Fausse laïcité, vraie islamophobie : l’État veut traquer les musulmanes dans le sport

Encore une fois, la machine à exclure tourne à plein régime. Après l’école, la rue, la plage et les sorties scolaires, voilà que l’État s’attaque maintenant aux terrains de sport. L’objectif ? Interdire le voile aux sportives musulmanes sous prétexte de « neutralité » et de « valeurs républicaines ». Le Sénat a récemment adopté une proposition de loi visant à interdire le port du voile dans les compétitions sportives. Un énième coup de force sous couvert de laïcité qui ne cache plus son vrai visage : l’islamophobie d’État qui puise ses racines dans l’histoire coloniale française.
Depuis une vingtaine d’années, à force de nous vendre la laïcité comme une arme contre les musulmans, les gouvernements successifs ont réussi à transformer un principe d’émancipation en un instrument de contrôle. Il ne s’agit plus de garantir la neutralité de l’État, mais bien d’exclure des femmes musulmanes de l’espace public. Rappelez-vous : en 2016, des policiers forçaient des femmes à retirer leur burkini sur des plages françaises sous la menace de contraventions. En 2019, on débattait encore et encore du « problème » des mères voilées accompagnant des sorties scolaires. En septembre 2023, le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, annonçait l’interdiction de l’Abaya dans les établissements scolaires, conduisant à l’exclusion temporaire de plusieurs jeunes filles. Aujourd’hui, ce sont les sportives qui sont dans le viseur.
En février dernier, le Sénat a ainsi adopté une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux ostensibles lors des compétitions sportives, y compris amateur. Jusqu’à présent, le port du voile est interdit par certaines fédérations sportives françaises comme le football et le basketball et autorisé par d’autres comme le handball ou le judo. Au niveau international, la grande majorité des fédérations sportives, y compris la fédération internationale de football (FIFA) depuis 2014, permettent le port du hijab. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est empressé de se prononcer en faveur de l’interdiction, affirmant qu’« il faut interdire le voile dans les compétitions sportives, c’est une évidence », menaçant même de démissionner si l’intégralité du gouvernement ne se prononçait pas dans le même sens.
En effet, pour une fois, une ministre macroniste avait osé prononcer une phrase sensée sur ce genre de sujet. La ministre des Sports, Marie Barsacq, avait mis en garde contre les amalgames entre le port du voile et la radicalisation dans le sport. Lors d’une audition devant les députés le 12 mars 2025, elle avait déclaré que « les sujets de radicalisation dans le sport sont un autre sujet que le sujet du port du voile et d’insignes religieux. » Elle avait ajouté que « le port du voile, ce n’est pas de l’entrisme », c’est-à-dire que son port ne vise pas forcément à influencer une organisation en y introduisant des membres partageant des convictions spécifiques, dans le but de modifier ses orientations.
En février dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux ostensibles lors des compétitions sportives, y compris amateur. Jusqu’à présent, le port du voile est interdit par certaines fédérations sportives françaises alors qu’au niveau international, la grande majorité des fédérations sportives permettent le port du hijab.
Ces dissensions au sein du gouvernement ont rapidement été réglées, sous pression du Rassemblement National et notamment de Julien Odoul. Rappelez-vous, c’est le sale type qui avait pris à partie, dans le public du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, une mère de famille voilée devant son fils en larme et la classe de CM2 qu’elle accompagnait en sortie scolaire. Pour vite rassurer le RN, et ses ministres d’extrême droite comme Retailleau et Darmanin, Bayrou a mis son gouvernement au pas, exigeant et obtenant l’unanimité en soutien à l’interdiction du port du voile dans les compétitions sportives. Marie Barsacq s’est finalement ralliée à cette position, sans doute pour garder son poste.
La laicité est devenu un outil de contrôle et de discrimination
L’instrumentalisation de l’Islam pour expliquer les maux de la société résulte d’une volonté discriminatoire et non d’un combat contre la domination des religions. Les institutions catholiques, qui couvrent les violeurs depuis toujours, continuent quant à elles de jouir d’une impunité politique totale et d’être massivement subventionnées par l’Etat. Personne au sein du pouvoir d’État ne s’offusque lorsque François Bayrou continue à gouverner, malgré son soutien financier à des structures impliquées dans des affaires de maltraitance et de viols.
Et que dire du monde du sport ? Les affaires de violences sexuelles se multiplient, révélant un système gangrené par le pouvoir masculin et la complicité des institutions. Par exemple, pour ne citer que quelques cas de ces derniers mois, en octobre 2024, l’ancien attaquant de l’équipe de France, Wissam Ben Yedder, a été accusé d’agression sexuelle, avec un an de prison ferme requis à son encontre. En juillet 2024, les rugbymen Hugo Auradou et Oscar Jégou ont été accusés de viol en Argentine. L’ancien champion du monde de canoë-kayak Jean-Yves Prigent a été condamné pour viol sur des adolescents. L’année dernière également, l’ex-président de la Ligue nationale de handball a été condamné à un an de prison avec sursis pour corruption de mineur et enregistrement d’images pédopornographiques.
En excluant des milliers de femmes d’une pratique collective sous prétexte d’un danger inexistant, l’État ne cherche nullement à les émanciper ; il se substitue à elles dans leurs choix religieux. Il les place face à une injonction contradictoire : choisir entre l’exercice de leur foi et leur participation à la vie sociale.
Plutôt que de s’attaquer à ces véritables mécanismes de domination et d’abus, l’appareil d’État concentre son acharnement sur les femmes voilées. En excluant des milliers de femmes d’une pratique collective sous prétexte d’un danger inexistant, l’État ne cherche nullement à les émanciper ; il se substitue à elles dans leurs choix religieux. Il les place face à une injonction contradictoire : choisir entre l’exercice de leur foi et leur participation à la vie sociale. Ce mécanisme d’exclusion ne favorise en rien leur émancipation ; il les enferme au contraire dans un dilemme où leur appartenance religieuse devient un obstacle à leur citoyenneté. C’est une instrumentalisation politique de la laïcité, qui, au lieu de garantir la neutralité de l’État et la coexistence des croyances, devient un outil de discrimination ciblée. En se substituant au libre arbitre des femmes voilées sous prétexte de les « libérer », en empêchant certaines femmes de se baigner, d’aller à l’école, de faire du sport, l’État adopte une attitude paradoxalement proche de celle qu’il prétend combattre, c’est-à-dire les islamistes : une volonté d’encadrer et de contrôler les choix des femmes au nom d’une idéologie.
Des explications réductrices sur les raisons du port du voile
Il est indéniable que certaines femmes portent le voile sous l’influence de leur entourage, qu’il s’agisse de leur famille ou de leur conjoint. Cependant, reconnaître l’existence de cette pression sociale ne saurait justifier que l’on enferme ces femmes dans une posture de soumission imposée. La lecture occidentale qui associe systématiquement le voile à une oppression féminine traduit une vision biaisée, voire raciste, niant à la femme musulmane la capacité de choisir librement. Bien au contraire, le port du voile dans le sport peut être vecteur d’émancipation comme n’a de cesse de le répéter le collectif des Hijabeuses, un groupe de militantes créé en 2020 pour défendre le droit des femmes musulmanes à jouer au football tout en portant le voile en France.
En se substituant au libre arbitre des femmes voilées sous prétexte de les « libérer », en empêchant certaines femmes de se baigner, d’aller à l’école, de faire du sport, l’État adopte une attitude paradoxalement proche de celle qu’il prétend combattre, c’est-à-dire les islamistes : une volonté d’encadrer et de contrôler les choix des femmes au nom d’une idéologie.
L’obsession contemporaine de l’État français pour les corps des femmes musulmanes ne sort pas de nulle part. Elle plonge ses racines dans son histoire coloniale. En mai 1958, en pleine guerre d’indépendance, l‘armée française a orchestré des cérémonies publiques de dévoilement à Alger. Des adolescentes musulmanes, encadrées par des généraux et officiers français et leurs épouses, ont été obligées de retirer leur voile en public, pour symboliser une prétendue libération, alors que depuis 1830 c’est l’Etat français qui avait lui-même maintenu les Algériennes dans une position d’infériorité politique, juridique et sociale. Ces scènes traduisaient surtout un fantasme colonial : arracher le voile, c’était pénétrer un espace culturel et intime, c’était rendre symboliquement disponible le corps de la femme indigène.

Si l’on accordait aux jeunes filles voilées la pleine capacité de choisir, alors leur voile incarnerait non pas un renoncement, mais l’affirmation d’une identité plurielle : être à la fois françaises et musulmanes, sans qu’une identité ne supplante l’autre, mais en les conciliant dans leur complexité. Dans les discussions actuelles autour du voile dans le sport, on remarque une fois encore que les premières concernées restent largement absentes du débat médiatique. Si l’on prenait enfin la peine de leur donner la parole, on découvrirait une réalité bien plus nuancée que celle que l’on veut imposer : comme l’attestent de nombreuses études sociologiques, le port du voile répond à une diversité de motivations, bien loin d’une explication unique ou réductrice. Comme l’écrit notamment le sociologue Daniel Verba, « certains vêtements, comme le djilbab ou l’abaya qui couvrent le corps, peuvent aussi révéler d’autres fonctions plus profanes : par exemple occulter les formes naissantes des adolescentes troublées par les modifications de leur corps ou encore atténuer une corpulence non conforme aux canons esthétiques dominants, sans compter ces jeunes filles victimes d’abus sexuels qui mobilisent le voile comme une protection ». Dans tous les cas, leur liberté de conscience et de culte devrait primer sur les projections que la société impose sur elles.
L’obsession contemporaine de l’État français pour les corps des femmes musulmanes ne sort pas de nulle part. Elle plonge ses racines dans son histoire coloniale. En mai 1958, en pleine guerre d’indépendance, l’armée française a orchestré des cérémonies publiques de dévoilement en Algérie.
Et pendant que des ministres gesticulent pour interdire le voile dans le sport, qui se bat pour que toutes les femmes puissent avoir accès aux infrastructures sportives, aux clubs, aux équipements ? Qui lutte contre les discriminations raciales et sociales dans le milieu sportif ? Personne au sein du pouvoir. Parce que tout ça n’a jamais été la vraie question. Ce qu’ils veulent, c’est effacer les musulmanes de l’espace public. Il est temps d’arrêter de parler de « polémique » et de nommer les choses comme elles sont : ce que fait la France depuis des années avec ces lois et ces débats stériles, c’est institutionnaliser l’islamophobie, car l’État a choisi de faire des musulmans et musulmanes les boucs émissaires de son échec social.
