Découverts bancaires, prime de Noël : la haine des pauvres au pouvoir
Alors que les socialistes continuent chaque jour de chercher des prétextes pour ne pas censurer le gouvernement, deux mesures d’une froideur clinique risquent d’entrer en vigueur : la suppression partielle de la prime de Noël et le durcissement de l’accès aux découverts bancaires. Les médias mainstream ont sauté sur l’occasion pour déverser une fois de plus leur propagande sur un État qui aurait été jusqu’à présent « trop généreux ». Au nom de la réduction du déficit public, on priverait ainsi les plus précaires de ces maigres outils de survie financière. Rien de nouveau malheureusement : comme sous l’Ancien Régime, en régime capitaliste, la haine des pauvres est une politique d’État.
« J’en peux plus de croiser mes voisins de 35 ans qui promènent le chien à 3h de l’après-midi et qui vivent des aides sociales », s’indigne l’agriculteur Didier Giraud sur le plateau des Grandes Gueules de RMC. « L’État donne énormément, c’est devenu un État nounou » s’agace dans la même émission le député Renaissance Guillaume Kasbarian, ex-ministre du Logement. Ces lieux communs sur les pauvres qui seraient des assistés du système social français n’est pas une nouveauté. À la fin du XVIIIᵉ siècle, des figures comme l’abbé Terray, contrôleur général des finances de Louis XV, ou Turgot qui occupa ensuite le même poste sous Louis XVI, affirment que l’assistance publique entretient la paresse et qu’il faut rendre le pauvre utile par le travail. Cette vision conduit à la création des ateliers de charité, où les indigents sont contraints de travailler pour recevoir de l’aide. Après la révolution, en 1791, l’Assemblée constituante refuse de reconnaître un droit au travail, estimant qu’il risquerait d’instaurer une dépendance des citoyens envers l’État. Cette méfiance envers l’assistance publique traduit déjà la crainte, typiquement libérale, de voir naître une population “entretenue” par la collectivité. Au 19ème siècle la révolution industrielle poursuivit cette logique, les bourgeois distinguant les « bons pauvres » (vieillards, orphelins) des « mauvais pauvres », qui ne serait que des fainéants.
Cela s’est poursuivi tout au long du XXᵉ siècle, notamment dans les débats parlementaires au moment de la mise en œuvre de la Sécurité sociale, comme le raconte Nicolas Da Silva dans son ouvrage La bataille de la Sécu, ou en 1988 lors de la création du RMI, puis plus récemment avec la réforme du RSA. Adoptée dans le cadre de la loi pour le plein emploi de décembre 2023 et généralisée à partir de janvier 2025, cette réforme prévoit que les allocataires doivent consacrer au moins quinze heures par semaine à des activités d’insertion ou de formation. Présentée comme un moyen de favoriser le retour à l’emploi, cette mesure réactive le même soupçon ancien selon lequel les bénéficiaires d’aides publiques risqueraient de s’installer dans la dépendance plutôt que de mériter leur revenu par le travail, un discours qui traverse l’histoire sociale française depuis plus de deux siècles, et qui néglige une réalité essentielle : de nombreuses personnes en fin de droits ne refusent pas de travailler, mais en sont tout simplement empêchées, par une maladie grave, un épuisement professionnel, un harcèlement subi ou un drame personnel qui rendent le retour à l’emploi psychologiquement ou physiquement insoutenable.
La prime de Noël est née des luttes et non de la « générosité » de l’Etat
Aujourd’hui cette propagande resurgit pour justifier la suppression de la prime de Noël pour les ménages sans enfant. On l’a oublié, mais cette prime de Noël n’a pas été un cadeau, mais une conquête sociale. Cette soi-disant « générosité de l’État » a été arrachée par la lutte. Elle a été créée sous le gouvernement de Lionel Jospin en 1998, sous la pression des grandes mobilisations de chômeurs et de précaires de l’hiver 1997-1998. À l’époque, des collectifs de chômeurs avaient occupé les antennes de l’Assedic, qui géraient alors le versement des allocations chômage, ainsi que les préfectures et les bureaux de l’Unédic, l’organisme paritaire chargé à l’époque de piloter le régime d’assurance chômage, pour revendiquer une allocation exceptionnelle de fin d’année et la revalorisation des minima sociaux. Ces actions menées par des milliers de personnes ont forcé le gouvernement à céder. Depuis 1998, une prime de Noël est ainsi versée chaque décembre à environ 2,2 millions de foyers modestes. En 2024, son montant s’élevait à 152,45 € pour une personne seule au RSA, 228,68 € pour un couple sans enfant, et jusqu’à 442,11 € pour une famille de quatre enfants. Le coût total pour l’État atteint 466,5 millions d’euros. Le budget 2026, présenté par Sébastien Lecornu, acte la suppression de la prime pour les foyers sans enfant. Résultat, 205 millions d’euros d’économies réalisées sur les plus pauvres.
Cette notion de « générosité » de la France est largement contredite par les faits. La France n’aide pas davantage les plus pauvres que les autres pays. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a publié en avril dernier une étude sur la redistribution opérée par les systèmes socio-fiscaux de douze pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Cette étude compare, pour ces pays, le revenu disponible des personnes qui ne travaillent pas et sont sans ressources, et celui des actifs modestes, soit les personnes percevant la moitié du salaire moyen national. On peut y constater que La France se situe dans une position intermédiaire en termes de soutien au revenu disponible des personnes sans ressources parmi la douzaine de pays étudiés. Elle se situe derrière le Japon, la Suède, l’Espagne, l’Autriche, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne. En revanche, elle figure parmi les pays qui assurent le revenu disponible le plus élevé pour les personnes touchant un salaire modeste. « Le système français concilie ainsi solidarité et gain substantiel à l’activité, tout comme en Espagne, au Royaume-Uni ou au Japon » analyse la DREES. La réalité est donc très loin des caricatures de plateaux TV.

Il faudrait encadrer les frais facturés par les banques et non pas le recours aux découverts
En parallèle de cette attaque contre les aides sociales, le gouvernement resserre aussi la vis bancaire. Une directive européenne sur le crédit à la consommation adoptée en septembre 2023 et qui sera applicable en novembre 2026 vise à encadrer les découverts. Son objectif prétendu est de protéger contre le surendettement. Mais en France, le gouvernement a choisi une transposition particulièrement sévère : au-delà de 200 € de découvert, il faudra désormais évaluer la solvabilité du client, rallongeant les démarches et excluant de fait les plus précaires. La France Insoumise a lancé une pétition « Non à l’interdiction des découverts bancaires », rappelant à juste titre que 22 % des Français sont à découvert après le 16 du mois. On peut s’étonner que les eurodéputées LFI aient voté cette directive, mais celle-ci ne prévoyait pas une telle rigueur, c’est la transposition française, décidée par le gouvernement Lecornu, qui a durci la règle et en fait un tel instrument d’exclusion. Selon les estimations de 60 Millions de Consommateurs, l’ensemble des frais liés aux découverts représentent 30 à 35 % du chiffre d’affaires des banques de détail, soit 6,5 milliards de chiffre d’affaires chaque année pour un profit net estimé à 4,9 milliards. Une réforme indispensable serait donc non pas de limiter l’accès aux découverts bancaires, indispensables à la survie financière de nombreuses personnes, mais bien plutôt de fortement limiter les frais que facturent les banques sous ce prétexte.
Ces réformes ne sont pas isolées. Le budget du PLFSS en cours d’étude à l’Assemblée Nationale est un véritable musée des horreurs. La commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a par exemple préconisé de permettre aux médecins de prescrire du télétravail ou des changements de poste plutôt que des arrêts maladies. De plus, le projet de budget prévoit une augmentation très faible des dépenses d’assurance-maladie (+ 1,6 %), ce qui impose de réaliser 7,1 milliards d’euros d’économies par rapport à leur évolution naturelle, car les besoins continuent à fortement croître (vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, hausse du coût des médicaments et des technologies médicales, etc.). Le pouvoir actuel veut rendre la misère honteuse et affaiblir toutes les capacités de résistance, pour que le rouleau compresseur pro riche se poursuive. Mais c’est bien l’inverse qui peut aussi se produire, et l’acharnement du gouvernement contre les pauvres pourrait ainsi créer les bases de son renversement.
Photos de couverture : © Ecole polytechnique / Institut Polytechnique de Paris / J.Barande
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
