Devenir révolutionnaire en regardant la série Andor

Dans une galaxie très très lointaine, une République subit, dans les épisodes 1, 2 et 3 de la célèbre saga Star Wars, des tentatives de déstabilisation répétées et commanditées par son propre chancelier, Palpatine, qui profite de l’ambiance guerrière qu’il a lui-même créé pour lever une armée de clones, faire voter des lois d’exception, réduire à néant le contre-pouvoir constitué par l’ordre des Jedi (ces guerriers bad’ass avec des sabres lasers) puis se faire élire empereur par un Sénat galactique complètement fanatisé. Les premiers épisodes des films Star Wars, qui sont sortis vingt ans après les épisodes 4, 5 et 6, mettent en scène des personnages qui échouent à prévenir cette tragédie. La trilogie suivante se déroule plusieurs décennies après la fin de la démocratie et oppose la rébellion à l’Empire. En 2016, le film Rogue One met en scène un petit groupe de révolutionnaires qui effectue une mission essentielle pour la réussite future de la rébellion. A sa tête, un rebelle du nom de Cassian Andor, brillamment incarné par l’acteur Diego Luna. Le film est un succès critique et populaire et devient le deuxième plus gros succès de la franchise Star Wars. En 2022 est diffusée la première saison de la série Andor, qui a fait le choix de se concentrer sur ce héros populaire et ses camarades, et ainsi de raconter les naissances de l’Alliance rebelle, l’entité qui s’oppose (victorieusement) à l’Empire dans les épisodes 4, 5 et 6 et parvient à restaurer la République.
La saison 1 d’Andor, à succès, est largement à la hauteur voire supérieur au film dont elle se veut le “préquelle” (terme de ciné qui désigne une œuvre qui raconte l’histoire passée des personnages d’une autre œuvre, contrairement à une suite ou sequel en anglais). Elle met en scène les débuts de Cassian Andor et de ses proches, en particulier un duo de révolutionnaires – l’antiquaire Luthen Rael et son assistante Kleya ainsi qu’une sénatrice issue de la classe dominante mais hostile à l’Empire, Mon Mothma, qui depuis la capitale de l’Empire, Coruscant, financent et planifient la lente construction d’un mouvement révolutionnaire. Avec la même minutie, Andor suit les actions de plusieurs membres du Bureau de la sécurité impériale (BSI), une agence de renseignement chargée de réduire à néant les actions rebelles dans la Galaxie. La saison 2, dont les derniers épisodes ont été diffusés en France à la mi-mai, se déroule sur une temporalité plus courte : faute de moyens, les créateurs de la série ont dû augmenter le rythme de la saison, qui met en scène les trois années qui mènent à la mission de Cassian Andor dans Rogue One.
Il y aurait énormément à dire sur les qualités cinématographiques de la série Andor : des personnages intéressants, qui rompent avec les stéréotypes du genre, une bande originale très qualitative réalisée par Nicholas Britell, un très gros travail sur les costumes et les décors, des scènes d’action ultra bien foutues… On peut aussi noter la présence de dialogues réellement utiles, riches et pertinents, qui rompt avec l’habitude plombante prise par certaines séries dans lesquelles les personnages déblatèrent régulièrement des platitudes métaphysiques pendant des plombes.
Il y aurait énormément à dire sur les qualités cinématographiques de la série Andor : un casting assez génial, des personnages intéressants, qui rompent avec les stéréotypes du genre (Cassian Andor n’a pas les caractéristiques physique d’un héros Marvel, les personnages féminins sont autonomes…), une bande originale très qualitative réalisée par Nicholas Britell (compositeur de la BO de Succession), un très gros travail sur les costumes et les décors, des scènes d’action ultra bien foutues… On peut aussi noter la présence de dialogues réellement utiles, riches et pertinents, qui rompt avec l’habitude plombante prise par certaines séries dans lesquelles les personnages déblatèrent régulièrement des platitudes métaphysiques pendant des plombes. Mais dans cette chronique, je me concentrerai sur certains aspects politiques de la série qui me semblent être susceptibles de nourrir, comme beaucoup de fictions (y compris certains films de la saga Star Wars), un imaginaire révolutionnaire utile pour nos propres combats.

1 – Une vision réaliste et exportable du fascisme :
Dans les épisodes 1, 2 et 3 de la saga, l’installation de la dictature de Palpatine se fait de façon très progressive. Le chancelier multiplie les lois d’exception, utilise les tensions géopolitiques et stigmatise ses contre-pouvoirs pour présenter son règne comme une évidence. Contrairement à de nombreuses fictions et à notre propre imaginaire des régimes autoritaires, toujours vus comme le résultat de violents coups d’État reposant sur la terreur, Star Wars met en scène une installation progressive de l’autoritarisme puis du fascisme, si progressive que personne ne mesure vraiment ce qui se prépare. Dans l’épisode 3, La Revanche des Siths, on assiste médusé à un “auto-coup d’Etat”, c’est-à-dire lorsque c’est le chef d’un gouvernement qui transforme son pouvoir de représentation démocratique en un pouvoir dictatorial. C’est une forme d’instauration de dictature assez répandue (en France, c’est Napoléon III, président de la République, qui s’est proclamé empereur par exemple) mais l’imaginaire dominant des dictatures représente celles-ci comme des menaces extérieures : le “péril brun”, “la bête immonde”, la bourgeoisie culturelle française raffole de métaphores pour faire de l’autoritarisme et du fascisme un ailleurs, dont il faudrait protéger “la République”.
Dans Star Wars, le ver est déjà dans le fruit, il est déjà à la tête de l’Etat, cette République déjà coloniale qui arrime de force des systèmes solaires à son emprise, et il franchit les limites si progressivement que l’instauration de l’Empire, validée par le Sénat Galactique, est accueillie sans surprise, avec joie. Cela a donné cette scène célèbre de l’épisode 3, régulièrement utilisée sur les réseaux sociaux pour commenter les progrès de l’autoritarisme en France, aux Etats-Unis et ailleurs : “Ainsi s’éteint la liberté, sous une pluie d’applaudissements”, commente la sénatrice Padme Amidala au moment où le Sénat fait du chancelier un empereur (comme en juillet 1940 lorsque l’Assemblée nationale a voté les pleins pouvoir au Maréchal Pétain et la fin de la République).
La série Andor met en scène la normalité du fascisme et la dictature, et c’est selon moi l’une de ses plus grandes forces : si le niveau de répression monte au fur et à mesure que le temps passe, certains lieux et certains personnages de la série vivent une vie relativement “normale”. Le fascisme n’est pas toujours visible et surtout il touche certaines catégories de la population plus que d’autres, certains quartiers plus que d’autres.
La bourgeoisie française a lentement travaillé à faire du fascisme un ailleurs, un fléau qui nous est arrivé de l’étranger, et l’imagerie du fascisme est empreinte de cette idée d’une vie totalement différente, avec un officier nazi derrière chaque citoyen, des massacres et des brimades continuelles, à tel point que, lorsque l’on parle, dans Frustration, du “déjà-là fasciste” qu’on constate depuis l’arrivée au pouvoir de Macron, on nous rétorque que c’est impossible, car le fascisme c’est “tout autre chose”. La série Andor met en scène la normalité du fascisme et la dictature, et c’est selon moi l’une de ses plus grandes forces : si le niveau de répression monte au fur et à mesure que le temps passe, certains lieux et certains personnages de la série vivent une vie relativement “normale”. Le fascisme n’est pas toujours visible et surtout il touche certaines catégories de la population plus que d’autres, certains quartiers plus que d’autres. Le fascisme, ce n’est pas une vie triste et grise pour tout le monde : certains s’en sortent très bien, et continuent de faire la fête, comme le montre bien Andor qui met en scène la vie luxueuse de l’entourage familial et professionnel de la sénatrice Mon Mothma. Mais dans les “bas-fonds”, dans les zones ouvrières et pauvres, la violence s’exerce de façon plus pesante et gratuite.
En France aussi, dans certains quartiers, on vit en démocratie – la police ne contrôle personne, la vie est belle, on sourit et on respire – tandis que dans d’autres les vies sont entravées par le harcèlement policier et patronal. Ce n’est pas « soit on vit en démocratie, soit on vit en dictature » : tout le monde ne vit pas et ne subit pas le même régime. Andor montre ces mécanismes et, en montrant la terrible normalité du fascisme, qui s’exerce pleinement sur les prisonniers, les planètes les plus pauvres et exploitées et, évidemment, les résistants, mais pas ou peu sur les habitants citadins aisés de Coruscant, elle nous permet de sortir de notre aveuglement. Le fascisme et l’autoritarisme ne sont pas des menaces extérieures à qui l’on peut “faire barrage”. Ce sont des phénomènes internes, portés par nos propres élites, qui s’exercent déjà largement et qui s’étendent : ils doivent être contenus et combattus.

2 – “Génocide” : le courage, c’est de prononcer le mot (Attention spoilers)
Si Andor met en scène la banalité et la normalité de la vie sous le fascisme, la série ne minimise pas la brutalité extrême que l’Empire utilise à des moments choisis. Des scènes de massacres de masse, parfois très dures, ponctuent la série. Dans la saison 2, c’est sur la planète Ghorman, imaginée comme un univers ressemblant fortement à la France (la langue inventée a une tonalité proche du Français, les habitants sont spécialisés dans le textile et la mode…), que cette violence s’exerce de la façon la plus brutale.
Le cas Ghorman est intéressant : il montre que la violence d’une dictature n’est pas forcément gratuite (même si les forces policières à qui on lâche la bride y ont régulièrement recours), elle est liée à des impératifs financiers et, surtout, coloniaux. Cette planète, dont le sous-sol contient un minerai particulièrement essentiel aux projets de l’empereur, doit être vidée de ses habitants. Mais plutôt que d’assumer ce geste inconcevable pour les habitants de la Galaxie, le BSI infiltre et encourage le développement d’une résistance qui procède à des actions violentes. Accompagné par un appareil médiatique aux ordres, l’Empire tente de monter le reste de la population contre les habitants de Ghorman, afin de justifier une action de représailles. Isolés, piégés, les habitants subissent une répression de masse, présentée comme inévitable par la propagande impériale.
Cet épisode de la série, sans doute le plus marquant, mène, dans l’épisode suivant au dernier discours de Mon Mothma en tant que sénatrice : elle dénonce, sous les cris de ses collègues, un “génocide”. “Ce qu’il s’est produit hier sur Ghorman est un génocide complètement injustifié. Oui, un génocide !” Contrairement à la majeure partie des journalistes et politiques français et américain, Tony Gilroy, le réalisateur, et Genevieve O’Reilly, qui incarne la sénatrice à l’écran et a écrit son propre discours, ne définissent pas de pourcentage de la population à exécuter pour oser prononcer le mot de génocide. Ils mettent en scène une responsable politique qui, contrairement à Emmanuel Macorn, n’attend pas que des “historiens” le disent pour oser parler de génocide. Le discours a été écrit avant le début du génocide des palestiniens de Gaza, et n’est donc pas une référence volontaire à cette horreur, mais les spectateurs de 2025 ne peuvent y voir autre chose.
« Ce qu’il s’est produit hier sur Ghorman est un génocide complètement injustifié. Oui, un génocide !”
Discours de Mon Mothma, Andor, saison 2
Il me semble que cette scène, qui fait écho aux propos de Padme Amidala dans l’épisode 3, entrera dans l’histoire des séquences de Star Wars qui mettent en scène le courage politique, et qui contraste cruellement avec la lâcheté qui domine chez nos classes dirigeantes. Il montre aussi ce qu’il en coûte, dans des régimes autoritaires, d’oser parler de génocide, puisque la sénatrice est pourchassée. Une semaine après la diffusion de cette épisode de la série, plusieurs opposants au génocide palestinien dont Ben Cohen, patron américain engagé, ont été arrêté et menotté pour avoir lancé, en pleine réunion du Congrès à Washington : “Le Congrès tue des enfants à Gaza en livrant des bombes et finance cela en excluant, aux Etats-Unis, des enfants du programme Medicaid !”. Aux Etats-Unis, comme en France ou en Allemagne, parler de génocide peut vous exposer à de gros ennuis, y compris judiciaires.

3 – “Essayez” : 3 croyances indispensables à l’espoir révolutionnaire
Ces dernières années, à mesure que la situation politique se tend en France, que le fascisme s’étend aux Etats-Unis, il est de plus en plus courant d’entendre parler, à gauche, d’espoir. Moi-même j’ai eu souvent tendance à invoquer cette notion, finalement fort abstraite et incantatoire. Elle ne repose souvent sur rien de concret : c’est une posture psychologique à adopter pour “tenir”, mais elle prend une dimension mystique quand elle ne s’adosse à rien qui permette de la nourrir. Qu’est-ce qui peut vraiment nous donner espoir ? C’est la question qu’il faut se poser avant de l’invoquer.
C’est la question que se posent constamment les personnages d’Andor, comme dans beaucoup de fictions mettant en scène des individus en prise avec un système écrasant. L’Empire de Star Wars est tétanisant, à l’image des fameux Stormtroopers, ces soldats clones en armure blanche, qui exécutent froidement les ordres sans le moindre état d’âme, des vaisseaux TIE qui volent à basse altitude en faisant résonner leur bruit si reconnaissable et inquiétant… Comment tenir, dans ces conditions ?
« Rappelez-vous ceci : le besoin impérial de contrôle est si désespéré parce qu’il est tellement contre-nature. La tyrannie nécessite des efforts constants. Ça casse, ça fuit. L’autorité est fragile. L’oppression est le masque de la peur.«
Manifeste de Nemik, Andor, saison 1
Les personnages de la rébellion oscillent entre espoirs et désespoirs et, il me semble, de façon particulièrement subtile. Cassian Andor est lui-même un sceptique, un poil cynique, qui rejoint le camp révolutionnaire sans pour autant être d’un optimisme à toute épreuve. Mais il y a un discours clef qui, tel un fil rouge, est prononcé dans le premier épisode de la saison 1 et repassé, par des impériaux accablé par la constitution de l’alliance rebelle, dans l’épisode final de la saison 2. Il est extrait du manifeste écrit par un jeune révolutionnaire, Nemik, unique théoricien rencontré dans la série et certainement inspiré de ces auteurs passionnés comme Lénine, Hô Chi Minh ou Thomas Sankara, qui ont tous commis des écrits de jeunesse théorisant leurs luttes futures. Voici ce discours :
“Il y aura des moments où la lutte semblera impossible. Je le sais déjà. Seul, incertain, éclipsé par l’ampleur de l’ennemi.
N’oubliez pas ceci : la liberté est une idée pure. Elle se produit spontanément et sans instruction. Des actes d’insurrection aléatoires se produisent constamment dans toute la galaxie. Il y a des armées entières, des bataillons qui ne savent pas qu’ils sont déjà engagés dans cette cause.
Rappelez-vous que la frontière de la Rébellion est partout. Et même le plus petit acte d’insurrection fait avancer nos lignes.
Et rappelez-vous ceci : le besoin impérial de contrôle est si désespéré parce qu’il est tellement contre-nature. La tyrannie nécessite des efforts constants. Ça casse, ça fuit. L’autorité est fragile. L’oppression est le masque de la peur.
Souviens-toi de ça. Et sachez-le, le jour viendra où toutes ces escarmouches et batailles, ces moments de défi auront inondé les rives de l’autorité des Empires et alors il y en aura un de trop. Une seule chose brisera le siège.
N’oubliez pas ceci : essayez.”
L’espoir ici repose sur trois croyances : d’abord, celle du caractère irrépressible du désir de liberté chez les humains, qui alimente toujours la résistance. Personne n’accepte de se soumettre éternellement. Ensuite vient la croyance dans la fragilité intrinsèque de toute domination : aucune ne dure ad vitam æternam. Il me semble qu’Andor parvient à très bien montrer cela dans son traitement des personnages qui défendent l’Empire : certes, ils ont des immenses bâtiments, des vaisseaux et des uniformes impressionnants, mais ils sont brouillons, impulsifs, en rivalité les uns par rapport aux autres et enchaînent les échecs patents du début à la fin la série. Ils n’ont que l’apparence de l’omnipotence. C’est aussi vrai dans notre monde réel, où les dictatures finissent toujours par s’effondrer. Même les régimes autoritaires et organisés connaissent des moments de flottement : début décembre 2018, Macron et la police française ont failli perdre le contrôle des rues de Paris, surpris par un nouveau mode de manifestation qu’ils n’avaient jamais connu.
L’espoir dans Andor repose sur trois croyances : d’abord, celle du caractère irrépressible du désir de liberté chez les humains, qui alimente toujours la résistance. Personne n’accepte de se soumettre éternellement. Ensuite vient la croyance dans la fragilité intrinsèque de toute domination : aucune ne dure ad vitam æternam. Puis, c’est parce qu’on ne sait pas quel est cet événement déclencheur du basculement que l’on doit “essayer”, ce qui est un vrai mot d’ordre révolutionnaire.
On trouve dans le manifeste de Nemik cette troisième croyance ou principe révolutionnaire : celui de l’événement imprévisible qui fera tout basculer. C’est effectivement le cas dans toute révolution : il y a un acte isolé et restreint qui entraîne des conséquences en cascade. Un “effet papillon” révolutionnaire qui s’est produit au début du Printemps arabe (le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur, se suicide par immolation à Sidi Bouzid, en Tunisie, ce qui déclenche grèves et manifestations qui s’étendent ensuite dans les pays voisins et entraînent la chute de plusieurs régimes dictatoriaux), du mouvement des Gilets jaunes (des personnes lancent l’idée, sur Facebook, de mettre leur gilet jaune sur leur tableau de bord pour montrer leur exaspération contre un projet de nouvelle taxe) etc. C’est parce qu’on ne sait pas quel est cet événement déclencheur que l’on doit “essayer”, ce qui est un vrai mot d’ordre révolutionnaire.

4 – L’impuissance parlementaire mise en scène
S’il est une constante de la saga Star Wars c’est de mettre en scène, de façon astucieuse, l’impuissance des élus de la République galactique, qui semble être une forme de régime ultra représentatif (puisqu’il y a un sénateur par… planète). Padme Amidala, dans les épisodes 2 et 3, et Mon Mothma, dans la série Andor, sont des sénatrices qui passent une grande partie de leur temps à déambuler dans les couloirs du Sénat galactique en ruminant et en tentant des actions législatives qui échouent.
Dans Andor, le Sénat est toujours en activité : un rappel salutaire du fait qu’une dictature n’implique pas nécessairement la fin des élections ou du Parlement. Toutes les dictatures du monde comportent toujours les deux. Ils sont simplement sans effet sur le cap politique poursuivi.
Dans les épisodes 2 et 3, la République voit les pouvoirs du Parlement se réduire progressivement. La sénatrice Amidala échoue à empêcher la création d’une armée de la République (les futurs Storm troopers) et c’est bien le Sénat qui valide la création d’un Empire. Dans Andor, le Sénat est toujours en activité : un rappel salutaire du fait qu’une dictature n’implique pas nécessairement la fin des élections ou du Parlement. Toutes les dictatures du monde comportent toujours les deux. Ils sont simplement sans effet sur le cap politique poursuivi. Dans Andor, les sénateurs sont des gens qui organisent de somptueuses fêtes pour leurs élections et qui cherchent à faire valoir le point de vue de leur planète, sans rapport de force, et sans oser froisser l’Empire. La seule utilité du Parlement est de faire de beaux discours, ce qui n’est pas sans effet, comme le montre la dénonciation du génocide par Mon Mothma. Mais c’est bien une arène de spectacle, à investir comme telle. Une leçon que certains députés, dans le régime autoritaire français actuel, ont mieux comprise que d’autres…

5 – Des révolutionnaires qu’on ne déshumanise pas
Entre 2015 et 2022, The Expanse a précédé Andor dans la liste des séries du genre Space Opera à gros succès d’estime. Dans l’univers futuriste de The Expanse, la terre gouvernée par l’ONU est en guerre froide avec son ancienne colonie, la planète Mars, pour le contrôle des ressources minières situées sur des astéroïdes et des lunes. Un troisième camp, celui des prolétaires de l’exploitation spatiale, les ceinturiens, est représenté dans la série, composé de révolutionnaires désireux de s’émanciper de l’oppression économique et militaire des deux puissances.
Dans The Expanse, les révolutionnaires sont revanchards, haineux et mafieux. Ils n’ont guère de projet politique clair et la série, dans un narratif très bourgeois, nous montre qu’il ne faut pas être manichéen et qu’il y a des gentils et des méchants partout.
Le héros de The Expanse, un BG à mâchoire carrée et corps d’influenceur Cross Fit, navigue entre les protagonistes, avec une préférence pour les révolutionnaires systématiquement tempérés par la nature de ces derniers : ils sont revanchards, haineux et mafieux. Ils n’ont guère de projet politique clair et la série, dans un narratif très bourgeois, nous montre qu’il ne faut pas être manichéen et qu’il y a des gentils et des méchants partout. D’ailleurs, quand les révolutionnaires arrivent au pouvoir, ils reproduisent la même violence et le même type de société. C’est aussi, en partie, la conclusion d’une série comme Snowpiercer, qui met en scène la rébellion des habitants pauvres et exploités d’un train infini, dernier refuge de l’humanité après l’avènement d’une ère glaciaire. Comme dans The Expanse, la révolution ne change pas grand-chose, comme les révolutionnaires sont avant tout des gens animés par l’esprit de revanche.
A plusieurs reprises, dans Andor, j’ai cru que la série allait nous servir la même soupe relativiste et moralisatrice : et si les révolutionnaires n’allaient pas trop loin ? S’ils n’étaient pas devenus des machines avides de sang, rongées par la violence et le secret ? Et ces agents du BSI, ne sont-ils pas humains aussi, dans leur désir légitime d’élévation sociale ? A chacun de ces moments de flottement, évidemment intéressant pour l’intrigue, Andor répond clairement : c’est bien la rébellion qui est dans le vrai et dans le juste.
La fiction littéraire ou cinématographique tend à décrire les révolutionnaires comme des gens traumatisés par une “origin story” qui leur donne un appétit insatiable de vengeance. Ce n’est pas le cas des personnages d’Andor. C’est en fait assez rare : la série prend au sérieux l’idéal révolutionnaire quand la plupart des fictions le lie à un motif purement personnel (une crise existentielle, une vengeance…) ou à un idéal abstrait et froid, qui justifierait tous les sacrifices.
Dans une scène de funérailles d’anthologie, un autre discours (décidément, Andor sait les mobiliser) raconte le passage de l’indifférence à la résignation puis à la révolte. C’est ce chemin-là que les personnages connaissent. Sans jamais se départir de leur humanité : ce ne sont pas des machines, pas des avant-gardes froides indifférentes au sort de leurs proches et à leur propre désir. Ils adhèrent à une cause, pour les autres ET pour eux-mêmes : c’est possible. La fiction littéraire ou cinématographique tend à décrire les révolutionnaires comme des gens traumatisés par une “origin story” qui leur donne un appétit insatiable de vengeance. Ce n’est pas le cas des personnages d’Andor. C’est en fait assez rare : la série prend au sérieux l’idéal révolutionnaire quand la plupart des fictions le lie à un motif purement personnel (une crise existentielle, une vengeance…) ou à un idéal abstrait et froid, qui justifierait tous les sacrifices. La série elle-même ne sacrifie pas ses personnages inutilement, pour le principe : leur vie ou leur mort n’est pas secondaire par rapport à l’idéal.

Des fictions au service de la révolution ?
S’il me semble qu’il est nécessaire de prendre autant au sérieux l’imaginaire politique véhiculé par une série comme Andor, alors qu’elle n’est conçue ni par des activistes écologistes ni par des universitaires marxistes, c’est parce que notre histoire sociale nous apprend que les fictions jouent un rôle autant voire plus déterminant que les théories dans l’élaboration de notre imaginaire révolutionnaire. Et je le dis sans nier la nature évidemment divertissante d’une série produite par la plateforme Disney+ : évidemment qu’Andor n’est pas un séminaire de marxisme et qu’on regarde cette série pour passer un bon moment. Mais chez la plupart des gens, les idées que l’on se fait du monde et de la société sont largement liées aux images véhiculées dans des fictions. Nos adversaires l’ont d’ailleurs bien compris, comme le montrait Juliette Collet dans son article sur la glamourisation de l’armée au cinéma. Mais nous, on se méfie : d’abord parce que les cordons de la bourse cinématographique ne sont pas entre nos mains, et que les séries à succès sont hors de notre contrôle. Mais aussi par un certain esprit de sérieux qui associe la politique en général et la Révolution en particulier à un savoir livresque et, si possible, académique.
S’il me semble qu’il est nécessaire de prendre autant au sérieux l’imaginaire politique véhiculée par une série comme Andor, alors qu’elle n’est conçue ni par des activistes écologistes ni par des universitaires marxistes, c’est parce que notre histoire sociale nous apprend que les fictions jouent un rôle autant voire plus déterminant que les théories dans l’élaboration de notre imaginaire politique et social. Et ça, nos adversaires l’ont bien compris.
Pourtant, les fictions contribuent aux révolutions. Dans Les origines culturelles de la Révolution française, publié en 1990, l’historien Roger Chartier se donne pour mission d’identifier “les mutations de croyances et de sensibilité qui rendront déchiffrable, acceptable, la destruction si rapide et si profonde de l’ancien ordre social”. Et ce qu’il identifie à la racine de ces mutations, ce n’est pas tant la diffusion (limitée) d’œuvres théoriques des auteurs des “Lumières” que celle de toute sorte d’écrits, y compris des romans et des feuilletons, dont la lecture fait partie de ces pratiques qui mettent à distance l’ordre social et créent de la réflexivité sur notre propre situation. Il ne faut donc pas négliger l’importance des productions peu nobles, divertissantes et commerciales pour comprendre les mutations politiques d’une époque.
Et par extension, si l’on veut provoquer des mutations politiques, ou les identifier au présent, il ne faut pas négliger ce que des productions aussi populaires que les séries engendrent. Star Wars et son univers en font partie. Que provoquent-elles en nous, hormis des actes d’achat, la franchise Star Wars étant aussi une usine à goodies, Légo, jeux vidéos, etc. ? Qu’est-ce que l’esthétique et le message d’une série comme Andor peuvent engendrer ? Peut-être rien du tout. Peut-être simplement une réserve de nouveaux memes pour la rébellion en ligne, ce qui n’est pas rien, mais pas non plus dément. Peut-être davantage. En tout cas, en parlant d’Andor et en mettant en avant la rupture que la série introduit dans la représentation des idéaux révolutionnaires, “j’essaye”.

Nicolas Framont
Rédacteur en chef
