logo_frustration
U

Léa B. nous a écrit suite à notre appel à témoignage qui a suivi notre analyse du projet de travail bénévole au RSA présenté par Macron. Cela a donné lieu à cet article regroupant les nombreux témoignages que nous avons reçus. Mais le courrier de Léa est particulièrement frappant. Ce qu’il décrit pourrait être le récit d’un thriller psychologique, sauf que c’est un récit qui concerne des milliers de gens victimes d’institutions dont la raison d’être est de les protéger et de les “orienter”. Ce récit est par certains cotés insoutenable. Il nous rappelle ce à quoi ce pays s’est habitué, ce contre quoi nous devons tous nous battre. Merci à Léa pour ces mots et le courage de raconter les choses telles qu’elles sont.


Être au RSA, c’est constater que le sort de sa vie est remis entre les mains de gens extérieurs à soi. Des gens qui ne vous connaissent ni d’Eve ni d’Adam, qui ont très probablement des préjugés de classe, qui acceptent de travailler pour un organisme dont il est assez évident aujourd’hui qu’il sert plus à culpabiliser les gens, les menacer qu’à les aider ou au moins les écouter. Je n’exclus pas le fait qu’il reste des conseillers attentionnés et ouverts et que ce système répugne, je présume simplement qu’ils sont loin d’être la majorité.

Je dois faire une distinction entre être suivi par Pôle Emploi et le département : Quand on fait la demande de RSA, on choisit si notre sort va être remis entre les mains de Pôle Emploi ou du département, ce dernier cas est si vous estimez ne pas être en mesure de chercher un emploi. Dans ce cas, il va falloir argumenter, avoir de “bonnes raisons”, en tout cas des raisons que le département jugera légitimes, ou non.

Si votre souffrance et votre incapacité sont jugées légitimes, il faudra qu’elles soient confirmées à nouveau tous les 3 mois ou tous les 6 mois

C’est très violent de devoir parler à une personne inconnue de ses traumatismes et de ses difficultés sociales, à plus forte raison quand ils toujours brûlants, lors d’un rendez-vous qui vous a été imposé et qui va décider de si votre vie connaîtra un soulagement très précaire ou si l’on va vous pousser encore plus à bout (en vous forçant à aller à pôle-emploi).

Si votre souffrance et votre incapacité sont jugées légitimes, il faudra qu’elles soient confirmées à nouveau tous les 3 mois ou tous les 6 mois (peut-être tous les ans pour certains?), dans de nouveaux entretiens. Le courrier postal vous informant du rendez-vous étant envoyé moins d’une semaine à l’avance, vous avez intérêt à ne pas quitter plus de quelques jours votre domicile, vous risquez sinon la radiation pour n’avoir pas été présent au rendez-vous.

Votre angoisse vis-à-vis de votre situation ne vous quitte donc jamais. Vous culpabilisez d’être dans cette situation, d’être dépendant d’autrui pour savoir si demain vous pourrez encore manger et avoir un toit.

Votre angoisse vis-à-vis de votre situation ne vous quitte jamais.

Venons-en maintenant au cas où vous êtes suivi par Pôle Emploi. J’ai une simple anecdote ,concernant un proche, à vous raconter pour que vous compreniez bien : X, un peu moins de 50 ans, a été agressé à côté de son domicile situé en rez-de-chaussée, apparemment sans motif. Un groupe de 5 jeunes l’a frappé à coup de pieds au visage alors qu’il était à terre.

Fracture au-dessus de l’œil, hématome intra-cérébral qui aurait pu être fatal, douleurs et maux de tête insoutenables, visage tuméfié. Après plusieurs semaines X s’en remet physiquement, et après un dernier rendez-vous à + de 2h aller de voiture, car aucun spécialiste n’était disponible plus proche, on peut dire que X s’en sort définitivement et miraculeusement sans séquelles physiques, mais sûrement pas sans séquelles psychologiques.

X est traumatisé à l’idée de rester à son domicile, car angoissé de peut-être recroiser ce groupe qui traîne souvent dans les parages, son logement étant situé en rez-de-chaussée, il peut donc être vu depuis la rue. X a fait une demande de hlm dans un département lointain, où il y a plus d’emploi et où il espère être moins isolé.

Après 2 heures de réunion humiliante, l’agacement se fait sentir. Il y a ici réunis des gens qui ont pour la plupart travaillé toute leur vie, tenté de nombreuses choses, mais dont la conjoncture fait qu’ils sont trop vieux pour être embauchés, ou que leur situation est trop compliquée.

Quelques mois après, et avec de la chance qu’il ne soit pas arrivé plus tôt, un rendez-vous pôle-emploi tombe. C’est un rendez-vous spécial, qui se passe quelques jours avant l’annonce de Macron de conditionner le RSA à de l’activité (hasard?).

La première partie du rendez-vous se déroule comme suit : une dizaine de personnes au RSA divisée en petits groupes, avec un conseiller par groupe affirmant “nous sommes là pour vous aider”, et du personnel divers de pôle-emploi. Il ya plus de personnel de Pôle Emploi que de gens au RSA, il y a aussi le directeur.

Des questionnaires très infantilisants sont donnés (par exemple “qu’est ce que le marché de l’emploi?”), il faut répondre ensuite en levant la main à ces questions, avec l’impression d’être traités comme des enfants de primaire.

Vers la fin, après 2 heures de réunion humiliante, l’agacement se fait sentir. Il y a ici réunis des gens qui ont pour la plupart travaillé toute leur vie, tenté de nombreuses choses, mais dont la conjoncture fait qu’ils sont trop vieux pour être embauchés, ou que leur situation est trop compliquée. Les gens se plaignent du fait qu’on leur change de conseiller très régulièrement, ce sans raison, qu’il n’y a donc pas de possibilité de créer du lien. Que Pôle Emploi ne fait rien pour aider réellement. Que les services sont injoignables.

Ensuite, rendez-vous individuel. Le “nous sommes là pour vous aider” se transforme en “nous sommes là pour vous imposer un avenir que vous ne souhaitez pas et qui vous conduira au fond du trou”. Malgré l’explicitation de sa situation personnelle compliquée, la conseillère veut à tout prix lui refourguer une formation “pour définir un projet professionnel” 35h/semaine pendant 2 à 3 mois (cela diffère selon le lieu de formation). Celle qu’elle tente de lui imposer est située à deux lignes de bus de son domicile, au grand minimum deux heures de transport par jour, + attente car les horaires de bus ne sont jamais accommodants. Elle n’a pas l’air de s’en soucier, elle insiste.

Il lui répète qu’il a failli perdre la vie, et qu’avant de revenir à “la vie active” (sa vie étant pourtant loin d’être inactive), il souhaiterait pouvoir déménager. Il insiste sur le fait qu’il a failli perdre la vie. Et là, la conseillère lui dit  “Oui, et bien moi, on m’a volé des affaires dans ma voiture deux fois en une semaine”.

Ce n’est pas une blague. Voilà le degré d’humanité de certains conseillers. Mettre au même niveau ses petits effets personnels et la vie d’une personne, voire même à un niveau supérieur pour invalider son argument. Après plus d’une demi-heure de négociation très intense, la conseillère a fini par céder et l’orienter vers le département, mais il en est fallu de peu pour qu’elle l’inscrive de force à cette formation dont je n’ai aucun doute qu’elle est extrêmement infantilisante. Fin de l’anecdote.

Il insiste sur le fait qu’il a failli perdre la vie. Et là, la conseillère lui dit  “Oui, et bien moi, on m’a volé des affaires dans ma voiture deux fois en une semaine”.

Je peux vous dire que peu de personnes auraient eu la force ou les moyens de se battre contre cette conseillère. D’autres auraient cédé, les larmes aux yeux, la mort dans l’âme..

Je peux vous certifier que personne n’est au RSA en ayant une santé mentale d’acier. Il y a parmi ces personnes des gens qui, entre choisir entre un boulot minable qui va les user plus encore, et la mort, “préférons” (seront poussés à) la seconde option.

Maintenant parlons des conditions de vie au RSA :

Commençons par dire que pour une personne sans aucun revenu, le RSA est de 506,46 € depuis avril 2022 (497€ auparavant) et non de 575,52€ comme beaucoup de gens disent. Les seules personnes qui peuvent prétendre à ces 575,52 € sont ceux ne recevant pas d’APL. Il faut savoir qu’il est très dur de demander le RSA sans avoir d’adresse, il faut demander sa domiciliation au CCAS (ou autre) qui peut être refusée et qui sinon est accordée pour une durée d’un an.

Si vous touchez le RSA en couple, vous disposez de 300 euros de moins que deux personnes au RSA seules (725,16 €). Même si être à deux permet d’économiser un peu, ces économies ne sont pas de l’ordre de 300 euros. 376€ par mois par personne avec un loyer, l’électricité, le gaz, se nourrir, et peut-être avoir une voiture pour trouver un travail si on est à la campagne, personne ne peut s’en sortir avec seul ce montant et rien à côté, personne.

Si votre conjoint trouve un emploi, vous n’aurez probablement plus le droit au RSA. Si vous vous séparez, bonne chance pour trouver un nouveau logement avec 376 euros dans la poche (de plus il me semble que le RSA est versé sur un seul compte et non divisé en deux, je n’ai pas trouvé d’info pour vérifier), si tant est que la CAF considère votre séparation légitime. Votre seul choix est de retourner chez Papa-Maman, car il est très compliqué d’être hébergé chez un ami quand on est au RSA : la CAF peut décider par exemple, si les deux personnes n’ont pas le même sexe, après un contrôle, qu’ils sont en couple. Les revenus de l’autre personne seront alors pris en compte.

Si vous avez quelques sous sur votre livret A, il faut déclarer les intérêts (dérisoires de toute façon), qui sont considérés comme revenus, et une part sera donc déduite. Si votre famille vous fait un petit virement pour vous aider, vous êtes censés le déclarer, ce montant sera déduit de votre RSA (et s’il est trop conséquent, vos droits seront coupés). Quoique ce soit que vous tenterez pour améliorer votre situation (par exemple vendre votre téléphone/ordinateur/…) doit être déclaré puis déduit de votre RSA. Si vous décidez de ne pas céder au chantage, vous vivez dans la peur d’un contrôle de vos comptes.

Si vous vivez dans un endroit où il y a très peu d’emploi, voire pas du tout, et que vous envisagez de déménager, bon courage. Votre seule manière de partir est par une demande de logement social, il vous faut alors attendre des mois, et vivre en vous demandant si vous allez pouvoir déménager demain, dans un mois, ou dans un an, trois ans : le flou total, l’impossibilité de vous projeter, de construire quoique ce soit.

Si maintenant, vous trouvez un CDD de trois mois (et en passant sur la “qualité” de celui-ci), que celui-ci commence le mois après la déclaration de vos ressources trimestrielles pour simplifier, vous toucherez le RSA en plus de votre salaire pendant ces 3 mois, mais à la fin de votre CDD, suite à la nouvelle déclaration trimestrielle, vous n’aurez plus le droit au RSA pendant 3 mois, ni au chômage. Oui, il faudrait dans ce cas idéalement mettre de côté le RSA perçu en plus du salaire, pour se le verser pendant ces mois de trous.

Quoique ce soit que vous tenterez pour améliorer votre situation (par exemple vendre votre téléphone/ordinateur…) doit être déclaré puis déduit de votre RSA.

Mais déjà, il faut être au courant de ça, et d’autre part, tant que vous n’avez pas connu ce qu’est de vivre dans un monde de consommation intense en ayant même pas les moyens de manger des choses qui vous donnent de l’appétit, quand vous n’avez pas les sous de réparer votre voiture, de vous éloigner de votre domicile probablement pourri pour prendre l’air, d’avoir une vie sociale, que donc, vous vivez en permanence depuis des mois dans un niveau de frustration et de délaissement intense, vous ne pouvez pas comprendre à quel point il est difficile dans ce cas, de ne pas se faire plaisir. Et on parle d’un plaisir qui frôle en fait la nécessité: des habits neufs, chauds qu’on avait pas les moyens de s’acheter, des meubles même d’occase qui nous manquaient, des livres (et oui, bien dur de se payer un livre quand on est au RSA), un cadeau quand pour une fois on peut faire ce plaisir à ses proches, rembourser ce qui nous avait été prêté dans l’urgence, etc etc. La tentation est grande, et elle ne relève en rien du luxe.

Et je ne parle pas des mères célibataires au RSA, des couples avec enfant. Je vous laisse utiliser votre imagination pour tenter de vous rendre compte.

Voilà la belle vie de ces feignants de gens RSA, qui passent très certainement leurs journées couchés au lit à regarder le plafond sans bouger le moindre de leur muscle.

Qui n’ont sûrement pas à cœur de s’informer, de donner de leurs moyens pour tenter de construire, reconstruire de belles choses, ou au moins de refuser ce chantage du travail aliénant qui alimente le système qui les traque.

Nous devons rendre visibles les luttes invisibles, visibles et coordonnées dans l’action. Pour que les luttes deviennent la lutte, celle qui est tellement puissante qu’elle en devient irrésistible.” (Lordon)

Merci Frustration, entendre des gens dont la voix porte un peu plus loin que la nôtre d’exprimer la même colère que nous, c’est un petit peu nous délivrer.


Pour témoigner de situations vécues ou entendues, pour vous exprimer sur votre situation individuelle ou collective, vous pouvez nous écrire à redaction (at) frustrationmagazine.fr