À quoi servent les marches des fiertés ?

Au mois de juin se déroulent, en France comme dans le reste du monde, les marches de fiertés, ou “pride” en anglais : il s’agit de manifestations festives, de rassemblements en plein air, dans les rues des petites et grandes villes, visant à … Quoi précisément ? Beaucoup ne comprennent pas l’utilité de ces marches revendicatives : est-ce que les Lesbiennes, Gay, Trans et Bisexuels n’ont pas déjà obtenu les droits qu’ils réclamaient ? Dans un monde où pas mal de séries Netflix ont leurs personnages LGBT, est-il encore temps de manifester, et pour réclamer quoi ? Et qu’est-ce que c’est que cette “fierté”, l’orientation sexuelle ne devrait-elle pas “rester privée” ? Et pourquoi pas une marche des fiertés hétéro, après tout ? Ce sont des choses qu’on entend au sujet des marches des fiertés, avec plus ou moins de virulence. Voici des éléments de réponse :
D’où viennent les marches des fiertés ?
En juin 1969, des émeutes éclatent à New York, après une énième descente de police au Stonewall Inn, un bar fréquenté par des personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la législation anti-gay et minorités de genre s’était durcie aux Etats-Unis : sous le Maccarthysme, vaste mouvement de purge et d’intimidation anticommuniste menée sous la houlette du sénateur républicain McCarthy, les fonctionnaires homosexuels étaient licenciés et poursuivis, tandis que le FBI fichaient tous les lieux fréquentés clandestinement par des homosexuels ou transgenres (une période racontée dans la série Fellow Travellers). Les rares bars connus pour accueillir les minorités sexuelles et de genre (c’est à dire toutes les personnes qui ne correspondent pas à une norme cis-hétérosexuel : je reste fidèle à mon genre de naissance et je n’ai de relations sentimentales et sexuelles qu’avec des membres du genre opposé au mien) étaient régulièrement la cible de raids policiers, tandis que, dans des lieux de rencontres plus informels comme les toilettes publics ou les parcs, des policiers se faisaient passer pour des hommes à la recherche d’une relation sexuelle pour prendre sur le fait celles et ceux qui répondaient à leurs avances. La même technique policière existait en France à la même époque. En 1952, l’Association américaine de psychiatrie avait classé l’homosexualité comme une maladie mentale. En France, l’homosexualité a été officiellement considéré comme un trouble psychiatrique jusqu’en 1992 et la transidentité jusqu’en… 2009.
Beaucoup ne comprennent pas l’utilité de ces marches revendicatives : est-ce que les Lesbiennes, Gay, Trans et Bisexuels n’ont pas déjà obtenu les droits qu’ils réclamaient ? Dans un monde où pas mal de séries Netflix ont leurs personnages LGBT, est-il encore temps de manifester, et pour réclamer quoi ? Et qu’est-ce que c’est que cette “fierté”, l’orientation sexuelle ne devrait-elle pas “rester privée” ? Et pourquoi pas une marche des fiertés hétéro, après tout ?
Le raid policier contre le Stonewall Inn, qui avait pour but d’intimider la population et d’arrêter transgenres et drag queens (des personnes qui performent le genre opposé), ne s’est pas passé comme prévu : les policiers ont du faire face à la colère des clients puis des habitants du quartier qui sont arrivés en masse sur les lieux. Les nuits d’émeutes ont constitué la première réponse massive et publique de la population LGBT aux violences qu’elle subissait depuis des décennies voire des siècles. C’est donc un évènement essentiel de notre histoire, qui a eu des conséquences immédiates : suite à cet évènement qui les a rendu fiers – fières et fiers d’avoir répliqué, de ne pas s’être laissé violenté et humilié une fois de plus, fières et fiers d’avoir lutté en tant que gay, lesbienne ou trans, et pas de façon cachée et détournée… des organisations se sont constitués aux Etats-Unis, comme le Gay Liberation Front, et ont mis en oeuvre, l’année suivante, la première marche des fiertés commémorant la victoire des émeutes de Stonewall.
Les émeutes de Stonewall, que commémorent les marches des fiertés, sont un évènement essentiel de notre histoire, qui a eu des conséquences immédiates : suite à cet évènement qui les a rendu fiers – fières et fiers d’avoir répliqué, de ne pas s’être laissé violenté et humilié une fois de plus, fières et fiers d’avoir lutté en tant que gay, lesbienne ou trans, et pas de façon cachée et détournée…
Depuis, le mois de juin est devenu le mois choisi par les multiples Pride qui ont essaimé partout dans le monde, dès les années 70 dans le cas de la France, plus tard pour de nombreux pays : en 2018 au Kenya, 2019 à Cuba… En Turquie, les marches des fiertés sont régulièrement interdites ou réprimées, mais se tiennent quand même.
Revendiquer quoi ?
En 1969, les revendications des émeutiers du Stonewall Inn étaient claires : avoir le droit d’exister. Partout dans le monde, le harcèlement policier à l’égard des LGBT avait pour but de les chasser de l’espace public voire de les faire disparaître physiquement. Qu’en est-il maintenant ? Dans de nombreux pays du monde, l’homosexualité et la transidentité sont toujours criminalisés : les LGBT sont pourchassés, jugés, et même condamnés à mort.
Mais qu’en est-il chez nous ? En France, les deux derniers condamnés à mort pour homosexualité sont Jean Diot et Bruno Lenoir, brûlés à Paris en juillet 1750. Ils étaient respectivement domestique et cordonnier, et leur condamnation à mort est le résultat d’un concours de circonstance raconté dans un roman palpitant par l’historienne Pauline Valade : d’ordinaire, la condamnation à mort n’était pas appliquée, les homosexuels étaient pourchassés par la police, enfermés un temps puis relâchés, mais traumatisés, torturés, malades… La Révolution Française légalise l’homosexualité en supprimant le “crime de sodomie”, mais la société continue de réprimer les minorités de genre. Sous le régime fasciste de Vichy, la législation anti-homosexuels se renforce, pénalisant les relations homosexuelles, notamment entre jeunes hommes. Il faut attendre 1982 pour que l’homosexualité soit définitivement dépénalisée et que le harcèlement policier cesse en France. Ailleurs dans le monde, il continue.
La Révolution Française légalise l’homosexualité en supprimant le “crime de sodomie”, mais la société continue de réprimer les minorités de genre. Sous le régime fasciste de Vichy, la législation anti-homosexuels se renforce, pénalisant les relations homosexuelles, notamment entre jeunes hommes. Il faut attendre 1982 pour que l’homosexualité soit définitivement dépénalisée et que le harcèlement policier cesse en France.
L’idée selon laquelle les LGBT n’auraient finalement plus grand chose à revendiquer vient de l’obtention de droits nouveaux entre 1999 (création du PACS, union civile ouverte aux couples de même sexe) et 2021 (loi ouvrant la Procréation médicalement assistée aux femmes lesbiennes). En 2013, l’adoption du droit au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe a constitué un tournant très célèbre, qui a donné lieu à la dernière mobilisation homophobe public de masse en date, avec un million d’opposants à l’égalité, cependant totalement marginalisée dans l’opinion publique, très majoritairement favorable à l’égalité face au mariage.
Cet évènement a eu un drôle d’effet, pour nous les LGBT : s’il constitue une victoire indéniable, il a convaincu une grande partie de la population hétéro que notre combat était terminé, après une victoire d’ampleur. Que l’égalité de droits aurait mis fin à nos difficultés et que, par conséquent, il était temps de ranger les drapeaux. Je suis, à titre personnel, toujours sidéré de voir des connaissances et amis hétéros s’étonner, sincèrement, lorsque je leur parle de tel jeune viré de chez ses parents parce que gay ou trans, de la nécessité de faire attention dans les lieux publics, des agressions dont j’ai été victime ou témoins dans des bars ou des festivals. C’est pour répondre à cette idée selon laquelle le combat serait terminé qu’avec mon ami Thibaut Izard j’avais écrit cet article intitulé “être homosexuel en 2018, c’est toujours la merde”. Nous y parlions des adolescences gays, du fait que les réactions familiales et amicales sont toujours compliquées, mais aussi des personnes qui n’osent pas parler de leur orientation sexuelle au travail de peur des conséquences…L’égalité de droit existe un peu mieux, mais l’égalité de fait, celle qui fait qu’on se sent aussi bien considéré en tant que gay qu’hétéro, n’existe pas.
S’il constitue une victoire indéniable, le mariage pour tous adopté en 2013 a convaincu une grande partie de la population hétéro que notre combat était terminé, après une victoire d’ampleur. Que l’égalité de droits aurait mis fin à nos difficultés et que, par conséquent, il était temps de ranger les drapeaux.
Des droits et des existences encore menacées ?
Les émeutiers de Stonewall se battaient, après plusieurs siècles et décennies de marginalisation et de criminalisation, pour sortir de la clandestinité et vivre leur vie à l’air libre, sans se cacher. Est-ce un combat toujours nécessaire dans la France de 2025 ?
Selon le rapport annuel de l’association SOS Homophobie, oui. Le nombre de témoignages d’agressions recueillis par l’association continuent d’être très élevé. Mais surtout, le rapport note que les années 2024-2025 ont été marquées par des expressions publiques de transphobie très décomplexées. La transphobie, c’est la haine des personnes transgenres, c’est-à-dire dont le genre actuel n’est pas le genre assigné à la naissance. Ces personnes subissent de l’hostilité et des discriminations continuelles, sans frein : selon le sociologue Arnaud Alessandrin, “pour beaucoup de personnes trans, la transphobie est si fréquente et si grave que son expérience est totale (…) Il n’y a pas pour elles d’extérieur à la transphobie. Sans toujours aller jusque-là, aucune personne trans ne fait l’économie de la transphobie : plus de 80 % ont subi de la discrimination dans l’espace public dans les douze derniers mois”. Le journaliste et militant féministe Tal Madesta expliquait en 2023 que “transitionner, c’est encore vraiment très compliqué aujourd’hui en France. On est beaucoup plus découragé·e de transitionner qu’encouragé·e. Ce sont des parcours qui prennent des années. Ce sont des dossiers médicaux et des dossiers administratifs de dizaines et de dizaines de pages. Ce sont des milliers d’euros d’économies pour les opérations chirurgicales. Ce sont des traitements hormonaux à vie. C’est potentiellement perdre sa famille qui ne comprend pas ce qui se passe. C’est avoir des grosses difficultés d’accès au logement et à l’emploi quand on est visiblement trans. Ce n’est ni drôle, ni cool, ni une mode, en fait. C’est compliqué et on doit se battre pour vivre nos transitions.”
“Pour beaucoup de personnes trans, la transphobie est si fréquente et si grave que son expérience est totale (…) Il n’y a pas pour elles d’extérieur à la transphobie. Sans toujours aller jusque-là, aucune personne trans ne fait l’économie de la transphobie : plus de 80 % ont subi de la discrimination dans l’espace public dans les douze derniers mois”.
Arnaud Alessandrin
La transidentité dérange celles et ceux qui estiment qu’il ne doit y avoir que deux genres clairs et nets dans la société, et pour qui toutes les autres formes de rapport au genre comme les intersexes (personnes qui, a la naissance, n’ont pas de caractéristiques sexuelles et hormonales correspondant à des normes de genre établis), les non-binaires (personnes ne s’identifiant à aucun genre) et transgenres. La haine en ligne, les campagnes politiques, les polémiques sportives se sont multipliées ces dernières années : tout est fait pour ridiculiser, moquer, intimider et empêcher les transitions de genre. Aux Etats-Unis, la dénonciation de la transidentité est devenu l’un des cheval de bataille de l’extrême-droite trumpiste, mais c’est aussi le cas en Italie, où le gouvernement de Meloni mène des politiques de recul sur l’adoption par les couples homosexuels comme en Hongrie, où des modifications constitutionnelles ont été adopté en avril dernier pour exclure les personnes transgenres de la société… L’internationale fasciste, cette alliance de fait, au niveau mondial, de gouvernements et de partis d’extrême-droite, a fait de la lutte contre la transidentité l’un de ses principaux combats, avec la haine des réfugiés.
L’internationale fasciste, cette alliance de fait, au niveau mondial, de gouvernements et de partis d’extrême-droite, a fait de la lutte contre la transidentité l’un de ses principaux combats, avec la haine des réfugiés. Mais la haine des trans et plus largement des minorités de genre et sexuelle est le fait de toutes les personnes conservatrices qui se sentent le besoin d’affirmer les divisions sociales dont les dominants blancs, hommes et riches bénéficient : la division entre les hommes et les femmes, la division entre la sexualité dite “normale”, hétéro et conformiste, sur toutes les autres formes jugées “déviantes” (le polyamour, la bisexualité, l’homosexualité, l’asexualité etc.) etc.
Mais la haine des trans et plus largement des minorités de genre et sexuelle est le fait de toutes les personnes conservatrices qui se sentent le besoin d’affirmer les divisions sociales dont les dominants blancs, hommes et riches bénéficient : la division entre les hommes et les femmes, la division entre la sexualité dite “normale”, hétéro et conformiste, sur toutes les autres formes jugées “déviantes” (le polyamour, la bisexualité, l’homosexualité, l’asexualité etc.) etc. Ces personnes-là étant au pouvoir dans de nombreux pays du monde, au gouvernement en France, et plutôt dans une tendance à leur renforcement de leur pouvoir, il est essentiel de poursuivre le combat pour l’égalité LGBT et l’affirmation de la légitimité de toutes les identités de genre et inclinaisons sexuelles et sentimentales.
Des marches des fiertés institutionnalisées ou revendicatives ? L’heure du choix
Face à ces réalités incontournables de notre époque, l’affiche annonçant la marche des fiertés parisiennes prévue le 28 juin prochain semble tout à fait pertinente : on y voit des personnes diverses rassemblées autour d’un slogan : “face à l’internationale réactionnaire : queers de tous les pays, unissons-nous”. C’est un mot d’ordre parfait face à ce qui nous arrive : les gouvernements et partis réactionnaires s’unissent au niveau international, alors faisons de même pour les combattre. Face à eux, un fasciste assommé : encore une fois, logique et légitime, puisque ce sont eux qui violentent les minorités de genre et sexuelles et souhaitent les remettre dans le placard.
Pourtant, l’affiche a provoqué une polémique : du PS au RN, les politiques se sont insurgés contre elle. Plusieurs associations LGBT s’en sont désolidarisées et la présidente de la région Île-de-France a annoncé retirer sa subvention à la marche. Ainsi que l’entreprise Paypal, sponsor de l’événement.
L’extrême-droite a notamment dénoncé la présence d’un drapeau palestinien sur l’affiche, “alors que les homos, bis et trans y sont massacrés” a expliqué le député Jean-Philippe Tanguy. Cet argument montre bien ce que les droits LGBT sont devenus, pour certains : un élément mobilisable pour nourrir leur racisme et leur islamophobie. C’est ce qu’on appelle l’homonationalisme : l’instrumentalisation de la défense des LGBT (le plus souvent, uniquement des gays et à la limite des lesbiennes) pour criminaliser davantage les populations arabo-musulmanes. C’est une caractéristique forte de plusieurs partis d’extrême-droite en Europe : l’AFD, parti lié au mouvement nazi, est par exemple dirigée par une femme lesbienne, Alice Weidel. Le gouvernement israélien justifie parfois son génocide des Palestiniens de Gaza par une nécéssité d’affirmer des “valeurs” supérieures à celles de ses victimes, parmi lesquels la “tolérance” et “l’ouverture” que Tel Aviv et son armée mettent parfois en scène en déployant le drapeau arc-en-ciel sur les décombres…
L’homonationalisme : l’instrumentalisation de la défense des LGBT pour criminaliser davantage les populations arabo-musulmanes. C’est une caractéristique forte de plusieurs partis d’extrême-droite en Europe : l’AFD, parti lié au mouvement nazi, est par exemple dirigée par une femme lesbienne, Alice Weidel. Le gouvernement israélien justifie parfois son génocide des Palestiniens de Gaza par une nécéssité d’affirmer des “valeurs” supérieures à celles de ses victimes, parmi lesquels la “tolérance” et “l’ouverture” que Tel Aviv et son armée mettent parfois en scène.
La communauté LGBT est à la croisée des chemins : longtemps marginalisée de toute vie politique, elle est désormais courtisée par l’extrême-droite ou la droite dite “républicaine” . Les conditions qu’on lui propose sont les suivantes : renoncer à toute radicalité, s’intégrer à la société hétéropatriarcale en proposant un modèle de vie lisse, respectable, et accepter une protection qui passe par l’évocation des seules homophobies des populations arabo-musulmanes. Les figures de cette nouvelle voie réactionnaire pour les queers (terme pour désigner toutes les personnes “étranges” par rapport aux normes cis-hétérosexuelles) se multiplient : les membres de parti d’extrême-droite, comme Jean-Philippe Tanguy ou Alice Weidel. Mais aussi des membres éminents de la bourgeoisie médiatique qui proposent à la presse people une vision rassurante et conservatrice de la vie conjugale homosexuelle : Marc-Olivier Fogiel, un temps directeur de la chaîne BFM TV, qui se mettait en scène avec son mari ou encore l’animateur Christophe Beaugrand, qui affiche régulièrement la douceur de son foyer mais se défend de tout “wokisme”. Ces personnalités gays bourgeoises, proches du macronisme, ont pour principal combat la défense de la Gestation Pour Autrui (GPA), dont les conditions d’accès sont très discriminantes socialement.
Longtemps marginalisée de toute vie politique, la communauté LGBT est désormais courtisée par l’extrême-droite ou la droite dite “républicaine” . Les conditions qu’on lui propose sont les suivantes : renoncer à toute radicalité, s’intégrer à la société hétéropatriarcale en proposant un modèle de vie lisse, respectable, et accepter une protection qui passe par l’évocation des seules homophobies des populations arabo-musulmanes.
Les marches des fiertés sont traversées par cette tension : intégration “républicaine” et bourgeoise pour ceux qui en ont les moyens (très peu de gens), récupération par l’extrême-droite à des fins islamophobes, homonationalistes ou poursuite d’un positionnement contestataire, pour faire de son identité sexuelle quelque chose qui n’appelle pas simplement à la sécurité ou à la “tolérance”, mais qui vise à transformer la société
Les marches des fiertés sont traversées par cette tension : intégration “républicaine” et bourgeoise pour ceux qui en ont les moyens (très peu de gens), récupération par l’extrême-droite à des fins islamophobes, homonationalistes ou poursuite d’un positionnement contestataire, pour faire de son identité sexuelle quelque chose qui n’appelle pas simplement à la sécurité ou à la “tolérance”, mais qui transforme la société en autre chose. Cet autre chose, cela pourrait être une société fluide, où le genre est aboli, où chacun peut choisir qui il est et ce qu’il fait sans se sentir soumis au regard des autres et dans la crainte des représailles. La polémique autour de l’affiche de la Pride parisienne est mené par des gens qui souhaitent que cette dernière voie soit abandonnée par la communauté LGBT, et qu’on en reste à des marches des fiertés qui “visibilisent”… et c’est tout. Mais face aux menaces qui pèsent sur eux et aux maintiens de fortes inégalités, une grande partie des LGBT comprennent bien qu’on ne peut pas faire de pride apolitique : ça n’aurait aucun sens.
Participer à une marche des fiertés, c’est contribuer à deux choses : individuellement, c’est exister dans l’espace public et affirmer qui on est, entouré d’égaux et d’alliés qui nous veulent du bien. Au-delà de la visibilité, il s’agit de secouer toutes les normes de la société et toutes les formes de dominations : de genre, d’orientation sexuelle, mais aussi sociales et géopolitiques.
Participer à une marche des fiertés, c’est contribuer à deux choses : individuellement, c’est exister dans l’espace public et affirmer qui on est, entouré d’égaux et d’alliés qui nous veulent du bien. C’est pourquoi les manifestants des Pride sont habillés de couleurs vives, de tenues étonnantes et parfois provocantes : pour s’emparer de l’espace public. Collectivement, c’est donc forcer la société à reconnaître et accepter l’existence de gens différents. Mais pas seulement : la “visibilité” des LGBT ne suffit pas, et d’ailleurs le capitalisme néolibéral s’en accommode très bien, tant que l’on reste dans les limites du récupérable par le marketing et qu’on ne bouleverse pas trop les groupes dominants.
« Si quand les nègres sont persécutés, tu ne te sens pas nègre, Si quand les femmes sont méprisées, ou les ouvriers, tu ne te sens pas femme ou ouvrier, Alors, toute ta vie, tu auras été un pédé pour rien. »
Jean Genet
Au-delà de la visibilité, il s’agit de secouer toutes les normes de la société et toutes les formes de dominations : de genre, d’orientation sexuelle, mais aussi sociales et géopolitiques. Il me semble que quand on a traversé, dans sa vie, ce que tous les jeunes gays, lesbiennes, bi, trans et autres minorités de genre traversent, à savoir le rejet, la honte, mais aussi le questionnement radical de tout ce qu’on nous décrit comme “naturel” et “immuable”, on possède une nouvelle force d’empathie et de révolte (que d’autres peuvent acquérir à travers d’autres expériences). Cette force doit nous aider à lutter pour nous-mêmes mais aussi à nous rendre sensibles à toutes les autres luttes. C’est que ce l’écrivain Jean Genet résumait dans cette citation qui, il me semble, devrait inspirer les marches des fiertés de ce mois :
« Si quand les nègres sont persécutés, tu ne te sens pas nègre, Si quand les femmes sont méprisées, ou les ouvriers, tu ne te sens pas femme ou ouvrier, Alors, toute ta vie, tu auras été un pédé pour rien. »
Image d’en tête : marche des fiertés de Toulouse, 2011, Guillaume Paumier
Nicolas Framont
Rédacteur en chef
