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À l’hôpital, sortons de la résilience et allons vers la révolte

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Vos Frustrations est une rubrique permettant aux lectrices et lecteurs de partager leurs « frustrations », colères, témoignages ou analyses. Aujourd’hui une cadre hospitalière nous partage son témoignage. Elle a souhaité conserver son anonymat.

Faut-il fermer les yeux face à la dégradation du système de santé français, pour que les soignants survivent ?  Quelle ironie dans cette question. Pourtant, elle reflète une réelle problématique  actuelle. Aujourd’hui, je témoigne de manière anonyme parce que j’ai déjà reçu trop d’impacts dans ma vie professionnelle et personnelle, dû à mon engagement pour la défense de la qualité des soins au sein même de mon établissement, de mon territoire.  Mon psychologue me conseille d’ailleurs de m’arrêter : « Vous êtes dans le rouge !! » 

Photo de Martha Dominguez de Gouveia sur Unsplash

Arrêter de faire mon métier de cadre de santé, d’accompagner les équipes, les  patients, les résidents et leurs familles, parce que je crois encore trop à l’hôpital public ? aux valeurs des soignants ? à la qualité et la sécurité des soins ? à la possibilité que les agents puissent travailler et accompagner leurs patients dans de  bonnes conditions ? au plaisir à venir travailler ? Oui, je dois probablement m’arrêter  pour prendre soin de moi, parce que les valeurs que je prône, aussi simples soient elles, de prendre soin dans la dignité et le respect, semblent en inadéquation avec les  injonctions des directions. Il faudrait être résilient. Les différents directeurs et collègues que je peux côtoyer dans mon exercice ou dans mon réseau personnel et  professionnel me diront : « On ne peut pas changer une défaillance étatique. » 

Alors que faire : subsister dans cette résilience pour me sauver personnellement ? Entrer dans ce système individualiste et fermer les yeux ? Ou au contraire : me  soulever et parler ? Enlever cette muselière que le système essaie de me mettre ?

Photo de Marcelo Leal sur Unsplash

Doit-on fermer les yeux sur ce qu’il se passe dans nos hôpitaux ? Quel est l’état de  santé mentale de ces professionnels qui prennent soin de nos plus fragiles ? Et qui  prend soin de ces professionnels ? Personne… 

Le vieillissement démographique continue de progresser. Les patients d’aujourd’hui  ne sont plus les mêmes qu’hier et ne seront pas les mêmes que demain. Ils vieillissent  avec leurs pathologies chroniques et amènent les services de soins, les EHPAD, à  prendre en charge des patients toujours plus dépendants. En parallèle, l’État diminue encore les moyens alloués aux hôpitaux, rognant le  nombre de professionnels au chevet des patients. À l’hôpital, nous accueillons des  patients qui ne peuvent pas être pris en charge ailleurs qu’à l’hôpital public, on les  appelle d’ailleurs les « bed blockers ». Ces patients augmentent la durée moyenne de  séjour et ne sont plus rentables. Le virage domiciliaire amène ces patients à être admis à l’hôpital quand le maintien à domicile devient impossible. Qu’ils soient en fin de vie,  qu’ils soient agités, agressifs, que leurs pathologies chroniques ou leurs polypathologies se dégradent… ils demandent de nombreux soins et une surveillance accrue. Comment accompagner correctement tous ces patients, avec des ratios incompatibles que les directions hospitalières nous donnent l’injonction de mettre en  place ? Que faire de ces patients pour répondre aux objectifs financiers des hôpitaux ?  

Photo de Natanael Melchor sur Unsplash

Sur ce même temps, les directions hospitalières, guidées par les critères HAS, nous  donnent l’injonction de mettre en place toujours plus de critères de qualité et de  sécurité des soins. Oui, il est primordial de manager par la qualité, mais comment  mener ces missions quand, en tant que cadre de santé, vous avez plusieurs services  à votre charge, avec 60 à 80 agents sous votre responsabilité ? Alors vous gérez l’urgence et vous devez faire des choix d’axes de travail, avec pour conséquence de  sacrifier la qualité et la sécurité des soins.  

Un écart entre le paraître et la réalité se creuse

Il advient un moment où cet écart ne peut plus être comblé. L’impact se fait ressentir  sur les patients et les soignants. La seule manière de protéger sa santé mentale en  tant que professionnel de santé, c’est d’être résilient, « tu ne peux pas sauver tout le  monde ». Et si, comme moi, tu n’arrives pas à être résilient, tu prends le chemin du burn out, alors tu t’arrêtes et le système a gagné ; au bout du compte tu te tais, muselé par toi-même parce que tu t’éteins à petit feu et un jour tu t’éteins complètement.

Photo de Marcel Scholte sur Unsplash

Finalement, aujourd’hui, je décide de combattre tout ça, de dénoncer ces  managements toxiques, ces décisions de gestion du système de santé français.  Aujourd’hui, nous n’avançons pas, nous reculons sur la qualité des soins. Nous  essuyons les plâtres de nombreuses années de mauvaise gestion hospitalière.  

Les conséquences sont graves pour les professionnels : des soignants  résilients travaillent dans des conditions inacceptables, ils se font mal physiquement et peinent à maintenir leur propre santé mentale, car leurs propres valeurs sont bafouées. Le « prendre soin » ne devient plus une vocation mais un travail alimentaire. 

Photo de Jair Lázaro sur Unsplash

Les conséquences sont graves pour les patients : Il existe des pertes de  chance, comme on dit dans le jargon, par manque de médecins et de professionnels  au chevet des patients. On fait face à des négligences de soins par le manque  d’encadrement face à des soignants résilients et impuissants. Les erreurs médicales ne sont pas rares, engendrées par la fatigue et la lassitude de la situation. Dans la  majorité des cas, ces conséquences sont étouffées et cachées aux usagers.  

Les conséquences sont graves pour l’hôpital public : Il existe une fuite des  professionnels qui n’acceptent plus que leurs valeurs de soignants soient muselées,  ne tolérant plus cette dictature déguisée, ce management toxique et autoritaire. Le  départ de ces soignants laisse place aux professionnels qui seront capables d’être  assez résilients pour rester et qui n’appliqueront que le strict minimum, et encore selon  les possibilités données. Les directions pourront même dire que l’on peut laisser un  patient sans toilette aux urgences, « seulement une petite hygiène intime suffira ».  Vous pensez que lorsque vous passez trois jours aux urgences faute de lit d’aval, une  toilette intime est gage de qualité des soins ? 

Alors que fait-on ??

Depuis de longues années, de nombreux collectifs, syndicats, associations,  fédérations dénoncent tout ça. Sont-ils réellement pris au sérieux ? Non… Non parce  que « ce sont encore ces foutus syndiqués qui nous cassent les pieds à râler et que ça fait partie du jeu »

Banderole « Hôpital Dieu fermé, population en danger » à Paris en 2014 – Par Lionel Allorge — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

La population s’insurgera en disant que ce n’est pas possible. Elle nous applaudira  à 20 h pendant quelques semaines, et la vie reprendra son cours, chacun le nez dans  ses problèmes quotidiens. Nos dirigeants politiques et nos directions hospitalières le  savent, ils n’auront qu’à attendre que l’orage passe, « il passe toujours, et qu’avons nous à craindre ? Ils sont toujours au travail de toute façon ». Ce n’est pas comme la  SNCF qui peut bloquer le pays. Les manifestations concernant la santé n’ont plus aucun impact ! 

Il faut taper plus fort et ensemble !!

Et si ces grandes entreprises à travers le pays, nous aidaient à faire bouger les  choses ? Si le levier pour arriver à affronter les difficultés du système de santé, c’était  finalement de s’entraider ? Et si la SNCF et les grandes entreprises privées bloquaient le pays quelques jours pour défendre le système de santé ? Nous, soignants, pourrions continuer à soigner pendant que vous, soignés et proches de soignés, pourriez nous aider réellement.

Protestations contre la fermeture des urgences à Saint-Calais (Sarthe) en 2018 – Par Lionel Allorge — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Bloquer l’économie du pays avec une seule revendication : une fin de la résilience  hospitalière et de vrais moyens pour soigner dans un équilibre financier juste  entre besoins et demandes ! 

Arrêtons de négliger la santé des Français, arrêtons cette résilience individuelle  face à une dictature camouflée, relevons-nous, réunissons-nous pour nous sauver collectivement. 

Manifestation pour « la santé, la sécu, le progrès social » du 16 juin 2020 à Paris. Par Jeanne Menjoulet, Paris, France, CC BY 2.0

Alors pour aider dans cette démarche, partagez cet écrit, partagez partout, à  vos parlementaires, aux médias, sur les réseaux sociaux, sur vos lieux de travail.  Ce qu’il se passe sur le terrain ne doit plus être cautionné par nos dirigeants qui  ferment les yeux sur des situations pourtant bien connues afin d’atteindre leurs objectifs individuels.

Cadre de santé, sollicitant la réflexion collective pour améliorer tout un système. Le 22 juin 2025

Photo de couverture :  Piron Guillaume sur Unsplash

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