La lente dérive du Point, torchon bourgeois et fascisant
Le célèbre magazine Le Point a publié une énième « enquête » clickbait, cette fois un article grossier contre l’une des plus importantes maisons d’éditions indépendantes françaises, La Fabrique, qui édite parmi les plus grands penseurs français et internationaux, intitulé : « la lente dérive de la Fabrique, maison d’édition radical-chic ». Culotté de la part d’un organe de presse qui a eu un rôle structurel dans la montée du racisme en France, qui se situe dans l’héritage de la presse des années 1930, et régulièrement épinglé et condamné pour ses fake news et diffamations. Palmarès.
Le Point : propriété du milliardaire François Pinault
Comme toujours il est intéressant pour comprendre une ligne éditoriale de savoir à qui appartient un média. En l’occurrence Le Point appartient en totalité au milliardaire François Pinault via sa holding Artemis depuis une trentaine d’années. Pinault, qui fait partie des 10 plus grandes fortunes de France, contrôle des marques de luxe (Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga..), une maison d’édition, un château, un stade, des croisières…
Bon après il ne s’agit pas de reprocher au Point d’être la serpillère du capital – on ne peut pas dire qu’ils s’en cachent (Le Point était dès son origine “destiné à un public de cadres urbains d’un niveau d’éducation, de responsabilité et de revenus élevés”) – mais au moins vous savez quels intérêts ce magazine défend. Franz-Olivier Giesbert, en 2009 où il était à l’époque directeur de publication, dira d’ailleurs clairement : “Le Point est un journal très clairement européen, libéral, dont la ligne éditoriale est en totale adéquation avec ses lecteurs, [qui] sont riches, ouverts, diplômés”.
Bien sûr, tout libéral que soit soi-disant le journal, cela ne l’empêche pas de se gaver d’aides publiques : les coquettes sommes de 2,6 millions d’euros en 2023, puis 2,47 millions d’euros en 2024, tout de même.
Fake news et diffamations à gogo
Suite à une scission d’avec L’Express, les fondateurs du Point prétendaient cibler “une clientèle (…) très exigeante quant à la qualité de l’information, du commentaire et de l’écriture”. Si cela est vrai, celle-ci a dû partir dès 1976 et la première affaire de grave manquement à la déontologie – le début d’une looongue liste.
Un militant communiste accusé sans preuve par Le Point (puis assassiné)
En 1976, un des co-fondateurs du Point, le grand bourgeois Georges Suriel, fait une “enquête” contre le militant révolutionnaire Henri Curiel. La couverture du magazine, fidèle à sa sobriété habituelle, titrait à son sujet : “le patron des réseaux terroristes ». En effet, Le Point accusait Curiel, sans la moindre preuve, d’être un complice du terroriste Carlos et un agent du KGB soviétique. Il le qualifiait aussi de “moine rouge”.
Moins de deux ans plus tard, Henri Curiel est assassiné par un commando d’extrême droite.

Interrogé un jour, à ce sujet et sur le fait d’avoir qualifié Curiel d’“agent du KGB”, Suriel répondra, rigolard : «C’était gonflé, d’écrire ça. Je n’en savais rien».
Diffamations et fake news en tout genre
En 2000, c’est Franz-Olivier Giesbert qui devient directeur du Point.
En 2009, le Point est condamné en cour d’appel pour avoir diffamé un juge. Franz-Olivier Giesbert est condamné à une amende de 2 000 euros et à 4 000 euros de dommages et intérêts.

À partir de 2014, c’est Etienne Gernelle qui prend la direction de la publication, mais les fake news n’arrêtent pas, bien au contraire.
En 2014, le journal annonce qu’un film porno a été tourné à la Mairie d’Asnières. C’est un mensonge pur et simple, le journaliste est condamné, mais l’article est encore en libre accès aujourd’hui.
En 2017, Le Point est condamné à 1 500 euros d’amende pour diffamation contre Jean-Français Copé, contre qui le journal avait porté des accusations “en l’absence de base factuelle”.
En 2019, un article du Point explique qu’un “fiché S d’ultra-gauche” a été arrêté en possession de grenades à la gare Montparnasse : il s’agissait en réalité de munitions policières usagées qu’il avait récupérées pour un exposé…
La même année, Le Point qualifie de “voleurs” des victimes de violences policières (alors que ceux-ci n’avaient rien fait) et ment sur les circonstances de l’interpellation.
En mai 2020, Le Point invente une messe clandestine pendant le covid.
Un mois plus tard, Le Point prétend révéler “une nouvelle affaire des écoutes” concernant Nicolas Sarkozy, mais cette affaire n’existe pas comme l’explique Médiapart.
Diffamation du Point et de BHL contre Bernard Cassen
En 2010, Le Point publie une chronique diffamante et injurieuse à l’encontre de Bernard Cassen, militant altermondialiste et ancien directeur général du Monde Diplomatique. Bernard-Henri Lévy l’accusait de rapprochement avec des militants d’extrême droite, tout simplement parce que, manque de tout sérieux oblige, BHL avait confondu Bernard Cassen avec…Pierre Cassen. Bernard Cassen, diffamé, avait naturellement demandé un droit de réponse – ce qui est une obligation légale – mais Le Point avait refusé et de rectifier et de publier le droit de réponse.

Résultat : Franz-Olivier Giesbert est condamné une première fois pour son refus d’avoir publié le droit de réponse (2 500 euros, permettant de rembourser les frais de justice de Bernard Cassen) puis une seconde fois, avec BHL cette fois, pour complicité du “délit de diffamation publique envers un particulier” à une amende de 1 000 euros.
Ce ne sera pas la dernière des “fake news” du Point contre le Monde Diplo puisque le premier, complotiste, accusera le second d’être dans “l’ombre du FSB russe” sur des bases délirantes.
Diffamation contre Patrick Pelloux
En 2016, Le Point est condamné à 1 000 euros avec sursis pour diffamation contre le célèbre urgentiste Patrick Pelloux. Il faisait partie des premiers arrivés sur les lieux lors de l’attentat contre Charlie Hebdo, journal où il était à l’époque chroniqueur, et où il avait découvert ses amis et collègues assassinés… N’ayant visiblement que peu de limites dans l’obscénité, Le Point déclarait sans preuve que François Hollande lui aurait octroyé une compensation d’1,4 millions d’euros.
Diffamation contre la plaignante de Luc Besson
Dans un article de Médiapart rappelant que Le Point est “accro aux fausses infos”, le journal d’investigation rappelait comment, en octobre 2018, Le Point avait diffamé Sand Van Roy, une actrice qui accusait Luc Besson de “viol”, en inventant une autre plainte pour viol qu’elle aurait déposée. Le tribunal correctionnel avait noté l’insinuation diffamatoire, à savoir que l’actrice déposerait “des plaintes pour viol dépourvues de tout fondement ».
Des gros mythos contre Alexis Corbière et Raquel Garrido
Comme chacun peut s’en douter, L’Après, le mouvement politique d’Alexis Corbière et Raquel Garrido (des anciens de la France Insoumise), est assez éloigné de ce qu’on défend à Frustration. Toutefois, cela serait sain de plutôt d’affronter ces deux personnalités politiques sur les idées et les stratégies plutôt que sur des tissus de mensonges et de calomnies. Mais en 2022, Le Point a préféré la deuxième option en accusant, de manière assez ridicule, le couple de maltraiter une femme de ménage sans papiers…
C’était évidemment faux, et le directeur de publication Etienne Gernelle, et l’auteur de l’article Aziz Zemouri ont “été condamnés à un total de 8 000 euros d’amende et 8 000 euros de dommages et intérêts et de frais d’avocats” comme l’expliquait Le Monde.
Sinophobie, islamophobie, antiroms : un rôle clé du Point dans la montée du racisme
Le Point, avec ses couvertures racoleuses et laides, ont fait partie des organes de presse ayant contribué à la fascisation des esprits, avec une obsession pour l’Islam, l’immigration, les franc-maçons, bref les thèmatiques de l’extrême droite la plus extrême, à tel point que cela a même valu une condamnation au journal (comme nous allons le voir).

Le Point condamné pour un article sur les immigrés chinois
En 2014, Franz-Olivier Giesbert est condamné à 1 500 euros d’amende pour “diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou nationalité chinoise », ainsi qu’à 3 000 euros de dommages et intérêts et de remboursements des frais de justice pour SOS Racisme, en raison d’un article publié en 2012. “Une première en France” selon l’avocat de SOS racisme de l’époque. L’article intitulé “L’intrigante réussite des Chinois de France » suggérait que la clé de la réussite des Chinois en France était de ne pas rémunérer leurs employés, de ne pas cotiser et de ne pas payer d’impôts. Maryline Zheng, vice-présidente de l’Association des jeunes chinois de France (AJCF) rappelait à l’occasion que cet article véhiculait “des fantasmes, des suspicions sur les Français d’origine chinoise”

À la suite de cette condamnation pour diffamation raciale, Giesbert démissionne de la présidence tout en restant un des éditorialistes importants du magazine.
Agiter la peur des musulmans

Le site de critique des médias Acrimed a régulièrement relevé ces nombreuses “couvertures inquiétantes, menaçantes, racoleuses” qui “renvoient toutes, sans exception, une image négative de l’islam”.
Pour aller dans ce sens, en 2010 Le Point n’hésite pas à faire une enquête sur la “polygamie”, dans son numéro élégamment intitulé “Immigration, Roms, allocations, mensonges… Ce qu’on n’ose pas dire ». Problème, le reportage qui parle de Bintou, troisième femme supposée d’un immigré malien et mère de “huit enfants, cinq garçons et trois filles”, s’avérera ni plus ni moins être un canular. Pour la personne ayant initié celui-ci il s’agissait de dénoncer “la façon dont on parle de Clichy-sous-Bois dans les médias. (…) Les médias nous ont mis une étiquette sur le dos.” et de montrer que ces journalistes travaillent mal : démonstration réussie.
Dans son étude sur les discriminations religieuses à l’embauche pour l’Institut Montaigne en octobre 2015, la chercheuse Marie-Anne Valfort note que bien que Le Point et d’autres magazines du même genre (Nouvel Obs, L’Express) se prétendent de “centre-droit” ou de “centre-gauche” : “leur traitement de l’islam est beaucoup plus négatif non seulement par rapport à celui qu’ils réservent au christianisme et au judaïsme, mais aussi par rapport à leur traitement de l’extrême droite”.
Avec le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles, Le Point fait partie des médias ayant contribué à l’émergence du néologisme néonazi d’ “islamo-gauchisme” (équivalent contemporain du “judéo-bolchevisme) dans le débat public. Les chercheurs Nikos Smyrnaios et Pierre Ratinaud ont montré qu’entre 2015 et 2021, le duo Le Point et Valeursactuelles “représente quasiment la moitié de 366 articles recensés” contenant le terme. Ils ajoutent : “Nous observons donc une politique de « matraquage » de la part de ces quatre médias (Le Figaro, Le Point, Valeurs actuelles et Marianne) visant à imposer le terme dans le débat public.”
Le recrutement récent de l’humoriste la moins drôle de France, Sophia Aram, qui parlait d’un “brouhaha d’indignations faciles” à propos des dizaines de milliers de morts à Gaza, et qui multiplie depuis les chroniques ultra-cringes pour le journal, va dans le même sens. Et puisqu’on parle de Gaza, c’est d’ailleurs sa rédactrice en chef, Géraldine Woessner, qui écrivait, sans honte, qu’il n’ “y a pas de journaliste à Gaza” – cela est presque une vérité aujourd’hui, pas pour les raisons évoquées par cette “journaliste” mais parce que les journalistes gazaouis ont été exterminés délibérément dans leur presque totalité par Israël, qui bloque par ailleurs l’entrée des journalistes internationaux.
Un sondage sur les Roms et Hitler

En juillet 2013, après que le maire de Cholet ait déclaré que Hitler n’avait peut-être pas tué assez de Roms, Le Point s’est dit que cela méritait débat et discussion et en avait fait un sondage internet dans sa catégorie “débattre”. On sent encore toute “l’ouverture” et le “libéralisme” de ces “cadres” de “centre-droit”.
Positions climato-sceptiques et anti-écolos
On l’a compris, Le Point se prétend de centre-droit mais toutes ses unes, son lexique, ses mensonges purs et simples, ses intervenants réguliers (Finkielkraut, Onfray etc) puent la vieille extrême droite des années 1930. Le tout forme un corpus idéologique assez cohérent. Celui-ci inclut désormais, bien sûr, le climato-scepticisme c’est-à-dire la négation du changement climatique (ou bien la négation de sa cause humaine).
C’est ainsi qu’il a largement donné la parole à Claude Allègre, le climato-sceptique le plus influent en France, puis une tribune à Philippe Verdier en 2015 exhortant Hollande à ne pas “« cautionner les scientifiques ultrapolitisés du Giec, les lobbys d’entreprises, les ONG environnementales, ni les chefs religieux autoproclamés, nouveaux apôtres du climat ».
En 2023, Le Point ira jusqu’à comparer les Soulèvements de la Terre au…Hamas… une violation des règles de déontologie selon le Conseil de déontologie journalistique et de médiation. Cette année, Le Point a aussi tenté de nous faire croire que la Loi Duplomb ne constituait pas un recul environnemental.
Cette nouvelle « enquête » contre La Fabrique n’est qu’un épisode de plus dans le feuilleton d’un journal qui fait profession d’intox, de stigmatisation et d’attaques ciblées. Un journal qui, sous couvert de respectabilité bourgeoise, recycle les obsessions, les peurs et les méthodes de l’extrême droite fascisante. Ce qui se joue ici dépasse bien sûr La Fabrique : c’est l’énième et habituelle tentative d’un média médiocre possédé par un milliardaire de disqualifier toute pensée critique. Mais au fond, que dit cette fébrilité ? Qu’un éditeur indépendant, sans milliardaire derrière lui, sans pubs partout, sans réseau de parmi les cercles de pouvoir, peut encore inquiéter ceux qui ont tout — sauf l’intelligence et le talent. Peut-être est-ce là, finalement, le meilleur hommage possible à la vitalité de La Fabrique. In fine, à force de mensonges, de procès perdus et de couvertures racoleuses et moches, Le Point n’expose pas tant cette maison d’édition qu’il s’expose lui-même, à savoir un pauvre organe de propagande en déclin.
Rob Grams
Rédacteur en chef adjoint
