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Pourquoi et comment contrer le discours guerrier

Face au revirement des Etats-Unis vis-à-vis de l’Ukraine et à l’impérialisme de Vladimir Poutine, les gouvernements européens, Macron aux premières loges, se lancent dans une apologie de “l’effort de guerre” et les sacrifices incontournables qu’il implique, tandis que le discours sur l’inévitable guerre sature notre espace médiatique. Or, non seulement ce discours guerrier permet à la classe dominante de justifier et faire passer en force des projets qu’elle tient en temps normal et que la population rejette massivement – destruction de la protection sociale et intégration européenne forcée – mais en plus il invisibilise toute autre réponse possible aux tensions internationales.

La classe dominante saisit l’occasion guerrière pour réclamer la mise à mort de notre protection sociale

Tranquillement, au micro de France culture, le directeur de la Banque Publique d’Investissement Nicolas Dufourcq a affirmé mercredi matin que face à la situation internationale et au désengagement annoncé des Etats-Unis dans la défense européenne, il allait falloir s’endetter “pour acheter des canons, pas pour le Doliprane de [s]a mère”. Pour lui, afin de dégager les centaines de milliards d’euros nécessaires à l’augmentation des moyens militaires du pays – comme l’a annoncé cette semaine le probable futur chancelier conservateur allemand – il faut s’endetter mais aussi couper dans nos dépenses de solidarité et de protection sociale, qui ne se résument pas au « Doliprane » mais comprennent les arrêts maladie, l’accès à un hôpital de qualité, à une éducation, à de l’aide pour ne pas finir à la rue… Ce haut fonctionnaire, directeur d’une institution dont la Cour des comptes pointait les rémunérations excessives, profite du discours guerrier pour défendre un projet politique qu’il a porté toute sa vie, lui qui est un pur produit de la classe dirigeante française (Science Po, HEC, ENA, la totale) et qui disait déjà, en 2022, que nous devions en finir avec le système de retraite par répartition. Autant dire que le climat international n’est qu’un nouveau prétexte pour nous injecter le même traitement : la destruction de ce que nos anciens ont obtenu de haute lutte, après la Seconde Guerre mondiale.

« Le Danemark a décidé de reporter à 70 ans l’âge de départ à la retraite pour que l’économie finance l’effort de guerre » a déclaré Patrick Martin, président du MEDEF, sur BFM TV le 4 mars. Quel rapport avec l’effort de guerre puisque le MEDEF demande le report ad vitam æternam de l’âge de départ à la retraite depuis la nuit des temps ?

Même opportunisme du côté de Patrick Martin, président du MEDEF, le syndicat des patrons, qui est aussi PDG et actionnaire principal de l’entreprise familiale Martin-Belaysoud et dont Challenges estime la fortune à 300 millions d’euros (389e fortune de France). « Le Danemark a décidé de reporter à 70 ans l’âge de départ à la retraite pour que l’économie finance l’effort de guerre » a-t-il déclaré sur BFM TV le 4 mars, prônant le même genre d’effort pour la France. Quel rapport avec l’effort de guerre puisque le MEDEF demande le report ad vitam æternam de l’âge de départ à la retraite depuis la nuit des temps ?

Déjà en 2020, Macron abusait du discours guerrier. Il reprend tout naturellement cette rhétorique et appelle les citoyens à l’aider alors qu’il les brutalise depuis sept ans.

L’ambiance guerrière est du pain béni pour la classe dominante, et c’est aussi vrai dans sa version politicienne : pour Macron, président détesté, dont le dernier vrai fait d’arme est d’avoir contourné le résultat des élections législatives qu’il avait lui-même provoquées et dont toutes les grandes postures diplomatiques ont échoué, c’est l’occasion de renouer avec sa stature du président du discours “nous sommes en guerre” prononcé au début de l’épidémie de Covid, en 2020. Pour les personnalités nuisibles et médiocres, les guerres sont des occasions pour briller puisque toutes les nuances qui pourraient révéler leur nullité sont affaiblies au profit d’une perception unique de la réalité : l’urgence guerrière.

Macron en profite lui aussi pour nous vendre à nouveau son package de destruction de l’Etat social : « Et compte tenu de l’évolution des menaces de cette accélération (…), nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables (…) Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés, mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes. » Sous couvert d’une apparente neutralité stimulée par les impératifs du nouvel ordre international, Macron nous revend son dogme habituel, celui qu’il poursuit depuis 2017, Ukraine ou non : “de nouveaux investissements publics sans que les impôts (des riches) ne soient augmentés” et donc “des réformes” (antisociales et forcément impopulaires car anti-pauvres). 

L’ambiance guerrière, le sentiment d’urgence et de peur pourrait tout à fait stimuler des réponses différentes : nous avons rapidement besoin d’argent pour renforcer nos capacités militaires ? Pourquoi ne pas taxer exceptionnellement les grandes fortunes qui n’ont jamais été aussi riches ? Pourquoi ne pas taxer les dividendes qui ont battu encore un nouveau record ?

L’ambiance guerrière, le sentiment d’urgence et de peur pourrait tout à fait stimuler des réponses différentes : nous avons rapidement besoin d’argent pour renforcer nos capacités militaires ? Pourquoi ne pas taxer exceptionnellement les grandes fortunes qui n’ont jamais été aussi riches ? Pourquoi ne pas taxer les dividendes qui ont battu encore un nouveau record ? Les riches aiment financer la reconstruction des cathédrales, alors pourquoi ne voudraient-ils pas fortifier la nation menacée ? 

Parce que les guerres n’ont jamais servi à sauver les peuples ou les Nations. Seulement leurs classes dominantes.

L’urgence guerrière nous empêche de penser la responsabilité de nos dirigeants

Ceci étant dit, avons-nous le choix face à cet opportunisme guerrier que la plupart d’entre nous percevons bien ? Car si la bourgeoisie profite de cet état de fait pour nous vendre son poison habituel, l’état de fait, lui, est réel : l’impérialisme russe est toujours aussi virulent. Malgré un enlisement certain en Ukraine et des centaines de milliers de jeunes soldats morts au front, avec la masse d’horreur et de deuil que cela produit dans le pays, son dictateur semble solide sur ses appuis et poursuit sa politique. Pendant ce temps, le nouveau gouvernement d’extrême-droite des Etats-Unis s’est employé à humilier le président ukrainien et a annoncé l’arrêt de son soutien militaire et financier au pays. Par extension, une grande partie des gouvernements européens s’alarment d’un désengagement possible de l’armée américaine dans la protection du continent.

On notera que cette situation n’a apparemment jamais été anticipée par les gouvernements successifs et la classe politique au pouvoir – globalement la même depuis 20 ans : depuis Nicolas Sarkozy, qui a réintégré la France au cœur de l’OTAN, la France a réduit ses capacités militaires et son autonomie vis-à-vis des Etats-Unis, et s’est consacrée à maintenir de façon calamiteuse son influence en Afrique. 

Entre 2015 et 2020 (donc sous Macron et bien après l’annexion de la Crimée), la France a fourni aux Russes plus de 152 millions d’euros de matériel pour des chars, des avions de chasse et des hélicoptères de combat, comme l’avait révélé Disclose. L’appétit de profit a visiblement dispensé nos dirigeants d’anticiper l’avenir.

On doit aussi rappeler qu’entre 2015 et 2020 (donc sous Macron et bien après l’annexion de la Crimée), la France a fourni aux Russes plus de 152 millions d’euros de matériel pour des chars, des avions de chasse et des hélicoptères de combat, comme l’avait révélé Disclose. L’appétit de profit a visiblement dispensé nos dirigeants d’anticiper l’avenir.

Ceux qui plaident le sursaut et les sacrifices qui vont avec sont aussi responsables de la situation dans laquelle ils se retrouvent, ce qu’ils ne mentionnent jamais.

Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises : si l’expansionnisme russe est une réalité, les erreurs diplomatiques de l’Ouest ont aussi joué leur rôle. Macron a aussi brillé par ses provocations et ses contradictions, lui qui évoquait en février 2024 l’envoi de troupes au sol en Ukraine, proposant un tollé international, notamment chez ses alliés états-uniens. Bref, la situation dans laquelle se retrouvent nos dirigeants est aussi de leur propre fait. Mais c’est à nous, les peuples européens, qu’ils veulent en faire payer le prix, comme à chaque fois dans notre histoire.

Une guerre inévitable, vraiment ?

Les nations ne sont pas des blocs. Les pays sont traversés par des classes sociales et des groupes d’intérêts divergents. Il est très rare que des guerres unissent les intérêts des différentes classes sociales : les membres des classes laborieuses sont tués au front et ceux de la bourgeoisie sont épargnés et s’enrichissent au passage, tout en usant du prétexte de la guerre pour tuer toute contestation sociale. C’est valable pour notre pays comme pour les pays adverses : les Russes, ce n’est pas Poutine, pas plus que Trump ne résume les Etats-uniens. 

Poutine “ne s’arrêtera pas là”, entend-t-on partout, de la part de nos dirigeants comme de certains amis ou collègues. Mais en est-on si sûr ?

Ceci étant dit, une situation critique ne nous oblige-t-elle pas à nous positionner, en tant que peuple, au côté de nos dirigeants ? Car Poutine “ne s’arrêtera pas là”, entend-t-on partout, de la part de nos dirigeants comme de certains amis ou collègues. Mais en est-on si sûr ? Il n’est pas parvenu à envahir l’Ukraine et à atteindre sa capitale, comme annoncé en 2022. Les pays d’Europe de l’Est sont plus forts et plus préparés : la Pologne possède par exemple la plus grande armée européenne en nombre de soldats. La France possède la dissuasion nucléaire et donc non, nous n’aurons pas à “apprendre le russe” si nous ne nous réarmons pas massivement, comme menaçait Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN en janvier dernier. Les dirigeants européens passent sous silence ces réalités pour nous pousser, dans la peur et l’urgence, à accepter les sacrifices qu’ils nous demandent.

Les troupes occidentales n’ont jamais été envoyées face aux troupes soviétiques pendant la Guerre froide, ni lors du blocus de Berlin (1948-1949), ni lors de l’invasion de la Hongrie en 1956, ni lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, ni lors de celle de l’Afghanistan (1979-1989), des évènements pourtant tout aussi inquiétants pour la sécurité internationale et en violation du droit international. La dissuasion nucléaire change en effet la donne.

L’autre argument serait moral : nous ne pouvons pas laisser les Ukrainiens en difficulté. Cet argument porte car les images de l’Ukraine et la mine déconfite, la rage toute contenue de Volodymyr Zelensky face à Trump et son vice-président ont fait le tour du monde et suscité l’empathie. Mais si l’argument est moral, qu’en est-il du silence de la France face au génocide à Gaza et à l’invasion du Liban, où mêmes les soldats de l’ONU ont été menacés par l’armée israélienne ? Qu’on le veuille ou non, ce double standard anéantit l’argument moral. Si nos dirigeants agissaient militairement ou diplomatiquement pour des raisons morales, Gaza serait déjà depuis longtemps une zone sanctuarisée par des casques bleus.

L’autre argument serait moral : nous ne pouvons pas laisser les ukrainiens en difficulté. Mais si l’argument est moral, qu’en est-il du silence de la France face au génocide à Gaza et à l’invasion du Liban, où mêmes les soldats de l’ONU ont été menacé par l’armée israélienne ? Nous, de notre côté, nous pouvons évidemment souhaiter les deux en même temps : la souveraineté des Ukrainiens sur leur propre territoire et l’arrêt de leur annexion par les Russes et la fin du génocide et de la colonisation de la Palestine. Sauf que pour y parvenir, se reposer sur des dirigeants aussi compromis que les nôtres n’est pas une bonne idée.

Nous, de notre côté, nous pouvons évidemment souhaiter les deux en même temps : la souveraineté des Ukrainiens sur leur propre territoire et l’arrêt de leur annexion par les Russes et la fin du génocide et de la colonisation de la Palestine. Sauf que pour y parvenir, se reposer sur des dirigeants aussi compromis que les nôtres n’est pas une bonne idée. Si tant est que la réponse militaire soit la seule possible, on ne voit pas comment la choisir dans un tel cadre politique, celui de régimes corrompus et dépourvus de toute boussole morale, aurait un quelconque effet durable pour celles et ceux que nous voulons aider.

Le problème est politique : partout dans le monde, les régimes autoritaires d’extrême-droite – et la France s’inscrit progressivement dans la liste – prennent le dessus grâce au soutien des partisans du capitalisme, pour qui la guerre sera toujours un jeu, une opportunité et une justification à la mise à mort de millions de personnes au nom des drapeaux et des nations. 

Leurs solutions sont des chimères : elles conduisent toujours à l’escalade. Je me surarme, tu te surarmes, je militarise ma frontière, tu militarises la tienne… C’est une logique sans fin, sans aucun objectif ni horizon, puisque la Russie ne peut pas être défaite militairement, encore moins sans les Etats-Unis. Macron l’admet, il n’a rien à nous proposer : “Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix” annonçait-il mercredi soir. Le fond révèle l’absence de perspective positive à nous proposer, la forme un sous-texte assez limpide : pas de dividendes de la paix pour nous mais des dividendes de cette guerre pour les industriels de l’armement et les politiciens en mal de popularité comme lui.

“Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix” annonçait Macron mercredi soir. Le fond révèle l’absence de perspective positive à nous proposer, la forme un sous-texte assez limpide : pas de dividendes de la paix pour nous mais des dividendes de cette guerre pour les industriels de l’armement et les politiciens en mal de popularité comme lui.

Pendant longtemps, les capitalistes nous ont servi l’idée d’un monde plus prospère et plus paisible pour nous vendre leur règne. Puisqu’il n’est pas advenu, ils s’appuient désormais sur l’idée d’une ruine et d’un chaos inévitable.

Pour gagner la paix, plutôt que l’effort de guerre, l’effort d’insurrection

Nos dirigeants ne nous apporteront donc rien. Ni sécurité, ni prospérité, ni concorde. Le plus sûr moyen, la solution la plus authentiquement crédible, à notre échelle de peuples, de contrer l’impérialisme notamment russe et américain et de diminuer les tensions internationales n’est certainement pas de suivre aveuglément nos dirigeants dans une escalade qui les arrange bien et nous desservira tous. C’est de distinguer toutes les autres voix qu’ils n’évoquent jamais mais qui sont bien plus efficaces : faire chuter les gouvernements guerriers et impérialistes, par en bas.

Le plus sûr moyen, la solution la plus authentiquement crédible, à notre échelle de peuples, de contrer l’impérialisme notamment russe et américain et de diminuer les tensions internationales, n’est certainement pas de suivre aveuglément nos dirigeants dans une escalade qui les arrange bien et nous desservira tous.

Rappelons-nous toujours de cela : en 1914, si les mouvements ouvriers européens étaient parvenus à aller jusqu’au bout de leur combat pacifiste, si les socialistes de l’époque, dont l’un des slogans étaient “plutôt l’insurrection que la guerre”, ou les syndicalistes de la CGT étaient parvenus à empêcher la guerre, la face du monde en aurait été changé. A l’époque, ils étaient présentés comme des traîtres et des lâches, mais l’Histoire leur a donné raison.

Texte de l’association pacifiste La paix par le droit, 1914

La solution de long terme, pour un monde en paix, ne sera jamais de faire confiance à des gouvernements qui se servent des guerres pour discipliner les peuples, soutenus par des médias qui, comme le Figaro, appartiennent à des vendeurs d’armes (Dassault aviation, producteurs des avions de chasse Rafales, dans le cas du Figaro). C’est de construire une solidarité internationale des peuples et de soutenir toute action révolutionnaire dans les pays belligérants. Cela semble difficile, car même la plupart de nos partis de gauche ont lâché l’affaire et se reposent sur les gouvernements en place pour trouver des solutions aux tensions mondiales, ou sont traités de traîtres ou de “défaitistes” dès qu’ils proposent autre chose. 

Une paix durable ne pourra advenir que dans un monde où les vendeurs d’armes ne dirigent pas les États, et où les États – si tant est qu’on en ait toujours besoin – ne sont pas dirigés par des hommes libres d’envahir comme bon leur semble.

Mais une paix durable ne pourra advenir que dans un monde où les vendeurs d’armes ne dirigent pas les États, et où les États – si tant est qu’on en ait toujours besoin – ne sont pas dirigés par des hommes libres d’envahir comme bon leur semble. L’égalité et la démocratie réelle sont les seules vraies garanties de paix. Ne laissons pas la peur de la guerre nous éloigner de ces combats car ils sont les seuls qui pourront nous protéger durablement, nous et nos semblables aux quatre coins du monde.

Nicolas Framont
Nicolas Framont
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