisés. Ils veulent changer ceux qui ne pensent pas comme eux.
Rappelons les faits : le mouvement anti-avortement existe aussi ici, et il est dangereux.
Faut-il s’étonner que le médiacrate milliardaire Vincent Bolloré ait permis la diffusion du film de propagande Unplanned sur sa chaîne C8 en février dernier ? Ce « documentaire », ou plutôt de film de propagande, a été réalisé par l’une des militantes anti-choix les plus influentes des États-Unis, Abby Johnson. Cette figure polémique m’a d’ailleurs accordé une entrevue dans le film, à Washington, lors du plus grand rassemblement du mouvement aux États-Unis : la Pro-Life March de janvier 2024. Je l’ai recroisée dans la capitale du Canada, à Ottawa, devant la Chambre des communes, où elle s’adressait à une foule de jeunes. Elle cherchait de nouveaux adeptes. Cette leader est loin d’être la seule à mentir pour faire reculer le droit à l’IVG. Sa ritournelle est prévisible et toujours un peu la même : l’avortement est un meurtre, l’avortement donne le cancer, l’avortement rend infertile. Parfois, certains évoquent même un «génocide».
Faut-il s’étonner que le médiacrate milliardaire Vincent Bolloré ait permis la diffusion du film de propagande Unplanned sur sa chaîne C8 en février dernier ?
La Fondation des femmes, en collaboration avec l’Institute for Strategic Dialogue, alerte sur la diffusion massive de fausses informations concernant l’avortement en ligne et les menaces qu’elles représentent en France. Cette recherche démontre que les réseaux sociaux échouent à garantir un accès sécurisé à des informations fiables sur l’IVG.
Ces discours, je les entends aussi chez de jeunes influenceurs québécois, suivis par des milliers de personnes, qui embrassent cette logorrhée asservissante. Mais aussi chez de jeunes Français tout aussi populaires, qui relaient à coups de vidéos joyeuses, magnifiées par des filtres et des cœurs, ce message de domination.
La Fondation des femmes, en collaboration avec l’Institute for Strategic Dialogue, alerte sur la diffusion massive de fausses informations concernant l’avortement en ligne et les menaces qu’elles représentent en France.
Parlons donc de la jeunesse, justement. C’est pour elle que je m’inquiète. C’est elle qui, parfois, se biberonne à la pensée masculiniste et misogyne du gourou autoproclamé, suivi par des milliards de personnes : Andrew Tate.
Faut-il rappeler qu’en Grande-Bretagne, un jeune sur cinq apprécie le porte-étendard de la manosphère qui, aux dernières nouvelles, affirmait qu’il vaudrait mieux que les femmes ne votent pas, puisqu’elles ont préféré Harris à Trump lors des dernières élections présidentielles ?
De Trump à Tate, il y a un fil invisible qui les lie. Ils effritent les droits des femmes.
Or, de Trump à Tate, il y a un fil invisible qui les lie. Ils effritent les droits des femmes. Trump, autrefois vertement pro-choix, a changé son fusil d’épaule pour nommer des juges opposés à l’IVG à la Cour suprême des États-Unis. Il est au cœur de ce recul historique.
Comment expliquer ce backlash historique ? Une cause unilatérale ne peut être identifiée, mais force est de constater que le pouvoir des broligarques dont font partie Elon Musk et Mark Zuckerberg, qui dirigent les GAFAM, a un rôle à jouer dans la montée de cette idéologie dangereuse. Ils laissent proférer la calomnie.
Le pouvoir des broligarques dont font partie Elon Musk et Mark Zuckerberg, qui dirigent les GAFAM, a un rôle à jouer dans la montée de cette idéologie dangereuse.
Soyons clairs. Mon film La peur au ventre met en lumière une réalité qui prend des formes de dystopie rappelant La Servante écarlate. Cette dystopie n’en est pas une. J’ai pris le pari de ne rien esthétiser, de ne pas euphémiser, de ne surtout pas taire ce qui s’en vient ici, en France.
Il faut toujours revenir aux sages paroles de Simone de Beauvoir en ces temps troubles : Il suffit d’une crise politique, économique, sociale ou religieuse pour que les droits des femmes soient menacés. Il faudra être vigilantes toute notre vie durant.
