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Budget 2026 : comme Macron, le RN sert la soupe aux bourgeois


Longtemps autoproclamé défenseur des « oubliés » de la mondialisation, le Rassemblement national s’aligne en réalité sur les positions économiques les plus libérales. En reprenant les recettes du macronisme et en rassurant le grand patronat, le parti de Marine Le Pen est au service du capital, car il sait que c’est le moyen le plus efficace d’accéder au pouvoir suprême, avec l’aide de certains grands médias, et de s’y maintenir durablement. Dévoilons ensemble l’imposture sociale du RN, qui s’illustre une fois de plus avec sa proposition de budget 2026.

Dans la vie politique française de ces dernières années, il y a deux tendances qui se rejoignent : d’une part la mise en œuvre par le pouvoir macroniste de mesures d’extrême droite, comme on l’a vu en particulier avec la loi immigration ou les nombreuses restrictions de libertés ; d’autre part, la défense par le Rassemblement national d’un programme économique très proche du macronisme. A l’Assemblée nationale, même si le RN met en avant son opposition sur certaines réformes et utilise parfois la censure, il vote une grande partie des propositions du gouvernement. L’année dernière, il a carrément voté 9 de ses dix projets de loi. C’est logique, plus il s’approche du pouvoir, plus le RN cherche à rassurer le patronat et les médias que les milliardaires détiennent. Dans ce but, comme nous avons déjà eu l’occasion de le raconter, le RN a d’abord progressivement abandonné toute critique radicale de la construction européenne. Historiquement, le FN était favorable à la sortie de l’Union européenne. À partir des années 2010, le parti a nettement évolué sur cette question. Lors des élections européennes de 2014, Marine Le Pen a commencé à défendre l’idée d’un référendum sur la sortie de l’UE, plutôt qu’une sortie immédiate et inconditionnelle. Depuis 2020, le RN n’évoque plus la perspective de quitter l’UE ou l’euro, mais propose plutôt de réformer les institutions européennes de l’intérieur et de diminuer la contribution financière de la France à son budget.

Un pacte de confiance avec le patronat

Ensuite, le RN est peu à peu revenu aux propositions économiques néolibérales de Jean-Marie Le Pen, qui avait été en partie et temporairement abandonnées pour tenter de conquérir l’électorat ouvrier au tournant des années 2010, sous l’influence notamment de Florian Philippot, qui fut vice-président de cette formation politique entre 2012 et 2017. Le RN avait alors essayé de tenir les deux bouts : rassurer les entreprises, tout en affichant des promesses sociales. Rappelons qu’en 2017, le FN proposait l’abrogation de la loi Travail, ce que même le Nouveau Front Populaire ne proposait plus lors des élections législatives de l’année dernière. Changement de ton en 2022, Marine Le Pen allant devant le Medef pour dire aux grands patrons qu’ils sont « le poumon de la France ». Pour les élections présidentielles de cette année-là, il ne restait déjà plus aucune mesure « sociale » à part la nationalisation des autoroutes et une réforme des retraites plus favorables que le cadre légal en vigueur. Une fois élus à l’Assemblée nationale, les membres du RN n’ont eu de cesse de faire des votes contre les classes laborieuses. Ils ont voté notamment contre : le blocage des prix des produits de première nécessité, la gratuité des cantines scolaires pour les plus modestes, le gel des prix des loyers, la hausse du SMIC et l’indexation des salaires sur l’inflation.

En septembre dernier, Bardella s’est même fendu d’une lettre aux patrons pour les rassurer sur son programme. Il leur propose un « pacte de confiance » basé sur un « allègement du fardeau normatif » qui pèserait sur eux et « un choc fiscal positif », c’est-à-dire une baisse massive des impôts de production (CFE, C3S, CVAE). Et cela fonctionne. Les mandats de Macron ont été d’une grande efficacité pour le patronat ; aucun gouvernement n’avait jusqu’alors été aussi loin dans une politique pro entreprise. Mais ça n’est pas assez pour une partie du grand patronat. Les résistances des Gilets jaunes, la forte opposition à la réforme des retraites, le mouvement du 10 septembre, l’absence de majorité absolue à l’Assemblée et les multiples changements de premier ministre, lui font craindre une impossibilité future de poursuivre les réformes libérales. Une partie de la bourgeoisie bascule ainsi vers le RN. C’est le cas de grands patrons comme Bolloré, ou Henri Proglio, ex-PDG d’EDF et Veolia, mais aussi des petits patrons. En 2022, selon l’IFOP, Marine Le Pen a obtenu 51 % des suffrages des « artisans, commerçants et petits chefs d’entreprise » au second tour de l’élection présidentielle. 

16 milliards de cadeaux supplémentaires aux entreprises dans le budget du RN

Ce soutien du RN aux entreprises se lit clairement dans le budget présenté la semaine dernière, qui prévoit de donner 16 milliards d’euros aux entreprises, par la baisse des impôts de production comme le promettait Bardella aux patrons. Il est symptomatique que la première page de ce budget présente les chiffres de la dette publique, suivis avec les critères de Maastricht. C’est le cœur du projet du RN : non pas améliorer la situation des gens, mais résorber la dette comme l’exige l’Union européenne, sans faire contribuer les entreprises. « La justice fiscale peut s’entendre, mais ce n’est pas cela qui va rétablir les comptes publics. La face des comptes publics sera changée par la baisse de la mauvaise dépense publique, par la relance de la production en élaguant les normes et en baissant la fiscalité. C’est par là que vous aurez de la croissance en France et que vous allez réellement rééquilibrer les comptes. C’est cela la grande variable. », résume Charles-Henri Gallois, le conseiller économique de Bardella, ancien auditeur financier chez Chanel. Pour le faire, il compte couper dans les services publics, en particulier, même les plus indispensables. « La santé, l’éducation et les collectivités sont les trois grands pourvoyeurs d’emplois publics, donc trois sources de réorganisation majeures. », affirme par exemple le député Jean-Philippe Tanguy.

Aucune économie ne se fera sur le dos des grandes entreprises. Le Rassemblement national ne prévoit pas de remettre en cause les 270 milliards d’euros d’aides publiques dont elles bénéficient chaque année, ni de revenir sur la baisse de l’impôt sur les sociétés, passé de 33 % à 25 % sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Certes, une taxe sur les « superdividendes » est bien évoquée dans le budget du RN, mais elle resterait très limitée et ne concernerait que certaines grandes entreprises réalisant des profits exceptionnels. Une autre mesure vise à taxer davantage les rachats d’actions, mais de manière marginale, alors que ce type de dispositif devrait purement et simplement être interdit, comme c’était le cas jusqu’en 1998. 

La France que Marine Le Pen veut « sauver » c’est celle des rentiers et des bourgeois, c’est cela l’ADN de son parti.

En bref, derrière l’affichage d’une contribution symbolique du capital, le RN s’abstient de toute remise en cause structurelle du modèle fiscal hérité du macronisme : il préserve les allégements consentis aux entreprises et aux détenteurs de capitaux. Il concentre ses promesses d’économies sur les dépenses sociales et migratoires, dont 12 milliards d’économies sur les prestations sociales qui ne seraient accordées aux immigrés qu’après cinq ans de travail à temps plein sur le territoire et plus de 3 milliards d’euros sur le dos des associations. Seule maigre réforme censée améliorer le pouvoir d’achat des Français : la réduction de la TVA sur l’énergie et les produits de première nécessité. En réalité, cette idée est un cadeau de plus aux entreprises. Les baisses de TVA leur profitent, car plutôt que de les répercuter sur leur prix, elles ont tendance à maintenir leur prix et à ainsi améliorer leur marge. Cela a été maintes fois documenté, notamment en ce qui concerne le bilan de la baisse de TVA dans la restauration mise en œuvre en 2009. Ainsi, ce que propose le RN, c’est en réalité un transfert d’argent (14,5 milliards d’euros d’après lui) des caisses de l’État vers les entreprises. 

La proximité entre les thèses économiques du RN et celles de Macron est désormais quasiment totale. Sur la taxe Zucman, ils pensent littéralement la même chose : qu’il s’agirait d’un impôt idéologique, inefficace et dangereux. Marine Le Pen et son entourage reprennent quasiment mot pour mot les arguments du gouvernement en place et des grands patrons : selon eux, une telle taxe (pourtant relativement inoffensive) ferait fuir les capitaux, découragerait l’investissement et toucherait injustement les entrepreneurs dont le patrimoine est constitué d’actifs professionnels. « C’est très clairement non pour la taxe Zucman », affirme notamment Marine Le Pen. « Elle ne rapportera jamais ce qu’ils ont dit qu’elle rapporterait. Et si ça rapporte un peu la première année, la deuxième année cela ne rapportera plus rien parce que tout le monde sera parti. ». Selon elle, c’est une taxe « pour amuser la galerie gauchiste et ne rien rapporter ». Fondamentalement, Marine Le Pen pense qu’il faut cajoler les riches pour qu’ils restent en France et fassent des enfants. « Mon choix est fait : c’est pas d’immigration et de la natalité. Et je viens dire à ceux qui sont les plus aisés de nos compatriotes : vous devez participer à cette politique de natalité, parce qu’il en va de l’avenir de votre pays, de notre pays. Et je suis convaincue qu’ils accepteront cette philosophie. », déclare-t-elle notamment. Quant aux pauvres, ils peuvent bien plonger dans la misère, le RN s’en moque. Il s’est d’ailleurs abstenu, sur la transcription dans le droit français d’une règlementation européenne visant à fortement encadrer les découverts bancaires, ce qui va beaucoup fragiliser les ménages les plus précaires, alors qu’auparavant ce droit était le plus souvent automatique.

Pour tenter de se différencier du RN, les macronistes prétendent faussement voir du communisme dans son projet. « Votre programme économique est le plus marxiste qui n’ait jamais été proposé en France depuis une quarantaine d’années », avait carrément déliré Bruno Le Maire à l’Assemblée nationale l’année dernière. Éric Zemmour, tentant comme il peut de se démarquer du RN pour lui prendre des parts de marché, ce qui a été un échec cuisant à toutes les élections pour le moment, affirme que « Sur le budget, je ne suis pas proche du Rassemblement national, le RN est socialiste en économie ». Le programme du RN n’a absolument rien de socialiste. Il ne comprend en réalité aucune mesure de redistribution, rien qui aidera la population au quotidien et la haine que vouent ses dirigeants au monde du travail est explicite.   « Les syndicats sont les croque-morts du monde économique et du travail, ils ne servent à rien », affirme notamment Louis Alliot, vice-président du RN, tandis que Marine Le Pen considérait, pendant la bataille contre les réformes des retraites, que les syndicats « défendent leurs intérêts propres et pas l’intérêt des Français ». Dans la continuité du macronisme, des mesures de répression terrible s’abattraient sur les mouvements sociaux si le RN parvenait au pouvoir. Heureusement, pour  échapper à cette situation, nous savons quoi faire.

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Guillaume Étievant
Guillaume Étievant
Responsable éditorial
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