« Personne ne m’aide » : le parcours du combattant d’une mère face à l’inaction de l’État

Nous nous sommes entretenus avec Anne-Marie Arnaudin, mère de deux jumeaux de 19 ans porteurs de lourds handicaps, et confrontée, de ce fait, à de lourdes difficultés financières et d’un accompagnement de la puissance publique totalement insuffisant. Son parcours du combattant illustre bien l’indifférence, le mépris et le harcèlement administratif dont sont toujours victimes les personnes avec des handicaps, les mères célibataires et les personnes pauvres. Pourtant comme le rappelle la DRESS, le handicap concerne énormément de gens en France : “En 2019, 7 millions de personnes de 15 ans ou plus déclarent avoir au moins une limitation sévère dans une fonction physique, sensorielle ou cognitive et 4,9 millions déclarent être fortement restreintes dans des activités habituelles, en raison d’un problème de santé”.
Pouvez-vous nous expliquer la maladie de Mathéo et Corentin et ce que cela implique pour votre quotidien à tous ?
Mathéo et Corentin ont deux maladies.
La première maladie c’est la maladie de Hirschsprung long, une maladie génétique très rare, qui se traduit par l’absence de cellules nerveuses et de ganglions dans le système digestif.
Mathéo et Corentin n’ont été touchés que dans le côlon. Cette maladie se manifeste par des occlusions intestinales à répétition.
À cinq mois, on a dû leur retirer la totalité du côlon parce qu’aucune matière fécale ne passait. On leur a d’abord posé des iléostomies (ce que j’appelle des “cloches à caca”) qu’ils ont eu pendant quelques mois, le temps que l’hôpital cherche l’étendue des dégâts qu’avait provoqués cette maladie. Les jumeaux ne les ont plus supportées et l’hôpital les a retirées, mais à tout moment ils peuvent en ravoir. Aujourd’hui ils sont victimes de diarrhées permanentes. Ils prennent des traitements qui permettent de ralentir le transit mais qui ne solidifient pas les selles. Il faut savoir que les probiotiques ne sont pas du tout remboursés par la sécurité sociale. Pourtant, pour eux, ce médicament est vital. Si on arrête les probiotiques, au bout de 48 heures, les jumeaux vont se déshydrater et cela va faire comme une énorme gastro, ce qui peut les emmener jusqu’au décès.
Il faut savoir que les probiotiques ne sont pas du tout remboursés par la sécurité sociale. Pourtant, pour eux, ce médicament est vital.
Le deuxième handicap est visuel – une malvoyance qui a été provoquée soit par le syndrome de Marfan soit par leur naissance prématurée, car ils sont nés à six mois de grossesse, ce qui a impliqué des comas et des réanimations lourdes. Dans un premier temps, la maladie de Hirschsprung a masqué les symptômes du syndrome de Marfan. Nous nous en sommes aperçus quand les jumeaux avaient entre 8 et 12 ans car l’un d’eux a montré des signes de fatigue au niveau cardiaque. Le syndrome de Marfan ce sont des problèmes de santé : maigreur, problèmes musculaires, le cœur, les poumons sont touchés…
Vous travailliez avant à l’usine et avez vous-même un problème au dos.
J’ai un handicap physique oui, mais il ne m’empêche pas de m’occuper de mes enfants. Je marche, je fais tout normalement, je peux avoir du mal à ramasser quelque chose par terre mais je m’adapte !
Vous élevez vos enfants seule et vous vivez avec 890 euros par mois, c’est bien cela ?
C’est bien ça. Jusqu’en novembre dernier, je devais me débrouiller avec les allocations familiales et ma pension de 890 euros pour payer les médicaments, les vêtements… car la maladie de Hirschsprung a un coût financier.
Il y a beaucoup de machines à faire toutes les semaines. J’ai réussi à mettre propre les enfants, mais il y a encore de nombreux accidents car la maladie les rend un peu incontinents, la nuit notamment.
Quelles sont les indemnités que vous touchez pour vos enfants ? Quelles sont les dépenses auxquelles vous faites face ?
Jusqu’au mois de novembre, je touchais 149 euros par mois.
Les garçons ont plus de 18 ans, ils sont majeurs pour le vote, pour beaucoup de choses… Mais la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées) semble avoir du retard… car à 18 ans pour la MDPH on n’est pas majeur. Pour toucher l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) il faut attendre d’avoir 20 ans. Pourquoi il faut attendre 20 ans ? On se le demande ! Mes enfants ont beau être handicapés, il n’empêche qu’ils ont toute leur tête, savent ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Ils ont des envies comme les autres jeunes de leur âge, sortir, aller boire des verres avec des potes… Mais s’ils n’ont pas 20 ans, ils dépendent des revenus de leurs parents, donc pas d’autonomie financière.
À 18 ans pour la MDPH on n’est pas majeur. Pour toucher l’AAH (Allocation aux adultes handicapés), il faut attendre d’avoir 20 ans. Pourquoi il faut attendre 20 ans ? On se le demande !
J’ai aussi une dépense de presque 1 000 euros de ma poche de lunettes tous les six mois pour Mathéo, et environ 600 euros pour Corentin. On parle de l’abus financier de pas mal de choses – du gouvernement, des politiciens etc – mais on ne parle pas assez des abus des entreprises qui vendent des lunettes ou des fauteuils roulants. En gros, sur 2 000 euros de dépenses pour des lunettes, la Sécurité sociale ne va prendre en charge que 1 000 euros et la mutuelle ne se base que sur le remboursement de la Sécurité sociale. Macron avait annoncé le “zéro reste à charge”. Mais moi si je prends ça ce n’est même pas la peine que j’aille acheter des lunettes. Car qu’est-ce qui me coûte cher ? C’est l’anti-reflet, l’anti-UV, et l’anti-solaire – des choses dont ils ont besoin. Si j’enlève tout ça pour correspondre au zéro reste à charge, autant ne pas acheter de lunettes car ils ne pourront plus rien faire. Ça aussi il faut le dénoncer.
Mes enfants n’ont pas demandé à venir au monde comme ça. Ils n’ont rien demandé du tout. Donc je dis aux entreprises et aux prestataires : baissez vos prix. En tant que parent, accompagnant ou personne handicapée, on n’arrive même pas à vous payer. C’est un cri d’alarme. Je serais d’accord de payer 200 ou 300 euros de lunettes mais pas 1 000 euros… J’ai deux enfants comme ça et je ne touche que 890 euros. J’ai donc dû faire des choix : ne pas payer mon loyer par moments pour payer les lunettes, faire passer certaines factures à l’as pour payer les médicaments puisque les probiotiques ne sont pas du tout remboursés par la Sécurité sociale.
Vous dénoncez une lourdeur administrative et un accompagnement insuffisant. Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face actuellement à ce niveau ?
Je suis encore en train de faire les dossiers MDPH tous les quatre matins pour prouver que mes enfants sont malades. Aujourd’hui je suis en train de remplir plus d’une vingtaine de pages pour chaque enfant. C’est aberrant. Alors que mes enfants sont malades génétiquement depuis qu’ils sont nés, ils vont partir avec cette maladie. Et la MDPH me demande tout le temps de faire des documents… Je dois remplir un dossier pour les maladies rares, un dossier pour le champ visuel… Il y a des volets 1, 2, 3… des volets en pagaille qu’on doit faire. Je dois tout détailler tous les ans. S’ils passaient directement par les médecins comme le fait la Sécurité sociale ce serait bien plus pratique.
Je suis encore en train de faire les dossiers MDPH tous les quatre matins pour prouver que mes enfants sont malades.
On peut se faire rembourser certains médicaments par la MDPH mais il faut encore justifier du fait qu’ils sont malades alors que cela fait 19 ans qu’ils prennent des probiotiques et qu’ils ont des lunettes pour malvoyants depuis l’âge de 2 ans et demi.
Par ailleurs, quand ils avaient 12 ans, la MDPH a considéré mes enfants comme des enfants déficients intellectuels. Le psychiatre leur a dit qu’ils étaient “débiles”. Je lui ai dit qu’il n’aurait pas dû dire ce mot-là qui peut être très blessant pour des enfants. Il ne s’est jamais excusé et a nié.
On est vraiment maltraités.
Inversement, sur qui avez vous pu compter ? Est-ce que des gens vous ont aidée, ont été arrangeants ?
Personne ne m’a aidée. Personne ne m’aide. Je fais tout par moi-même, je trouve les solutions par moi-même.
Les gens, dès que vous leur parlez de maladie, il n’y a plus personne.
Quand j’ai appris la maladie de mes enfants, ça a fait du tri dans mes amis et dans ma famille. En fait, les gens, dès que vous leur parlez de maladie, il n’y a plus personne.
Selon vous, quelles sont les choses que l’Etat devrait mettre en place pour améliorer le sort des familles dans votre situation ?
Déjà, que l’on n’ait plus ces documents à refaire : mes enfants sont malades, ne guériront jamais. À un moment donné il faut arrêter de demander ces documents car c’est juste pas possible ! Je ne suis pas la seule dans ce cas-là.
J’aimerais que le gouvernement fasse en sorte que nous, parents d’enfants malades, à partir du moment où l’on sait qu’il n’y a pas de possibilité de guérison, on n’ait pas besoin de refaire les dossiers tous les quatre matins et qu’on donne des allocations à vie à ces gens-là et ces familles-là.
J’aimerais également qu’on nous écoute. La MDPH ne connaît nos enfants que sur des numéros de dossier. Nous on les connaît dans la vraie vie, on vit avec, on vit avec la maladie, avec la personne handicapée. On sait de quoi on parle.
Ce que j’aimerais c’est que cet article, ainsi que les articles des autres médias, remontent le plus haut possible.
Un entretien réalisé par Rob Grams le 19 février 2025
