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Backlash : Que des sales menteuses

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Par Léa Clermont-Dion, autrice de Porter plainte, réalisatrice de Je vous salue salope et La peur au ventre et chercheuse à l’Université Concordia à Montréal.

Les débats autour du consentement prennent une nouvelle ampleur, relancés par des affaires judiciaires comme celles de Puff Daddy (Diddy), Harvey Weinstein et, au Québec, Gilbert Rozon fondateur du festival Juste pour rire, par neuf plaignantes l’accusant d’agressions sexuelles. Ces cas illustrent un backlash contre les avancées portées par #MeToo, qui dépasse les frontières et les systèmes juridiques que cela soit aux États-Unis, au Québec ou en France.

Mais un même «narratif» persiste, au cœur des plaidoyers des accusés comme Diddy, (un rappeur-producteur américain dont le procès a été très médiatisé), ou Rozon : celui d’une victimisation inversée. Les agresseurs se disent victimes d’un grand complot, injuste et effritant l’État de droit. Malgré les preuves accablantes d’exploitation sexuelle, notamment dans le cas de Cassie Ventura et d’autres femmes ayant dénoncé Diddy, les discours de défense tendent à présenter les plaignantes comme des manipulatrices motivées par l’argent ou la célébrité. Ces femmes, dit-on, instrumentaliseraient la justice pour gravir l’échelle sociale, aux dépens de ces hommes puissants, présentés comme les véritables victimes. Gilbert Rozon, dans une tribune publiée dans La Presse, le quotidien le plus lu au Québec, s’est positionné explicitement comme une victime. Il dépeint les femmes qui l’accusent comme des menteuses malveillantes en quête d’enrichissement et affirme être au cœur d’un complot médiatique. Faut-il rappeler que Laurent Ruquier, figure médiatique influente en France, finance sa défense à hauteur de trois millions de dollars ?

Diddy a été inculpé en septembre 2024 pour trafic sexuel et extorsion. Mais c’est lui qui se présente comme une victime… Crédit : Par Nikeush — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Les argumentaires qui émergent dans l’opinion publique ne sont ni surprenants ni nouveaux. Ils mettent en lumière deux constats clairs : une incompréhension persistante du consentement, et le rôle des procès médiatiques dans l’alimentation d’un backlash masculiniste au sein de l’espace public. Le concept de backlash, théorisé par Susan Faludi dans son essai Backlash: The Undeclared War Against American Women, désigne ce phénomène récurrent de retour de bâton qui suit les avancées féministes majeures. Loin d’être nouveau, ce dénigrement a été amplement documenté dans l’histoire. Ainsi, le backlash se manifeste sous diverses formes : discours médiatiques, représentations culturelles, politiques publiques. Il constitue une contre-offensive organisée, souvent insidieuse, qui vise à fragiliser les conquêtes féministes en les discréditant ou en les neutralisant.

À travers mes recherches, je propose une analyse des discours médiatiques entourant le mouvement #MeToo depuis 2017. Un constat s’impose : ce que je désigne comme le « blâme de la victime » s’inscrit au cœur d’une idéologie réactionnaire, nourrie par une compréhension lacunaire de la notion de consentement.1

La culpabilisation des victimes rappelle l’idée que les victimes légitimes qui puissent être prises aux sérieux sont «les parfaites victimes» : celles qui n’ont pas douté, celles qui n’ont pas de passé sexuel, celles qui n’ont pas eu d’ errances dans leur existence. Mais ces victimes parfaites n’existent pas. 

Au Canada, le passé sexuel des plaignantes n’a rien à voir avec l’interprétation du consentement. Le consentement libre et éclairé doit être analysé sous le prisme d’une circonstance particulière, le moment de l’acte. Et la domination sexuelle n’est pas unilatérale. Une victime peut être amenée à refréquenter son agresseur, à lui vouer une certaine admiration, etc. Mais, la victime peut aussi se transformer et reconsidérer sa relation. Ce fut le cas de la trajectoire complexe de Cassie Ventura, ex-compagne de P. Diddy, qui déclare qu’elle a été contrainte pendant dix ans à des relations sexuelles forcées et humiliantes, affirmant avoir perdu toute « envie de vivre ». Le consentement n’est pas figé, c’est une notion qui évolue tout comme la conscience des victimes. Alléguer qu’une victime est une personne, habitée par la vengeance et le gain pécunier, discrédite systématiquement l’autre et vise à la déshumaniser. 

La chanteuse Cassie est une des victimes de P. Diddy. Crédit : lukeford.net, CC BY-SA 2.5 via Wikimedia Commons

La déshumanisation est une stratégie de culpabilisation des victimes bien étudiée en sociologie et en psychologie notamment par Patrizia Romito, dans son essai phare, une référence en la matière, Un silence des mortes: la violence masculine occultée. Romito met en lumière la façon dont l’accusation de victimisation fonctionne non seulement pour minimiser ou nier l’existence de violences, mais aussi pour déshumaniser les victimes.

Romito affirme que l’accusation de victimisation sert à maintenir le statu quo en évitant d’examiner et de remettre en question les structures de pouvoir existantes qui sont souvent à l’origine de la violence. Cela a pour effet de maintenir les victimes dans une position de vulnérabilité et d’empêcher un véritable changement social. Cette déshumanisation des victimes s’opère dans les discours juridiques, par les avocats, dans les médias et aussi sur les réseaux sociaux où la parole s’emporte.

Un autre élément qui revient, notamment dans la tribune signée par Gilbert Rozon la semaine dernière, est le renversement victimaire et la tentative de gaslighting, une forme de manipulation psychologique qui vise à faire douter une personne de sa perception, de sa mémoire ou de sa santé mentale. C’est la stratégie typique de la culpabilisation et de la déshumanisation à l’œuvre.

Rozon présente les accusés du mouvement #MeToo, souvent des hommes de pouvoir, comme les véritables victimes de ce qu’il qualifie de « chasse aux sorcières ». C’est ironique: l’expression renvoie notamment à l’histoire des vagues d’extermination de femmes qui, cherchant à s’émanciper ou à pratiquer des savoirs non conformes à l’ordre patriarcal ou religieux, ont été brutalement réduites au silence. Parfois même, elles ont été brûlées vives.

Gilbert Rozon, à gauche sur l’image, est un magnat de l’humour au Québec. Il est accusé d’agressions sexuelles par neuf femmes et a publié une tribune se prétendant victime d’une « chasse aux sorcières ». Crédit : Par Jean Gagnon — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Sociologue sans sociologie, Rozon s’arroge le droit de faire la morale et se trompe. Ce renversement victimaire est un discours récurrent dans les milieux masculinistes, qu’ils soient marginaux ou plus visibles. Il n’est donc pas étonnant que le mouvement #MeToo soit aujourd’hui dénigré, notamment par certaines franges des jeunes générations.  Depuis 2017, on assiste à une augmentation des mouvements masculinistes en ligne. Ces idéologies sont popularisées par des influenceurs qui prônent un retour aux rôles de genre traditionnels et banalisent, ridiculisent ou ignorent les violences basées sur le genre. Les influenceurs masculinistes, comme Andrew Tate, carburent à cette thèse anti-#Metoo. Hélas, un jeune sur trois en Grande-Bretagne apprécie l’idéologie de Tate. Rappelons que l’antiféministe Roosh V affirmait haut et fort qu’il fallait légaliser le viol dans les lieux privés.

Ces diatribes grotesques et larmoyantes ne sont pas anecdotiques : elles participent à un ressac systémique contre l’émancipation des femmes.

Andrew Tate est aujourd’hui un des influenceurs masculinistes d’extrême droite parmi les plus influents au monde. Crédit : By Anything Goes With James English, CC BY 3.0

Les procès médiatisés de Diddy, Rozon, Pélicot ou encore Depardieu, tout récemment en France, révèlent ce que beaucoup pensent tout bas. Nous vivons un backlash qui renforce les stéréotypes à l’encontre de celles et ceux qui osent dénoncer les agressions sexuelles. Les prédateurs ripostent avec force, véhémence, et les moyens financiers dont ils disposent tentant de réassigner leurs victimes à l’asservissement. Mais cela va plus loin. Étudiant cette question depuis une dizaine d’années, je constate une explosion des discours misogynes axés sur le blâme de la victime, alimentés entre autres par la figure de Donald Trump, lui-même accusé de multiples agressions sexuelles. Trump incarne et promeut une droite décomplexée, viriliste, masculiniste, résolument anti-MeToo. À l’image de sa voix risible, on observe une recrudescence des discours masculinistes en ligne, portés par des influenceurs qui banalisent les violences sexuelles. Ce courroux fielleux prend de l’ampleur et doit être scruté avec vigilance, car il contribue activement à l’érosion des principes d’égalité et de justice sociale. Il faudra admettre le pouvoir des mots, et ceux que j’entends ces jours-ci sont dangereux.

  1.  Clermont-Dion, L. (2025). Blâme de la victime : une analyse dans la presse québécoise (2014 – 2022). Dans M. Potvin, F. Nadeau, S. Tremblay, M.-E. Carignan & M. Colin (Dirs.), Polémiques publiques, médias et radicalités discursives (chap. 8). Presses de l’Université du Québec. ↩︎

Photo de couverture : Léa Clermont-Dion, par Farton Bink

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