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Des autoroutes publiques et/ou gratuites, c’est possible

autoroutes

Interrogé par Compléments d’enquêtes, l’ancien secrétaire d’Etat chargé des Transports de Nicolas Sarkozy affirmait qu’avoir des autoroutes gratuites “c’est la démagogie du Rassemblement national et de LFI (…)”. Il ajoutait : “On ne va pas créer France Autoroutes et mettre des fonctionnaires, ce n’est pas sérieux.” Pourquoi ? On ne le saura jamais vraiment. Pourtant, la nationalisation des autoroutes est une possibilité “très sérieuse”. Beaucoup de pays, pas franchement gauchistes, le font déjà. Explications. 

Les autoroutes françaises n’ont pas toujours été privatisées

La gestion publique des routes a une longue histoire en France. Elle débute avec la fondation au XVIIIe siècle du corps des Ponts et Chaussées, des ingénieurs (fonctionnaires) qui ont planifié, construit et entretenu le réseau routier, ferroviaire et hydraulique français. Les Directions départementales de l’équipement (DDE) ont pris le relais, planifiant et supervisant des projets de construction routière, de maintenance et d’entretien des réseaux routiers départementaux. 

Crédit : Photo de kimi lee sur Unsplash

Mais à partir des années 1990-2000, les gouvernements successifs, sous influence néolibérale, ont démantelé les DDE, privatisé et concédé des pans entiers de la gestion autoroutière et notamment les autoroutes à péage, ce qui a ni plus ni moins consisté en un transfert de la rente via les péages vers le privé, sans amélioration pour l’usager, voire pire : une dégradation des routes secondaires faute de budgets publics et en raison de l’entretien désormais sous-traité. Concrètement, les usagers français payent deux fois : une fois via l’impôt pour les routes gratuites, et une seconde fois via les péages très chers pour les autoroutes (construites avec leur argent) et qui ont été concédées.  

Les Français ont payé pour que des capitalistes s’enrichissent ensuite sur leur dos

Alors qu’une tendance démagogique et raciste a émergé sur les réseaux sociaux (“Nicolas paie”) il est intéressant de constater que les contribuables ont, via la privatisation des autoroutes, payé pour offrir une rente aux capitalistes.
En effet, la plupart des autoroutes ont été construites entre les années 1960 et 1990, financées par de la dette et des péages. Depuis, ce modèle de concession est devenu une rente. Les sociétés d’autoroutes, qui sont structurellement rentables, encaissent aujourd’hui des profits bien supérieurs aux coûts d’entretien et de modernisation, sans devoir investir massivement comme à l’origine. Le taux de rentabilité interne est très élevé. Autrement dit, alors que les Françaises et Français ont payé pour ces autoroutes, ce n’est pas l’Etat qui récupère aujourd’hui cet argent mais des profits privés. Si l’Etat exploitait lui-même les péages, les recettes resteraient les mêmes (sauf mise en place de la gratuité) mais reviendraient à 100% à l’Etat au lieu d’alimenter Vinci, Eiffage ou Abertis qui font des records de bénéfices. Le Point parle à ce sujet d’un “jackpot” : “Les dividendes versés aux actionnaires des sociétés d’autoroutes atteindront 76 milliards d’euros d’ici à la fin des concessions en 2036.” Rien que ça. 

Tracé de l’autoroute A69 – Crédit : Ryse93, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

Le projet de l’autoroute A69, entre Toulouse et Castres, illustre bien ce système où des capitalistes peuvent imposer des infrastructures coûteuses et écologiquement néfastes malgré l’opposition d’une grande partie de la population et d’experts qui pointent son impact environnemental. Financé en partie par de l’argent public (subventions, aménagements connexes…), la gestion et les profits futurs reviendront à une société privée. Au lieu de réfléchir à des alternatives moins polluantes, on laisse prospérer des projets au bénéfice de quelques uns, sans retour significatif pour l’État et les usagers. Une nouvelle preuve que cette privatisation des autoroutes alimente une logique court-termiste, incompatible avec les impératifs écologiques et l’intérêt du plus grand nombre.

Des pays où les autoroutes sont publiques

En Allemagne, que la droite prend pourtant toujours en exemple, Die Autobahn GmbH des Bundes gère le réseau autoroutier en totalité depuis le 1er janvier 2021. C’est une société 100 % détenue par l’État fédéral (Bund) en charge de la planification, la construction, l’exploitation, l’entretien et le financement des autoroutes. La privatisation des autoroutes y est tout simplement interdite par la loi. La société publique se finance grâce aux recettes fiscales et à une redevance poids-lourds (LKW-Maut) : les poids-lourds de plus de 7,5 tonnes payent en fonction de leur classe de polluant, leur nombre d’essieux et la longueur du trajet. Aucun “gouffre financier” n’est constaté. 

En Suède, les autoroutes sont publiques et quasiment toutes sont gratuites, sans concession privée à grande échelle, contrairement au modèle français. Elles sont gérées par Trafikverket, un organisme public national, avec du personnel public directement sous l’autorité de l’État. La construction et l’exploitation des routes est plus spécifiquement le fait de Svevia qui est aussi une entreprise publique. 

L’autoroute E4 à Linköping en Suède (Crédit : CC BY-SA 3.0)

Résultat ? Selon l’Autorité internationale de conduite : “Presque toutes les routes de Suède sont à deux voies ou plus dans une direction, avec une excellente couverture routière et un bon éclairage. Tout est parfaitement balisé, signalé ; il y a beaucoup de passages supérieurs, de ponts, de tunnels et d’échangeurs… (…) Il y a tellement de repères et de panneaux sur les routes que le navigateur n’est pratiquement pas nécessaire. Et l’avertissement concernant le virage ou la caméra de circulation peut se trouver un ou deux kilomètres avant l’objet lui-même. Toutes les routes suédoises sont bien éclairées dans l’obscurité.” 

Pareil en Norvège qui fonctionne avec un modèle entièrement public pour la gestion de son réseau autoroutier, personnel inclus. L’agence Statens vegvesen, sous contrôle étatique, s’occupe du simple entretien jusqu’aux grands projets d’infrastructure. Résultat ? Le pays est régulièrement élu le pays d’Europe le plus sûr pour les usagers de la route par le Conseil européen de la sécurité des transports

Au Québec, le réseau autoroutier est entièrement géré par le ministère des Transports, un organisme public. Toutes les fonctions (entretien, exploitation, planification…) sont accomplies par des agents publics, pas par une entreprise privée. Dans les années 1980 a été décidé l’abolition progressive des péages et cela fait consensus depuis. 

Quel bilan pour les autoroutes nationalisées ?

Tout d’abord cela est moins cher pour l’usager. Les trajets sur l’autoroute sont souvent gratuits et financés par l’impôt. Cela évite les hausses tarifaires spectaculaires comme celles observées en France avec les concessions privées. `

Les bénéfices générés par péages ou taxes reviennent à l’État, qui peut les réinvestir dans l’entretien ou dans d’autres infrastructures publiques. À l’inverse, en France, les sociétés privées encaissent des surprofits.

La transparence est meilleure : en gestion publique, les décisions d’aménagement, de tarification ou de priorisation budgétaire sont soumises à débat public. Cela permet plus de transparence sur les coûts réels, les priorités et la gestion à long terme.

S’agissant de l’écologie, il y a, de toute évidence, un enjeu à faire baisser le niveau du trafic autoroutier. De ce point de vue, une renationalisation ou de l’investissement public dans les autoroutes peut paraître paradoxal. Toutefois, un service public des autoroutes permettrait justement de subventionner des modes de transports moins polluants. 

Les exemples étrangers montrent qu’un réseau autoroutier géré directement par l’État est non seulement viable, mais plus avantageux pour les usagers, la transparence et l’environnement. En France, privilégier les concessions privées revient à entretenir un système où les profits privés des capitalistes priment sur l’intérêt général. 


Photo de couverture : Jared Murray sur Unsplash

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Rob Grams
Rob Grams
Rédacteur en chef adjoint
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