B.Y.O.B. de System Of A Down : une satire musicale de l’impérialisme

Pour toute une génération d’ados un peu paumés entre la fin des années 1990 et les années 2000, la plongée dans le nu metal était libératrice. Ce genre bâtard, collision frontale entre rap saccadé, refrains taillés pour les stades et grosses guitares qui cognent offrait un shoot d’émotions brutes, à la fois cathartique et ultra codifié. Si de nombreux groupes de l’époque se contentaient de balancer des rythmiques lourdes pour provoquer des secousses, certains ont utilisé cette rage pour la transformer en un vecteur politique. Rage Against the Machine, évidemment, mais aussi System Of A Down, qui avec B.Y.O.B. (Bring Your Own Bombs) dézingue frontalement l’hypocrisie du système politique et le cynisme de la guerre.
Dans les années qui suivirent les attentats du 11 septembre 2001, ces derniers ont servi de prétexte aux États-Unis pour lancer une série d’interventions militaires sous couvert de la « guerre contre le terrorisme ». On pense en particulier au déclenchement de la guerre en Irak en 2003, justifié officiellement par l’administration Bush par la présence supposée d’armes de destruction massive détenues par le régime de Saddam Hussein. Ces allégations se sont révélées mensongères : cette invasion visait en réalité à asseoir l’influence américaine au Moyen-Orient et à sécuriser l’accès aux ressources pétrolières stratégiques du pays.
Cette guerre, soutenue par une coalition de pays alliés mais ayant fait l’objet de grandes mobilisations sociales pour s’y opposer, a causé la mort d’environ 114 000 Irakiens, et a ensuite plongé l’Irak dans une instabilité durable. La dissolution de l’armée irakienne et du parti Baas sous l’occupation américaine a favorisé l’émergence du terrorisme, notamment l’implantation d’Al-Qaïda en Irak, et la naissance de l’organisation État islamique (Daech). En exploitant le vide sécuritaire et le ressentiment né de l’occupation, Daech a mené des campagnes de terreur à l’échelle régionale et internationale, et fait de nombreuses victimes y compris en France.

C’est dans le contexte de la guerre en Irak que le groupe de nu metal américain System Of A Down, dont tous les membres sont d’origine arménienne, a puisé l’inspiration pour écrire B.Y.O.B. Ce brûlot sarcastique à visée antimilitariste est extrait de l’album Mezmerize, sorti en novembre 2005. Engagé politiquement, le groupe milite activement pour la reconnaissance du génocide arménien et dénonce plus largement l’impérialisme. Malgré les thématiques de ses chansons et l’originalité de son style musical, mêlant métal, sonorité orientale et refrain parfois quasiment pop, il connut rapidement un très grand succès qui ne se dément pas avec le temps. Je vois que sur Spotify la chanson B.Y.O.B a été jusqu’à présent écoutée 667 millions de fois.
Une chanson sarcastique contre les guerres américaines
L’acronyme B.Y.O.B. (« Bring Your Own Bombs ») fait référence à une expression couramment utilisée dans certains établissements, signifiant qu’il est possible d’apporter ses propres boissons (« Bring Your Own Beer »). Dans la chanson, ce double sens se transforme en un jeu de mots offensif : les impératifs « Buy! » (Achète !) et « Obey! » (Obéis !), issus de la décomposition de l’acronyme, apparaissent sur les casques des forces de l’ordre dans le clip. System Of A Down offre ainsi une critique radicale de la société de consommation et de la brutalité du pouvoir pour la faire prospérer.
Dans la chanson, une formule est scandée de nombreuses fois : « Why do they always send the poor?« . Elle agit comme un mantra désabusé : ce ne sont jamais les élites qui se battent, mais toujours les classes laborieuses. L’idée d’une guerre menée par procuration revient tout au long de la chanson. « Why don’t presidents fight the war? », insiste le groupe sur ce sujet en exprimant clairement les buts réels des guerres américaines : « Breaking into Fort Knox » (Elles rentrent par effraction dans Fort Knox), qui est le camp militaire américain où les réserves d’or sont stockées. « Hangers sitting dripped in oil » (Des bourreaux assis dégoulinant de pétrole) « Crying freedom ! » (Hurlent liberté !).
Ces couplets enragés alternent avec un refrain à la sonorité joyeuse et festive :
« Everybody is going to the party »
(Tout le monde va à la fête)
« Have a real good time »
(Amusez-vous bien)
« Dancing in the desert »
(Dansez dans le désert)
« Blowing up the sunshine »
(Faites exploser les rayons du soleil)
Le refrain dansant est alors fracassé par le retour des riffs métal et d’une violence déchaînée, illustrée dans le clip par la police qui tabasse les gens faisant la fête :
« Blast off, it’s party time »
(Mise à feu, c’est la fête)
« And we don’t live in a fascist nation »
(Et nous ne vivons pas dans une nation fasciste)
System Of A Down signifie ainsi que le pouvoir veut faire croire aux citoyens américains qu’ils vivent dans une démocratie exemplaire combattant les dictatures, alors qu’il réprime les libertés et envoie les jeunes mourir pour des intérêts privés. Deux décennies plus tard, les guerres motivées par l’avidité n’ont bien sûr pas disparu et les chansons de System Of A Down sont toujours d’actualité. Le groupe vient d’ailleurs de se reformer pour faire la tournée des stades américains, avec ce mot d’ordre : Wake Up ! (Réveillez-vous !)
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