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Comme vous le savez tous, la « gauche » va partir rassemblée lors des prochaines élections législatives derrière l’Union populaire, mouvement fondé par la France Insoumise. Ce rassemblement est très inattendu, car :

  • les différences programmatiques entre LFI/PCF d’un côté, et PS/EELV de l’autre, sont considérables. D’un côté des opposants farouches à la politique néolibérale à l’œuvre en France pendant ces dernières décennies, de l’autre ceux qui en partagent pleinement la responsabilité, ayant gouverné le pays à partir de 2012. Rappelons qu’Olivier Faure, numéro 1 du PS, est un ancien dirigeant d’entreprise qui ne faisait même pas partie des frondeurs du PS sous Hollande, avait soutenu par exemple la Loi Travail et avait failli soutenir Macron en 2017.
  • EELV, le PS et le PCF ont passé la campagne à dénigrer Jean-Luc Mélenchon, en prenant n’importe quel prétexte pour tenter vainement de lui prendre des voix.

Le score très important de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles a poussé les vieux appareils politiques à se mettre derrière lui pour tenter de gagner un maximum de circonscriptions. Face à cette situation, on observe deux types de réactions chez les militants qui souhaitent sortir du capitalisme :

  • Nombre d’entre eux considèrent que ce rassemblement constitue un immense espoir, car il est en capacité de prendre le pouvoir et de hisser Mélenchon au poste de Premier ministre.
  • D’autres considèrent que l’alliance avec les sociaux-libéraux est un désastre, qu’à peine élus ils trahiront l’accord programmatique qu’ils ont signé avec les insoumis, et que l’absence du NPA montre bien la tendance très modérée de ce regroupement par rapport au programme initial de la FI.

En réalité, ces deux visions ne sont pas si contradictoires qu’elles en ont l’air. Tout dépendra du résultat des élections :

  • Si la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale n’arrive pas à être majoritaire, il y a fort à penser que chaque groupe la composant (car chaque force politique aura son propre groupe si elle a suffisamment de députés) reviendra à ses positions initiales et qu’il y aura peu d’unité à l’Assemblée : EELV et le PS cautionneront une partie des réformes de Macron, tandis que la FI s’y opposera à juste titre systématiquement. On peut imaginer que dans ce scénario, l’unité de la gauche aura simplement permis à la FI d’avoir bien davantage de députés, ce qui n’est pas à négliger, mais en ayant pour cela aidé fortement par cet accord les vieux partis dégénérés de la social-démocratie à survivre. Dans ce cas de figure, étant donné que les institutions de la Vème République ne changeront pas, les députés LFI auront toujours autant de mal à tenter de s’opposer aux réformes de Macron qui vont continuer à détruire le quotidien des salariés de ce pays.
  • Si la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale arrive à être majoritaire devant la droite (LR et LREM étant tout à fait capables de s’allier après les élections si nécessaire pour gouverner le pays), un gouvernement d’union de la gauche pourrait être désigné avec Jean-Luc Mélenchon à sa tête. En effet, le président de la République et la majorité des députés représenteraient des tendances politiques opposées, ce qu’on appelle la “cohabitation”, comme cela fut le cas précédemment en 1986, 1993 et 1997. Le gouvernement étant responsable devant l’Assemblée nationale, le président de la République devrait donc nommer à la tête du nouveau gouvernement une personnalité qui puisse avoir l’appui de la majorité à l’Assemblée nationale, en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon. Le rassemblement de la gauche prendrait alors tout son sens :

Les accords avec les autres forces de gauche se sont faits sur la base du programme de la FI, mais avec des formulations qui le vident partiellement de son contenu. Par exemple, l’accord avec EELV accepte la désobéissance européenne, mais « dans le respect de l’Etat de droit ». Celui avec le PS fait mille circonvolutions sur le sujet pour qu’on puisse en conclure tout et son contraire. Dans l’accord avec le PS, aucune nationalisation n’est prévue, ni aucune augmentation des impôts des riches (mais uniquement l’abrogation des réformes de Macron sur l’ISF et la flat tax), ni aucun nouveau droit pour les salariés, à part la représentation dans les conseils d’administration qui ne sert à rien, puisque les actionnaires y seraient toujours majoritaires. Il reste tout de même jubilatoire de voir les socialistes accepter dans l’accord l’abrogation de la loi El Khomri qu’ils ont eux-mêmes mise en œuvre quand ils étaient au pouvoir en 2016.

Toutefois, rien n’empêchera réellement un gouvernement dirigé par la FI d’aller beaucoup plus loin que ce qui est contenu dans ces accords, qui diffèrent d’ailleurs beaucoup les uns des autres. LFI pourra avoir les ministères-clefs et potentiellement impulser un véritablement bouleversement économique.

Mais cela ne se fera qu’avec une forte mobilisation populaire pour pousser le gouvernement à agir fortement, car :

  • L’histoire nous montre que face à la réalité du pouvoir, il est difficile de garder le cap. L’ensemble des trahisons de la gauche, que ce soient les socialistes en 1982 ou plus récemment Aléxis Tsipras en Grèce mettent en évidence que quel que soit le programme, depuis des années ce sont des politiques d’austérité qui sont menées. L’arrivée de Mélenchon au pouvoir serait, cela dit, davantage comparable à celle de Jospin en 1997 en cohabitation avec le président Chirac. Son bilan comporte de bonnes choses, mais il comporte également la vente de 30 milliards d’euros de parts dans des entreprises publiques (France Télécom, Air France, etc.) et la flexibilisation du temps de travail avec les lois Aubry par exemple. Et rien contre les licenciements, rien contre la financiarisation de l’économie, bien au contraire.
  • Sans mobilisation massive, on risque de se retrouver au mieux avec une politique proche de la gauche plurielle de Jospin, car le patronat et les institutions européennes seront très difficiles à faire plier. La référence au Front Populaire est beaucoup mise en avant en ce moment, mais c’est oublier qu’une grande partie des avancées obtenues durant les deux années qu’a duré ce gouvernement l’ont été sous pression du mouvement social : le patronat a été contraint à négocier parce qu’un mouvement massif de grève et d’occupation d’usines a eu lieu, et ce, avant même l’entrée en fonction du gouvernement. Et toute une partie des droits acquis lors du Front populaire l’ont été grâce aux négociations – avec rapport de force issue des grèves – dans les branches, qui ont donné lieu à l’établissement des conventions collectives, entre autres. Les grandes avancées sociales, comme les congés payés, n’étaient même pas dans le programme du Front populaire.
  • Cette référence historique est donc risquée pour parler du succès d’une union de gauche. Cette période est aussi sombre pour la cause antifasciste puisque le gouvernement de Léon Blum n’a pas soutenu la République Espagnole, qu’il n’a duré que deux ans et que le gouvernement Daladier qui lui a succédé a remis en cause aussitôt une grande partie des droits conquis. Ce qui est sûr, c’est que ce que l’on entend par Front populaire n’est en tout cas pas le simple résultat d’un accord entre plusieurs formations politiques de gauche : les progrès sociaux qu’il a apportés ont été rendus possibles par une mobilisation ouvrière massive. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’attendre au même type de mobilisation pour que des réformes de progrès social soient possibles : mais l’exemple du Front populaire nous montre que l’action seule d’un gouvernement – aussi uni soit-il – ne suffit pas pour conquérir du progrès social.

Globalement, dans la période de régression sociale que nous traversons depuis des années, cette unité derrière la France Insoumise ouvre de réelles perspectives de transformation :

  • Malgré les limites de ces accords, leur boussole reste une politique qui abrogerait les dispositifs mis en place par Macron et une partie de ceux mis en place par Hollande, ce qui est indispensable.
  • Ce sont véritablement des programmes de gauche, ce qui clarifie les choses par rapport à l’orientation libérale que portait Hollande tout en se prétendant de gauche. De plus, l’union populaire au pouvoir mettrait fin à l’islamophobie d’Etat qui s’est généralisée ces dernières années et qui divise les classes laborieuses. 
  • On peut espérer que l’alliance d’un gouvernement piloté par la FI et de la capacité de mobilisation des Français, démontrée par le mouvement des Gilets jaunes et l’opposition à la réforme des retraites de 2019, peut faire plier le patronat et aboutir à un véritable basculement en faveur des classes laborieuses.

Guillaume Etiévant et la rédaction