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L’Ozempic, potentiel Mediator, profite de l’injonction à la minceur


Votre santé ? Pour l’industrie de la minceur, c’est le dernier de ses soucis. Dans une société obsédée par l’image, on nous vend un rêve impossible : garder un corps immuable, protégé du temps et des épreuves. Un corps sans plis, sans marques, sans changement. Et dans ce monde où la peur de grossir devient une religion, le capitalisme pharmaceutique prospère. Chaque décennie voit surgir sa nouvelle promesse miracle, sa nouvelle pilule d’espérance, son nouveau scandale annoncé. Il y a quinze ans, c’était le Mediator. Aujourd’hui, les noms ont changé : Ozempic et Wegovy. Mais le scénario, lui, reste le même : profits records, médias complaisants, et un mépris intact des corps gros.

Un potentiel Mediator 2.0

L’Ozempic et le Wegovy sont partout : sur TikTok, dans les magazines, jusque dans les ordonnances des médecins. En quelques années, ces antidiabétiques sont devenus les nouveaux coupe-faim stars. Les célébrités s’en vantent, la presse s’en réjouit, le laboratoire pharmaceutique danois qui les commercialise, Novo Nordisk, engrange des milliards.
Et pourtant, en France cette histoire on la connaît déjà. Un médicament présenté comme antidiabétique, prescrit hors de son cadre, vanté comme une solution minceur. Résultat : des centaines de morts et un procès historique. C’était le Mediator.

Commercialisé dès 1976 par les laboratoires Servier, le Mediator était officiellement un antidiabétique. En pratique, il fut prescrit massivement comme coupe-faim, sous couvert médical, à des centaines de milliers de patient·e·s. La promesse était séduisante : une perte de poids « contrôlée », un médicament sans danger apparent. Mais dès les années 1990, des cardiologues alertaient : valvulopathies, hypertensions pulmonaires, cœurs qui lâchent sans prévenir. Servier étouffe, les autorités ferment les yeux, les médecins continuent à prescrire. Il a fallu la ténacité d’une femme – la pneumologue Irène Frachon – pour briser le silence. En 2010, son enquête et son livre « Mediator 150 mg – Combien de morts ? » révèlent l’ampleur du désastre : plusieurs centaines de morts, des milliers de victimes, et l’un des plus grands procès sanitaires français.

Ce scandale aurait dû être un électrochoc. La preuve que l’industrie pharmaceutique peut tuer en toute impunité, tant que ses profits sont préservés. Mais quinze ans plus tard, le scénario se répète. Cette fois, la pilule miracle s’appelle Ozempic.

 “Fais comme tout le monde, prends de l’Ozempic”

Dans la saison 3 de “Just Like That” – la suite de la série mondialement connue “Sex and the City” – un personnage se plaint d’avoir pris 500 grammes. Sa compagne lui répond : « Fais comme tout le monde ! Prends de l’Ozempic. ». Cette réplique, devenue mème virale, illustre à elle seule l’ampleur du phénomène. Sur TikTok, les hashtags #Ozempic et #OzempicChallenge cumulent des centaines de millions de vues. Elon Musk s’en vante, Kim Kardashian est soupçonnée d’en avoir abusé. Robbie Williams, Lana Del Rey et toute une panoplie de stars du même niveau de notoriété. Résultat : prescriptions massives, ruptures de stock, explosion des ventes. Pendant ce temps, les malades diabétiques peinent à obtenir leur traitement. Leur santé passe au second plan, sacrifiée sur l’autel de la hype.

Mais le phénomène ne s’arrête pas aux plateaux télé ou aux influenceur·euse·s. Dans les coulisses de la mode, on assiste à un grand retropédalage sur la diversité des morphologies. Selon une enquête de France Info, de nombreux mannequins grande taille racontent avoir vu leurs contrats chuter depuis l’explosion d’Ozempic. Certaines se sentent désormais contraintes d’y recourir pour continuer à travailler. Même les corps qu’on avait crus “acceptés” doivent redevenir contrôlables.

Des alertes qui n’inquiètent personne

Depuis 2023, plusieurs agences sanitaires européennes tirent la sonnette d’alarme. L’Agence européenne du médicament (EMA) a ouvert une enquête après des signalements de pensées suicidaires et d’automutilation chez des patient·e·s sous Ozempic, Wegovy et autres médicaments de la même famille (agonistes du GLP-1). Le signal est venu d’Islande, rapidement relayé en Espagne et au Royaume-Uni, où des enquêtes nationales ont été menées. Résultat : rien n’est confirmé, mais rien n’est exclu non plus.
En avril 2024, le comité de sécurité de l’EMA (PRAC) a estimé que les données disponibles ne prouvaient pas de lien de cause à effet. Mais il a demandé à Novo Nordisk de fournir de nouvelles données, faute de recul suffisant.

Même conclusion au Royaume-Uni : l’autorité des médicaments (MHRA) a déclaré ne pas avoir trouvé de lien “convaincant”, tout en maintenant une surveillance renforcée. Autrement dit : les études cliniques sont trop récentes, les cohortes trop courtes, et les profils à risque souvent exclus des essais. 
Certaines personnes traitées au semaglutide ont déjà signalé des effets psychiatriques graves, d’autres des troubles digestifs, pancréatiques ou cardiovasculaires.  Le principe de précaution est donc inversé : tant que la preuve absolue n’est pas formelle, les labos continuent de vendre.

Un antidiabétique détourné puis « rebrandé » : le cynisme de Novo Nordisk

En France, l’ANSM et l’Assurance maladie ont reconnu dès 2023 un “risque de mésusage” massif : des milliers de prescriptions d’Ozempic chez des patient·e·s non diabétiques. Une surveillance a été mise en place, sans qu’aucune restriction durable ne soit imposée.

Face à cela, Novo Nordisk ne ralentit pas. Au contraire, le laboratoire danois surfe sur l’engouement pour rebrander une version plus fortement dosée de la même molécule  En 2024, le laboratoire lance Wegovy, comme une « solution contre l’obésité ». Théoriquement, le Wegovy ne peut être prescrit que sur ordonnance dans des conditions strictes (IMC élévé, comorbidités, suivi médical et régime associé) et ces injections coûtent 300 euros par mois.

Mais comme il n’est pas remboursé, il est plus difficile de tracer son usage via les bases de données nationales (qui reposent souvent sur les remboursements). Donc l’ANSM et les chercheur·euse·s ont moins de visibilité sur son usage (et son potentiel mésusage).Par ailleurs on relèvera l’ironie : l’obésité est assez grave pour justifier un traitement médicamenteux, mais pas assez pour être remboursé·e. Un paradoxe parfait pour un système qui prétend soigner les corps gros tout en les maintenant coupables et précaires.  

De la peur de grossir à la maltraitance des corps gros : une mécanique grossophobe au service du patriarcapitalisme

Connaissez-vous une seule personne qui n’ait pas peur de grossir ? 
Cette peur, on ne la choisit pas : elle nous est inculquée. 
Pendant la grossesse déjà, le corps des femmes est scruté : “Attention ! Ne prenez pas plus d’un kilo par mois !” comme si les femmes avaient besoin de ce stress supplémentaire à ce moment de leur vie. Puis vient la courbe de poids des enfants, surveillée comme un bulletin scolaire. Dans une société où le corps est un outil de production, le médecin devient souvent le relais de ce contrôle.  Le message est clair : grossir, c’est échouer.  

« Cette vision s’inscrit dans une logique selon laquelle un corps n’est valable que s’il peut produire »

Collectif fatactiviste @Grasbuge 

Cette injonction est plus fortement déclinée au féminin. Un petit garçon qui mange de bon appétit sera salué alors qu’une petite fille fera l’objet d’une vigilance accrue. Et ce n’est pas sans impact sur le comportement alimentaire des concernées. Selon une étude de l’OMS menée dans 33 pays en 2019, 37 % des petites filles de 11 ans ont déjà fait ou souhaitent faire un régime. Elles sont 47 % à 13 ans et 55 % à 15 ans. Plus de la moitié des adolescentes ont intériorisé la norme de minceur. Elles ont peur de grossir et donc peur de manger. À 15 ans, un cinquième d’entre elles souffrent déjà de trouble alimentaire, cause fréquente de mortalité prématurée chez les 15-24 ans.

Des comptes de fées aux séries en passant par la publicité, nous sommes surexposé·e·s à des représentations genrées et stéréotypées : l’homme fort et la femme fragile. La perception de nos corps est colonisée par ces images. Les jeunes femmes vont développer très tôt une charge mentale liée à leur peur de grossir et à la gestion de leurs corps et de leur alimentation . Et beaucoup de ces jeunes femmes vont devenir des mamans qui transmettront cette peur à leur filles… Dans une société où la majorité des violences sexistes et sexuelles sont classées sans suite , où les différences de salaires entre hommes et femmes restent importantes, la parano des calories peut être particulièrement pratique pour servir l’ordre patriarcal établi. 

Le plus glaçant ? Non seulement la peur de grossir fait grossir mais elle nous fixe tellement sur nos propres assiettes qu’elle rend tolérable à nos yeux la maltraitance des corps plus gros que les nôtres. 

La culture des régimes ou le mythe de la restriction 

La culture des régimes, c’est cet ensemble de pensées sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour maigrir ou rester mince. Manger 3 repas par jour, ne pas grignoter, non finalement plein de mini repas pour ne jamais avoir faim, finalement non, jeûner une partie de la journée. Des règles changeantes, parfois paradoxales ou impossibles à suivre mais qui occupent toujours une bonne partie de l’esprit de toute personne qui accorde de l’importance à son image. Maigrir ne serait qu’une affaire de volonté. Manger moins et faire plus de sport. Le discours est séduisant : il promet le contrôle, l’ordre, la rédemption par la discipline. La réalité humaine est bien plus complexe.

Déjà parce qu’il existe de nombreuses raisons d’être gros·se qui n’ont rien à voir avec la pratique sportive ou le régime alimentaire. La génétique , l’environnement, le pouvoir d’achat, le sommeil, la santé mentale…Nous ne sommes pas toustes fait·e·s pour ressembler à la couverture du magazine. 

Ensuite parce que la restriction elle-même est un problème déguisé en solution. 

Mettre une personne en restriction, c’est détruire son équilibre de santé. Lorsque vous entamez un régime, passé l’euphorie du contrôle, tout devient lutte. Les aliments interdits deviennent irrésistibles, l’hypervigilance est épuisante. En parallèle, les hormones de satiété chutent, celles de la faim explosent. La moindre odeur d’aliment vous excite. Votre corps se bat de toutes ses forces pour que vous ne l’affamiez pas. 

« Combattre la grossophobie tout en voulant faire disparaître les gros·ses, c’est forcément compliqué. »

@fat_ethnographies

Si vous « craquez », ce n’est pas un manque de volonté. C’est que votre corps est bien fait et qu’il veille à ne pas s’affaiblir. Il ne fait pas la différence entre une famine subie et choisie. Lorsque la restriction se prolonge, votre corps capitule et passe en mode survie : votre métabolisme et vos fonctions vitales sont au ralenti, c’est la batterie en mode éco. A court terme, vous perdez du poids mais votre corps a appris à faire le plus avec le moins. Résultat : le jour où vous remangez normalement (et ce jour arrive forcément car il est impossible de tenir la restriction toute sa vie), vous reprenez tout le poids perdu, voire un bonus car votre corps stockera plus par peur de la prochaine famine. 

Les régimes agissent comme une véritable fabrique de la grosseur et à partir de là, la personne concernée va enchaîner les obstacles à la perte de poids. Plus elle va essayer de maigrir plus elle va grossir et… réessayer de maigrir. Il n’y a pas plus lucratif qu’une personne en souffrance avec son poids. On peut TOUT lui vendre. Des plats protéinés qui coûtent une fortune et qui sont infects, des soupes au chou, des crèmes, des gaines et désormais des injections.  

La vérité est que non seulement les régimes ne fonctionnent pas mais surtout ils créent le problème qu’ils prétendent solutionner. Laissant sur le carreau des milliers de candidat·e·s à la minceur.

C’est loin d’être une découverte. Des études qui datent des années 1940 attestent de la non efficacité des régimes et leur mauvais impact sur la santé mentale et sociale. En France en 2010, l’Agence nationale de sécurité́ sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a publié́ un rapport sur l’évaluation des régimes amaigrissants. Les méthodes les plus utilisées en France sont toutes auditionnées. Ce rapport conclut que « la solution diététique aggravait le plus souvent le problème pondéral. La solution devenant le problème » 

Mais ces résultats ne font jamais la une des journaux.  On préfère accuser le sucre, le gras, ou “le manque d’effort”.  Parce qu’admettre que les régimes fabriquent la grosseur, ce serait tuer un marché entier. Et quel marché !  Juste en France, l’industrie de la minceur représente 3,5 milliards d’euros par an, soit 114 euros de bénéfice par minute

Nos corps trinquent, leur profits prospèrent

Ce qui est magique avec l’industrie de la minceur c’est qu’elle culpabilise tellement les individus avec le mythe de la volonté, qu’elle n’a aucune chance d’être dénoncée. Si vous faites un régime et que vous obtenez le résultat espéré, vous éprouverez de la gratitude pour la méthode utilisée. Si vous ne perdez pas ou que vous reprenez, vous vous en prendrez à vous-même : vous avez manqué de volonté. A ce stade de la lecture , vous l’avez certainement compris : c’est un leurre. A ce jour, aucune méthode de perte de poids intentionnelle ne fonctionne à long terme. S’il en existait une, la grosseur n’existerait plus. 

Dans une société aussi grossophobe que la notre , où à compétence égale une femme grosse à 8 fois moins de chance qu’une femme mince d’avoir un emploi , où des marques de prêt-à-porter refusent de fabriquer des vêtement au dessus du 44, où des chirurgien·ne·s refusent d’opérer des personnes grosses, beaucoup de personnes donneraient TOUT pour s’éviter l’enfer de la vie multidiscriminée d’une personne grosse. 

L’injonction à la minceur est-elle au service de la santé ? Comme le résume la militante @corpscool :  « Ces médicaments n’ont jamais été conçus pour la santé, mais pour punir les corps gros de ne pas correspondre à la norme. »

La responsabilité de l’industrie de la minceur se cache bien à l’abri derrière les débats autour de la “lutte contre l’obésité”. Vous pourrez voir toute sorte de littérature ou de documentaire qui dénonce la “malbouffe industrielle” ou “l’addiction au sucre”. Aucun ne dénonce le cynisme d’une industrie qui crée un problème pour en proposer une solution aggravante. 

Le lobbying est puissant. Comme tout secteur lucratif, l’industrie pharmaceutique a appris à parler le langage de son époque. Partout dans le monde, Novo Nordisk à des agences qui travaillent à redorer son image. 

En France, l’entreprise a par exemple confié une de ses nombreuses communications à PRPA, une agence “spécialisée en santé”, qui reprend le vocabulaire militant pour mieux le neutraliser. Ses campagnes se parent des mots de l’inclusivité, du respect, de la diversité corporelle et prétend même dénoncer la stigmatisation des corps gros. Le cynisme de prétendre participer au débat de la “lutte contre la grossophobie” tout en vendant un médicament dont le principe est de réduire la taille des corps gros. 

Dès 1946, l’Organisation mondiale de la santé définissait la santé comme “un état de bien-être physique, mental et social”. 
Alors, se soucie-t-on vraiment de la santé d’une personne à qui l’on intime de maigrir ? 
Comment parler de bien-être quand une personne s’interdit un dîner entre ami·e·s pour ne pas “craquer”, quand un·e enfant se voit refuser sa part de gâteau d’anniversaire au nom de sa “santé” ? 
L’isolement social, la honte, l’obsession alimentaire : voilà les effets secondaires réels de la culture des régimes dont le Wegovy est la traduction la plus cynique.


Si vous êtes tenté·e par ce médicament, sachez deux choses : 
– Ces médicaments sont trop récents pour qu’on en connaisse les effets à long terme : six ans de recul seulement pour l’Ozempic, trois ans pour le Wegovy
– Pour que cela fonctionne, il y a deux conditions : accompagner la démarche d’un régime restrictif (avec tous les effets dénoncés précédemment) et… s’injecter à vie. 

Le jour où vous arrêtez, tout le poids revient. C’est donc un traitement sans fin, une dépendance légalisée.  Une stratégie de dealer, version pharmaceutique.  


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Zina Mebkhout
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