
Pas une semaine ne se passe sans que les médias mainstream n’évoquent le cas de tel ou tel individu sous le coup d’une OQTF, terme qui trône dans le débat public depuis maintenant plusieurs années. A l’origine une mesure administrative, l’OQTF est aujourd’hui brandie comme un marqueur d’illégitimité, voire de dangerosité, ou même de criminalité.
En 2025, l’expulsion de lieux culturels, les décisions préfectorales à tour de bras sans motif valable, ou encore les narrations médiatiques nous assénant “OQTF = danger”, achèvent de baliser le terrain pour une extrême droite qui n’a plus qu’à regarder ses idées se traduire concrètement, jour après jour.

Mais de quoi parle-t-on exactement quand on parle d’OQTF ? Comment cet outil administratif est-il devenu un levier de stigmatisation ? Comment reprendre la main sur ce discours ? Éléments de réponse ici.
Non, les OQTF ne signifient pas qu’une personne est dangereuse
Créée en 2006 par une loi de Sarkozy, l’OQTF est une mesure administrative, délivrée par la préfecture, ayant pour objectif d’expulser une personne du territoire français, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour, ou de situation irrégulière.

Bien qu’elle ne présume absolument en rien de la dangerosité réelle d’une personne, cette décision peut être assortie, tout à fait arbitrairement, d’une assignation à résidence, d’un placement en rétention, ou encore d’une interdiction de retour sur le territoire – qui l’est obligatoirement en cas d’OQTF sans délai de départ, laquelle est quasi incontestable devant la justice (48h de délai).
Quasi incontestable et visiblement distribuée arbitrairement, comme le rapporte ce témoignage : “On observe souvent que les OQTF sont notifiées le vendredi. On soupçonne les préfectures de faire exprès pour que les étrangers ne puissent pas aller en justice”. Les tribunaux administratifs étant fermés le week-end. Il n’est ainsi pas rare que des gens en situation régulière deviennent du jour au lendemain expulsables uniquement parce que les préfectures donnent des délais de rendez-vous impossibles pour renouveler les papiers administratifs à temps.
Dans les faits, l’OQTF est le plupart du temps une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de milliers de personnes – travailleurs, étudiants, familles – dont leur principal tort est d’exister. Son cadre législatif n’a d’ailleurs cessé de se durcir sous Macron :
- La “ loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie“ portée par Gérard Collomb, a notamment réduit les délais impartis pour déposer un dossier de demande d’asile ou exercer un recours contentieux contre une décision de rejet, a facilité l’expulsion des personnes déboutées et a permis de maintenir le placement en rétention des mineurs dont les parents étaient jugés expulsables.
- La “loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” de Darmanin, votée main dans la main avec le RN. Inspirée directement des différents programmes présidentiels du parti d’extrême droite, elle prévoit l’allongement de 6 mois à 1 an la durée d’assignation à résidence pour les personnes sous une mesure d’éloignement, et élargit les OQTF aux étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans, qui jusqu’ici étaient protégés. Sans parler des 35 articles censurés par le Conseil Constitutionnel.
- La circulaire Retailleau (23 janvier 2025), en droite ligne de ses prédécesseurs, a renforcé le pouvoir arbitraire donné aux préfectures, allongé la durée de présence obligatoire de 5 à 7 ans, et instauré la signature d’un contrat d’engagement à respecter les principes de la République – cocasse pour celui qui parle de l’État de droit en ces mots.
L’arme gouvernementale pour maintenir dans la précarité
Loin de rappeler ces faits incontestables, les toutologues de plateau se focalisent uniquement sur l’application de ces OQTF, en suivant raisonnement tout à fait simpliste : OQTF non appliquée = délinquant en liberté = danger = il faut donc appliquer 100% des OQTF et expulser tout le monde (comprendre : expulser tous les étrangers, voire expulser tous les arabes). Hormis quelques exceptions venant porter la contradiction, l’immense majorité des personnes présentes autour des plateaux télé s’accorde sur ce mensonge.
En 2023, environ 140.000 OQTF ont été prononcées en France – plus que dans n’importe quel autre pays européen -, et 7,6 % ont été exécutées, un taux qui fait régulièrement bondir les éditocrates de CNEWS ou de Frontières. Ce faible taux d’exécution est souvent interprété comme l’échec d’un système engorgé, bureaucratique, impuissant. Il permet en outre à l’État, secondé par la classe médiatique dominante, de parler d’un “problème” d’immigration incontrôlée, d’entretenir un “sentiment de submersion” – selon les mots de l’ancien Premier Ministre, et de justifier des durcissements sécuritaires permanents.
L’OQTF organise une illégalité durable. Elle suspend les personnes entre deux statuts : ni expulsées, ni régularisées, sans droits effectifs mais toujours sous menace. C’est une zone grise juridique fabriquée par l’État, où l’on survit mais où l’on ne vit pas, entretenant un climat de terreur permanent. Régulièrement, des OQTF pour motif d’”absence d’insertion professionnelle” sont distribuées à des jeunes majeurs étrangers en situation pourtant régulière, qui perdent leur emploi parce que leur demande de renouvellement de titre de séjour traîne en longueur. Ces “aléas bureaucratiques”, loin d’être une anomalie, sont une fonctionnalité. L’OQTF maintient les migrants dans une précarité structurelle : sans droits, sans stabilité, sous la menace constante d’une expulsion.
Leur systématisation, souvent sans motif éthiquement et moralement valable, transforme des vies en cauchemar administratif. Des jeunes en attente de reconnaissance de minorité, des travailleurs essentiels, des étudiants : tous sont jetés ou maintenus dans la clandestinité, leurs existences suspendues à une décision arbitraire. Une réalité qui n’intéresse guère l’Etat et ses alliés, jamais à court de propositions toutes plus stupides et inhumaines les unes que les autres.
Qu’importe : le gouvernement peut compter sur l’œil bienveillant des principaux médias, dont la méthode médiatique est hautement rodée : le sujet des OQTF réapparaît comme par magie dans les médias dominants chaque fois qu’une personne d’origine étrangère sous le coup d’une OQTF est soupçonnée d’avoir commis un délit ou un crime. Récupération politique, commande d’un sondage CSA pour sortir avec un visuel immonde dans le JDD, puis commentaire de ce sondage dans – tiens donc – un autre média de Bolloré. L’OQTF est devenue un enjeu de communication pour flatter l’extrême droite et paver la route vers sa pleine accession au pouvoir (elle y a déjà un pied), au détriment des familles et des individus qui en subissent les conséquences.
Quand l’État matraque les mineurs isolés au nom de l’ordre : l’exemple de la Gaîté Lyrique
Le 18 mars 2025, l’aube n’était pas encore levée que les CRS et gendarmes déferlaient sur la Gaîté Lyrique, un lieu culturel bien connu du 3ème arrondissement de Paris. Depuis le mois de décembre 2024, ce lieu était occupé par 450 mineurs isolés, majoritairement des jeunes réfugiés en attente de reconnaissance de leur minorité, livrés à eux-mêmes après n’avoir pas pu trouver de solution auprès des dispositifs d’aide sociale.

Cette occupation a pu mettre en lumière une invisibilisation, une déshumanisation des personnes et de leurs parcours. Dans cet article, trois récits de vie sont exposés : trois adolescents ayant quitté la violence et la précarité, pour se heurter à la froideur des institutions. L’un des témoignages nous rappelle le calvaire que des milliers de réfugiés subissent : en quittant leur pays pour rejoindre l’Europe, en passant par le désert du Sahara, puis la mer Méditerranée sur des bateaux de fortune (plus de 1.500 personnes y meurent ou disparaissent chaque année), avant d’arriver en Espagne ou en Italie, puis en France, où le statut de mineur est parfois refusé uniquement au faciès.
Réponse de l’État français : une expulsion manu militari, ponctuée de violences policières, d’interpellations massives et d’au moins 25 OQTF distribuées. Selon le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, la police a même falsifié les dates de naissance de certains jeunes pour justifier ces mesures, transformant des mineurs en adultes expulsables du jour au lendemain. L’un d’entre eux aurait même « vieilli » de plusieurs années le jour de l’expulsion – hasard bien commode pour Laurent Nunez et ses milices.
Alors que cette pratique d’évacuation brutale soulevait il y a 30 ans une vague d’indignation nationale, le cadrage médiatique et le matraquage des idées d’extrême droite ont – en partie – réussi à faire accepter cette violence institutionnelle. En attendant, les jeunes expulsés restent actuellement sans réelle solution.
Ces pratiques sont loin d’être anecdotiques (les 8 dernières années d’exercice du pouvoir macronien le démontrent d’ailleurs largement) : récemment, la France a été condamnée par la CEDH pour des contrôles d’identité discriminatoires. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, éternel assoiffé de répression, lance des opérations brutales et racistes, s’apparentant à un climat de rafle.
Les centres de rétention administrative : des prisons pour innocents
En plus d’une présomption de dangerosité jetée sans ménagement, l’OQTF mène la plupart du temps vers le centre de rétention administrative (CRA), ces lieux où l’État enferme des personnes dont le crime de lèse majesté est de ne pas avoir les bons documents.

Légalisés en 1981, contrôlés par la police nationale, les CRA sont des lieux de privation de liberté, laquelle n’est pourtant pas la conséquence d’un crime ou d’un délit. Depuis cette année, la législation s’est durcie en continue : le nombre maximal de jours de détention s’est allongé de loi en loi, sous l’impulsion des gouvernements de droite et socialistes successifs. Cette année, le gouvernement a par ailleurs promis d’augmenter les places en CRA de 2.000 à 3.000 d’ici 2027.
Dans la réalité, les CRA sont des zones de non-droit où les droits fondamentaux sont bafoués. Les conditions y sont inhumaines : surpopulation, manque d’accès aux soins, violences physiques et psychologiques, où l’on enferme des gens qui n’ont rien fait d’autre que d’exister. Les jeunes expulsés de la Gaîté Lyrique ont eux aussi été traqués dans Paris après leur évacuation, certains placés en rétention, sans égard aucun pour leur statut de mineur.

Malgré plusieurs séries de recommandations formulées par la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) – dénonçant entre autres des conditions de vie indignes, une absence d’intimité, une grande difficulté dans l’accès aux soins -, le gouvernement ne bouge pas le petit doigt sur les conditions de rétention inhumaines auxquelles sont soumises les personnes ayant reçu une OQTF.
Il y a quelques mois, macronie et extrême droite ont voté main dans la main pour l’allongement de la rétention administrative à 210 jours pour les personnes dont le “comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public”, une notion totalement floue et malléable à l’envie, laissant grand ouvert le champ aux interprétations arbitraires. Le texte de loi intègre également la réécriture de certaines mesures de la dernière loi immigration, qui avaient été retoquées par le Conseil constitutionnel :
- Placement en rétention de certaines demandeurs d’asile dont le “comportement constitue une menace à l’ordre public”
- Possibilité de relever des empreintes digitales ou de faire des photos d’identité sous la contrainte, dans le but de faciliter l’identification des personnes
Dans un contexte actuel où des manifestations en soutien à la Palestine ont été interdites pour “risque de trouble à l’ordre public”, cette notion et son instrumentalisation par le ministère de l’Intérieur ont toutes les raisons de nous inquiéter.
Les CRA ne sont pas seulement des lieux de détention ; ils sont le symbole d’une politique migratoire qui criminalise la précarité. Ils incarnent une forme de jouissance raciste de la part d’une bourgeoisie française qui refuse de reconnaître sa complicité dans l’oppression des personnes vulnérables. Enfermer des gens dans des conditions indignes, c’est affirmer que certaines vies valent moins que d’autres. Un parfait continuum avec le soutien actif de l’État français aux armées génocidaires.
Refuser la complicité, se rassembler contre la répression
L’OQTF et les CRA ne sont pas des outils de gestion migratoire macronienne. Ce sont des armes de répression massive, conçues pour précariser, criminaliser et expulser. Dans une logique toujours plus large et grandissante de contrôle social, où l’État français, main dans la main avec l’extrême droite et ses propres relents impérialistes, choisit de traquer les migrants, de censurer les oppositions et de fermer les yeux sur les crimes contre l’humanité de ses Etats alliés.
Face à cette machine à broyer, la réponse ne peut être que collective : soutenir les collectifs comme celui des Jeunes du Parc de Belleville, amplifier les voix des opprimés, et refuser la complicité avec un système qui sacrifie des vies sur l’autel du racisme et de la domination.
Nous ne cessons de le rappeler ; s’il y a bien un silence assourdissant, c’est celui de la bourgeoisie française, incapable de dénoncer l’idéologie raciste . C’est celui qui entoure les OQTF et les CRA, ces outils d’une guerre contre les plus vulnérables. Il est temps de le briser. Refusons l’OQTF, refusons les CRA, refusons la complicité avec l’oppression. N’en déplaise au fascisant Didier Lallement, en effet, nous ne sommes pas dans le même camp. La lutte commence ici, dans les rues de Paris, au sein des collectifs, dans les consciences. Et elle ne s’arrêtera pas tant que justice ne sera pas rendue.
Photo d’illustration : Photothèque Rouge / Copyright : Juliette W. – 2025/03/17 Rassemblement en soutien aux mineurs isoléEs à la gaité lyrique (Paris)
Adrien Pourageaud
