N’en déplaise à France info, 200 otages palestiniens retrouvent la liberté

Dans le cadre du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, un échange d’otages a eu lieu : quatre soldates de l’armée coloniale israélienne (sur environ une centaine de prisonniers) ont été libérées contre deux cents prisonniers palestiniens (sur environ 9 700 prisonniers). Alors que les portraits des prisonniers israéliens se multipliaient dans les médias, les visages et parcours de vie des prisonniers palestiniens étaient cruellement absents, participant à humaniser les premiers tout en invisibilisant les seconds. Les téléspectateurs ont donc été surpris devant l’irruption d’une microdose d’objectivité en regardant il y a quelque jours un journal de France Info avec un bandeau d’information : “200 otages palestiniens retrouvent la liberté”. C’était sans compter sur le fait que sur une chaîne d’Etat en dictature, on ne fait pas de l’information mais de la propagande. Le responsable du bandeau a donc été immédiatement suspendu, la chaîne se répandant en excuses, y compris la directrice de la communication qui se justifiait directement et piteusement auprès de la députée macroniste des français en Israël, celle-ci exigeant le licenciement immédiat de l’intéressé.
Analyse d’une séquence révélatrice.
Des soldates d’une armée coloniale et d’occupation présentées comme de simples “otages”
Contrairement aux prisonniers palestiniens dont on ne voit jamais les visages, qui ne sont présentés que comme des chiffres anonymes et sur qui les médias français accolent le qualificatif de “terroristes” sans le justifier, sans contexte, sans le moindre début de vérification, les prisonniers israéliens sont humanisés avec des photos les montrant plein de vitalité, facilitant l’identification.
Sauf que les quatre jeunes femmes israéliennes libérées ne sont pas de simples civiles. Comme le rappelle le journaliste Camille Stineau “l’ère de la post-vérité, c’est quand des médias présentent comme des « otages » ces quatre soldates, capturées dans le cadre de leur activité militaire”.
Si on peut ressentir des formes d’empathie pour des femmes et des hommes extrêmement jeunes, endoctrinés et utilisés comme de la chair à canon par une armée coloniale et raciste, le strict minimum de déontologie journalistique implique de contextualiser et de rappeler que derrière ces sourires sympathiques, il s’agit de soldates engagées dans une armée d’occupation pratiquant une colonisation illégale, accusée par la Cour de Justice Internationale de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, et même de génocide par de nombreuses ONG (Amnesty International, Médecins Sans Frontières, Human Rights Watch etc) et experts.
Des prisonniers politiques palestiniens présentés comme des terroristes
Camille Stineau relevait également que la simple désignation de “prisonniers” lorsque l’on parle de personnes qui sont souvent des civils détenus par Israël sans charge ni procès, pose aussi problème.
Elodie Safaris, spécialisée dans l’analyse des médias, insistait aussi sur cette couverture “catastrophique” avec des “invités qui qualifient tous les prisonniers palestiniens de terroristes (sans nuance, sans source et surtout sans contradiction), aucune contextualisation, aucun mot sur Gaza”. Il faudra attendre l’invitation de Béligh Nabli, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), pour enfin entendre un autre son de cloche : « Il y a des prisonniers politiques palestiniens (dont des femmes et des mineurs), qui n’ont commis aucune violence et à qui sont reprochés des actes de résistance (déclarations ou manifestations).”
« Il y a des prisonniers politiques palestiniens (dont des femmes et des mineurs), qui n’ont commis aucune violence et à qui sont reprochés des actes de résistance (déclarations ou manifestations) »
Béligh Nabli, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
Dans les autres pays occidentaux soutiens d’Israël, comme au Royaume-Uni, le traitement n’est pas forcément meilleur. Le groupe de hip-hop nord irlandais Kneecap dont nous vous parlions récemment disait par exemple : « Malgré les photos que vous verrez aujourd’hui, les 4 ‘otages’ israéliennes étaient des soldates d’occupation au service des forces d’occupation israéliennes (IOF). Vous ne connaîtrez pas les noms, ne verrez pas les visages et n’entendrez pas les histoires des ‘prisonniers’ palestiniens – beaucoup sont des enfants ou des personnes âgées, la plupart n’ont jamais été inculpés et tous ont été torturés. »
Il faut donc dire quelques mots sur le système d’emprisonnement de masse des Palestiniens, qui fait partie intégrante de la politique coloniale et terroriste d’Israël. En janvier 2024 il y avait plus de 8 000 Palestiniens prisonniers en Israël en détention administrative, c’est-à-dire sans inculpation, sans procès et pour une durée illimitée. Ces plus de 8000 prisonniers et otages palestiniens (qu’il faut donc mettre en perspective avec la centaine de prisonniers et otages israéliens) sont soumis à des conditions inhumaines, régulièrement torturés, violés et tués. Amnesty International a documenté ces « cas atroces de tortures et de traitements dégradants”. Les rapporteuses de l’ONU ont, elles, documenté (en plus de confirmer les tortures et les exécutions sommaires) les cas de viols et d’autres formes d’agressions sexuelles sur les prisonniers (hommes, femmes, enfants). Les tortures sont telles que les otages palestiniens meurent souvent de leurs blessures.
« Malgré les photos que vous verrez aujourd’hui, les 4 ‘otages’ israéliennes étaient des soldates d’occupation au service des forces d’occupation israéliennes (IOF). Vous ne connaîtrez pas les noms, ne verrez pas les visages et n’entendrez pas les histoires des ‘prisonniers’ palestiniens – beaucoup sont des enfants ou des personnes âgées, la plupart n’ont jamais été inculpés et tous ont été torturés. »
Kneecap
Déjà en mai dernier, notre chroniqueur Politicoboy s’émouvait du silence complice des médias français à ce sujet : “Quid de l’enquête des médias israéliens décrivant par le menu la torture et le viol systématique perpétré contre les prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes depuis le 7 octobre, où une quarantaine de détenus sont morts dans d’atroces souffrances ? Des images de prisonniers de guerre – parfois des enfants – montrés dans des situations d’humiliations s’apparentant à de la torture ? Des amputations des bras et des jambes régulièrement menées sur ces prisonniers du fait de leurs conditions de détention ? De la torture à mort du chirurgien et chef du service orthopédique de l’hôpital Al Shifa ?”
Par ailleurs, ces prisonniers palestiniens servent systématiquement de monnaie d’échange lors de tractations avec le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens. Ce qui est littéralement la définition d’un otage.
Suspendu pour avoir qualifié les otages palestiniens d’ “otages palestiniens”
C’est, informé de ces faits largement documentés mais étrangement tus par les médias dominants français, qu’un salarié de France Info a fait son travail de manière professionnelle en titrant “200 otages palestiniens retrouvent la liberté”. De manière professionnelle cela se discute, car le travail à France Info n’est pas d’informer mais de relayer tel un prompteur les communiqués de la propagande génocidaire de l’armée israélienne.
La chaîne s’est donc confondue en excuses pour avoir informé ses téléspectateurs et téléspectatrices pendant quelques secondes : “À la suite d’une erreur inadmissible, un titre totalement inapproprié concernant la situation au Proche-Orient a été brièvement diffusé dans un de nos journaux sur franceinfo canal 27. Le responsable a été suspendu. Nous présentons toutes nos excuses aux téléspectateurs.”
Un communiqué qui dit beaucoup de la fascisation du pays, où la simple énonciation d’un fait qui embarrasse le narratif propagandiste du pouvoir sur une chaîne d’Etat vaut sanction, rectification, génuflexion.
Le travail à France Info n’est pas d’informer mais de relayer tel un prompteur les communiqués de la propagande génocidaire de l’armée israélienne
Caroline Yadan, députée macronistes des françaises et français de l’étranger – en réalité uniquement députée des françaises et français en Israël puisque se foutant visiblement royalement des autres – et qui a succédé à l’ignoble et grotesque Meyer Habib, ne s’est pas contentée de ce communiqué rédigé par des paillassons et a exigé le licenciement de celui qui a eu l’outrecuidance d’informer les françaises et les français sur une chaîne publique. Attal Muriel, Directrice de la Communication corporate du groupe France Télé, visiblement paniquée par les remontrances de la macronie, s’est excusée auprès d’elle personnellement : “on a immédiatement réagi Caroline. La direction de l’info et France Tv ont été des lucky luke 🙂 <3”. Un message d’une extrême familiarité, qui démontre, s’il le fallait encore, la consanguinité totale de la bourgeoisie française, du macronisme pourrissant, des médias aux ordres et des génocidaires israéliens. Ce tweet de serpillère contente d’elle-même a été supprimé : montrer à ce point au grand jour que les journalistes de France Télé ne sont que les chiens de garde du pouvoir, cela n’est pas du meilleur effet quand on essaye de faire croire à un semblant de démocratie, de neutralité et de liberté d’expression.
Évidemment, s’agissant de la désinformation sur les prisonniers palestiniens, jamais aucune mesure n’est prise. Elodie Safaris disait aussi : “c’est intéressant de noter que quand c’est RMC qui dit « 90 terroristes » pour qualifier les prisonniers libérés le week-end dernier (parmi lesquels mineurs, prisonniers politiques, détentions administratives et 3 journalistes), tous ces indignés ne voyaient pas raison de le faire”.
« C’est intéressant de noter que quand c’est RMC qui dit « 90 terroristes » pour qualifier les prisonniers libérés le week-end dernier (parmi lesquels mineurs, prisonniers politiques, détentions administratives et 3 journalistes), tous ces indignés ne voyaient pas raison de le faire »
Elodie Safaris, journaliste
Cet épisode lamentable montre une fois de plus que le traitement médiatique de ce conflit n’a pas une once d’objectivité et que nous assistons, y compris sur le “service public”, à une manipulation politique de l’information. L’invisibilisation systématique des prisonniers palestiniens et leur présentation simpliste en tant que “terroristes” participent à la promotion du narratif de l’armée israélienne, pourtant accusée de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de génocide. Cette propagande ne laisse aucune place au réel et à la complexité des faits. Le simple fait d’informer, d’énoncer un fait devient un acte militant, extrêmement courageux, qui peut avoir des conséquences graves.
De toute évidence, si vous cherchez de l’information fiable vous ne la trouverez pas à France Info.
Rob Grams
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